1922 < .......1923....... > 1924
Replacer
dans son contexte
Premier
semestre
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Ce que Rudolf Steiner a offert à l'humanité au
cours de cette vie terrestre n'était pas seulement
un enseignement que l'on peut accepter ou rejeter,
ni seulement une œuvre que l'on peut construire ou
détruire. Les enseignements et les œuvres ont de
tout temps été soumis au destin que leur
réservaient leurs contemporains. Mais Rudolf
Steiner a accompli, par son parcours de vie,
l'acte de recevoir l'être spirituel
"anthroposophie" des mondes spirituels et de
l'incorporer à la sphère terrestre. Un tel être
spirituel, qui habite désormais la sphère
terrestre, ne peut pas être vaincu par les forces
opposées en détruisant l'une ou l'autre de ses
formes d'expression terrestres, il ne perd pas son
existence parce qu'une décennie aveugle ne veut
pas le voir, il ne meurt pas, même si une
génération d'humains terrestres ou des parties de
ceux-ci devaient lui refuser ou détruire son lieu
de travail et de résidence. Car il est d'essence
suprasensible et, en tant que tel, il construit
sans cesse son corps terrestre à nouveau. Une fois
incorporé à la sphère terrestre par l'action d'un
être humain, il s'y réalisera toujours à nouveau
en tant qu'être immortel, éternellement créateur,
guide spirituel, source de force inépuisable, à
travers les têtes, les cœurs et les mains des
humains de bonne volonté dans cette sphère
terrestre.
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C'est pourquoi les forces de l'adversaire,
spirituelles, élémentaires et humaines, ont certes
pu infliger au corps terrestre de cet être des
blessures malsaines et douloureuses, elles ont pu
détruire la "maison du Verbe" extérieurement, dans
le physique, le visible, dans la forme formée par
la matière terrestre, mais elles n'ont pas pu
atteindre l'esprit qui avait parlé là dans le
Verbe dans sa sphère créatrice, elles n'ont pas pu
arrêter le Verbe qui était devenu force terrestre.
Elles essaieront sans doute encore souvent de le
faire, mais devront toujours reconnaître à nouveau
que l'on peut certes détruire les formes
d'expression corporelles d'un être spirituel, mais
que l'on ne peut pas pour autant toucher l'âme et
l'esprit dans leur existence et leur activité.
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C'est pourquoi il s'agissait pour Rudolf
Steiner, en tant que porteur terrestre de cet être
spirituel et guide vers sa demeure suprasensible,
d'aller à la rencontre de la renaissance de sa
forme terrestre par un nouvel acte de création :
par la reconstruction du Goetheanum, la maison du
Verbe, qui reçut une nouvelle forme terrestre, et
par la communion des cœurs humains avec la force
créatrice originelle, la pierre angulaire
spirituelle que cet être spirituel préservait pour
tout l'avenir comme une réalité suprasensible dans
l'existence terrestre. Ce n'était donc pas un
hasard, mais l'expression d'une loi de vie
supérieure, qu'en 1923, la 21e année de vie du
mouvement spirituel qu'il avait inauguré, une
nouvelle enveloppe, une nouvelle maison lui soit
donnée au moment de la naissance-Je , et que dans
les cœurs des humains, qui devaient être les
porteurs
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de cette impulsion spirituelle, fut immergée la
pierre angulaire/de fondation spirituelle qui,
au-delà de toutes les transformations des
enveloppes extérieures, porte en elle la force de
l'essence supra-sensible et donc éternelle de ce
mouvement spirituel.
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Tournons-nous donc vers les actes et les mesures
visibles par lesquels Rudolf Steiner réalisa ces
deux tâches au cours des années à venir. C'était
l'expression d'une tel savoir de
l'indestructibilité et de la force créatrice
continue de ce noyau spirituel que Rudolf Steiner,
comme nous l'avons décrit dans ce qui précède,
quelques heures après que le travail d'une
décennie sur l'œuvre merveilleuse de la
construction ait été détruit en une nuit,
poursuivait immédiatement le lendemain son cycle
de conférences sur le "moment de la naissance de
la science de la nature dans l'histoire du monde
et son développement depuis lors" (GA326) et
incitait le même jour ses élèves à un travail
artistique par la représentation du Jeu de Noël,
le Jeu des Rois. Mais à quelques mètres de ce lieu
de travail provisoire se trouvait dehors l'amas de
ruines fumantes de l'énorme construction, et
lorsque, le soir de ce jour de l'an, les dernières
flammes eurent dévoré les derniers restes de bois,
seules les formes noircies par la fumée de la
terrasse de pierre sur laquelle s'était élevée la
construction se dressaient encore au-dessus du
sommet de la colline. Il s'agissait maintenant,
tandis que le travail spirituel se poursuivait, de
préserver et de garder d'abord ce qui avait été
conservé comme bâtiments, la menuiserie avec la
salle de conférence provisoire, l'atelier où se
trouvait intacte la statue sauvée du feu. Il
s'agissait en même temps de prendre toutes les
mesures pour engager la reconstruction du deuxième
bâtiment du Goetheanum auprès des autorités par
des autorisations, auprès des amis par des actes.
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L'organisation de la protection des bâtiments
encore existants était un impératif de l'heure.
Ces jours-ci, on ne savait pas encore si
l'incendie dévastateur était dû à des causes
techniques, par exemple un court-circuit de la
ligne électrique, ou à un acte sacrilège commis
par des adversaires malveillants. Le fanal de cet
incendie, visible de loin et dont la presse de
toute l'Europe a donné un écho retentissant, a
provoqué de fortes émotions chez les humains : les
voix de la tristesse, de l'amertume, de la
souffrance, de la volonté inébranlable de
construire dans d'innombrables cœurs humains, mais
aussi les voix de la haine, de la volonté
d'anéantissement, de la résistance malveillante.
Tout ce qui se passe d'extraordinaire sous l'effet
d'un puissant mouvement spirituel fait toujours
appel aux deux pôles du monde de l'âme humaine,
l'amour et la haine. Maintenant aussi, l'amour
doit être éveillé pour pouvoir rencontrer la haine
et s'y opposer. - Celui qui éduque à la bonté ne
doit pas la considérer comme un acquis. Oui, les
symptômes de l'époque montraient à quel point les
forces de la haine et le type des "mauvais
compagnons" que Goethe oppose à Faust étaient
encore puissants. Même s'ils menacent et grondent
parfois à distance, ils sont proches sans être
appelés à l'heure décisive. Sur la base des
'avertissements' de
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Rudolf Steiner au cours des années précédentes,
quelques personnes s'étaient déjà réunies pour
surveiller le chantier la nuit. Chaque jour de la
semaine, l'un d'entre nous avait fait le tour du
bâtiment pendant la nuit afin de pouvoir donner
l'alerte en cas de danger. Cela s'était avéré
efficace la nuit de l'incendie, car le foyer
d'incendie avait été immédiatement découvert, les
pompiers alertés et tout ce qui était humainement
possible mis en œuvre. Mais on croyait encore à
l'époque qu'une mauvaise parole ne devenait pas
une mauvaise action, on était parti de l'idée
justifiée qu'il fallait seulement veiller à ce que
les éléments ou les accidents de nature technique
ne causent pas de dommages et qu'ils puissent être
empêchés de le faire en cas d'urgence. Mais
maintenant, il fallait s'opposer non seulement à
la nature et aux éléments, mais aussi à la passion
humaine qui s'était enflammée, et il fallait
assurer la protection de ce qui existait encore,
afin de le sauver jusque dans des temps plus
calmes. C'est pourquoi j'ai proposé ces jours-là à
Rudolf Steiner la création d'une "garde" qui,
après avoir obtenu son accord, fut immédiatement
organisée et se composa d'abord d'une trentaine de
jeunes gens qui surveillaient jour et nuit les
bâtiments et les valeurs encore existants.
