Vous avez disposé d’une littérature, elle se
rapportait au développement intérieur de l’être
humain, à la connaissance du monde spirituel. Cette
littérature parle à chacun de nous et lui permet, en
se plaçant aux points de vue les plus variés, de
définir sa relation avec l’univers, avec les autres
hommes, dans la mesure où cette relation est le
résultat de l’activité de l’âme et de l’esprit. Voici
maintenant cette science spirituelle qui se met à
engendrer un autre courant de connaissances, il ne
s’agit, bien entendu, que d’une ramification, la
science spirituelle demeurant courant principal. Il
est même nécessaire qu’elle demeure le courant
principal, sinon comment pourrait-elle assainir les
autres domaines de la pensée.
12012 - Voici donc que cette science spirituelle nous
parle de la question sociale, de l’assainissement de
l’organisme social. Ce courant de la science
spirituelle n’a pas le droit de stagner, de rester
inactif, d’être considéré passivement. Sinon, il
manquerait son but, il n’atteindrait pas son objectif.
Un grand nombre, parmi nous, pendant de longues
années, ont assimilé des notions de la science
spirituelle. Nous allons voir maintenant combien
d’entre eux sont devenus mûrs pour saisir clairement
le véritable sens de la question sociale à notre
époque. Ce qu’il faut en connaître fera l’objet de mon
livre sur les fondements de l’organisme social. Il
faut en arriver à comprendre les données de ce
problème, en toute clarté, sans préjugé, en faisant
abstraction de tout sentiment personnel. La question
sociale sera notre ban d’épreuve.
Nous pouvions être jusqu’à maintenant de fidèles
adeptes de la science spirituelle en nous adonnant à
l’étude de cette science, sans nous soucier de ce qui
se passait dans la vie. Ceci m’amène à signaler deux
phénomènes qui viennent de se manifester au sein de
notre mouvement anthroposophique et qui donnent
singulièrement à réfléchir: d’une part nous avons de
bons anthroposophes. Ils ont une connaissance très
étendue de l’évolution cosmique, de l’organisation de
l'être humain, de la réincarnation, du destin, du
karma. Mais, à côté de cela, ils n’ont aucune
expérience pratique de la vie, aucune idée de ce
qu’elle doit être. Ils sont venus à l’anthroposophie
dans l’intention très nette de se tenir écartés des
réalités de la vie. Bien plus, ceux que ces remarques
concernent sont les derniers à se sentir visés. Ils se
considèrent, dans leur naïveté, comme des hommes
rompus à la pratique de la vie. Telle est la première
constatation que nous pouvons faire aujourd’hui.
12013 - Le deuxième phénomène qui nous frappe est le
cloisonnement du mouvement en sectes de toutes sortes.
Il y a une tendance très marquée, dans les mouvements
se réclamant de la spiritualité, à tomber dans le
sectarisme. Peu importe qu’il s’agisse de cliques de
modeste envergure, dont les tendances ne reposent que
sur des points mineurs ou, au contraire, de sectes
bien caractérisées. Ce qui importe, ce sont
l’objectivité, l’altruisme, comme étant les fruits
naturels du mouvement de science spirituelle, orienté
par l’anthroposophie. La source des difficultés, dans
notre mouvement, a toujours été de confondre la
personnalité avec l’objectivité ou le sens pratique,
la plupart du temps sans s’en rendre compte.
Les gens sont toujours de bonne foi, lorsqu’ils se
retrouvent au sein d’un petit groupe d’action, quel
qu’en soit l’importance, dans un but pratique
déterminé. Ils sont certainement de bonne foi, ils ne
voient pas le danger, étant dans le feu de l’action,
ayant l’impression de faire ce qui leur tient à cœur,
leur objectif étant dans la ligne d’action proposée
par la science spirituelle. Ils veulent maintenir
cette relation avec la science spirituelle. Nos
adeptes sont loin de se douter de tout cela. Ils sont
de bonne foi, se croyant objectifs.
Je n’insisterai jamais assez sur les ravages causés
par ce sectarisme, cet esprit de chapelle. Toutes nos
communications, toutes nos informations, toutes nos
ouvertures sur l’extérieur, quel que soit le domaine
qu’elles mettent en cause, ne sont pas jugées d’après
leur valeur intrinsèque, mais d’après ce que
l’influence d’une société, la Société
anthroposophique, a pu faire et continue à faire
d’elles. [ Je ferai allusion ici aux conséquences
désastreuses imputables aux brebis galeuses comme a pu
l’être un Seiling. Il ne faut pas oublier, malgré
tout, d’aller au fond des choses, pour trouver que de
tels individus ont été encensés, encouragés et
soutenus par cette ambiance sectaire des groupuscules.
