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Collection:  GA332a ŒUVRES COMPLÈTES DE RUDOLF STEINER – CONFÉRENCES SUR L'AVENIR SOCIAL








Quatrième conférence
Zurich, 28 octobre 1919

Questions d’esprit – Science de l’esprit (art, science, religion)

Éducation – art social

 


 

Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes GA332a 112-150 (1977) 28/10/1919








Traducteur:  B.P. v.01 - 02/07/2020 Editeur: SITE

Considérons l'histoire de ces dernières années et demandons-nous : comment les questions et les exigences de nature sociale, qui se posent depuis plus d'un demi-siècle, se reflètent-elles dans cette histoire ? – La réponse ne peut être que la suivante : dans de nombreuses régions du monde civilisé, des personnalités qui, pendant des décennies, se sont consacrées à leur manière à l’étude des questions sociales ont eu la possibilité de travailler positivement, dans leur sens, à la construction, à la réorganisation des conditions sociales ; mais l'un des phénomènes les plus caractéristiques est que toutes les théories, toutes les conceptions qui, depuis plus d'un demi-siècle, ont de différents côtés été qualifiées de socialistes se sont pour finir révélées impuissantes face à une véritable construction, à une réorganisation des conditions actuelles. Ces dernières années, beaucoup de choses ont échoué, peu ont été construites – et il est probable que toute personne sensée réponde : rien du tout. Il y a là une question qui devrait s’imposer à l'âme humaine : pourquoi cette impuissance des conceptions développées face à un travail positif ?

J'ai pris la liberté de répondre brièvement à cette question – à laquelle je voudrais renvoyer aujourd'hui – à l'époque qui a précédé la grande catastrophe de la première Guerre mondiale : au printemps 1914, dans un courte série de conférences que j'ai données à Vienne devant une petite communauté – une plus grande aurait probablement ri de ce que j'ai dit à l'époque. J'ai alors pris la liberté de m’opposer à tout ce que les soi-disant praticiens de la vie supposaient pour le proche avenir : j’ai dit que quelque chose vit dans notre situation sociale, dans tout le monde civilisé, quelque chose qui, pour l'observateur attentif de la vie intérieure de l'humanité, apparaît comme une tumeur sociale, une maladie sociale, une sorte de cancer, qui devra éclater dans un futur proche d'une manière terrible sur le monde civilisé. Ceux qui ont parlé à l'époque de détente politique et autres – des hommes d'État pratiques – pouvaient voir cette déclaration comme le pessimisme d'un idéaliste. Pourtant, c'est ce qui ressort clairement de la conviction que l'on peut tirer de la vision du développement humain proposée par la science de l’esprit, de la vision que je vais la caractériser devant vous ce soir.

Dans un coin de la Suisse, au nord-ouest, le bâtiment de Dornach, le Goetheanum, est dédié à cette vision de la science de l’esprit. Ce bâtiment sera le représentant extérieur du mouvement de la science de l’esprit à laquelle je fais référence ici. Aujourd'hui, vous pouvez entendre diverses choses, lire diverses choses sur ce que l’on recherche dans le bâtiment de Dornach, ce que l'on entend par le mouvement dont ce bâtiment doit être le représentant. Et dans la plupart des cas, vous vous vous direz : ce qui est vrai, c’est le contraire de ce que l'on dit habituellement sur ces choses aujourd'hui. On recherche dans ce qui est prévu par ce mouvement et sa représentation à travers le bâtiment de Dornach toutes sortes de mysticisme, toutes sortes de mysticisme faux, insensé, toutes sortes de choses obscures. On ne peut que dire que les malentendus et les incompréhensions sont encore très répandus aujourd'hui sur ce courant de la vie de l’esprit. La vérité est que ce courant s'efforce consciemment de renouveler toute notre vie civilisée quant à la façon dont elle s'est développée au cours de l'humanité dans l'art, la religion, la science, l'éducation, etc. ; pour lui, toute personne sensée a vraiment besoin d'un renouveau, on pourrait dire d’un renouveau à partir de ses fondements.

Ce courant spirituel conduit à la conviction que j'ai déjà indiquée dans les conférences précédentes de ce cycle : il ne suffit pas aujourd'hui de penser à l'une ou l'autre nouvelle institution en relation avec le mouvement social ; ce qui est exigé, pour les raisons les plus profondes de l’évolution de l'humanité, est une transformation de l'imagination, de la pensée, de la constitution la plus intime de l'âme de l'humanité elle-même. C'est cette transformation que la science de l’esprit veut amener ici. Du fait que les opinions sociales dont je viens de parler sont issues d'anciennes façons de penser qui ne reflètent plus l'évolution de l'humanité et la vie d'aujourd'hui, elle doit indiquer qu’elles ont clairement fait naufrage parce qu'elles ont été plaquées sur une nouvelle organisation, sous une nouvelle forme.

Ce qu'il nous faut, c'est de la compréhension. Que veulent vraiment les aspirations et les exigences subconscientes de l'humanité d'aujourd'hui qui n'ont pas encore pénétré dans la pensée consciente ? Que veulent-elles avant tout en matière d'art, de science, de religion et d'éducation ?

Regardons, par exemple, ce qui vient d'émerger comme art dans les temps modernes. Je sais très bien qu'en présentant ce qui suit comme une petite caractéristique de ce qui s'est développé en tant qu'art, je vais offenser beaucoup de gens, oui, beaucoup le comprendront comme une preuve de l'incompréhension totale vis-à-vis des courants de l'art moderne.

Si on laisse de côté certaines tentatives très louables de ces dernières années, la principale caractéristique de l’évolution récente de l'art est qu’il a perdu une véritable impulsion intérieure pour mettre en avant quelque chose que, par nécessité humaine, l'humanité ressent comme un besoin immédiat. De plus en plus, on estime qu'il faut se demander, face à une œuvre d'art, dans quelle mesure l'esprit, le sens de la réalité extérieure, vit dans cette œuvre d'art, dans quelle mesure l'art représente la nature extérieure ou la vie humaine extérieure. Il suffit de se demander : quelle est la signification d'une telle opinion par rapport, par exemple, à un tableau ou une œuvre d'art de Raphaël ou de Léonard de Vinci ? – Ne voyons-nous pas que le rapport à la réalité extérieure immédiate n'est pas le facteur décisif, que le facteur décisif est la création à partir d’une chose qui est loin de la réalité extérieure immédiate ? Quels mondes nous illuminent quand nous voyons à Milan le tableau, la Cène de Léonard de Vinci, qui est maintenant déjà presque inconcevable, ou quand nous nous trouvons devant un tableau de Raphaël ! N'est-ce pas finalement une trivialité totale de savoir dans quelle mesure ces artistes ont également été affectés par les lois de l'existence naturelle ? L'essentiel n’est-il pas qu'ils nous disent quelque chose sur un monde que nous ne voyons pas quand nous ne voyons qu'avec nos yeux, quand nous ne percevons qu'avec nos sens extérieurs ? Et n'a-t-on pas de plus en plus retenu comme seul critère pour une œuvre d'art ou pour une œuvre artistique en général que l'homme moderne ressente : cette chose est-elle vraiment réellement vraie ? – vraie au sens naturaliste habituel. Demandons-nous, même si aujourd'hui certaines conceptions artistiques peuvent prendre cela pour de l’inculture : qu'est-ce qu'un art dans la vie, et donc aussi dans la vie sociale, qu'est-ce qu'un art qui ne veut reproduire rien d'autre qu'un morceau de réalité ?

