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Les Fondamentaux 3/4.................................................................... <précédent - suivant>

avec l'aimable autorisation de l'auteur, et du Bulletin des professionnels de la biodynamie.
Mouvement de l'agricuture biodynamique .


Elaborer une science de la connaissance
Par Antoine Dodrimont, président de la Société Anthroposophique en France


Dans le cadre de la série d'articles d'introduction à l'anthroposophie, Antoine Dodrimont nous livre cette fois une présentation sur le penser, l'expérience et la science en prenant appui sur l'oeuvre de Rudolf Steiner.


Tout en travaillant sur l'oeuvre scientifique de Goethe, R. Steiner s'est efforcé d'en dégager les fondements philosophiques. C'est ainsi qu'il s'est orienté vers la rédaction d'une théorie de la connaissance de la vision du monde de Goethe ( 1 ).
Quant au contexte de cette démarche, il s'en explique dans son autobiographie : « Il n'y avait aucune concordance possible entre ce que j'avais à dire au sujet du mode de penser chez Goethe et les théories de la connaissance usuelles à cette époque. » Et pour cause, elles se limitaient au donné inorganique de l'univers. « C'est pourquoi mes travaux sur la science de l'organique de Goethe m'amenèrent une nouvelle fois à me pencher sur la théorie de la connaissance. » ( 2 )
R. Steiner a conçu son travail en reconnaissant le « sens philosophique » présent chez Goethe et en s'appuyant sur l'idéal que lui offrait Schiller d'avoir très bien perçu la nature profonde de l'esprit de Goethe, disant de lui « le poète est le seul homme véritable ».
Mais bien qu'il se soit appuyé sur ce que ces auteurs classiques avaient apporté de meilleur à la culture, le but poursuivi par Steiner était de présenter les bases de sa propre science de la connaissance. Au demeurant, R. Steiner s'est toujours référé à ce qu'il avait écrit dans ce livre qu'il rééditera avec quelques précisions en 1923, deux ans avant sa mort, près de quarante ans après sa parution.
Pourquoi une théorie de la connaissance
Pour comprendre le sens de la tâche qu'il entreprend alors, il importe d'être au clair sur le but d'une science. Pour ce faire, R. Steiner évoque trois domaines dans lesquels des sciences particulières opèrent : la nature inorganique, le monde organique et l'histoire. Dans chacun de ces domaines, la science correspondante cherche à établir des relations entre des phénomènes distincts. Elle le fait de manière à aboutir à la cohérence entre ces phénomènes, ce qui est le but de la théorie scientifique. « Chaque science », écrit-il, « a son domaine, au sein duquel elle cherche la cohérence des phénomènes. » ( 3 )
Cependant, ce travail scientifique spécifique à chaque domaine ne résout pas tout. Une question centrale subsiste, à savoir celle des rapports entre les concepts scientifiques élaborés et les objets auxquels ils se rapportent. C'est une question de connaissance pure, pour laquelle une autre science doit intervenir. « Le monde idéel et le monde réel, l'opposition  entre idée et réalité, telles sont les tâches qui incombent à une telle science. Ces oppositions-là, il faut aussi reconnaître leur relation réciproque. » ( 4 ) De là, Steiner déduit le but de son exposé qui est de « chercher ces relations », autrement dit, d'élaborer une science de la connaissance, en langage philosophique : une épistémologie.
L'oeuvre proprement dite contient cinq parties : l'expérience, le penser, la science, la connaissance de la nature et les sciences de l'esprit. Vu l'espace qui m'est imparti, je présenterai quelques aspects essentiels des trois premières parties. La suite fera l'objet du prochain article.

I - L'expérience

Le point de départ de la relation de l'homme au monde est toujours un fait d'expérience. Constamment, des objets différents apparaissent dans le champ de ses perceptions. Cela a lieu à l'extérieur de lui-même, mais aussi à l'intérieur, par exemple dans ses sentiments et même dans l'apparition de ses pensées. Un ensemble de phénomènes viennent à sa rencontre à travers ses organes de perception et il en fait ainsi l'expérience.
L'expérience pure désigne tout ce qui s'offre à nous en tant que résultat de l'appréhension sensorielle de la réalité. Ni la pensée, ni le soi individuel n'ont part à cette manifestation. Ce monde apparaît, sans aucune signification, comme « une multiplicité infinie et incohérente ». Les choses sont équivalentes, aucune n'a plus d'importance que l'autre. Pour que l'une d'entre elles ait plus d'importance, il faudrait déjà qu'intervienne la pensée.
Après avoir décrit le phénomène de l'expérience, R. Steiner en présente le contenu, que l'on peut ainsi résumer sur le plan des concepts.
« Si nous voulons maintenant avoir un nom pour la première forme sous laquelle nous observons la réalité, nous croyons que le plus approprié serait : phénomène sensible. Sous le terme de sens, nous ne comprenons pas seulement les sens extérieurs, ceux qui nous transmettent le monde extérieur, mais plus généralement tous les organes corporels et spirituels qui servent à percevoir les faits immédiats. L'expression sens intérieur est en effet fréquemment utilisée en psychologie pour désigner la faculté de percevoir les expériences intérieures.
Quant au mot phénomène, il doit simplement caractériser une chose ou un événement qui nous sont perceptibles, pour autant qu'ils se manifestent dans l'espace  ou dans le temps. » ( 5 )
L'intérêt manifeste de cette approche est d'orienter le lecteur vers un état du monde qui s'offre à lui comme un « donné » qui ne peut se suffire à lui-même et appelle une autre dimension, à savoir une élaboration, une interprétation par une autre activité que celle des sens, à savoir le penser.