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L'esprit de communauté sociale et de camaraderie
qui, dans l'entourage de Rudolf Steiner,
permettait à chacun d'assumer sans plus toute
sorte de service pour la cause commune,
s'exprimait ici à nouveau de manière
symptomatique. Si des étudiants, des scientifiques
et des artistes acceptaient tout naturellement de
monter la garde de jour comme de nuit, par tous
les temps, c'était parce qu'ils étaient conscients
que ce service rendu à l'ensemble était aussi
précieux que toute autre participation à l'œuvre
commune. Au lieu de lire ou d'écrire des livres,
d'apprendre ou de créer, on se mettait en veille
pour un certain temps. Cette époque de la
fondation et de la mise en œuvre de l'organisation
de la garde au Goetheanum me laisse encore
aujourd'hui des impressions très fortes. Souvent,
Rudolf Steiner réunissait les gardiens autour de
lui pour une brève allocution, les remerciait pour
leur service et leur serrait la main, puis il
prononçait quelques mots sur les phénomènes de
l'époque et les exigences qu'elle pose. Dans son
livre de souvenirs "Heiliges Vermächtnis
(testament saint)", Fred Poeppig, qui faisait
également partie de ce cercle de gardiens, a
relaté ces réunions de manière belle et claire,
comme lorsque Rudolf Steiner dit aux
gardiens/veilleurs :
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« Vous
ne devriez pas seulement monter la garde
extérieure de nos bâtiments ici, vous
devriez vous sentir responsables en tant
que gardiens de la culture...".
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Il
planta alors dans notre âme deux mots
qu'il répéta souvent : ‘Veiller - et
avoir une attitude/mentalité de fer’
! »
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C'est à la vigilance, à l'intérieur comme à
l'extérieur, que conduisait toute son œuvre. C'est
pourquoi nous savions que nous n'étions pas
seulement des gardiens ou des pompiers, mais que
nous étions au service de cette œuvre. Ce sera
toujours un signe de la santé intérieure d'un
mouvement spirituel que de savoir si, à l'avenir
aussi, chacun
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sera prêt à assumer volontiers toute tâche de ce
genre, même si elle n'est pas prévue dans son
autre mode de vie.
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Il fut aussi très instructif de voir, à travers
un autre exemple, comment Rudolf Steiner se
positionnait par rapport à ce qui est au service
de la collectivité et à ce qui ne peut être fait
que par l'initiative et la responsabilité de
l'individu. Cette "garde" lui avait été proposée
et il l'avait approuvée parce qu'elle servait
l'intérêt général. Or, à cette époque, quelqu'un
qui ne le connaissait manifestement pas depuis
assez longtemps lui demanda s'il pouvait le
surveiller personnellement dans sa maison. Il a
refusé sèchement cela. L'auteur de la question
n'avait pas pensé qu'un tel service personnel ne
pouvait être rendu que sous sa propre
responsabilité et qu'il ne fallait pas, par une
question préalable, faire porter la responsabilité
à celui à qui le service était destiné. Certains
d'entre nous savaient que Rudolf Steiner
refuserait catégoriquement toute question de ce
genre, et comme nous savions en même temps qu'il
était alors menacé personnellement, nous sommes
tout simplement allés surveiller sa maison sans
poser de questions. Nous faisions cela deux par
deux chaque nuit, et c'est ainsi qu'il devait
inévitablement nous rencontrer un soir en rentrant
à la maison. Les premières fois, il n'a pas du
tout fait attention à nous, il est passé à côté de
nous comme si nous n'étions pas là. Ce n'est qu'au
bout de plusieurs semaines, lorsqu'il nous a de
nouveau croisés dans une pièce à une heure
tardive, qu'il nous a salués chaleureusement,
comme si notre présence allait de soi. Plus tard,
j'ai appris de lui que cela lui convenait, mais
uniquement parce que nous l'avions fait de notre
propre chef et que nous l'avions appliqué de
manière conséquente.
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Au bout d'un certain temps, lorsque les vagues
de l'agitation extérieure se sont apaisées dans le
monde, ce service a bien sûr été immédiatement cessé.
Car lorsque les relations avec l'environnement
devinrent si cordiales que de larges cercles de la
population s'engagèrent d'eux-mêmes comme forces
de protection et d'aide pour l'œuvre sur la
colline, en raison du destin commun et du grand
respect sans cesse croissant pour l'œuvre
inébranlable de Rudolf Steiner - il faut ici
remercier tout particulièrement la commune de
Dornach et son généreux et serviable maire, le Dr.
Bernhard Krauß -, cette garde du bâtiment avait
aussi achevé sa tâche et ceux qui y avaient
travaillé pouvaient à présent se consacrer
entièrement à leurs autres domaines d'activité.
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Comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, le
bâtiment de la menuiserie avec sa salle provisoire
et l'atelier de Rudolf Steiner, où se trouvait la
statue qui n'était pas encore achevée à l'époque,
ainsi que son local de travail avaient
heureusement été épargnés par l'incendie, de sorte
que l'on put continuer à y travailler
immédiatement.
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Les lieux de travail de l'administration du
Goetheanum étaient alors installés dans plusieurs
maisons entourant le bâtiment, de sorte que leur
activité ne devait pas non plus être interrompue.
Le secrétariat, qui devait s'occuper de
l'organisation de l'entreprise et de la
correspondance, se trouvait encore à l'époque dans
la
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Maison Friedwart", où j'ai pu effectuer ce
travail pendant de nombreuses années avec Madame
M. Metzener, jusqu'à ce que nous déménagions dans
le nouveau bâtiment du Goetheanum, où Rudolf
Steiner avait prévu des locaux spéciaux pour cela.
Le bureau de construction se trouvait à nouveau
dans un autre bâtiment, la "maison des
vitraux(Glahaus)" déjà mentionnée, où E.
Aisenpreis, E. Binder, S. Ruschmann et d'autres
collaborateurs s'occupaient de l'administration
technique de la construction. Le "bureau des
congrès", créé plus tard notamment pour
l'organisation des congrès, a ensuite été repris
par le Dr. O. Fränkl. Le "service d'ordre"
restant, encadré par W. Moldenhauer et quelques
amis, a contribué pendant toutes les décennies à
maintenir vivante la bonne tradition de l'époque
de la fondation de la Bauwache (garde de
l'édifice) et a pu se consacrer à nouveau à la
belle tâche d'aider le flux de visiteurs lors des
congrès qui avaient à nouveau lieu et de
contribuer à l'harmonie extérieure et à la bonne
réussite des congrès.
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Au cours de ces premières semaines de l'année
1923, il fallut tout d'abord clarifier les causes
de l'incendie au cours de nombreuses négociations
avec les autorités compétentes, prendre les
décisions concernant l'assurance et entamer les
premières démarches pour rendre certaine la
reconstruction. Grâce à des enquêtes approfondies,
les autorités ont constaté que l'incendie n'était
dû ni à une faute personnelle, ni à des défauts
techniques (court-circuit de la ligne électrique,
etc.) et ont accordé la totalité de la somme
assurée. Celle-ci ne couvrait cependant qu'une
infime partie des énormes dégâts occasionnés, car
la construction de l'édifice s'était élevée à plus
de sept millions de francs, qui, comme nous
l'avons déjà expliqué, avaient été exclusivement
apportés par les dons des membres. Ce n'est donc
pas seulement toute une décennie de travail
bénévole et une valeur artistique inestimable qui
ont été détruites, mais aussi un très grand
dommage matériel. Le fait que Rudolf Steiner se
soit tourné directement vers la reconstruction
sans se laisser abattre par ces graves dommages,
et ce à une époque où les conditions extérieures,
tant spirituelles que matérielles, ne cessaient de
s'aggraver dans l'environnement, montre la
certitude intérieure qu'une telle œuvre née de
l'Esprit possède, même dans les temps les plus
difficiles, la force portante de se renouveler de
manière éternellement vivante et de réaliser
malgré tout son propre chemin de destin, même en
présence des plus grands obstacles extérieurs.
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C'était un symbole de son immense force de
concentration et de sa capacité unique à élever
l'action spirituelle au-dessus des vagues du
destin extérieur que, pendant ces semaines qui
étaient remplies pendant la journée par de
nombreuses démarches administratives et
organisationnelles difficiles et éprouvantes et
qui mobilisaient ses forces très fortement
sollicitées par les événements, il ait pu se
rendre quand même les soirs dans la salle de
conférence de la menuiserie, devant les membres
et, avec le même calme serein qui avait
caractérisé son action pendant toutes ces
décennies, il leur parlait dans un flux
ininterrompu de dons spirituels des résultats de
la recherche en science
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de l'esprit. C'est ainsi que nous l'avons vu,
ébranlé par la force des coups du sort et souvent
accablé par l'ampleur des problèmes et des tâches
qu'ils soulevaient, monter soir après soir au
pupitre de Dornach et parler, indépendamment des
turbulences de la situation extérieure, dans une
sérénité énergisante, de science de la nature,
d'histoire de l'esprit, de philosophie et de
christologie, de formation spirituelle et de
tâches temporelles à accomplir.
