Extrait de

Michel JOSEPH( * )

LA PHILOSOPHIE ET LA PÉDAGOGIE SOCIALE DE RUDOLF STEINER
DE LA THÉORIE DE LA CONNAISSANCE STEINERIENNE COMME EXPÉRIENCE DE L'ESPRIT

SA RÉALISATION DANS L'ANTHROPOSOPHIE, LA PÉDAGOGIE WALDORF ET L'ART SOCIAL

These de doctorat en Philosophie
Paris VIII, annee 1999/2000
Directeur de thèse : Rene Schérer

Chapitre IV
NOUVELLES IMPULSIONS SOCIALES
LA TRIPLE ORGANISATION
DE LA VIE EN SOCIETE

Les idées sociales de Rudolf Steiner tiennent une place capitale dans son œuvre et dans les applications pratiques qui en ont résulté. On peut constater qu'elles se sont fixées essentiellement en trois moments successifs : la loi sociologique fondamentale de 1898, ( 1 ) à ne pas confondre avec la loi sociale fondamentale v de 1905 ( 2 ) et la tripartition entre 1917 et 1922 ( 3 ). Les deux premiers aspects concernent deux tendances fondamentalement opposées — celle du développement de l'individualisme tout au long de l'histoire, et celle de l'apparition, relativement récente, du principe de fraternité. Ces deux concepts antagonistes sont finalement réunis et conciliés à un niveau supérieur dans le troisième moment, celui de la tripartition sociale.
Il s'agit comme dans le goetheanisme de la mise en évidence d'une polarité : liberté de l'esprit et fraternité économique et de leur Steigerung jusqu'à trouver le terme médian : l'égalité dans le politique-juridique. Pour bien comprendre ces différents niveaux de la pensée sociale de Steiner, il est indispensable de bien saisir le contexte — d'autant plus qu'il s'agissait en même temps d'une action énergique vers l'extérieur.
Comme nous allons le montrer tout d'abord, dès les mémoranda de 1917 qu'il avait rédigés pour répondre à la nécessité pressante d'un nouvel ordre européen pouvant mettre un point final constructif à la Première Guerre mondiale, Steiner a constamment présenté la tripartition sociale (Soziale Dreigliderung traduite aussi parfois «tri-articulation» pour atténuer l'idée de division statique dans le mot •partition•) dans ses rapports aux courants historiques profonds (le triple idéal de la Révolution française, la guerre de 14-18 avec les problèmes des nationalité et ethnies, et surtout le mouvement ouvrier et socialiste).
Puisée aux sources les plus profondes du devenir historique inconscient, cette idée ne pouvait, et ne peut se comprendre réellement et totalement qu'avec sa réalisation concrète. C'est pourquoi on assiste entre 1917 et 1922, période pendant laquelle Steiner intervint constamment pour la tripartition sociale, à une profusion d'initiatives, actions, expériences. On reste confondu devant le retentissement public et l'ampleur des premiers résultats concrets qu'en l'espace de quelques mois, à l'initiative d'un seul homme, la tripartition connut en 1919 en Bade-Wurtemberg et en Suisse alémanique. On reste tout aussi surpris de constater que tous les historiens soient passés à côté d'un épisode si riche sans même le mentionner.
Aussi est-ce seulement après cette évocation des circonstances que nous pourrons successivement aborder les trois moments dans le développement des idées sociales, ce qui nous permettra ensuite de traiter de problèmes particuliers tels que le capital et le travail, avant de retourner à la conception globale, celle de l'organisme social.

1. • Bref aperçu du déroulement historique

2. • Les deux « lois fondamentales »

3. • L'idée de triple organisation de la société

4. • Capital et force humaine de travail : une vie économique libérée et associative

5. • La tripartition sociale comme plastique de la pensée et de la volonté

6. • L'organisme social

7. • Conclusion : darwinisme social ou gœtheanisme social ?

( * ) Michel Joseph, docteur en philosophie s'occupe aujourd'hui de la revue Tournant

( 1 ) _ R. Steiner, Soziologischer Grundgesetz, Articles «die soziale Frage» (la question sociale) et «Freiheit und Gesellschaft» (liberté et société) parus dans la revue Magazin far Literatur n° 28, 29 et 30 en 1898 reproduits dans
R. Steiner, Gesammelte Aufsâtze zur Kultur — und Zeitgeschichte 1887-1901 (recueil d'articles) pp. 247 à 262 — Dornach, 1966 Traduction in revue Tournant n° 77, pp. 8/10, Chatou mai 1999
( 2 ) — R. Steiner, Loi sociale fondamentale, article paru en octobre 1905 dans la revue Luzifer Gnosis, sous le titre Science spirituelle et question sociale, traduction française, revue Tournant n° 76 pp. 4 à 7, Chatou, mars 1999 Chatou
( 3 ) — R. Steiner, die Kernpunkte der sozialen Frage, 1919, Traduite en français sous 3 titres successifs
—Le triple aspect de la question social — Paris 1920
—Fondements de l'organisme social — Genève 1970
— Elémentsfondamentaux pour la solution du problème social — Genève 1998