Une ambiance de ce genre s’était notablement
développée dans les dix-huit dernières années du
mouvement anthroposophique. Et tout ce qui se passe
dans le mouvement anthroposophique se projette, en se
multipliant, sur toute l'anthroposophie. Nombreux sont
ceux qui, parmi nos membres, pèchent en effet contre
l’impulsion-clef de notre époque, par l’individualisme
dans le domaine spirituel. Combien de fois
n’avons-nous pas entendu cet exorde : nous, les
anthroposophes, nous les théosophes, nous voulons ceci
ou cela! C’est terrible d’avoir toujours trois
principes à la bouche et rien que trois ! — Or,
nous n’avons besoin d’aucun principe, les principes ne
sont pas notre affaire. Nous avons besoin de vérités,
et non pas de principes généraux, et ces vérités ne
valent que pour des individus isolés, pour des
individualités. La société, je ne cesse de le répéter,
doit représenter quelque chose, mais vu de
l’extérieur. Cette apparence extérieure ne doit pas
être voulue à l’intérieur de la société. ] Il faut
qu’on finisse par s’en inspirer sérieusement, une fois
pour toutes.
C’est une nécessité de notre époque. Aujourd’hui, des
efforts se déploient de toute part dans le monde en
vue du règlement de la question sociale. Si ces
efforts en venaient à devoir quelque chose, si peu que
ce fut, aux élucubrations des esprits sectaires,
partiaux ou étroits dans leurs sentiments, ils
seraient voués à l'échec de la manière la plus
certaine. Ici, notre devoir sera de nous entraîner à
l’exercice d’une pensée aussi large que possible. Là,
nous devrons nous inspirer, au départ, des leçons de
la vie pratique de tous les jours. Le résultat à
obtenir en dépend.
12014 - Notez bien, en vous parlant de ces
difficultés, je le fais vraiment dans un esprit très
amical. Ne croyez pas que je le fais dans l’intention
de dénigrer les efforts de telle ou telle personne. Je
suis pourtant dans l’obligation de vous avertir, en
allant jusqu’au fond du problème, qu’il s’agit de
l’aspect social de notre action commune. En attendant
que cet aspect social de notre enseignement s’adresse
à la totalité de nos membres, comme je souhaite que ce
soit bientôt le cas, je dois précisément vous avertir,
d’une manière très pressante, de l’existence de
certains dangers. Ces dangers, ce sont le sectarisme,
l’étroitesse d’esprit, les horizons bornés, la
confusion dans les idées. Il faut bien se garder de
les introduire dans notre pensée sociale. Nous devons,
pour y parer, nous efforcer de penser d’après
l’expérience de la vie courante, d’après la réalité de
la vie.
J’ai été surpris, très surpris, tout dernièrement,
d’entendre proclamer une sorte de mot d’ordre que je
soupçonne d’avoir été conçu ici même, par une personne
ou par une autre, bien intentionnée. Ce mot d’ordre
avait pour intention de faire passer dans la pratique
les recommandations que j’apporte sous forme d’idées
sociales, à l’occasion de mes conférences. Mais cette
mise en pratique de ces idées était proposée sous la
forme la plus inconsidérée qu’on puisse imaginer. Nous
ne pouvons vraiment pas voir accepter de voir se
renouveler une confusion pareille à celle qui a permis
les désordres sociaux et les malheurs dont nous
souffrons actuellement, une confusion entre les moyens
véritablement pratiques et les moyens pratiques
illusoires. Or, les propositions qui ont été avancées
devant moi m’ont paru tellement peu pratiques,
tellement sectaires, elles trahissaient même l'absence
de toute volonté d’aborder le côté pratique de la vie
que je n’ai pas pu m’y arrêter.
Je vous en prie, apprenez à connaître, avant toute
chose, ce qui est le côté pratique de la vie, car les
paroles que je peux prononcer devant vous n’ont pas
d’autre source. Croyez-vous que ce n’est pas une
théorie en l’air que de parler de la main-d’œuvre
ouvrière en lui donnant le caractère d’une
marchandise? Ce sujet ne peut précisément être abordé
qu’après avoir reconnu qu’il est, de tous les sujets,
le plus important que l’on puisse trouver dans la
pratique de la vie courante. Il en est de même pour
tout le reste. Aujourd’hui, plus que jamais, nous
avons besoin de comprendre les nécessités de la vie
réelle avec un esprit clair et pénétrant. Je vais
mettre les points sur les i, sans la moindre
acrimonie, sans m’en prendre à qui que ce soit. On m’a
demandé si la triple organisation ne pourrait pas être
introduite au sein de notre Société anthroposophique,
en y créant trois domaines distincts : une vie
économique, une vie juridique et une vie spirituelle.
