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Institut pour une triarticulation sociale
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Longtemps appelée "Droits humains et vie juridique", cette page devient aujourd'hui

Droits humains, vie juridique et/ou éthique

parce qu'on ne se rend communément pas assez compte que l'aspiration démocratique, nécessiterait, pour sa satisfaction, de distinguer trois domaines distincts de vie quand nous faisons société.
Et pour commencer, il s'agit de bien distinguer entre "refuge, soutien et restauration" à l'individualité (vie de l'esprit si possible libre) et garantie de son support physico-social commun à chaque humain pouvant être encadré par une vie de droit si possible démocratique. Et plus récemment dans l'histoire, avec la division industrielle du travail, restent à créer à partir de là les conditions d'une maîtrise plus humaine de la vie de l'économie.

Cependant, à l'intérieur même du domaine strictement spirituel, avant même toute juridicisation, se présente déjà le problème de bien distinguer entre éthique jaillissant de l'individu et éthique (ou plus communément "morale") proposée ou s'imposant, de l'extérieur et aussi traditionnellement.

Deux articles* critiques de R. Steiner de la fin du 19e siècle concernant une
Société pour une culture éthique en Allemagne
sont déjà éclairants à ce sujet

(* dans Literarischer Merkur, XII. an., Nr. 40, 10. octobre 1892  et Die Zukunft, I. volume, Nr. 5, 29. Oktober 1892 - repris dans ga031)
Ils illustrent en quelque sorte à l'occasion d'une initiative sociale, le problème de l'individualisme éthique qu'il expose dans sa "Philosophie de la liberté".

Il ne se contentera cependant pas de productions et avis intellectuels. Il accompagnera et permettra le rassemblement d'un mouvement spirituel-scientifique, en quasi "ingénieur social", nouveau métier en train de naître en son temps.

Pour le suivre à l'action sous l'angle positif, on pourra se référer aux tentatives successives dont le livre de J. Kierch se fait un des rares témoignages au cœur de la question traduit en français (quand la plupart des biographies décrivent les choses de l'extérieur) :

L’ÉSOTÉRISME INDIVIDUALISÉ DE RUDOLF STEINER AUTREFOIS ET MAINTENANT
À propos du développement de l'Université libre pour la science de l’esprit

On trouvera, notamment au chapitre 3, l'évocation d'une première tentative (avortée en 1911) de société  fondée uniquement sur la vie de l'esprit, indépendamment de tout recours à la vie de droit.

Notons en passant que l'enjeu est de taille, pas seulement une question d'indépendance par rapport aux pouvoirs dits séculiers de l’État du moment.
En effet l'ancienne vie de l'esprit, institutionnellement principalement hébergée chez nous en Europe par l'église catholique romaine, non seulement dénie intellectuellement depuis le 9ème siècle à l'individu un rapport direct au divin et au suprasensible au profit de l'institution, prétendument seule porteuse de "la révélation", mais véhicule aussi en plus , des représentions juridiques dans celui-ci. Toute notre conception du monde et du monde de l'esprit en est souvent imprégnée à notre insu.
Ces représentations pouvant déborder jusque dans le sentir et le vouloir sont héritées de la Rome antique (qui les forgea dans un contexte de l'évolution humaine où l'émergence de l'individualité tendait à n’apparaître vraiment chez le fils que sur la fin du père -comme cela est par exemple raconté dans "La forme juridique est un oeuf de coucou" de J. Mosmann).  On peut aussi commencer à se sensibiliser à la question en s'interrogeant sur la notion de "jugement dernier" par exemple, puis plus tard même sur les conséquences encore plus grossières de marchandisation de droits à "indulgence". Un début de "Réforme" (protestantisme) en résultera, et trouva vite d'autres limites.
Tout cela n'est pas qu'une question extérieure, mais bien celle déjà d'une libération de ce qui en reste aujourd'hui encore indûment intériorisé (inconsciemment) et par conséquent celle de la forme à donner à un être ensemble aidant ou non l'individu à lever ces obstacles intérieurs pour rendre possible d'abord des constructions représentatives alternatives pour permettre ensuite des perceptions spirituelles "maîtrisées".