Parallèlement à la montée du capitalisme et de la technologie modernes, ce qui s’est développé dans le domaine artistique est la représentation du paysage. Bien sûr, je suis conscient de la justification picturale du paysage. Mais l'autre question est aussi pleinement justifiée : je me tiens devant un paysage, aussi parfait soit-il sur le plan artistique ; peut-il de quelque manière que ce soit atteindre ce que j'ai devant moi lorsque, sur le flanc d'une montagne, j'ai devant moi le paysage en tant que nature elle-même ? – C'est précisément l'émergence du paysage qui témoigne de la mesure dans laquelle l'art s'est réfugié – parce qu'il ne pouvait pas créer à partir de quelque chose de spirituel, de surnaturel – dans la simple imitation du naturel, ce à quoi il ne parvient cependant pas.

Que devient un art qui ne vit que de ces impulsions ? Un tel art ne devient pas une chose qui, comme une fleur, naît de la vie ; il devient une chose qui est placée à côté de la vie comme un luxe, une chose que seul peut désirer celui qui n'est pas totalement plongé dans la vie avec ses soucis. N'est-il pas compréhensible que les gens qui sont submergés du matin au soir par les préoccupations quotidiennes, qui ne peuvent pas non plus faire d'études leur permettant de se hisser à la compréhension de ce qui seul doit être artistique en soi, que ces gens se sentent séparés d’un tel art par un fossé ? Et même si on n'ose pas le dire aujourd'hui, parce qu'on se sent alors béotien, cela s'exprime dans la vie sociale : nombreux sont ceux qui, lorsqu’ils regardent cet art, sentent inconsciemment qu’il constitue un luxe, qu’il n'appartient pas à toute vie humaine, mais qu’en réalité il appartient à toute existence digne de l’homme, parce qu'il porte toute existence humaine à son plein contenu.

Dans un certain sens, l'art naturaliste sera toujours un art de luxe pour les personnes qui ont la possibilité de se tenir à l'écart des soucis de la vie et de s’éduquer spécialement pour cet art. C’est ce que j'ai ressenti durant les années où j’ai enseigné dans une école de formation des travailleurs, et c'est précisément dans cette école que j'ai trouvé l'occasion de parler directement au cœur du peuple, afin d'être compris, d'être compris face à tout ce que certains qui se disent « dirigeants du peuple » y mettent comme théorie socialiste pour la ruine de ce peuple. J'ai appris – pardonnez-moi cette remarque personnelle – ce que signifie amener telle ou telle science aux cœurs simples à partir de ce qui est généralement humain. Mais c'est poussés par un certain désir de connaître la production artistique récente que mes auditeurs m'ont demandé de les amener, le dimanche, dans les musées et autres lieux du même genre. J’en ai déduit qu'on pouvait bien sûr expliquer aux gens ce qu'ils étaient censés comprendre, car ils avaient le désir d'être éduqués ; mais on savait très bien que cela n'affectait pas ces cœurs de la même manière que ce que l’on dit aux cœurs simples à partir de ce qui est généralement humain. Quand on racontait aux gens ce qui, dans le nouveau naturalisme, était devenu un art de luxe, loin de la vie réelle, on ressentait comme un mensonge éducatif. Cela donc d’un côté.

D’un autre côté, ne voyons-nous pas que l'art a perdu son lien avec la vie ? Ici aussi, des initiatives très louables ont vu le jour au cours des dernières décennies, mais elles sont loin d'être incisives. Des efforts ont été déployés dans le domaine de l'artisanat. Ces efforts ont permis de constater que notre environnement quotidien est désormais dépourvu d’art. L'art a suivi son apparent progrès. Toutes les maisons qui nous entourent, tous les objets que nous manions quotidiennement, sont devenus aussi peu artistiques que possible. La vie pratique ne pouvait pas être élevée au rang d'art, car l'art s'était séparé de la vie. Un art qui ne fait qu'imiter la nature ne trouvera pas le moyen de concevoir des tables et des chaises et d'autres objets d'usage quotidien de sorte que, en les touchant, vous ayez l'impression de quelque chose d’artistique, car ces objets doivent aller au-delà de la nature, tout comme la vie humaine elle-même va au-delà de la vie humaine. Si l'art cherche simplement à imiter, il trébuche devant les formes de la vie pratique, qui deviennent prosaïques et sèches précisément parce que nous ne sommes pas capables de créer des formes nous permettant d’être directement entourés par l'artistique dans ce quotidien. On pourrait en dire encore davantage. Mais je vais me contenter d’indiquer clairement la direction prise par notre évolution artistique.

Nous avons évolué de la même manière dans les autres domaines de la civilisation moderne. N'avons-nous pas vu comment la science s'est de plus en plus éloignée de son rôle de héraut de ce qui sous-tend la vie des sens ? Pas étonnant que l'art n'ait pas trouvé le chemin pour sortir du monde sensible, puisque la science elle-même en a perdu le chemin !

De plus en plus, la science en est arrivée à se contenter d'enregistrer les faits sensibles extérieurs ou, tout au plus, à les résumer dans des lois naturelles. De plus en plus, un intellectualisme prononcé s'est répandu dans toute l'activité scientifique des temps modernes ; les scientifiques ont terriblement peur de ne pas s’adonner à cet intellectualisme dans leurs recherches, mais de risquer d'apporter à la science un peu d'imagination, d'intuition artistique. Lisez ou écoutez les scientifiques qui s'expriment ainsi, et vous percevrez quelle peur terrible ils ont de voir autre chose que l'esprit prosaïque et sec et l'exploration du monde sensible faire irruption dans la science. Dans toutes ces activités, ces personnes qui ne s’en tiennent pas aux simples concepts disent que l'homme n'a pas assez de recul par rapport à la réalité pour la juger correctement. Ainsi, le chercheur moderne, le scientifique moderne, s’efforce de soumettre entièrement son activité à l'intellect, parce qu'il croit ainsi être suffisamment éloigné de la réalité pour pouvoir la juger objectivement, comme il dit. On pourrait peut-être se poser la question : l'intellectualisme ne cherche-t-il pas à s'éloigner de la réalité au point que nous ne la vivons plus du tout ? Et c'est surtout cet intellectualisme qui nous a rendus incapables de maîtriser cette réalité avec notre science, comme je l'ai déjà indiqué dans les dernières conférences et comme je vais continuer à l'expliquer aujourd'hui.