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Ces conférences de Dornach, tenues dans les
premières semaines de janvier après l'incendie,
ont donné une image de l'évolution de la vie
spirituelle et religieuse depuis le 4e siècle
après Jésus-Christ, de la détresse psychique qui a
rempli l'humanité depuis le 4e siècle, jusqu'à sa
rédemption par l'expérience du Christ, que le 20e
siècle doit nous apporter. Il a parlé des combats
spirituels de Giordano Bruno, de Jakob Böhme et de
Baco de Verulam, et de la résolution des énigmes
de la vie apparues depuis le Moyen-Âge par une
compréhension des pendants entre l'être prénatal,
l'être terrestre et l'être post-mortem des
humains. Il a illustré les voies par lesquelles le
vrai, le beau et le bon peuvent être redécouverts
dans la nature et dans l'humain par une
exploration de la structure de force suprasensible
de l'humain, qui le met en harmonie créative avec
les règnes élémentaires et les entités du cosmos
par le biais de son être physique, éthérique,
astral et Je. Il a éclairé les chemins d'évolution
de l'humain à travers la chute et l'élévation du
péché, à travers un réveil du sommeil des sens des
siècles passés vers l'éveil lumineux de la
conscience de l'esprit que notre époque exige
inexorablement. Avec une parole des jeux de Noël
"Stichl, lève-toi !", il a appelé les humains à
contribuer à ce que le sommeil spirituel confus et
onirique de l'humanité soit dissipé et à ce que
les temps difficiles soient maîtrisés. Il
s'agissait désormais plus que jamais de regarder
en face le démoniaque dans la pensée et l'action
de l'environnement et de contrer le déferlement du
mal à partir de la force de rayonnement d'un
centre de force construit dans l'exercice
spirituel.
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Après avoir ainsi assuré la continuité
spirituelle et pratique de l'activité à Dornach,
Rudolf Steiner partit en voyage à la fin du mois
de janvier afin de résoudre en tous lieux les
problèmes posés par la nouvelle situation du
destin et d'établir clairement le nouveau point de
départ sur lequel il faudrait désormais
construire. Comme pour l'humain individuel, de
tels événements du destin sont aussi pour un
mouvement spirituel l'occasion d'une rétrospective
et d'une prévision. C'est pourquoi Rudolf Steiner
a fait des conférences et des discours qu'il a
tenus fin janvier à Dornach et à Stuttgart une
rétrospective décisive et clarifiante. Car s'il
invitait les humains qui voulaient aider à
regarder en face les forces adverses dans le monde
et à s'y opposer, il faisait précéder chaque fois
de manière conséquente l'appel encore plus intense
à ce que chacun et la communauté s'examinent
d'abord eux-mêmes pour voir où pourraient s'être
introduites par effraction les forces d'entrave ou
les actions déviantes dans leurs propres
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rangs et entraveraient le développement. C'est
pourquoi Rudolf Steiner a prononcé à cette époque
les paroles les plus sérieuses, les plus dures et
les plus inconditionnelles de l'"examen de
conscience" à l'intention des membres et les a
invités avec amour, mais aussi avec une implacable
cohérence, à une rétrospective sans illusions. On
ne peut pas vraiment comprendre beaucoup de choses
dans l'évolution du mouvement avant et après
l'année 1923 si l'on n'accorde pas à cette
rétrospective, à laquelle Rudolf Steiner lui-même
invitait et contribuait alors avec tant
d'insistance, l'attention qui lui revient. Les
conférences et les discours qu'il donna le 26
janvier à Stuttgart sous le titre "Paroles de
douleur, de recherche de conscience, paroles pour
la prise de conscience de la responsabilité", le
30 janvier sur "La formation du jugement sur la
base des faits", les 6 et 13 février sur "Les
trois phases du travail anthroposophique" et les
27 et 28 février à l'occasion de l'assemblée des
délégués à Stuttgart, servirent avant tout à cela.
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Dans cette rétrospective, Rudolf Steiner, en
décrivant en détail les événements des dernières
années, est parti du fait que le rythme de
l'évolution de ce mouvement spirituel avait été, à
maints égards, tout à fait différent depuis son
début en 1902 jusqu'à 1919 environ, et qu'au cours
des années 1919 à 1922, toute une série d'éléments
nouveaux avaient influencé ce développement, ce
qui avait entraîné un changement considérable de
la situation interne et externe du mouvement,
apportant aussi bien des enrichissements positifs
que de graves dangers, des difficultés et des
dérives diverses.
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Alors que Rudolf Steiner, dans sa propre
activité, était toujours parti du noyau central de
la recherche spirituelle-scientifique,
l'anthroposophie, et que c'est à partir de là
qu'il avait transformé et fécondé les différents
domaines de travail, et que ce type d'activité
avait entièrement déterminé la ligne de conduite
intérieure et extérieure du Mouvement, de
nombreuses nouvelles forces étaient devenues
actives dans le Mouvement - en particulier depuis
1919 - qui, certes de bonne volonté, ont apporté
dans le Mouvement, pour ainsi dire de la
périphérie, leurs méthodes de pensée
scientifiques, leurs intérêts de vie pratiques et
leurs domaines de travail acquis dans le monde
extérieur, sans avoir d'abord suffisamment
transformé et réincarné leurs contenus à partir du
noyau essentiel de l'anthroposophie. C'est ainsi
que de nombreux corps étrangers spirituels sont
entrés dans l'organisme du mouvement et que
beaucoup de choses qui voulaient s'activer dans
cet organisme n'ont pas pu renaître de l'essence
de l'anthroposophie par catharsis et
transformation. Rudolf Steiner avait déjà rappelé
l'année précédente, lors de la rétrospective après
le Congrès de Vienne, "que le mouvement
anthroposophique a agi dès le début à partir de
l'ésotérisme". En raison de la forte croissance du
mouvement et de l'afflux de nombreux humains ayant
des intérêts particuliers pour certaines
disciplines scientifiques ou sociales ou pour
certaines professions de la vie, beaucoup de
choses étaient venues de l'extérieur, ce qui,
selon la façon dont cela se rattachait avec le
courant central
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de l'anthroposophie ou non, pouvait apporter un
enrichissement ou, au contraire, une distraction
et une fragmentation. C'est pourquoi Rudolf
Steiner a dit dans cette conférence à Stuttgart du
25 janvier 1923 :
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"Depuis
1919, dans le sillage du mouvement
anthroposophique, il s'est produit bien
des choses d'une autre manière que si
l'anthroposophie avait progressé dans la
même sorte de mouvement, dans la même
essence de mouvement qu'elle a observée
jusqu'en 1918. Il ne fait aucun doute
que l'anthroposophie est appelée à agir
dans les domaines les plus divers de la
vie, y compris bien sûr dans tous ceux
qui, en lien avec elle, ont été cultivés
de manière fructueuse depuis 1919 par
différents amis de l'anthroposophie.
Mais les événements extérieurs ont
conduit d'une certaine manière à ce que
les choses ne soient pas directement
extraites de l'anthroposophie, mais
qu'elles soient en quelque sorte fondées
et cultivées à côté de l'anthroposophie
- bien que pas du tout dans le sens
anthroposophique. Et c'est ainsi que
nous avons vu, depuis 1919, diverses
choses qui ont été cultivées - non pas
anthroposophiquement, mais à côté de
l'anthroposophie - dans un autre type de
mouvement que celui qui avait suivi de
manière élémentaire la poursuite du
mouvement anthroposophique jusqu'en
1918".
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Il utilisa ici la belle comparaison de la mère
et de ses filles et souligna le danger que les
filles oublient leur mère dans la poursuite de
leurs propres objectifs. Tous ces mouvements de
filles, le travail scientifique spécialisé, la
pédagogie, le mouvement de la triarticulation, le
mouvement pour le renouveau religieux, le
mouvement de la jeunesse, etc. étaient nés de la
mère "anthroposophie", mais dans le zèle de la
réalisation de leurs propres intérêts, ils
couraient parfois le risque d'oublier ou de
négliger leur origine, la source de vie d'où ils
provenaient et recevaient la vie. En s'isolant de
cette source de vie, ils ont emprunté des voies
qui les ont menés à s'isoler de l'ensemble du
courant spirituel et à perdre ainsi leur véritable
nature et leur mission :
|
"Car
nous ne devons pas devenir un cercle de
pédagogues, un cercle de rénovateurs
religieux, un cercle de scientifiques,
un cercle de jeunes, de vieux et de
moyens, nous devons être une communauté
anthroposophique consciente de ce dont
elle s'inspire et dont elle alimente au
fond ses mouvements-filles. Nous devons
en être fortement conscients !...
|
Puissiez-vous
entendre avec le sérieux qui convient ce
que j'ai dû vous dire aujourd'hui avec
un cœur profondément meurtri.