Cette première tentative sera donc renouvelée en 1924 par le compromis consistant à créer une société de support (la société anthroposophique d'abord qualifiée d'internationale, puis plus tard de "générale" ou "universelle" - suivant les options de traduction) dûment enregistrée juridiquement pour une seconde réalité, elle purement de vie de l'esprit comme "Université pour une science de l'esprit".
On peut penser que le but est bien d'offrir à une recherche spirituelle-scientifique de se doter des formes et processus sociaux propres à chaque sujet de recherche dans la plus grande indépendance des problèmes de la gestion tant administrative-juridique dans le rattachement à la situation des lois et de l'état (vie de droit) comme de celle de la satisfaction des besoins de ceux qui s'y consacrent entièrement (vie de l'économie).
Notons toutefois, que pour la première école élémentaire, fondée 4 ans avant, il est bien préciser que les enseignants n'enseignent que dans la mesure où il se sont acquittés des tâches d'administration et de financement de leur école... histoire de rester en phase aux  autres réalités sociales ? Histoire de rester "libres" aussi en s'exerçant à chaque fois à des formes de jugement distincts. Mais là aussi les confusions peuvent perdurer malgré tout (voir éventuellement : "Qu'est-ce qu'une école "libre"" de J. Mosmann

L’École supérieure ou Université libre, vit sont animateur et conseillé principal et en même temps président de la société la portant, tomber assez rapidement malade et disparaître de la vie terrestre quelques mois après (mars 1925) laissant des collaborateurs alors tout de suite bien en peine pour garder le cap face aussi à une mise en ordre entre plusieurs formes juridiques inachevées (travaux sur la constitution). Et les distinctions des formes de conscience  (ou de jugement) pas vraiment menées à bien. Voire ignorées (l'apport de la triarticulation sociale notamment - mais pas seulement - ayant fait l'objet d'un quasi rejet d'une partie importante du mouvement). Elle furent donc presque oubliées puisque redécouvertes au fond assez récemment.

A ce stade on pourra peut être encore se demander pourquoi une telle insistance sur l'aspect éthique alors que le sujet concerne les droits humains pourtant censés être à garantir par le droit ? Mais ce droit, peut il subsister extérieurement, si le droit dit "naturel" et le droit "historique" ou "positifs" montrant leurs limites, il ne jaillit pas constamment renouvelé des facultés intérieures des individus qui constamment l'adaptent au cours des choses ? Au fond, ne source-t-il finalement pas de leur liberté ? Et ne disparaît-il pas aussi si son aspect normatif (égalité) devient trop menaçant, voire l'emporte ? (à ce sujet voir GA083 -10ème conférence + Spitta ci-dessous)

Une compréhension simpliste de la tri-articulation consisterait à prêter à Rudolf Steiner l'organisation de notre monde en vie culturelle, juridique et économique sous les motifs idéaux, mais encore abstraits, de liberté, d'égalité et de fraternité. Ce n'est pas totalement faux, mais revient à passer à côté de sa conception d'un organisme social sain si on n'entre pas plus profondément dans le concept pour lequel il choisira le terme allemand : "Dreigliederung" qu'on pourrait traduire en français par "trimembrement" (un tout "organique" où interagiraient trois membres), ou "triarticulation" qui tenterai de déplacer l'attention d'une séparation en trois (ou tripartition) sur des rapports dynamiques articulés, "triarticulés". Une "triarticulation" donc. Et ce concept n'est pas que statique, il s'appuie aussi sur des phases de développement organique, c'est à dire a aussi un caractère temporel. Aussi bien dans chaque individualité se dotant d'un corps terrestre et le pratiquant au cours de la vie, que dans l'évolution des corps sociaux principaux les uns aux autres dans l'histoire.