En ce qui concerne la vie religieuse : avec quelle suspicion, quelles critiques désobligeantes est reçue toute tentative des religions de pénétrer dans l'esprit, tel qu'il est entendu ici, dans le domaine des sciences de l’esprit ! Pour quelle raison ? Les gens d'aujourd'hui ne la voient pas du tout. D’après nos autorités, la science veut adhérer au simple monde sensible extérieur et il serait objectivement justifié qu’une science stricte, une vraie science, ne soit possible que de cette manière. Pour celui qui connaît l'évolution historique de l'humanité, ce n'est pas vrai. Pour lui, il en serait plutôt ainsi : au cours des derniers temps, en fait depuis les derniers siècles, les communautés religieuses ont de plus en plus revendiqué le monopole sur l'élaboration de opinions concernant l'esprit et l'âme, et n’ont accepté que celles que, selon elles, l'humanité était autorisée à connaître. Sous l'influence de ces revendications monopolistiques, les sciences n'ont pas réussi à traiter autre chose que l’apparence sensible. Tout au plus, avec quelques concepts abstraits, ont-elles essayé de pénétrer dans le domaine spirituel. Elles croient le faire au nom de l'objectivité de la science et ne se doutent pas qu'elles le font sous l'effet du monopole de la connaissance, de la connaissance de l'esprit et de l'âme revendiqué par les religions. Ce qui a été interdit aux sciences pendant des siècles, elles l'expliquent aujourd'hui comme une nécessité objective pour leur exactitude, pour leur objectivité. Ainsi, parce que les religions n'ont pas développé une vision du monde de l’esprit, une vision du monde de l’âme, mais ont conservé les anciennes traditions, on considère que la recherche faisant appel à de nouveaux types d'idées, de nouvelles voies vers l'âme et l'esprit, est l'ennemi de la religion, alors qu’on devrait voir dans cette recherche, dans ces nouvelles voies, le meilleur ami de la religion.

Nous allons commencer par parler de ces trois domaines. Car c'est la tâche de la science de l'esprit à orientation anthroposophique que de travailler ici à leur reconstruction. À cette fin, j’insisterai en quelques mots sur ce qui constitue le véritable nerf de cette science de l’esprit. Celle-ci part de prémisses tout à fait différentes de celles de la science ordinaire d’aujourd’hui. Elle admet complètement les méthodes des sciences naturelles. Elle admet aussi pleinement les triomphes des sciences naturelles les plus récentes. C'est précisément parce qu'elle croit comprendre la recherche scientifique mieux que les scientifiques eux-mêmes qu'elle doit emprunter, pour la connaissance de l'esprit et de l'âme, des voies autres que celles qui sont encore considérées comme seules correctes par de nombreuses personnes aujourd'hui. La diffusion des grandes erreurs et des malentendus sur ce que signifie réellement le mouvement de Dornach est due au fait que ces grands préjugés s'opposent à toute recherche sur l'esprit et l'âme.

Ce que, dès le début des années 1890, j'ai essayé de poser comme point de départ du mouvement de sciences de l’esprit auquel je fais référence ici et dont le bâtiment de Dornach est le représentant permet de comprendre que ce mouvement n'a rien de mystique, rien d'obscur. À cette époque, au début des années 1890, je suis parti de ce que je croyais alors être le plus nécessaire à la connaissance sociale du présent, résumé dans ma « Philosophie de la liberté ». Quiconque lit cette « Philosophie de la liberté » ne peut guère accuser de faux mysticisme les sciences de l’esprit dont il y est question. Mais lui seul verra la distance entre la conception de la liberté humaine que j’y donne et celle qui, aujourd'hui, issue de notre civilisation moderne, se présente à l'homme comme impulsion, comme idée de liberté.

Pour illustrer ce dernier point, je voudrais citer la conception de la liberté que se fait Woodrow Wilson : c’est une idée étrange, mais caractéristique de l'éducation, de la civilisation de notre temps. D'un cœur sincère, il exige la liberté pour la vie politique contemporaine. Mais quelle est son idée de la liberté ? On finit par comprendre ce qu'il entend par liberté quand on lit des passages comme ceux-ci : un navire, dit-il, se déplace librement lorsqu'il est adapté à toutes les forces qui proviennent de la direction du vent, de la direction des vagues et ainsi de suite, lorsque sa construction est précisément adaptée à son environnement, de sorte que les forces qui proviennent du vent et des vagues ne peuvent nulle part faire obstacle à son déplacement vers l'avant. De la même manière, l'être humain doit pouvoir avancer librement dans la vie, de façon à s’adapter aux forces de celle-ci et à n’y rencontrer nulle part aucun obstacle. – Woodrow Wilson compare également la vie libre de l'être humain à la partie d'une machine : on dit d’un composant d’une machine qu’il se déplace librement s'il ne heurte rien et si le reste de la machine est construit de manière à le laisser se déplacer librement à l'intérieur.

Je n'ai qu'une seule chose à dire : on ne peut parler de liberté de l'être humain que si on la conçoit comme le contraire d'une telle adaptation à l'environnement, on ne peut pas parler de liberté de l'être humain si ses manifestations ne sont que celles d'un navire sur la mer, adapté au mieux aux vents et aux forces des vagues, mais si on peut le comparer, par exemple, à un navire qui peut tourner et s'arrêter contre le vent et les vagues sans tenir compte des forces pour auxquelles il est adapté. En d'autres termes, la conception de la liberté de Wilson se fonde sur toute la conception mécaniste du monde, la seule considérée comme possible à l'heure actuelle, telle qu'elle est issue de l'intellectualisme qui s'est développé ces derniers temps.

J'ai dû m’opposer à ces points de vue dans ma « Philosophie de la liberté ». Je sais très bien – si je peux aussi faire cette remarque personnelle – que ce livre porte pour ainsi dire les coquilles d'œuf du nid dont il est issu. Il est bien sûr issu de la vision philosophique du monde qui prévaut en Europe. Il a dû se confronter aux termes habituels dans cette vision du monde. Ainsi, ce livre peut sembler scolaire à certains, mais il n'est vraiment pas destiné à être scolaire. Il est conçu de telle manière que les impulsions que j’y indique puissent devenir des ingrédients de la vie pratique immédiate, que ce qu’amènent dans la volonté humaine les idées que j’y développe puisse s'écouler dans la vie sociale immédiate de l’homme.

Pour ce faire, j'ai cependant dû poser la question de la liberté humaine d'une manière tout à fait différente de celle dont on la pose habituellement. Où que l'on regarde, partout, à travers des siècles d’évolution humaine, on a posé la question de la liberté de la volonté humaine et de l'être humain en se demandant : l’être humain est-il libre ou non libre ? – Je devais montrer que toute cette question, ainsi posée, était mal posée, qu’il fallait la poser sur une base totalement nouvelle. Car si l'on prend ce que l'homme, selon la vision scientifique moderne du monde et aussi selon la conscience humaine moderne, considère comme son être réel, ce que l'homme doit considérer comme son être naturel : cela ne peut jamais être un être libre. Cela doit agir par nécessité intérieure. Si l'homme n'était que ce que la science moderne considère comme tel, ce qu'il considère comme sa liberté serait ce que Woodrow Wilson considère comme la liberté. Mais cette liberté ne serait pas la liberté ; elle ne serait, dans tout acte, que ce que l'on peut appeler le résultat nécessaire de causes naturelles.

Mais cette conscience humaine moderne n'a pas beaucoup réfléchi sur le fait que la question de la liberté ne commence à se poser que chez l'être humain. Elle ne parle que de l’élément naturel qui se trouve au fond de l'être humain, que de l'être qui dépend uniquement de la causalité naturelle. Mais celui qui pénètre plus profondément dans l'être humain se dira : au cours de sa vie, l'homme peut devenir plus que ce à quoi il est né par la nature. On ne comprend ce qu'est l'homme qu’au moment où l’on a ce dernier but, où l’on se dit : une partie de l'être humain est ce pour quoi il est né, ce qui est hérité en lui ; l'autre partie est ce qu’il peut faire de lui-même, ce qu'il n'est pas prédisposé à faire par son être corporel, en réveillant une personne endormie en lui. C'est pour cette raison que je n'ai pas posé la question : l'homme est-il libre ou non libre ? – mais que j'ai posé la question : l'homme peut-il, par son développement intérieur, devenir un être libre ou non ? – Il peut devenir un être libre lorsqu'il développe en lui ce qui autrement sommeille en lui, ce qui peut être éveillé mais ne peut pas devenir libre avant. Autrement dit, la liberté n'est pas naturellement adaptée à l'homme. La liberté convient à ce que l'homme peut et doit d'abord éveiller de lui-même.