Puisse-t-il s'agir en vous d'une force
de travail, d'une volonté de travailler,
d'une volonté de s'unir précisément dans
le domaine du mouvement
anthroposophique. Il ne faut offenser
personne en lui disant qu'il est un
excellent membre du travail du Jour à
venir, de l'école Waldorf, ou qu'il
travaille de manière remarquable dans le
domaine du renouveau religieux ou dans
un autre domaine. Mais tous ceux-là - en
plus de ceux qui ne sont pas entrés dans
un domaine particulier - et aussi ceux
qui sont vieux et jeunes et au milieu,
tous, tous devraient prendre conscience
de la mère : la Société anthroposophique
elle-même, d'où tout cela doit jaillir
et dans laquelle tous les spécialistes
individuels doivent collaborer. Trop de
spécialistes, sans que cela ait été
remarqué de la bonne manière, sont
devenus grands parmi nous ; certains
sont si grands qu'ils sont déjà petits à
nouveau, parce qu'ils ont trop oublié la
Mère".
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Ces
paroles étaient des vérités fondamentales
et des avertissements que Rudolf Steiner a
donnés au mouvement qu'il a inauguré pour
tout l'avenir, car il y aura toujours le
danger que se forme, à partir
d'arrangements extérieurs, de concessions,
de compromis et d'intérêts particuliers,
un cercle de pédagogues, de rénovateurs
religieux, de scientifiques,
d'agriculteurs, de médecins, de personnes
voulant être actives socialement, de
jeunes et de vieux, etc. qui oublie la
mère, qui oublie la source commune, le
mouvement anthroposophique, qui le néglige
ou même le renie par commodité ou par
intérêt personnel. Ces "paroles de douleur
et d'examen de conscience", ces "paroles
pour la prise de conscience de la
responsabilité", Rudolf Steiner a demandé
de les inscrire profondément dans son cœur
pour toujours. Il soulignait :
|
"L'ensemble
de ce qui est aujourd'hui lié à
l'anthroposophie ne peut exister sans la
Société anthroposophique, il a besoin de
la Société anthroposophique comme
réceptacle. On peut être un excellent
professeur d'école Waldorf, un excellent
pédagogue, on peut aussi être un
excellent propagateur de
l'anthroposophie par la parole et par
l'écrit, mais on peut soustraire son
activité à l'entretien et au soin de la
Société anthroposophique, ou plus
généralement à l'action de
l'anthroposophie d'humain à humain...
Nous avons eu des gens énergiques et
enthousiastes dans le domaine du
mouvement de la triarticulation : en
travaillant dans le domaine du mouvement
de tri articulation, ils ont de plus en
plus retiré leur activité de la Société
anthroposophique proprement dite. Et
maintenant, nous sommes menacés par le
fait que dans le domaine du renouveau
religieux, des personnalités éminentes
agissent d'une manière peut-être tout à
fait brillante, et il pourrait se
produire à nouveau, et maintenant dans
un domaine particulièrement important,
qu'à la Société anthroposophique, les
forces soient à nouveau retirées ...
|
On
peut à son tour être un excellent
scientifique au sein de la Société
anthroposophique et ne pas tenir compte
de ses conditions de base en tant que
telles. En tant que scientifique, on
peut parfaitement transposer les
enseignements anthroposophiques à la
chimie, à la physique, etc. et on peut
être un aussi mauvais anthroposophe que
possible ... De sorte que ces
scientifiques parlent encore avec cette
approche, avec ce sous-entendu qu'ils
apportent de la chimie, de la physique,
etc., où il y a certes encore quelque
chose de l'humain en général, qui est
chimique, physique, biologique ou
juridique, mais qui est quand même très
éloigné de l'humain en général. - Mais
ce dont nous avons besoin, c'est que la
mère ne soit pas oubliée. Car si la
Société anthroposophique n'avait pas
cultivé l'anthroposophie pendant une
décennie et demie à partir du centre,
l'anthroposophie en tant que telle - les
scientifiques n'auraient pas pu
s'installer sur son sol.
L'anthroposophie leur a donné ce dont
ils avaient besoin. Ils devraient se
souvenir qu'ils doivent à leur tour
rendre, par leur collaboration à la
Société anthroposophique, ce qu'ils ont
trouvé pour la science à partir de
l'anthroposophie".
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Depuis
quelque temps, il avait souvent constaté
que des conférences scientifiques étaient
tenues par certains participants, alors
qu'elles auraient pu être présentées avec
succès dans n'importe quelle autre
université ou haute école, dont
|
513
|
les contenus ne sont pas nés de l'anthroposophie
à neuf à partir du fond, qui ne mènent pas de
l'anthroposophie à la science, mais ajoutent aux
connaissances scientifiques extérieures un
appendice plus ou moins anthroposophique ; qui
évitaient craintivement de placer les
connaissances et la terminologie de la science de
l'esprit au point de départ de leurs
considérations, mais qui croyaient devoir parler à
partir du langage courant des amphithéâtres et du
vocabulaire du monde extérieur, afin de satisfaire
les deux parties, mais qui, en fin de compte,
laissaient ainsi les deux parties insatisfaites et
ne les encourageaient pas. A cet égard, Rudolf
Steiner a dit :
|
"on
entend souvent des scientifiques de la
Société anthroposophique dire : nous
effrayons les non-anthroposophes lorsque
nous leur parlons sans plus du corps
éthérique ou astral. - Mais nous restons
stériles si nous critiquons les
non-anthroposophes sur leur terrain en
ne nous servant que des jugements qui
peuvent aussi se développer sur ce
terrain. On peut parler de corps
éthérique et de corps astral si on dit
pourquoi on fait ceci". …
|
"Une
autre chose qui nous pose de grandes
difficultés, c'est que l'impulsivité du
mouvement anthroposophique n'est pas
évaluée partout de manière correcte. On
peut tout simplement entendre ici ou là
des jugements qui renient totalement le
mouvement anthroposophique en le mettant
en parallèle avec ce qui doit être
remplacé par lui pour l'évolution de
l'humanité. Il m'est encore arrivé ces
derniers jours que quelqu'un m'a dit :
si l'on présente à telle ou telle
personne ce que donne l'anthroposophie,
même les praticiens les plus forts
l'acceptent, il suffit de ne pas leur
parler d'anthroposophie ou de
triarticulation, il faut les renier.
Vous voyez, c'est quelque chose qui a
été pratiqué par certains depuis de
nombreuses années. C'est la chose la
plus fausse que nous puissions faire.
Nous devons nous présenter partout dans
le monde sous le signe de la pleine
vérité, quel que soit le domaine, en
tant que représentants de l'essence
anthroposophique, et nous devons être
conscients que, dans la mesure où nous
ne pouvons pas le faire, nous ne pouvons
pas promouvoir le mouvement
anthroposophique. Toute prise de
position déguisée en faveur du mouvement
anthroposophique ne conduit finalement à
aucun salut".
|
De tels opportunismes et de telles erreurs
apparaîtront bien toujours ici et là chez certains
humains et seront défendus par eux, mais tôt ou
tard, ils conduiront toujours à la stérilité et à
la dérive. C'est contre cela que Rudolf Steiner
voulait mettre en garde et préserver une fois pour
toutes le mouvement spirituel et ceux qui s'en
sentent responsables.
|
Par une telle tendance à s'adapter aux
phénomènes du temps ou par les aspirations
personnelles de quelques collaborateurs, beaucoup
de choses trop actives, trop actives, beaucoup
d'"aménagements précipités", comme il les
appelait, avaient été introduites dans le
Mouvement depuis l'année 1919. On avait commencé
des choses que l'on n'a pas menées à terme, que
l'on n'a pas poursuivies, mais que l'on a
soudainement abandonnées pour longtemps ou pour
des années, pour les reprendre plus tard avec la
même précipitation. Il y a des humains qui
n'arrivent jamais à trouver le bon équilibre entre
l'inaction et la précipitation
|
514
|
Mais succombaient plutôt à l'un ou l'autre
extrême. Il manquait à certains collaborateurs la
démarche constante et continue de la progression,
qui seule peut correspondre au noyau ésotérique
d'un mouvement spirituel. Rudolf Steiner a tiré la
conclusion suivante pour de tels efforts :
|
C'est
ainsi que les difficultés se sont
multipliées à cause de ce que
j'appellerais les aménagements
extraordinairement précipités qui ont
été pris depuis l'année 1919, notamment
- il faut toujours le souligner - à
cause du fait que des personnalités ont
fondé toutes sortes de choses et n'ont
plus collaboré ensuite à ce qu'elles
avaient elles-mêmes fondé".