De nombreuses sociétés anciennes ou traditionnelles, elles,  étaient tripartites, c'est à dire composées de trois catégories d'humains comme Platon en parle. Ces castes, états sociaux, voire classes servaient de cadre à l'individu en gestation. On naissait et... mourrait généralement dans la même à quelques exceptions prêt. Chacune avait des règles propres et aussi des privilèges. Elles séparaient les humains, les spécialisant dans  les tâches de société (favorisaient structurellement certains aux détriment des autres feront remarquer certains aujourd'hui).
Les "Lumières" européennes et la Révolution française ont voulu y mettre un terme. Mais en réalité, cela ne fut qu'une conquête encore partielle et surtout momentanée. Peut être quand même encore aussi au profit d'une nouvelle classe.
Tous devenaient alors "citoyens" (voir "bourgeois" au sens initial), tous séculiers pourrait-on presque aussi dire (car il s'agissait bien de la victoire du clan le plus séculier sur celui, à l'époque, du rapport "religieux" intérieur de l'individualité naissante au monde - fut-il dévoyé).
En tout cas, chacun pouvait désormais accéder pareillement, au moins en droit (la supercherie de classe est dans sa monétisation), à la propriété (comme support terrestre de l'individualité). Ce troisième idéal ne se muât, curieusement, en fraternité que quelques années plus tard.
La bourgeoisie principalement victorieuse, ne percevait pas encore vraiment que, ce qui naissait d'économie moderne en elle, remettrait en cause la victoire purement politique d'alors (avec quand même toute une Terreur orchestrée par une minorité) .

Tout cela posait cependant déjà question à la frange progressiste de l'idéalisme allemand  avant sa disparition (W. von Humboldt, Schiller, Goethe,...). Ils étaient certes admiratifs  de ce qu'elle portait d'émancipation, ils voyaient bien aussi le risque hégémonique de ce nouvel être ensemble. On était alors encore partagé entre références à la Grèce ou à la Rome antiques. L'économie était encore traditionnelle. Mais Humbold s'intéresse quand même aux limites de la pertinence de l'état. Schiller a l' (auto) éducation esthétique de l'humain. Goethe développe un conte ésotérique où s'effondre un Roi composite et où un serpent devient pont !

Ce n'est qu'un peu plus de 100 ans plus tard que fut conceptualisé en science sociale (elle-même naissante), une voie tenant vraiment compte de ce troisième facteur désormais pattant par l'industrialisation, la première mondialisation et la classe ouvrière (prolétaires de tous les pays..., l'Internationale...) quand le marxisme qui précéda conceptuellement ramenait les deux premiers à la seule conséquence du troisième. Le rapport à l'esprit devint "idéologie" se dégageant des rapports économiques de classe.

En effet, reconnaître pensant cette triarticulation de la société à partir de celle de l'âme dans son rapport au corps et avec ses trois états de conscience (veille, rêve, sommeil) place en réalité chacun individuellement consciemment devant la nécessité d'une maîtrise vraiment humaine de la vie en société. Chaque individu est désormais participant  (et régulateur, si possible responsable) dans les trois domaines.
Mais cela est seulement possible sans dommage pour l'individu dans le collectif de civilisation, si, à ces désormais trois domaines fonctionnels de la vie sociale, dans lesquels chacun se trouve cependant plus ou moins par sa vie et ses intérêts personnels (alors que ce n'était pas le cas avant la Révolution de 1789), sont clairement attribués et pratiqués les modes de rapport inter-humains leur étant propre (voir entre autres, les 2 premiers chapitres de "Questions fondamentales de triarticulation".
Cela signifie que l'aspiration démocratique que porte désormais chacun ne devrait pouvoir se satisfaire, paradoxalement, du seul mode d'approche juridique, fut-il même démocratique.