Si toutefois ce qui a été plus élaboré dans ma « Philosophie de la liberté » par rapport à la vie sociale extérieure devait maintenant devenir parfaitement clair pour une plus grande partie de l'humanité, alors il faudrait construire ce que j'appelle la science de l’esprit à orientation anthroposophique sur la base de cette philosophie.

Je devais ensuite montrer comment l'homme peut réellement arriver à réveiller un être endormi en lui en prenant en main son propre développement. J'ai essayé de le faire dans mon livre « L’initiation » et dans les autres livres que j'ai publiés sur la science de l’esprit. Là, j'ai essayé de montrer que l'homme peut effectivement prendre en main son propre développement, et que ce n'est qu'en prenant ce développement en main et en devenant autre chose que ce qu'il était à sa naissance qu'il peut s'élever vers une véritable connaissance de l'âme, de l’esprit.

Mais, aujourd'hui encore, une grande partie de l'humanité considère cette opinion comme assez inopportune. En effet, que présuppose-t-elle réellement ? Elle présuppose que l'homme parvienne à une certaine modestie intellectuelle. Or c’est ce que très peu de gens aujourd'hui veulent. Je caractériserai de la manière suivante cette modestie intellectuelle vers laquelle l'homme doit maintenant tendre.

Si nous donnons à un enfant de 5 ans un volume de poèmes lyriques de Goethe, l’enfant ne se comportera certainement pas envers ce volume de poèmes comme on devrait se comporter envers lui ; il le déchirera ou fera autre chose. En tout cas, il est debout ou assis devant ce volume de poésie lyrique goethéenne, mais il ne sait pas devant quoi il se tient. Mais disons que l'enfant grandit et que, durant dix ou douze ans, nous le développons et l'éduquons. Il se tient ensuite debout ou assis devant ce volume de poésie goethéenne d'une autre manière. En fin de compte, vu de l'extérieur, il n'y a pas beaucoup de différence : l'enfant s'est assis devant le volume des poèmes lyriques de Goethe à l'âge de 5 ans et il s'assoit devant à 12 ans, 14 ans. Extérieurement, il y a peu de différence. Mais à l'intérieur de l'enfant, il y a une différence. Nous l'avons éduqué de manière à ce qu'il puisse maintenant faire ce qu'il faut avec le volume de poésie de Goethe. Tout comme l'enfant devant le volume de poésie de Goethe, l'homme doit se sentir, s'il prend son âme et son esprit au sérieux, tourné vers la nature, vers le cosmos, le monde en général. Il devrait se dire : je dois d'abord favoriser le développement de mon homme intérieur pour apprendre à lire dans la nature et le monde, tout comme l'enfant de 5 ans doit d'abord recevoir une éducation pour comprendre ce qui est écrit dans le volume lyrique de Goethe.

Nous devons admettre en toute modestie intellectuelle que ce à quoi nous sommes nés ne nous permet pas voir le monde, et ensuite admettre qu'il y a peut-être des moyens de nous développer, de développer à l’intérieur de l'être humain les forces qui sont alors capables de voir dans ce qui n'est autrement accessible que par les sens ce qui relève de l’esprit et ce qui relève de l’âme. Les livres que j’ai mentionnés montrent que cela est possible en pratique. Il faut le montrer aujourd'hui, car l'intellectualisme qui s'est manifesté au cours des derniers siècles dans l’évolution de l'humanité n'est plus capable de maîtriser réellement la vie. Il est capable de pénétrer dans un domaine de cette vie, dans le domaine de la nature sans vie, mais il ne peut que trébucher face à la réalité humaine elle-même, en particulier la réalité sociale.

Ce que je viens de définir comme modestie intellectuelle devra également sous-tendre toute conception véritablement moderne de l'impulsion humaine pour la liberté. Mais cela devra aussi sous-tendre une compréhension véritable de la nécessaire transformation de l'art, de la religion et de la science. La seule vie intellectuelle a montré clairement, trop clairement, qu'il n'est pas possible d'arriver à une compréhension qui voie vraiment le spirituel, qui pénètre vraiment le spirituel. Elle a été limitée, comme je l'ai déjà indiqué, au monde sensible extérieur et à sa combinaison, sa systématisation. C'est pourquoi elle n'a pas pu s'élever contre les monopoles des religions, qui n'ont cependant pas atteint une connaissance plus nouvelle de l’esprit et de l'âme, mais ont plutôt introduit de manière inopportune une vision ancienne dans le temps nouveau.

Il faudra cependant surmonter une chose : la peur, que je viens de caractériser, d’être trop impliqué intérieurement dans les choses pour pouvoir les connaître spirituellement. On trouve si commode de professer l'intellectualisme justement parce que quand on ne traite que des idées abstraites de la science, parce qu’on s'éloigne de la réalité au point de pouvoir croire que l'on n’est pour ainsi dire pas influencé par cette réalité. Mais avec la connaissance dont je parle ici, que l'on n'acquiert que lorsqu'on prend en main son propre développement, il faut se plonger dans la réalité même de la vie et aussi descendre dans l'homme lui-même, dans les profondeurs de son être, plus profondément que l'on ne le fait par simple auto-éducation dans l'intellectualisme. Dans le cadre de cet intellectualisme, on n'atteint que les couches supérieures de sa vie. Lorsqu'on descend dans les profondeurs de l'être humain intérieur avec une connaissance telle que celle dont je parle ici, on ne rencontre pas seulement des pensées, pas seulement des sensations, quelque chose qui est l'image d'un monde extérieur ; on y rencontre des événements, des faits qui repoussent celui qui ne connaît qu’intellectuellement, mais qui sont semblables à ce qui se passe dans la nature, dans le monde. C'est alors que l'on apprend à connaître dans son être intérieur l'essence même du monde.

Mais on n'apprend pas à la connaître si l'on reste avec les simples concepts abstraits ou les lois de la nature. Il faut pénétrer dans la réalité, fusionner avec elle. Il ne faut pas avoir peur d'être proche de la réalité mais, grâce au développement intérieur, aller si loin que l'on puisse se tenir en elle sans être consumé par elle, sans être brûlé par elle, sans être étouffé par elle, mais plutôt, bien que se tenant en elle, bien que n'ayant pas la distance de l'intellectuel, on puisse saisir la réalité des choses. Ainsi, dans mon livre « L’initiation », je décris le développement intérieur de l'homme vers la connaissance spirituelle de façon qu’il soit immergé dans la réalité ; il doit conduire cette immersion de manière à atteindre ainsi des connaissances qui n'ont cependant pas la distance de l'intellectuel, mais qui sont saturées de la réalité elle-même ; il peut donc s'immerger dans cette réalité. Et c'est ce que vous trouverez comme caractéristique fondamentale de la science de l’esprit dont il est question ici : elle est capable de plonger dans la réalité, elle ne parle pas seulement d'un esprit abstrait, mais elle parle de l'esprit concret qui vit dans l'environnement humain de la même manière que les choses du monde sensible vivent dans l'environnement humain.