II - Le penser

Le penser fait partie de l'expérience : il s'impose à nous, nous pouvons l'observer et chercher à le connaître. Mais comme fait d'expérience, il a des caractéristiques propres. Voyons quelles sont les principales différences avec le reste de l'expérience précédemment observé.

  1. A la différence des autres faits d'expérience, qui n'ont pas de signification en eux-mêmes, l'activité idéelle me livre sa signification en même temps qu'elle apparaît dans une conscience. En effet, le penser possède en lui-même la cohérence conforme à des lois. Ainsi, si je pense l'idée de cause, je suis conduit par un chemin interne à la pensée à celle d'effet.
  2. Alors que les phénomènes extérieurs m'apparaissent comme donnés et déjà achevés, pour les idées qui se manifestent dans le champ de la conscience, mon activité est sollicitée pour leur avènement.
  3. Les autres phénomènes ne m'offrent que leur côté extérieur. La pensée, elle, m'offre son tout. Elle est une totalité achevée en soi, qui ne requiert aucune explication externe. Ceci a une conséquence capitale, à savoir que la pensée peut être prise comme point de départ de la compréhension de toute chose.

Pensée et conscience
Après avoir présenté le penser comme « expérience supérieure dans l'expérience », R. Steiner en vient à situer les rapports entre pensée et conscience.
Il observe que, par notre activité, nous faisons apparaître sur le théâtre de notre conscience un monde d'idées qui, lui, repose sur ses propres lois. D'un côté, nous avons une activité subjective et de l'autre des lois objectives du penser. Et nous pouvons nous demander si nous nous ne trouvons pas devant une difficulté irréductible. Ce serait effectivement le cas si nous pensons qu'il y a autant de vérités différentes que de personnalités humaines. Mais il s'agit là pour Steiner d'un préjugé. De son point de vue, une autre opinion est plausible, qu'il explicite comme suit : « II n'existe après tout qu'un seul contenu de pensées et notre penser individuel n'est rien d'autre que le travail de notre soi, de notre personnalité individuelle pour pénétrer le centre des pensées du monde. » ( 6 )
La nature intrinsèque du penser
Au coeur de l'ouvrage, nous trouvons le thème central, qui traite de la nature du penser. R. Steiner observe le penser pour constater que les pensées sont partout en relation, en connexion les unes avec les autres. De là vient l'idée d'un ensemble auquel toutes les idées se rattacheraient : « Toutes les pensées particulières sont des parties d'un grand tout que nous appelons notre monde conceptuel. » ( 7 ). Dès que l'on vit avec la conscience de l'unité du monde des idées, on peut accéder au sens de la vérité. « Si nous sommes parvenus à donner à tout notre monde de pensées un caractère de concordance intérieure parfaite, nous en retirons cette satisfaction à laquelle notre esprit aspire. Nous nous sentons alors en possession de la vérité. » ( 8 )


III. La science
Dans cette partie, . la plus dense de l'ouvrage, R. Steiner décrit la science comme l'activité qui relie l'expérience et le penser. Autrement dit, la démarche scientifique consiste à établir la cohérence entre des faits d'expérience sensible et des concepts liés au penser, ce qui revient à poser des jugements permettant d'atteindre l'essence des choses. C'est ce que Steiner décrit comme suit :

Dans toute élaboration scientifique de la réalité, le processus est le suivant : nous sommes face à la perception concrète. Elle est devant nous comme une énigme. En nous, se manifeste l'impulsion d'explorer ce qu'elle n'exprime pas elle-même : son véritable quoi, son essence. Cette impulsion n'est rien d'autre que le travail qui tire un concept de l'obscurité de notre conscience. Puis nous maintenons ce concept tandis que la perception sensorielle s'effectue parallèlement au processus pensant.

La perception muette parle soudain un langage que nous comprenons ; nous reconnaissons que le concept que nous avons saisi est cette essence de la perception que nous cherchions. » ( 9 )
C'est ce que l'on peut appeler un jugement de perception, que Steiner caractérise comme suit : « Le jugement de perception permet de reconnaître qu'un certain objet donné aux sens coïncide, quant à son essence, avec un certain concept. » ( 10 )
De la sorte, le penser peut avoir toutes ses lettres de noblesse par rapport à l'expérience qui, incohérente au départ, reçoit par lui sa signification et nous parle clairement.
Lorsque nous faisons agir notre penser, la réalité reçoit alors seulement ses véritables déterminations. Elle, qui était d'abord muette, parle un langage clair.

Notre penser est l'interprète qui explicite les gestes de l'expérience. » ( 11 )

En creusant le plus loin possible le sens de l'expérience et celui du penser, Steiner a pu élaborer les lignes essentielles de toute science, ce qui permettra ensuite de comprendre les sciences particulières.

Notes
( 01 ) Publié sous le titre : Une théorie de la connaissance chez Goethe, EAR 1985
( 02 ) R. Steiner, Autobiographie, EAR 1979, t. 1, p. 125
( 03 ) R. Steiner, Une théorie de la connaissance chez Goethe, op. cit. p. 28
( 04 ) Ibid. p. 28
( 05 ) Ibid. p. 43-44
( 06 ) Ibid. p. 57
( 07 ) Ibid. p. 62
( 08 ) Ibid.
( 09 ) Ibid. p. 69
( 10 ) Ibid. p. 70
( 11 ) Ibid. p. 71 

Le bulletin des professionnels de la biodynamie / n°23 / octobre 2013