L'autonomie morale de chacun, ne peut se décréter de l'extérieur (ce serait tenter de la garantir comme ce qu'est une béquille à la mobilité de la jambe qu'il faudrait pourtant justement davantage exercer), et cela au moment d'histoire où c'est pourtant elle qui est finalement de plus en plus exigée partout dans un monde toujours plus complexe. Les injonctions extérieures montrent leur inefficacité sinon. En fait, elles peuvent même tarir les efforts de l'individu dans le citoyen. Surtout si elle prétendent régir le domaine de la formation et de la recherche. La triarticulation sociale ne propose pas de triarticuler la société qui l'a toujours plus ou moins été, mais de lever les vieux obstacles, les vieilles confusions, les vieux amalgames (et cela jusque dans l'intériorité la plus personnelle s'il s'agit de connaître par soi-même) qui empêchent encore un auto-équilibrage des trois réalités sociales par leur dynamique propre.

On devrait notamment bien comprendre comment Steiner est amené à bien distinguer une vie sociale de l'esprit centrée sur la promotion de ce qui est individuel, intérieur à l'individu et une vie sociale de droit centrée sur ce que les individus ont de véritablement commun "contre" toute individualité (il s'agit bien là de forces contraires, de polarité).
Comprendre aussi comment toute tentative de légiférer sur l'éthique, tue celle-ci parce que ça revient à vouloir la "descendre" ou "sortir" du lieu intérieur où elle peut germer, pour la placer au lieu commun où elle ne peut que s'étioler (s'il n'est pas conçu pour ça). En tout cas dans une civilisation qui s'est déjà hissée au principe de l'individualité.
Inutile de dire que si cela doit, en plus, être fondé sur une quelque forme de police, voire des formes de contraintes ou sanctions, pire encore au delà des faits démocratiquement reconnus comme lésant l'individu... (il y a bien sûr là une question de frontière entre physique et psychique...) se pose alors aussi la question de qui est habilité à juger et comment on se met d'accord là dessus, exerce les contrôles indispensables, etc.... Et là, probablement quand même un principe assez couramment admis : on ne se fait pas justice soi-même (chez Steiner par exemple).

Il ne faudrait donc pas renoncer à cette tension sociale, exposée très tôt dans son œuvre par R. Steiner (voir à ce sujet la loi sociologique fondamentale où déjà aussi il pointe l'incapacité d'une pensée  formée aux seules sciences "observationnelles" de la nature , génératrice du seul intellect, dominant aujourd'hui encore, à aboutir à des conclusions ou "lois" capables de susciter une volonté sociale). Car en fait,  là se joue la question du  sectarisme, voire du totalitarisme... et du déclin civilisationnel qui lui aussi commence à l'éthique de l'individu et ses renoncements, avant de se déployer socialement pour finalement, malgré des apparences séduisantes, compromettre toute civilisation.

27 mai 2014, revu  juillet, puis août 2024

Ci-dessous, les lectures proposées jadis :

2014/03 - Dietrich Spitta - La structuration du droit en droit privé, droit public et droit pénal. 
2014/02 - Dietrich Spitta - L’entité humaine en tant que source de la justice et de l’injustice
2000 - Gerard Kerkvliet - Rudolf Steiner - Un opposant à l'antisémitisme et au nationalisme 
1997 - Sylvain Coiplet - Les droits des minorités entre droits collectifs et droits individuels

et bien sûr chez R. Steiner : Bd. 5 - Démocratie et vie juridique


Nouvelles propositions possibles (à vérifier)

Sur la façon non dogmatique dont R. Steiner aborde les formes juridiques dans le mouvement, malgré tous ses apports sur le fond

Exaltation d'esprit de groupe et conception réaliste de la vie dans le penser et le vouloir sociaux.

De Luther à Steiner - Un problème culturel allemand par Ernst Boldt - 1921