Des considérations abstraites, voilà les résultats de la vie moderne de l’esprit. Si vous prenez n’importe quelle chose qui ne soit ni une considération purement scientifique, ni une considération purement philosophique, vous verrez à quel point ces conceptions de la vie sont éloignées de la vie réelle, de la connaissance réelle des choses. Par exemple, lisez quelque chose sur la volonté dans la psychologie d’aujourd'hui : en psychologie ou dans les études sur l'âme, on ne va guère plus loin, aujourd'hui, que ce qu'on pourrait appeler un simple sens littéral. Les personnes qui s’adonnent à de telles considérations n'ont pas dans leurs idées le pouvoir de pénétrer réellement l'essence même de la nature. Ils ont la matière extérieure à côté d'eux, car ils ne peuvent pas y plonger avec l'esprit. Laissez-moi vous donner un exemple.

Dans l’un des mes derniers livres, « Des mystères de l’âme », j'ai indiqué comment la science de l’esprit moderne doit dépasser une ancienne vision scientifique. Je sais que ce que je vais dire semblera très paradoxal à beaucoup ; mais ce qui sera à la hauteur des exigences imposées à l'imagination humaine, qui sont déjà évidentes dans le présent et le deviendront de plus en plus à l'avenir, se révélera souvent très paradoxal par rapport à ce qui est encore considéré comme la seule chose juste aujourd'hui. Tous les spécialistes des sciences naturelles qui se sont penchés sur la question parlent maintenant de deux types de nerfs présents dans le corps humain et animal – nous ne nous intéresserons pour l’instant qu'au corps humain. Les uns conduisent des sens à l'organe central, ce sont les nerfs sensitifs ; un stimulus s'exerce sur eux quand on perçoit par les sens. Ce stimulus est transmis au centre nerveux de l'être humain. Les autres, les soi-disant nerfs moteurs, vont du centre aux membres. Grâce à eux, grâce à ces nerfs moteurs, l'homme est capable de bouger ses membres. Comme les autres sont les nerfs des sens, eux sont les nerfs de la volonté.

Dans ce livre, j'ai montré, même si ce n'est que sommairement, qu'il n'y a pas de différence de principe entre les nerfs sensitifs et les nerfs moteurs de la volonté, que les nerfs de la volonté ne sont pas les serviteurs de la volonté. Les éléments par lesquels on cherche à prouver qu'ils sont des serviteurs de la volonté, comme la triste maladie appelée tabès, par exemple, prouvent exactement le contraire, ils montrent avec quelle facilité on peut le prouver, ils prouvent ce que je vais exprimer et qui est mon opinion : ces nerfs dits volitifs sont aussi des nerfs sensitifs. Alors que les autres nerfs sensitifs vont des sens à l'organe central pour assurer la perception de ce que les sens transmettent, les nerfs dits de la volonté, qui ne sont rien d'autre, perçoivent tout ce qui est mouvement en nous. Ils servent à la perception du mouvement. Il n'y a donc pas de nerfs de la volonté. La volonté est de nature purement spirituelle, elle relève purement de l’esprit et de l’âme, et elle a un effet direct en tant qu’esprit et âme ; nous avons besoin de ce qu'on appelle les nerfs de la volonté parce que ce sont des nerfs sensoriels pour le membre qui doit bouger, qui doit être perçu si la volonté est de le bouger.

Quelle est la raison pour laquelle je donne cet exemple ? Parce que, aujourd'hui, vous pouvez voir, lire et entendre de nombreux arguments dans lesquels on parle de la volonté. Mais on développe des idées qui n'ont pas l'impulsion nécessaire pour pénétrer jusqu'à la connaissance réelle, pour pénétrer de telle manière que l'on puisse voir la volonté là où elle fonctionne. De telles conclusions restent abstraites et étrangères à la vie. Par ailleurs, les sciences de la nature peuvent dire qu’il existe un nerf moteur de la volonté. La science de l’esprit développe des idées sur la volonté, qui montrent quelle est la nature du système physique de la volonté humaine. Autrement dit, elle va pénétrer le phénomène naturel, le fait naturel. Elle ne s'arrêtera pas dans un domaine peu familier à la vie, elle plongera dans la réalité. Elle aura le courage de ne pas laisser la matière se tenir à côté d'elle, mais de pénétrer la matière avec l'esprit. Tout deviendra spirituel pour elle.

C'est pourquoi cette science de l’esprit veut aussi pouvoir s'immerger et pénétrer dans l'organisation sociale et, en tant que telle, pouvoir coopérer à la réalité de la vie sociale, devant laquelle la science naturelle, intellectualiste, abstraite, ne peut que trébucher. Cette science de l’esprit devra donc à nouveau parler d'une connaissance de l’esprit, d'une nouvelle façon de pénétrer les mondes de l’esprit et de l’âme. Elle pourra avoir le courage de dire : ces mondes spirituels dans lesquels ont jeté un regard des artistes comme Raphaël, comme Michel-Ange, comme Léonard de Vinci, ont encore fourni, à cette époque, des images du monde spirituel qui ne peuvent plus être déterminantes pour nous aujourd'hui. Il nous faut chercher une nouvelle voie vers le monde spirituel, qui soit en accord avec le développement futur de l'humanité. Mais si l’on réapprend à connaître le monde spirituel, si l’on pénètre dans le monde spirituel, on n'apprend pas à le connaître de la même manière que le panthéisme nébuleux qui parle d'esprit, d'esprit, d'esprit, qui est certainement là, de l'esprit sombre abstrait général ; on pénètre dans les phénomènes réels du monde spirituel – non pas par le spiritisme, mais par le développement des forces humaines de l'esprit et de l'âme, comme cela a été décrit ici –, alors on sait entrer à nouveau dans le monde spirituel, d'une manière qui corresponde au développement actuel de l'humanité ; alors les secrets spirituels du monde se révéleront ; alors arrivera ce que Goethe, qui certes n’était que débutant dans ces choses, mais des choses que la science de l’esprit moderne continue à développer dans son sens, soupçonnait déjà – alors arrivera ce que Goethe décrit si bien avec ces mots : « Celui à qui la nature commence à révéler ses secrets éprouve un désir irrésistible de connaître son plus digne interprète, l'art. »

Ensuite, l'artiste aura lui aussi une révélation d'un monde spirituel. Alors il ne tombera pas dans la croyance quand il représentera le spirituel dans une image sensible, quelle qu’elle soit – allégorie symbolique abstraite, en paille ou en papier – mais il connaîtra l'esprit vivant et il pourra exprimer cet esprit vivant par les moyens sensibles. Et on dira que la meilleure œuvre d'art est non pas celle qui imite la nature extérieure, mais celle dans laquelle se révèle ce que l'homme reçoit, révélé par l'esprit. Un art profondément spirituel renaîtra, un art qui n'est ni symbolisme, ni allégorie, mais qui ne trahit pas son luxe en se plaçant à côté de la nature, qu'il ne pourra jamais atteindre, mais qui prouve sa nécessité, sa justification dans la vie humaine, en racontant quelque chose que le présent, le sens direct de la nature, le naturalisme direct ne peut pas dire. Même si ce que l'homme crée à partir de l'esprit est bâclé, il crée quelque chose qui a un sens en plus de la vie de la nature, parce que ce quelque chose va au-delà de la vie de la nature, et il ne crée pas ce que la nature peut faire mieux que lui. Ici, la voie s'ouvre à cet art que l’on s’est efforcé de représenter dans le bâtiment et l'aménagement extérieurs du Goetheanum de Dornach.