On peut très bien formuler de tels souhaits, tout en
appartenant à notre mouvement avec beaucoup de
conviction, en tout bien tout honneur. Mais en même
temps, s’exprimer de la sorte tendrait à montrer qu’on
n'a pas encore compris quel est le nerf central dont
notre mouvement dépend. Penser que notre Société
puisse s’organiser d’une manière tripartite, comme une
secte pourrait le faire, signifie que l'on n’a rien
compris de mon enseignement à propos de la question
sociale !
Quels sont, en effet, les trois domaines à
distinguer, dans un organisme social en bonne
santé ? D’abord la vie économique. Oui, mes chers
amis, voudriez-vous recourir à la pire des solutions,
instaurer une secte économique, en formant, dans le
cadre de notre Société, une économie communautaire, au
milieu de l’économie générale qui nous entoure ?
Comprenez-vous que nous ne pouvons pas négliger le
milieu dans lequel nous vivons, en nous repliant sur
nous-mêmes d’une manière égoïste, même s’il s'agit
d’un égoïsme de groupe ! Vous entretenez bien des
relations économiques avec toute l’économie de votre
pays. Vous recevez votre lait, votre fromage et vos
légumes d’un corps économique dont vous ne pouvez pas
vous abstraire. Vous ne pouvez pas réformer les mœurs
de votre époque en vous isolant pas rapport à elle.
Lorsque quelqu’un propose de transformer cette société
en un corps économique, je me représente cela un peu
comme une famille nombreuse dont le chef dirait :
maintenant, je vais organiser ma famille suivant le
principe de la triple organisation.
Toutes ces idées sur la question sociale sont trop
globales pour ne pas être prises au sérieux. Nous ne
devons pas les laisser traîner dans le domaine du
sectarisme où elles ne manqueraient pas de
s’embourgeoiser petitement. Nous devons y penser sans
perdre de vue, à l’arrière-plan, l’intérêt de toute la
communauté humaine. Voilà ce qu’on peut dire de ces
propositions et de leur développement sur le plan
économique. Gardez-vous donc de vouloir mettre en
place une économie de groupe bien égoïste. Vous ne
manqueriez pas, dans cette tentative, de perdre tout
contact avec la réalité qui doit tenir compte, elle,
de la formation inévitable de circuits économiques
mondiaux.
Passons maintenant à la vie
juridique. Imaginez que vous disposiez d’un pouvoir
juridique au sein de notre Société. Lorsque vous
dérobez quelque chose, peu importe que trois personnes
se réunissent pour délibérer au sujet de ce larcin.
C’est le pouvoir juridique extérieur à notre Société
qui s’emparera de l’affaire pour en juger. Compte tenu
de l’existence de cette autorité juridique à caractère
national vous ne pourrez pas vous soustraire à cette
juridiction.
Que dire maintenant de l’autorité spirituelle, mes
chers amis ? Depuis le jour où nous avons eu la
Société anthroposophique ou, plus exactement, depuis
le moment où notre Société, avec son contenu
anthroposophique, a existé au sein de la Société
théosophique, n’avons-nous pas œuvré en toute
indépendance vis-à-vis de qui que ce soit ?
Avons-nous eu la moindre activité qui ait été
influencée par quelque organisation étatique ou
politique que ce soit ? Depuis le premier jour,
cette Société en ce qui concerne la vie spirituelle, a
atteint son idéal de liberté !
Comprenez-moi bien, cet idéal a été atteint dès le
premier jour, si l’on se réfère à nos objectifs, ne le
voyez-vous pas ?
Croyez-vous que nous avons attendu jusqu’à
aujourd'hui, dans la Société anthroposophique, pour le
réaliser ? Notre Société a-t-elle reçu une
subvention de l’État, dans quelque pays que ce
soit ? Nos membres enseignants sont-ils des
fonctionnaires ? Cette Société anthroposophique
n’a-t-elle point rempli, dès le départ, ce vers quoi
tendent toutes les autres organisations
spirituelles ? N’est-elle pas à ce titre l’idéal
auquel on puisse prétendre pratiquement ?