|
Dans
sa rétrospective et ses perspectives,
Rudolf Steiner opposait à ces dérives
inconséquentes d'efforts souvent motivés
par la bonne volonté mais par un excès de
force débridé, le noyau du mouvement à
partir duquel, même en ces temps
mouvementés, le courant ésotérique
"purement anthroposophique" avait été
cultivé et réalisé de manière conséquente,
en progressant continuellement et
tranquillement.
|
Dans ce contexte, il a décrit comment le
bâtiment du Goetheanum s'était révélé pour lui un
instrument fin qui indiquait infailliblement si ce
qu'un orateur apportait de l'extérieur s'accordait
avec les formes artistiques et organiques de cet
environnement ou si, inorganique et étranger, il
ne parvenait pas à s'intégrer à cette harmonie
(cf. p. 410). Dans sa rétrospective, il dit par
exemple de ce premier cours universitaire de
l'année 1920 :
|
"La
première série de conférences dans son
ensemble se révèle comme quelque chose
qui n'était pas tout à fait
organiquement issu de la même idée que
la construction elle-même. C'était comme
quelque chose d'introduit dans l'édifice
purement anthroposophique ... Les
personnalités scientifiquement formées
sont devenues des membres de la société.
La science a été leur chemin de vie et
leur éducation. L'anthroposophie est
devenue leur affaire de cœur. Ils s'en
sont inspirés pour leur science. C'est
ainsi que nous avons reçu des
explications scientifiques de
personnalités à la pensée
anthroposophique, avant que les
différents domaines de la connaissance
ne soient nés de l'anthroposophie" ...-.
|
Et
encore : "J'ai décrit dans
l'hebdomadaire "Das Goetheanum" comment,
par exemple pour l'art eurythmique, les
lignes du Goetheanum se sont prolongées
dans le mouvement de l'humain. Mais cela
devait être le cas pour tout au
Goetheanum selon les intentions
initiales ; - je laissai donc mon regard
spirituel errer sur la manière dont
cette architecture intérieure, cette
sculpture et cette peinture
correspondaient à ce que les orateurs
disaient du haut de l'estrade. Et là,
j'ai trouvé que tout ce qui était, dans
le meilleur sens du terme, un tableau
anthroposophique, où l'on parlait de
l'anthroposophie au sens le plus étroit,
s'accordait merveilleusement bien avec
le style architectural. Mais pour toute
une série de conférences, on avait le
sentiment que celles-ci ne pourraient
être tenues que lorsque le Goetheanum
serait parvenu à ériger toute une série
de bâtiments annexes, dont le style
architectural serait à son tour adapté à
ces études et considérations spéciales.
Le Goetheanum, au cours de ses presque
dix ans de destin, a vraiment vécu le
destin de la Société anthroposophique ;
et il a été facile de remarquer, en
ressentant l'harmonie ou la disharmonie
du style de construction avec ce qui a
été fait à l'intérieur, comment quelque
chose d'inorganique est en fait entré
dans le courant même du mouvement
spirituel anthroposophique".
|
515
|
Il a ensuite évoqué l'activité de Mme Marie
Steiner et d'Albert Steffens, qui ont donné à ces
manifestations ce qui est issu de ce noyau
essentiel et en lien organique avec lui, comme un
exemple de la manière dont on agit au meilleur
sens du terme à partir de l'essence et de la
source de l'anthroposophie :
|
"Les
manifestations de ce type comprenaient
toujours des représentations
d'eurythmie. On se rendait compte à
cette occasion que l'édifice exigeait
que les connaissances qui y étaient
présentées soient transformées en un
tout par l'art. L'intérieur du
Goetheanum ne semblait pas tolérer un
cycle de conférences qui ne serait pas
complété par des éléments artistiques.
Je crois que l'on ressentait comme une
nécessité le fait que Madame Marie
Steiner, du haut de l'orgue, insère son
art de la récitation et de la
déclamation dans les conférences.
|
Personnellement,
j'ai toujours eu le plus grand plaisir à
entendre Albert Steffen du haut de la
tribune du Goetheanum. Ce qu'il dit veut
toujours être ressenti sous des formes
plastiques. Il est comme un sculpteur de
la langue, un sculpteur qui taille le
bois. Je percevais une harmonie entre
les formes de construction et ses
sculptures linguistiques, qu'il plaçait
dans la construction de manière à la
fois réfléchie et sûre."
|
Il y avait déjà là le noyau et le germe à partir
desquels, à la fin de cette année riche en
décisions, la nouvelle constitution saine et
organique de ce mouvement spirituel et de la
Société anthroposophique universelle pouvait
naître.
|
Dans une vue d'ensemble de tous les phénomènes
positifs et négatifs, rectilignes et aberrants,
tels que le cours du destin de tout mouvement
spirituel en expansion doit nécessairement les
apporter, Rudolf Steiner décrivit encore une fois
en images vivantes, dans une conférence du 6
février 1923, "les trois phases du travail
anthroposophique", telles qu'elles s'étaient
développées jusqu'alors. Les événements décrits
jusqu'ici depuis 1902 permettront de comprendre
facilement ce qui est à nouveau évoqué dans ce
contexte. Dans cette conférence, il a caractérisé
comme première phase l'époque de 1902-1909, où, à
côté du développement et de l'élaboration de
l'anthroposophie, de la propre recherche
spirituelle-scientifique, la tâche a aussi été
accomplie "d'abord d'opposer à ce qui existait
dans la Société théosophique - et c'était la
réception traditionnelle de sagesses orientales
très anciennes - la spiritualité de la
civilisation occidentale centrée sur le Mystère du
Golgotha". Nous avons décrit cette phase en détail
dans ce qui précède. Rudolf Steiner a dit de la
deuxième époque, qui pouvait alors s'appuyer sur
la substance fondamentale de la précédente, sur
les connaissances du monde spirituel, du destin et
de la réincarnation, sur les vérités et les
intuitions religieuses, sur les premières
impulsions artistiques et sociales :
|
"Cette
deuxième phase du mouvement
anthroposophique avait donc comme
prémisses les enseignements les plus
importants sur le destin et les vies
terrestres répétées, elle avait le
mystère du Golgotha sous un éclairage
spirituel qui était en accord avec la
civilisation du présent. Il avait en
outre une interprétation des évangiles
qui permettait à la tradition
d'apparaître à nouveau en accord avec ce
que l'on peut encore saisir aujourd'hui
par le
|
516
|
Christ
vivant, présent et agissant. Dans la
deuxième phase, qui a duré jusqu'en 1916
ou 1917, on devait d'abord, je dirais,
observer tout ce qui est la civilisation
scientifique et pratique extérieure du
présent. Il fallait montrer comment
l'anthroposophie pouvait être harmonisée
avec ce qui est aujourd'hui
scientifique, ce qui est aujourd'hui
artistique, bien sûr dans un sens plus
profond, et ce qui est aujourd'hui la
vie pratique...
|
Un
autre aspect de cette phase a été le
développement de l'artistique. C'est à
peu près au milieu de cette phase qu'est
apparue l'intention de mettre en scène
le Goetheanum, le bâtiment de Dornach.