On a tenté là, pour tout ce qui doit y être fait en tant qu'école de science de l’esprit, dans chaque mur, dans tout ce qui est peint sur les murs, qui est sculpté dans le bois, etc., on a tenté de créer ce qui se révèle à la science de l’esprit et qui doit y être représenté. Ce bâtiment est donc né tout naturellement. Il ne pouvait pas être construit dans l'ancien style, car il est censé parler d'un nouveau type d'esprit. Tout comme dans la nature elle-même – il suffit de regarder une coquille, elle est conçue de la façon dont la noix la détermine à l'intérieur ; toute enveloppe est conçue conformément à ce qu'exige le noyau à l’intérieur –, tout dans le bâtiment de Dornach est conçu conformément à ce qu’exige ce qui un jour résonnera à l'intérieur comme de la musique, ce qui sera représenté comme des Mystères, ce qui sera dit comme une révélation de la science de l’esprit. Cela doit en quelque sorte refléter ce qui a été sculpté dans le bâtiment, dans les colonnes, dans les chapiteaux, etc. Cela donnera un art – qui, cependant, en est à ses débuts ; ceux qui y travaillent en sont même probablement les critiques les plus sévères – vraiment né d'un nouvel esprit et donc, en général, d'un esprit. Quand on entreprend une telle chose, on s'expose évidemment aux malentendus qui sont en fait naturels dans une telle affaire. Les gens qui y sont entrés – y compris qui ne se sont pas exposés à ces malentendus et qui deviennent de plus en plus nombreux chaque jour, ceux qui regardent ce bâtiment de Dornach sans préjugés – ont écrit : oui, ces anthroposophes ont construit un bâtiment plein de symboles, plein d'allégories. Or la caractéristique de ce bâtiment est qu'il ne contient pas un seul symbole ou une seule allégorie, mais que tout ce qui a été vu spirituellement a été transformé directement en une forme artistique. Rien de symbolique, rien d'allégorique n'y est exprimé. Chaque chose est telle qu’elle veut être par elle-même à travers ses formes.

Mais à l'époque où l’on construisait les banques dans l'ancien style grec, où l’on construisait des maisons athéniennes, on n’a réussi jusqu’ici qu’à créer qu'un enclos pour un atelier spirituel. Car les conditions sociales extérieures ne permettent pas encore, par exemple, de construire une gare ou même un bâtiment bancaire. Pour des raisons que vous comprendrez sans doute facilement, nous n'avons pas encore trouvé de style pour une banque ou un grand magasin moderne. Mais il faudra aussi les trouver. C'est justement de cette manière qu'il faut trouver le lien avec une mise en forme artistique de la vie pratique.

Pensez à la signification sociale que cela aura aussi pour le pain de l'humanité ! Parce que – comme je l'ai dit l'autre jour et je continuerai à le dire – sa préparation dépend de la façon dont les gens pensent et ressentent. Il sera très important, d'une très grande importance sociale pour les gens, quand les choses qui les entourent directement dans la vie apparaîtront devant l'âme humaine sous une forme artistique, quand chaque cuillère, chaque verre n'aura pas une forme quelconque pour l’usage auquel ils sont destinés, mais quand la forme sera bien adaptée à cet usage, quand on regardera directement la forme et que l'on sentira qu'elle est belle, comme l'est la chose dans la vie. Car de nombreuses personnes ne sentiront que la vie de l’esprit est vitale que quand cette vie de l’esprit sera en relation si directe avec la vie pratique. Tout comme la science de l’esprit est capable de donner un éclairage sur la matière, ainsi que je l'ai montré avec l'exemple des nerfs sensitifs et moteurs, l'art qui naît de l’attitude propre à la science de l’esprit pourra progresser vers la conception immédiate de chaque chaise, de chaque table, etc.

Quand on se rend compte que ce sont précisément les religions qui expriment les préjugés et les malentendus les plus graves contre la direction dans laquelle va la science de l’esprit, on se doit de dire ce qui suit. Pourquoi, en fin de compte, l’a-t-on amené dans les religions ? De par leur nature même, celles-ci, pour avoir une quelconque justification, ne peuvent traiter que du surnaturel. Mais les anciennes croyances surnaturelles, qui sont nées d’une situation tout à fait différente de l'âme humaine, se sont maintenues à notre époque. La science de l’esprit s'efforce de pénétrer dans le monde de l’esprit par la nouvelle voie de l'imagination, de la vie intérieure de l'âme. Cela doit-il irriter le sens religieux de l'humanité, s'il se comprend bien lui-même ? Le peut-il ? Jamais. De quoi le sens religieux, et donc tout travail religieux, devrait-il s’occuper ? Tout travail religieux ne devrait pas avoir pour but de proclamer des théories et des dogmes sur le monde surnaturel ; tout travail religieux devrait avoir pour but de donner aux gens la possibilité de vénérer le surnaturel. Dans la religion, il s’agit de vénérer le surnaturel. La nature humaine a besoin de cette vénération. Elle a besoin de contempler et de vénérer le sublime dans le surnaturel. Or si on l’empêche de pénétrer dans le monde surnaturel, comme on le fait actuellement, on doit aussi lui reprocher de l’avoir fait dans le passé. Mais comme cela ne peut plus être conforme au sens actuel de l'homme, il faut le lui commander, le lui ordonner ; il faut cela soit reconnu par l'autorité. D'où la nature extrinsèque des religions par rapport à la nature humaine actuelle. Les chefs religieux imposent aux gens l’ancienne compréhension du monde surnaturel.

Les communautés qui ont une compréhension de la vraie nature de la religion, qui consiste en la vénération du spirituel, ne doivent-elles pas avoir le plus grand intérêt à ce que leurs membres développent une connaissance vivante du suprasensible ? Ne sera-t-il pas possible d'amener au mieux à la vénération du suprasensible précisément ces personnes qui portent dans leur âme une vision du suprasensible, qui, dans leur connaissance, sont proches du suprasensible ? Et dans la phase plus récente du développement de l'humanité, il est vrai que depuis le milieu du XVe siècle, l'être humain a évolué vers l'individu, vers la formation de la personnalité. Si l’on attend de l'homme d'aujourd'hui qu'il ne parvienne pas, par la force de son individualité, de sa personnalité, sans autorité, à voir et à comprendre le surnaturel, on attend de lui quelque chose qui est contre sa nature. Si on lui laisse la liberté de pensée en ce qui concerne la connaissance du suprasensible, il rejoindra ses semblables, afin que la vénération de ce suprasensible, que chacun vit à sa manière personnelle, individuelle, puisse être cultivée dans la communauté. Et c'est précisément le service commun envers le suprasensible, la vraie religiosité, qui se développe le mieux lorsque les gens ont la liberté de pensée pour aborder la connaissance du monde suprasensible par leur propre individualité.