Voulez-vous, à présent, intervenir pour la réformer
encore davantage dans ce sens ? Vous n’auriez pas
encore compris l’esprit de cette Société dans laquelle
vous agissez depuis tant et tant d’années si vous
vouliez, aujourd’hui seulement, que l’on se mette à y
introduire le troisième membre, le membre spirituel?
Considérez plutôt ce que nous avons pu devenir, ce que
nous avons dû saisir au vol ; cette liberté dans
la recherche et l’enseignement spirituels, cette
liberté existe au moins pour les hommes qui n’ont pas
exigé de situations officielles en échange de ce
qu’ils ont appris ici. Considérez au moins cela comme
un point de départ, avant d’aborder d’autres tâches.
Concentrez votre attention sur ce qui existe, pour
éviter d’avoir à engager votre pensée sur une voie
latérale. Dans mon livre sur les « Fondements de
la question sociale » j’ai qualifié de mal
héréditaire, pour notre époque, la tendance de ces
gens — ils se disent praticiens de l'existence — qui
pensent à côté et qui parlent à côté de la question.
Devons-nous cultiver ce vice, en tenant des discours
qui nous écartent de notre but ? Nous ne pouvons
pas avoir comme objectif d’introduire la vie
spirituelle libre dans notre société. Par contre, nous
pouvons nous fixer comme devoir de répandre cette vie
spirituelle libre dans le monde, en dehors de notre
Société, en expliquant à la ronde que toute vie
spirituelle doit s’exercer suivant la même
organisation.
Voyez-vous, il s’agit, c’est un programme minimal, de
considérer d’abord les possibilités placées à notre
portée immédiate. Les anthroposophes doivent commencer
par comprendre les premiers enseignements sur la
question sociale que je viens de leur apporter. Nous
devons éviter, dans la Société anthroposophique tout
au moins, de répandre des idées bizarres, sous le
prétexte de mettre en pratique ce que nous
préconisons. Commencez par réfléchir attentivement à
ce que j’ai indiqué comme étant le thème central de
mes exposés de ces derniers jours, de ces derniers
mois. Considérez avant tout que la tâche de notre
époque doit être de donner aux hommes une nouvelle
attitude en face de la vie. Il ne suffit pas d’avoir
de nouvelles idées, il faut encore s’en servir en
adoptant un autre comportement dans notre vie. Il faut
éviter tout ce qui pourrait conduire à un isolement, à
une ségrégation.
Posez comme point de départ sérieux le fait que
l’humanité, avec sa soi-disant culture, est arrivée
dans un cul-de-sac dans chacun des trois domaines de
l’activité sociale. [ Où cette impasse pourrait-elle
être plus apparente que dans le Centre et l’Est de
l’Europe où ses conséquences chaotiques tournent au
désastre. Vous pouvez y voir le résultat des modes
habituels de percevoir, de penser, de croire, que nous
avons entretenus pendant des décennies. La situation
de la Russie actuelle n’est pas due seulement à la
guerre. Celle-ci n’était que le point culminant de la
crise. Elle est due à nos habitudes de penser, de
sentir, de percevoir et de vouloir. Nous les avons
entretenues pendant de longues années, nous aurions dû
les considérer et les décrire comme s’il s’agissait
d’une maladie, d’un cancer social.
De quoi manquons-nous aujourd’hui plus que de tout
autre chose ? Nous manquons de jugement capable
de s’appliquer à la réalité. Ce dont nous sommes le
plus privé, aujourd’hui, c’est d’une explication
adéquate de la question sociale ! C’est cela, la
bourgeoisie a laissé ce problème de côté, le plus
longtemps possible, elle a négligé d’éclaircir la
question sociale d’une manière adéquate et sincère.
Nous n’avons plus aucun sens social. Chacun d’entre
nous ne connaît que lui-même. Etonnez-vous, avec cela,
que nous ayons des jugements à aussi courte vue.]
Quelqu’un nous parle d’organiser une vie économique au
sein de la Société anthroposophique. Je peux y voir,
tout au plus, une chose sur le plan concret, je peux
me représenter un homme achetant une vache, la
nourrissant, la trayant. Il en tirerait une production
et se chargerait de la répartir parmi les
consommateurs. Il n’y aurait là aucun danger
d’introduire le sectarisme au sein de notre Société.