Ce qui a été donné artistiquement dans
les Mystères s'est étendu à
l'architecture, à la sculpture et à la
peinture. S'y est ajouté l'eurythmique,
dont j'ai souvent pu caractériser
l'essence. Et tout cela a jailli en
quelque sorte de la source qui venait
d'être ouverte par les chemins que j'ai
esquissés dans le livre "Comment
acquérir des connaissances des mondes
supérieurs", mais suffisamment pour que
quiconque le veuille puisse se faire une
idée de la manière dont on doit suivre
de tels chemins".
|
Lorsque, au cours de la troisième phase, de 1916
à 1922, ces connaissances tirées de la "pure
anthroposophie", de la recherche
spirituelle-scientifique, furent diffusées par lui
dans l'environnement et transposées dans la
pratique de la vie, alors, à côté des nombreuses
personnes qui, à partir du noyau central,
développaient organiquement cette action dans
l'environnement, apparurent dans les dernières
années de cette époque quelques autres éléments
dans le mouvement qui n'avaient pas encore trouvé
ce lien organique avec le tout et le juste
équilibre entre compréhension et action. Rudolf
Steiner disait à ce propos :
|
"Il
était maintenant arrivé qu'un certain
nombre de personnalités voulaient faire
ceci ou cela, voulaient le faire
d'elles-mêmes et le faisaient... de
sorte qu'au sein du mouvement
anthroposophique, toutes sortes de
communautés autres que celle qui est
anthroposophique à l'origine se sont
créées".
|
Reconnaître ces éléments inorganiques et les
éviter à l'avenir n'est possible, selon lui,
|
"si
ceux qui y travaillent, par exemple
comme scientifiques, se souviennent
qu'ils ne doivent pas oublier
l'anthroposophie au-dessus de la
science, mais qu'ils doivent justement
couronner la phase la plus récente de la
science par l'anthroposophie... Ceux qui
travaillent comme enseignants ont une
tâche similaire. Et en particulier, ceux
qui sont actifs en tant que praticiens
auraient une tâche similaire... Combien
d'oppositions, par exemple, le
mouvement de la triarticulation a
apporté au mouvement anthroposophique
parce que le mouvement de
triarticulation n'a pas su se placer
sur le terrain anthroposophique... Il
en va de même dans d'autres domaines. Ce
dont nous devons tenir compte, c'est que
l'anthroposophie est la mère de ce
mouvement... Il ne peut y avoir
séparément un mouvement d'école Waldorf,
un mouvement pour la vie spirituelle
libre, un mouvement pour le renouveau
religieux... mais tout cela ne peut
s'épanouir que si cela se sent à
l'intérieur du mouvement mère, le
mouvement anthroposophique. Je sais
qu'en fin de compte, c'est quand même ce
qui est dit dans tous les cœurs pour
tous ceux qui veulent sincèrement le
mouvement anthroposophique" !
|
517
|
Si, dans cette phase, certains cercles avaient
"oublié l'anthroposophie dans un certain sens par
rapport à toutes sortes de mouvements
individuels", comme il l'a dit, il était
maintenant nécessaire de le reconnaître, de
l'éviter à l'avenir et de retrouver de tous côtés
la totalité de l'organisme global de ce mouvement
spirituel. La plupart des membres et des
collaborateurs avaient parfaitement reconnu et
respecté cette tâche d'action organique et
constante à partir des lois spirituelles de la
totalité. Mais il se trouve aussi de temps en
temps dans chaque mouvement des individus qui,
soit par des forces de volonté indomptées, soit
par une dose d'ambition encore apportée avec, soit
par une disposition au compromis, soit par un
manque de compréhension du sens et de la
signification de l'ensemble et de l'unité d'un tel
mouvement spirituel, soit par une disposition et
un penchant sentimental unilatéral, ne peuvent pas
encore trouver le juste équilibre et la
collaboration des forces et des tâches et peuvent
ainsi provoquer toutes sortes de perturbations et
de partialités dans le cours du destin de
l'ensemble.
|
Rudolf Steiner avait observé ces développements
pendant un certain temps et les avait laissés se
développer librement, afin que ceux qui y
aspiraient apprennent eux-mêmes, en tant
qu'humains libres, ce qui en résulterait. Mais le
temps était venu de réveiller au maximum les
forces de la conscience et de se concentrer à
nouveau entièrement sur le noyau essentiel de ce
mouvement spirituel. Dans ce contexte, il parla de
la nécessité de se consacrer désormais entièrement
à ce qui est central dans l'anthroposophie, car ce
sont précisément ces contenus de l'anthroposophie
qui "se présentent comme un besoin de l'âme d'un
nombre toujours croissant d'humains" :
|
"Cela
exige que je réponde aux exigences
accrues de l'entretien du besoin
anthroposophique plus que cela n'a pu
être le cas depuis que des institutions
pratiques de diverses sortes se sont
formées par les objectifs des amis de
notre cause ... Pour un délai
relativement court, j'ai dû répondre aux
souhaits des amis. Mais de même, je dois
maintenant me placer du point de vue que
je n'ai la permission d'agir qu'à
l'intérieur de ce centre de la vie
anthroposophique avec ses effets
artistiques et pédagogiques".
|
Rudolf Steiner a pu rappeler ici que, même dans
les époques les plus tumultueuses de ces années,
il avait continuellement poursuivi "la
représentation directe du monde spirituel". Et
comme nous le savons par les événements et les
étapes de développement des années passées, c'est
justement dans ces temps les plus difficiles des
années de guerre et d'après-guerre qu'il avait
poussé au plus haut point l'exploration et la
représentation des faits spirituels et les avait
transmis à l'environnement par la parole et par
l'action. Cette substance et cette force
spirituelles étaient là, et si le mouvement
lui-même s'y consacrait de manière concentrée et
sans se disperser, il était à la longue à la
hauteur de toute opposition.
|
Rudolf Steiner avait déjà réfléchi à l'attitude
à adopter face à l'adversité l'année précédente,
lorsque les conditions des années 1919-22 avaient
entraîné une augmentation constante des attaques
et que toujours de nouveau, en partie aussi
|
518
|
de ses propres rangs, a été contraint de
s'opposer à ces attaques perpétuelles par une
telle défense justement, a déclaré que ce serait
la plus grande erreur s'il s'y laissait prendre.
Car c'est précisément la tendance cachée, mais
consciente, des forces maléfiques à l'œuvre
derrière cette opposition, de vouloir entraîner le
chercheur de l'esprit dans des affrontements
négatifs permanents, des défenses et des défenses,
afin de l'empêcher de faire de la recherche
spirituelle, du travail positif et fructueux.
Lui-même ne tomberait pas dans ces pièges, mais
poursuivrait imperturbablement son propre chemin.
Bien sûr, il y a des moments décisifs où il s'agit
d'ôter de toutes ses forces le masque de cette
opposition et de rendre visible ce qui se cache
derrière. Il faut alors le faire avec clarté et
cohérence, mais au niveau spirituel. Mais il ne
s'est jamais laissé contraindre à l'entraîner
continuellement dans cette sphère de défense et
d'attaque.
|
En effet, face à un certain type d'adversaires
de bas niveau, Rudolf Steiner a utilisé une fois,
alors qu'il devait être poussé à une confrontation
procédurale avec de telles personnes, une
comparaison drastique mais pertinente : un humain
qui, lors d'une promenade, entre par mégarde en
contact avec un objet naturellement sale, par
exemple un cochon, ne va pas pour autant
poursuivre le cochon, car il ne peut pas être
autrement que sale par nature. Il faut l'accepter
comme un fait et éviter tout contact ultérieur
dans la mesure du possible.
|
Et en ce qui concerne le reste de l'opposition,
il dit encore une fois dans sa conférence de
février 1923 :
|
"Une
grande partie des opposants est en fait
constituée de telle sorte qu'elle vit
dans des contextes de vie très précis.
Elle a par exemple étudié ici ou là
telle ou telle chose ; il est d'usage de
penser de telle ou telle manière sur
telle ou telle chose ; du fait qu'elle
doit penser de telle ou telle manière,
elle doit devenir un adversaire de
l'anthroposophie. Elle ne sait pas du
tout pourquoi elle doit le devenir, mais
elle doit le devenir parce qu'elle est
inconsciemment attachée à ce qui l'a
élevé, à ce qu'elle a vécu ; c'est ainsi
qu'il en est intérieurement. -
Extérieurement, il est évident que pour
la prospérité ou la ruine de ce qui a
été fondé avec la société
anthroposophique, de tels adversaires
doivent être écartés du champ de la
manière correspondante.
|
Mais
les personnalités dirigeantes de
l'opposition savent très bien ce
qu'elles veulent. Car parmi eux se
trouvent ceux qui connaissent bien les
lois de la recherche spirituelle - même
si c'est d'un autre point de vue que
celui de l'anthroposophie - et qui
savent que le meilleur moyen est de
bombarder continuellement celui qui a
besoin de calme pour faire des
recherches spirituelles d'écrits et
d'objections adverses, afin qu'il soit
détourné de sa recherche spirituelle.