Ce constat sera particulièrement évident dans la conception de l’être du Christ lui-même. Cet être du Christ était différent dans les siècles précédents de ce qu’il est devenu chez de nombreux théologiens des derniers siècles, en particulier du XIXe. Combien l'humanité s'est éloignée de la vision de l'être réellement suprasensible du Christ qui a vécu dans l'homme Jésus ! Combien l'humanité a-t-elle été loin de réaliser qu'à travers le Mystère du Golgotha a eu lieu l'union d'un être suprasensible avec un corps humain, afin que la Terre, dans son évolution, puisse acquérir un sens réel plus profond ! Ce mariage entre le surnaturel et le sensible qui a eu lieu à travers le Mystère du Golgotha, combien il a été peu compris ces derniers temps, même par des théologiens d'un certain genre ! De plus en plus, le Christ devient l’« homme simple de Nazareth » ; de plus en plus, la conception de la religion devient matérialiste. Parce qu'on n'a pas pu trouver les voies du suprasensible qui convenaient à l'humanité nouvelle, on a aussi perdu la voie du suprasensible vers l'être du Christ lui-même. Et beaucoup de gens qui aujourd'hui croient lever les yeux vers le Christ ne font que le croire. Ils ne se doutent pas combien peu ce qu'ils disent ou pensent du Christ correspond à ce que trouve celui qui, par la connaissance spirituelle, s'approche de ce mystère primordial de l'humanité.

On peut donc dire : la science de l’esprit ne veut certainement pas être un nouveau fondement de la religion, certainement pas ; elle veut être une science, une connaissance. Mais il faut aussi reconnaître qu'elle peut servir de base à un rajeunissement de la vie religieuse de l'humanité. Elle peut rajeunir la vie religieuse de l'humanité tout comme elle peut rajeunir la vie scientifique et artistique.

En particulier, cette science de l’esprit pourra être féconde dans un domaine qui semblera particulièrement important à ceux qui sont capables de prendre très au sérieux l'avenir social de l'humanité, à savoir dans le domaine de l'éducation. Ces derniers temps, on a beaucoup, beaucoup parlé d'éducation. Il faut cependant dire qu'une grande partie de ce qui a été dit sur l'éducation ne touche pas l’essentiel. J'ai essayé de m'approcher de cet essentiel, surtout récemment, lorsque j'ai été chargé d'organiser un séminaire pour les enseignants d'une école, l'école Waldorf de Stuttgart, qui a été fondée en septembre de cette année dans le sens de la triarticulation sociale. Non seulement j'ai essayé de façonner l'aspect extérieur de cette école de manière à ce qu'elle réponde aux exigences, à l'impulsion de la triarticulation sociale, mais j'ai également essayé de façonner la pédagogie, la didactique que je devais présenter aux enseignants de ce nouveau type d'école, de manière à ce qu’on puisse les concevoir de façon à éduquer l’être humain pour cet avenir qui, selon certaines exigences incontournables de la nature humaine, devrait devenir un avenir social dans le bon sens. On en arrive alors à se dire : l'ancienne pédagogie normative, qui établit des règles sur la manière d’éduquer, cette pédagogie normative est quelque chose qu'il faut dépasser. Bien sûr, beaucoup de gens aujourd'hui parlent de la nécessité de prendre en compte l'individualité de la personne dans l'éducation et l'enseignement. Toutes sortes de règles sont mentionnées sur la manière de prendre en compte cette individualité. À l'avenir, l'éducation ne sera pas seulement une science standard, elle sera un véritable art humain ; la pédagogie sera basée sur la connaissance de la personne dans sa globalité. On le saura à l'avenir : chez cet être humain qui se développe sur plusieurs années à partir du moment de sa naissance, l’âme et l’esprit font leur chemin à travers les organes jusqu'à la surface. On verra comment, dès le début de l'école, chaque année, d'autres forces se développent dans les profondeurs de la nature humaine. On ne pourra pas soutenir cette vision par une pédagogie standard abstraite, mais seulement par une vision vivante de la nature humaine.

On a beaucoup parlé de l'enseignement visuel ces derniers temps. Certaines choses sont certainement justifiées dans certaines limites. Mais d’autres ne peuvent pas être enseignées par une vision extérieure ; elles doivent aussi être enseignées à l'enfant qui grandit et ne peuvent l'être que lorsque l'enseignant, l'éducateur, l'instructeur a une véritable connaissance de l'être humain qui grandit, lorsqu'il voit ce qui surgit chaque année différemment de l'année précédente, lorsqu'il sait ce que la nature humaine exige dans les septième, neuvième et douzième années. Car ce n'est que lorsqu'on éduque dans le sens de la nature que l'on peut éduquer l’être humain de façon qu'il devienne fort dans la vie.

Aujourd'hui, nous voyons beaucoup d'existences brisées, beaucoup de gens qui ne savent pas que faire de la vie, et dont la vie ne sait pas que faire. Il y a beaucoup plus d'existences de ce type qu'on ne le croit habituellement. D'où cela vient-il ? La raison en est que l’on ne peut pas prendre en compte, dans l'éducation et l'enseignement, les lois les plus importantes de l'être humain en développement.

Je ne mentionnerai qu'une seule chose. Combien d'éducateurs bien intentionnés insistent aujourd'hui encore et toujours sur le fait que l’on doit montrer à l'enfant ce que l’on met en face de son âme, ce qu'il peut comprendre. Oui, cette tendance se manifeste déjà dans la pratique, où l’on développe une banalité, une trivialité ! On veut descendre à la compréhension de l'enfant, on veut l’abaisser artificiellement, et c'est déjà devenu un instinct aujourd'hui d'éduquer ainsi. Quand on veut éduquer ainsi, quand on travaille à cette fausse évidence, que néglige-t-on ? On néglige l’une des plus importantes lois de la vie. On ne voit pas ce que cela signifie pour une personne qui à, disons, 35 ans, se souvient : « Mon professeur m'a dit un jour ceci ou cela, j’avais peut-être 10 ou 11 ans ; à l'époque, je l'avais retenu seulement parce que j’avais du respect pour l'autorité de ce professeur, parce qu'il y avait quelque chose de vivant en lui, de sorte que ce qu'il disait passait en moi. Maintenant je regarde en arrière : cela a vécu en moi, maintenant je suis prêt à le comprendre ! – La splendeur extraordinaire de la vie vient du moment où, à 35 ans, on est ramené par sa maturité à ce qu'on n'a reçu qu'en amour, ce qu'on ne pouvait pas comprendre à ce moment-là. On perd cette splendeur, qui est la puissance de la vie, lorsqu'on descend vers la banale évidence que l’on ne cesse de louer aujourd'hui comme un idéal. Il est nécessaire de connaître les forces qui doivent être développées chez l'enfant, afin que ces forces soient ensuite dans la nature humaine, y restent toute la vie, afin que l'enfant n’ait pas seulement à se souvenir de ce qu'il a assimilé entre 7 et 14 ans ; ainsi, ce qu'il a assimilé pourra apparaître encore et encore, transformé par la maturation ultérieure de la vie, afin que ce qu’il a assimilé puisse redevenir nouveau à chaque époque.