En effet, ce serait conforme à l’objet de l’économie
qui est de promouvoir des initiatives capables
d’augmenter la production, en tenant compte des
besoins les plus urgents. [ Je vais vous citer un
exemple d’entreprise ayant débuté de cette façon. Elle
a partiellement échoué, mais pour une raison tenant à
la personnalité de son promoteur. Vous vous souvenez
de cet essai fait avec M. von R. Nous avons produit
notre pain, non pas dans le but de répondre aux
intérêts de la production, mais dans celui de
satisfaire les besoins de la consommation. C’était la
seule base de départ pratique et saine. Nous avons
d’abord voulu grouper les consommateurs, en les
constituant en société. En fonction de cela, nous
comptions organiser la production. Nous procédions à
un essai réaliste et pratique en agissant ainsi. Cet
essai a échoué par la faute de M. von R. qui n’était
pas un homme pratique. Il ne l’est toujours pas. Mais
cette idée aurait été très réalisable, si M. von R.
avait été un homme pratique. Cette idée réaliste
n’avait rien à voir avec la Société anthroposophique,
sinon par le fait que la Société aurait pu fournir au
départ, un nombre de consommateurs appréciable. Il
s’agissait alors de voir les choses en se plaçant au
point de vue de l’affaire à monter et non pas en ayant
pour objectif d’utiliser la Société anthroposophique.
Il ne s’agissait pas de créer une secte fermée sur
elle-même.
En tenant compte de ces conditions extérieures à notre
Société et qui ont trait aux bases mêmes de la
production, pour ne citer que celle-là, vous n’irez
pas loin, à moins d’avoir compris, dans toute leur
portée, les idées énoncées dans mon livre sur la
question sociale. De quoi s’agit-il finalement ?
De ce que la réforme de la vie économique dépend de la
pratique de cette même vie économique. On doit s’y
connaître, même pour traire les vaches. Il est plus
important de savoir traire les vaches que de monter un
système économique quelconque à l’intérieur d’une
petite secte et d’y introduire du lait venant de
l’extérieur.
[ Ce qui compte aujourd’hui, c’est de voir en quoi se
manifeste l’impulsion caractéristique de notre époque.
Vous pouvez échafauder tous les systèmes possibles si
vous le pouvez, allez en Russie, faites-y tout ce que
vous voudrez, montez les affaires les plus
mirobolantes, les plus conformes à l’idéal. Vous
pouvez faire la même chose en Allemagne, en Autriche,
en Hongrie, etc... Au bout de dix ans, tout se sera
écroulé, peut-être même avant. Voilà où nous en
sommes. Vous pouvez construire ce que vous voulez
suivant les idées à la mode aujourd’hui, dans dix ans
tout sera par terre, soyez-en certains. Les choses
n’iront peut-être pas aussi vite qu’à Munich où un
conseil de direction succède constamment à un autre,
de tendance toujours plus radicale.
Vous avez beau mettre en œuvre des organisations
séduisantes aujourd’hui, elles vous paraissent saines
et au service du bien public. Vous serez néanmoins
obligés de les jeter au rebut, aussi longtemps que les
hommes auront en tête des idées qui y stagnent depuis
des siècles, sans renouveau, encore aujourd’hui. Il
n’y a plus rien de bon à faire avec ces idées. Vous
devez donc vous habituer à transformer votre manière
de penser et à apprendre les choses. Accepter des
idées nouvelles doit devenir un souci permanent, à
l’intérieur de votre âme. ] Vous n’y arriverez certes
pas du jour au lendemain. Vous ne pouvez pas, avec ces
idées nouvelles, tomber juste, du jour au lendemain,
lorsque vous organisez une nouvelle affaire. Mais vous
pouvez creuser ces idées nouvelles dans le détail de
toutes les spécialités, car ces idées, telles que vous
les trouvez dans mon livre, sont des idées pratiques.
Prenons un exemple : vous organisez une ferme en
vous inspirant des idées exposées dans mon livre, tout
va bien. Mais si vous vous bornez à une seule ferme
dans laquelle vous trayez vous-mêmes vos vaches, elle
n’aura pas une grande répercussion sociale, cette
ferme isolée, au milieu de toutes les autres
continuant à travailler selon les anciennes manières.
Il vous faudrait alors en organiser plusieurs mais, à
ce moment, vous aurez besoin de personnel. Ces gens
que vous recruterez auront encore les idées anciennes
dans leurs têtes. Ces nouvelles organisations ne
pourront que péricliter, ou encore revenir à
l’ancienne méthode d’exploitation et tout sera à
recommencer. Vous voyez, par cet exemple, ce qui est
important dans tout cela.
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