Car ils savent très bien que la
réfutation permanente des adversaires ne
peut pas s'accorder avec la recherche
spirituelle. Ils veulent vous jeter des
bâtons dans les roues en vous opposant
ces choses. Ces gens, qui savent en fait
ce qui est important, ne se soucient pas
tant de ce qui est écrit dans les livres
de leurs adversaires, mais que ces
livres soient jetés à la tête du
chercheur de l'esprit. Et ils tiennent
particulièrement à ce que, par le biais
de
|
519
|
ruses et de moyens similaires,
ils le contraignent à se défendre
lui-même. Ces choses doivent tout de
même être considérées en toute
objectivité".
|
A cet égard aussi, Rudolf Steiner invitait donc
à reconnaître et à éviter le manque de
discernement et donc les réactions erronées qui
s'étaient produites en maints endroits au cours
des années précédentes.
|
Lorsque, lors d'un débat sur cette question,
quelqu'un fit remarquer le danger de destruction
du mouvement par l'opposition, il répondit :
|
"On
a dit que le mouvement anthroposophique
pouvait être détruit par les opposants.
Il ne peut pas l'être. Les adversaires
peuvent constituer le plus grand danger
pour la société anthroposophique, pour
moi-même personnellement, etc. etc. Mais
le mouvement anthroposophique, il ne
pourra lui être fait aucun mal, il
pourra tout au plus être arrêté par les
adversaires".
|
Il savait que l'essence "anthroposophie" était
suffisamment liée aux forces de la sphère
terrestre pour que les adversaires puissent certes
l'entraver et la combattre, mais jamais l'empêcher
de progresser vers l'avenir.
|
Après avoir effectué, lors de ces conférences de
fin janvier à février 1923, avec amour et sérieux,
sans compromis et de manière conséquente, une
sorte de nettoyage général de la sphère des forces
au sein du mouvement et vis-à-vis de l'opposition,
il pouvait maintenant se consacrer entièrement aux
grands actes qui ouvraient une nouvelle ère de
l'évolution et qui étaient prédestinés à l'année
1923. Avant les impulsions annonçant les futures
tâches ésotériques du mouvement qu'il donna à
Dornach à Pâques et à Noël 1923, il introduisit
ces nouvelles étapes de développement dans les
conférences du soir de Dornach de février et mars
1923, dans lesquelles il parla d'abord des
transformations historiques de l'activité
spirituelle des anciens lieux de mystères aux
centres de travail spirituels actuels ; sur les
impulsions morales qui, en tant qu'actes d'entités
spirituelles, se répercutent dans cette évolution
et jusque dans l'organisation psycho-corporelle de
l'être humain ; sur le renversement de la
situation spirituelle de l'être humain vis-à-vis
de l'univers depuis le tournant du siècle et sur
la création d'un nouveau monde au XXe siècle, la
création d'une nouvelle unité entre la science,
l'art et la religion. Il est caractéristique qu'à
cette époque, consacrée à la création d'une
nouvelle harmonie de la vie communautaire, Rudolf
Steiner se soit particulièrement tourné, dans la
thématique de ses conférences, vers les lois
spirituelles de la musicalité. Ainsi, dans les
conférences des 7 et 8 mars à Stuttgart, il donna
deux conférences fondamentales pour l'essence et
l'exercice de la musicalité sur "L'expérience
sonore de l'humain" et mena ensuite ces réflexions
jusqu'aux sources ésotériques de l'harmonie et de
la musicalité dans l'organisme global de l'univers
dans la conférence de Dornach du 16 mars sur "Le
monde des hiérarchies et le monde des sons".
|
Même pour celui qui a pu observer l'inépuisable
diversité du savoir et du savoir-faire de Rudolf
Steiner dans tant de domaines, c'est à nouveau une
expérience d'émerveillement que de voir comment,
dans ces conférences, il dominait de la base
l'essence, l'histoire,
|
520
|
la thématique et la technique de la création
musicale et maintenant aussi pour la musique,
donnait le matériel de connaissance pour les
récepteurs et les interprètes dans ce domaine. Il
a tout d'abord donné un aperçu des étapes
concrètes de l'évolution de l'expérience sonore
humaine au cours de l'histoire*, par exemple des
transformations structurelles de l'humanité par le
passage de l'expérience de la quinte à celle de la
tierce, à la sensation de l'octave. Il a ensuite
expliqué comment, au cours de l'évolution, de
telles métamorphoses de l'expérience musicale
étaient liées à la formation de l'organisation
spirituelle et de la conscience-Je de l'humanité
et a aussi caractérisé les influences sur l'humain
nerveux, l'humain rythmique et l'humain des
membres. Il expliqua leur importance dans la
pédagogie pour les différentes classes d'âge, les
bienfaits des ambiances majeures et mineures pour
les forces de l'âme de l'humain en devenir, et
montra aussi aux musiciens créatifs la voie à
suivre pour trouver à notre époque, grâce à la
formation des forces de l'imagination, de
l'inspiration et de l'intuition, l'accès aux
sphères spirituellement productives du musical, à
la source originelle de la composition.
|
Dans sa conférence de Dornach du 16 mars, il a
aussi rappelé comment, aux premiers stades de
l'évolution de l'humanité, "l'expérience musicale
coïncidait avec une expérience directement
religieuse", qu'à l'époque, il y avait encore une
conscience de la manière dont l'action de la
divinité, des hiérarchies , s'exprimait dans
l'expérience de la septième, de la quinte, de la
tierce, etc. comment les humains vivaient alors
encore les "acclamations cosmiques des dieux" et
les "lamentations cosmiques des dieux", comment
cette activité hiérarchique dans les sphères
cosmiques s'est imprimée dans l'organisation
humaine au cours des âges. Et comment l'humain,
qui a de plus en plus perdu cette expérience au
cours du siècle dernier et qui risque donc de
devenir improductif dans le domaine musical, peut
à nouveau se relier consciemment à ces sphères par
la connaissance et la formation spirituelles. Ici
aussi, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à
l'étude personnelle de toutes les idées créatives
contenues dans ces conférences et dans celles
consacrées au même thème (voir aussi p. 83, 264,
267). De telles suggestions de Rudolf Steiner sont
aujourd'hui déjà à l'origine d'un grand nombre
d'élèves musiciens qui ont offert à notre époque
une multitude de compositions de grande valeur.
|
En plus de ces conférences menant à la sphère
lumineuse du musical, il a aussi parlé à Dornach,
ces dernières semaines, du pôle opposé de telle
|
* Rudolf Steiner : "Das Ton-Erlebnis
des Menschen" (L'expérience sonore de l'homme),
"Das moralische Erleben der Farben- und Tonwelt"
(L'expérience morale du monde des couleurs et des
sons), "Die Welt der Hierarchien und die Welt der
Töne" (Le monde des hiérarchies et le monde des
sons) ; voir aussi : Dr G. Wachsmuth : "Die
ätherische Welt in Wissenschaft, Kunst und
Religion" (Le monde éthérique dans la science,
l'art et la religion) chap. X, "Mysterien- und
Geistesgeschichte" (Histoire des mystères et de
l'esprit) chap. IX ; Walter Blume : "Musikalische
Betrachtungen im geisteswissenschaftlichen Sinne
(Considérations musicales dans le sens
spirituel-scientifique)" ; Prof. Hermann Beckh :
"Das geistige Wesen der Tonarten (L'être spirituel
des sortes de son )" ; Dr. H. E. Lauer : "Die
Entwicklung der Musik im Wandel der Tonsysteme
(L'évolution de la musique dans la transformation
des systèmes de son)" ; H. Ziemann :
"Polaritäten-Metamorphose in der Tonskalen-Bildung
(Métamorphoses de polarité dans la formation
d'échelles de sons)", Gäa-Sophia, vol. II ; Erich
Schwebsch : "Anton Bruckner. Ein Beitrag zur
Erkenntnis von Entwicklungen in dcr Musik (Une
contribution à la connaissance de l'évolution de
la musique)" ; A. G. Huber : "Auf den Geisteswege
von (Sur le chemin spirituel de) Joh. Seb. Bach et
L. van Beethoven" ; entre autres.
|
521
|
harmonie dans le cosmos, sur les phénomènes de
décadence et de destruction dans l'organisme de
l'humain et dans les règnes de la nature. Il
illustra comment, par la matérialisation du
langage, l'humain s'isole de plus en plus des
puissances spirituelles qui étaient et sont
toujours actives dans le langage. Il a aussi
décrit la nature de la dysharmonie dans les règnes
inférieurs de la nature, a parlé par exemple des
effets des plantes toxiques, de leur influence sur
l'organisation humaine et dans l'art de la
guérison, et a ensuite mené cette vue d'ensemble
jusqu'à la compréhension du danger qui menace
l'ensemble de l'organisme de la Terre dans son
évolution future par l'intellectualisme étranger à
l'esprit de l'homme terrestre actuel. L'aperçu de
l'imbrication intime de tous ces phénomènes, des
actes des dieux et des humains, a donné à celui
qui a écouté ces conférences et les a assimilées
une conscience de responsabilité qui s'est
orientée avec la même intensité vers l'intérieur
et l'extérieur.