Ce que je viens de dire, j'ai essayé d’en faire les caractéristiques de base d'une pédagogie qui permette à l'éducation de devenir effectivement un art, en plaçant l'être humain en position de répondre aux exigences sociales de l'avenir. Comme vous pouvez le voir dans les détails, les gens d'aujourd'hui peuvent déclamer ces idéaux sociaux tout en passant complètement à côté du vaste champ de la vie qu'on serait obligé d’embrasser du regard si l’on prenait en compte de tels idéaux. Les gens parlent, par exemple, de la possibilité de transférer au collectif les moyens de production, et ils pensent que s'ils retirent ainsi leur administration à l'individu, c'est déjà une bonne chose de faite. J'ai déjà parlé de cette question, mais j'en parlerai plus en détail dans les conférences suivantes. Mais pour le moment, admettons que l'on pourrait réellement transférer au collectif les moyens de production pour le présent immédiat. Seraient-ils alors à la disposition de ce collectif qui grandit et qui constituera la prochaine génération ? Non, parce que si l'on voulait les lui remettre, on ne tiendrait pas compte du fait que cette prochaine génération va faire émerger de nouvelles forces fécondes et devra transformer elle-même toute la production.

Si l’on pense à une quelconque forme d'avenir social, il faut se situer dans la vie pleine, entière. Comme je l'ai montré, un art de l'éducation naîtra également de la conception de l'homme en tant qu'être constitué de corps, d’âme et d’esprit, un art naîtra de la connaissance réelle du corps, de l'âme et de l'esprit, et on pourra véritablement le ressentir comme une nécessité dans la vie sociale.

Cette façon de penser a également donné naissance à ce qui a été souvent mal compris au sein du mouvement spirituel basé à Dornach. Il y a eu des gens qui, au fil des ans, en étaient venus à ne pas penser trop de mal de notre mouvement de science de l’esprit. Mais il y a quelque temps, lorsque nous avons commencé à pratiquer, ici à Zurich et ailleurs, l'art dit eurythmique, qui est né de la science de l’esprit – dont nous savons très bien qu'il n'en est qu'à ses débuts –, les gens ont dit : la science spirituelle ne peut pas non plus être convenable, car si l'on peut faire de telles danses à côté de la science spirituelle, alors la science spirituelle doit aussi être considérée comme folle !

Mais, sur ce point, on ne tient pas compte d’un fait : il semblera paradoxal que ce qui fonctionne sur de telles bases pour la réorganisation du monde fonctionne de la même manière que ce que l’on nomme science de l’esprit. L’eurythmie se veut un art social au meilleur sens du terme, car elle vise avant tout à transmettre les secrets de l'homme. Elle veut utiliser ces systèmes dynamiques qui sont en l'homme lui-même, elle veut surtout les faire sortir de l'homme de la manière juste de les traiter lors de la prochaine représentation qui aura lieu en eurythmie. Mais je soulignerai ici que cette eurythmie est avant tout un art réel, en ce sens qu'elle révèle les secrets les plus profonds de l'art humain lui-même. Étant un langage réel, un langage visible exécuté par l'être humain tout entier, l’eurythmie est un art. Mais en même temps, en dehors de la simple action physique, qui ne repose que sur le physiologique, qui ne vient que de l'étude de la structure physique des membres, elle représente une aptitude humaine au mouvement, par laquelle l'homme s’adonne à des mouvements emplis d’âme, d’esprit. Il doit être possible d’enseigner également aux enfants ce qu'une époque matérialiste leur a enseigné comme une simple gymnastique physiologique. Comme cela se fait déjà à l'école Waldorf dont j'ai parlé, il doit y avoir en outre un mouvement qui saisisse l'être humain tout entier, alors que la simple gymnastique physiologique, la simple gymnastique matérielle ne saisit qu'une partie de l'être humain en développement et laisse donc dépérir une grande partie.

Du plus profond de la nature humaine, une nouvelle vie de l’esprit – c'est ce que je voulais développer devant vous aujourd'hui – doit intervenir dans les domaines les plus importants de la vie.

Dans les prochains jours, ma tâche consistera à montrer comment cette vie extérieure peut réellement prendre forme dans le présent et à l'avenir, lorsqu'on tente de façonner cette vie à partir d'un esprit aussi nouveau. Certaines personnes – et même, aujourd'hui, des personnes assez étranges – ressentent la nécessité de maîtriser à partir de l'esprit les grandes exigences de la vie sociale qui s'imposent à l'humanité actuelle. Il est profondément douloureux de voir combien dorment encore face à ces exigences sociales de la vie, combien n'y consacrent de fait qu’une fausse agitation. On trouve déjà de discrètes indications montrant que tous les programmes extérieurs ne serviront à rien, à moins de repenser, de ré-imaginer, de réapprendre à partir de l'esprit. Mais combien superficielle est souvent l’expression de cette aspiration à un nouvel esprit ! Et on peut dire que des personnes très étranges, qui ne pensent certainement pas à ce dont le bâtiment de Dornach est censé être le représentant extérieur, ressentent comme terne et sombre cette aspiration à un nouvel esprit. Mais le désir d'un nouvel esprit s’exprime et on l’entend. Je vous en donne ici un exemple parmi tant d'autres.

Dans un avenir proche, outre les nombreuses réflexions sur la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, il y aura celles de Czernin, un homme d'État autrichien, qui promettent d'être extrêmement intéressantes parce que – il est difficile de définir la caractéristique que je vais maintenant indiquer sans se faire mal comprendre – je dirais : parce que Czernin était finalement beaucoup moins immodeste que ceux qui ont jusqu'à présent fait part de leurs réflexions sur la guerre. Je tiens donc à le dire avec légèreté. Mais dans ce livre de Czernin, il faudrait peut-être lire ce qui suit : « La guerre continue, bien que sous une autre forme. Je crois que les générations à venir appelleront le grand drame qui domine le monde depuis cinq ans non pas du tout ‘guerre mondiale’, mais ‘révolution mondiale’, et sauront que cette révolution mondiale n'a commencé qu'avec la guerre mondiale.

Ni Versailles ni Saint-Germain ne créeront une œuvre durable. Dans cette paix se trouve le germe corrosif de la mort. Les convulsions qui secouent l'Europe ne s'atténuent pas encore ; comme dans un violent tremblement de terre, le grondement souterrain continue. Encore et encore, bientôt ici, bientôt là, la terre s'ouvrira et le feu sera lancé contre le ciel, encore et encore, des événements de caractère élémentaire et de violence élémentaire ravageront les pays. Jusqu'à ce que tout ce qui rappelle la folie de cette guerre soit balayé.

Lentement, au milieu de sacrifices indicibles, un monde nouveau va naître. Les générations à venir regarderont notre époque comme s'il s'agissait d'un long cauchemar ; mais le jour succédera à la nuit la plus noire. Des générations ont sombré dans la tombe, assassinées, affamées, terrassées par la maladie. Des millions de personnes sont mortes dans un effort pour détruire et écraser, la haine et le meurtre dans le cœur.

Mais d'autres générations surgissent, et avec elles un nouvel esprit. Elles vont construire ce que la guerre et la révolution ont détruit. Tout hiver est suivi d’un printemps. C'est aussi une loi éternelle dans le cycle de la vie : la mort est suivie par la résurrection.

Heureux ceux qui seront appelés à servir comme soldats travaillant à la construction du nouveau monde. »

 

Les questions et réponses aux questions après la conférence sont dans la version littérale