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Fin mars, Rudolf Steiner se rendit une nouvelle
fois de Dornach à Stuttgart pour participer, du 25
au 29 mars, à un "congrès artistique et
pédagogique" de l'école Waldorf libre, auquel il
contribua lui-même par deux conférences du soir
sur "Pédagogie et Art" et "Pédagogie et Morale",
et par des mots d'introduction à une soirée de
récitation de Mme Marie Steiner, ainsi qu'à une
représentation d'eurythmie pour adultes et à une
représentation d'eurythmie pour enfants.
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Comme symptôme caractéristique pour rappeler les
conditions extérieures de l'époque, il convient de
mentionner qu'à cette époque, le glissement de
l'environnement dans le chaos économique était
déjà si avancé qu'un billet d'entrée pour de
telles manifestations devait être estimé à 5000
marks, un billet d'entrée pour une représentation
artistique à 300-1000 marks. Peu de temps après,
en juin 1923, un cours d'eurythmie coûtait déjà 60
000 marks, et ainsi de suite, et la chute dans
l'abîme était évidente. L'humanité se trouvait
alors à un stade où la dysharmonie, le chaos et
l'incapacité à maîtriser la vie devenaient les
dominantes de l'époque.
|
C'est pourquoi il était tout à fait judicieux et
opportun que Rudolf Steiner, à Pâques 1923 à
Dornach, ramène la conscience des humains qui
voulaient entendre à ce noyau ésotérique et la
concentre là où elle pouvait se renforcer et se
consolider à la source originelle, et qu'au lieu
de se perdre dans le chaos d'un environnement
fragmenté, ils pouvaient recevoir cette "communion
spirituelle" avec les puissances créatrices qui
avaient construit et guidé avec sagesse le monde
cosmique et terrestre, jusqu'à ce que l'humain
s'isole d'elles dans son aveuglement. Il avait
parlé de cette communion spirituelle comme d'un
acte ésotérique de l'humain se formant lui-même et
se reconnectant avec le monde spirituel par ses
propres forces lors de sa dernière conférence dans
le premier bâtiment du Goetheanum à Noël dernier
(voir page 502). Or, à Pâques, l'idée de la
résurrection devait être vécue, non seulement par
tradition, comme consolation de la foi, ou par
habitude de fêtes annuelles qui laissaient intacte
la vie du reste de l'année, mais comme
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522
|
une pensée de la résurrection qui s'enracine
dans la connaissance de la sagesse du divin et de
son œuvre vivante, la nature et l'humo, et qui
peut donner l'impulsion à une action conforme à
l'esprit. Les conférences de Pâques de Dornach de
l'année 1923 étaient consacrées au thème : "Le
cycle annuel et les quatre grandes périodes de
fête de l'année".
|
Ces conférences, qui ont fait passer
l'inauguration du culte spirituel des saisons de
fête au Goetheanum à un nouveau stade de
développement, partaient de la considération du
cours de l'année comme un puissant "processus de
respiration de la terre", spirituel et
organiquement vivant, et ont conduit, à partir de
cette compréhension, à un culte des fêtes
annuelles qui donnera la force intérieure et la
direction spirituelle à la structure sociale
fondée sur l'esprit du cours de la vie future,
afin d'introduire peu à peu, dans la dysharmonie
de l'environnement, l'harmonie et l'objectif de la
direction spirituelle du monde. Nous ne pouvons
ici qu'évoquer en quelques points la substance de
la connaissance et l'action ésotérique de ces
conférences de Pâques de Dornach, mais elles sont
aussi devenues accessibles à l'étude depuis lors.
Rudolf Steiner partait à nouveau de processus
naturels observables pour ensuite dévoiler le
spirituel qui se manifeste en eux. Goethe avait
déjà parlé de manière allusive d'une "respiration
de la terre" et Rudolf Steiner s'est penché
concrètement sur les rythmes et les forces qui se
manifestent dans cet énorme processus de
respiration. Nous avons déjà mentionné les
premiers pas de connaissance sur ce chemin dans ce
qui précède (voir page 348) et c'est pourquoi nous
abordons ici directement les processus dans le
monde élémentaire et cosmique-spirituel que les
humains, dans la sagesse originelle des époques
passées, associaient aux saisons de consécration
et de fête au cours de l'année. Les solstices
d'été et d'hiver n'étaient pas seulement pour eux
un problème astronomique extérieur, mais ils
connaissaient les subtiles transformations
matérielles, psychiques et spirituelles qui
s'opèrent dans la nature et dans l'humain à ces
moments de l'année. La recherche spirituelle
d'aujourd'hui peut à nouveau accéder à ces subtils
changements dans la structure de l'âme. Alors
qu'en été, la terre a rayonné ses forces dans
l'environnement, les a expirées, et a ainsi
provoqué la plénitude des phénomènes végétatifs,
en hiver, elle les retire à nouveau dans la terre
protectrice, les concentre à l'intérieur et
retient son souffle au plus profond de l'hiver,
avant de recommencer au printemps le processus
d'expiration, le rayonnement*. Rudolf Steiner
décrivit alors l'intuition pleine de sagesse qui,
en ces temps plus clairvoyants, avait conduit à
placer la fête de la Nativité précisément à la
saison où la terre retient pour ainsi dire son
souffle, où elle est concentrée dans son être
propre :
|
C'est
le moment où l'on place à juste titre la
naissance de Jésus, parce que la Terre
est alors en quelque sorte en possession
intérieure de toute la force de son âme.
Et en naissant à ce moment-là, Jésus est
né d'une force terrestre qui a fait
naître tout le psychisme/ce qui est
d'âme de la Terre
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* Rudolf Steiner : "Le cycle annuel
et les quatre grandes périodes de fête de l'année"
; voir aussi à ce sujet : G. Wachsmuth : "Les
forces éthériques de l'image dans le cosmos, la
terre et l'homme".
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523
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porte
en elle. Et c'est un sens profond
qu'ont, à l'époque du mystère du
Golgotha, les initiés qui étaient encore
dignes de l'ancienne initiation, un sens
profond que ces initiés ont lié à la
vision qui fait tomber la naissance de
Jésus dans ce moment d'inspiration
terrestre, de retenue du souffle
terrestre".
|
A l'époque de l'apparition du Christ, "une
grande métamorphose spirituelle et d'âme traversa
tout l'univers des mystères" et transforma les
anciens cultes, célébrations et actes de
consécration. Alors qu'à l'époque précédente, le
moment propice pour la liaison cultuelle avec les
puissances essentielles du monde se lisait dans
les constellations du soleil, de la lune et des
étoiles, à l'horloge universelle, on savait
désormais que ces puissances et forces créatrices
étaient également liées à la Terre elle-même, et
les périodes de fête du cœur de l'hiver et du
printemps devinrent, à partir de la vision de
processus spirituels réels, la célébration
annuelle de la naissance du Christ à Noël et de la
résurrection à Pâques. On reconnaissait "la
signification cosmique de la naissance de Jésus",
on savait que "si Jésus naît, il naît à une époque
où la terre ne parle en quelque sorte pas avec les
cieux, où la terre est entièrement repliée sur
elle-même avec son essence". Mais lorsque, à
l'époque de l'équinoxe de printemps, avec
l'ascension de l'orbite solaire, "les forces de
l'âme de la terre se déversent dans le cosmos",
lorsqu'elles se préparent "à recevoir ce qui est
solaire", c'est le temps de la résurrection, de la
fête de Pâques. Lorsqu'en juin, au solstice d'été,
les forces terrestres sont entièrement expirées
dans l'immensité, lorsque "l'âme de la terre est
imprégnée de la force du soleil, de la force des
étoiles", c'est le temps de la consécration de la
fête de la Saint-Jean. Et l'inspiration, la
concentration des forces terrestres en automne
conduit à nouveau à ce moment du cycle annuel où
la conscience de l'humain s'associe chaque année à
l'événement de la naissance de l'enfant Jésus sur
terre.
|
En raison des changements qui se sont produits
dans le domaine des mystères et de la connaissance
de l'esprit au cours du dernier tiers du siècle
dernier et que nous avons présentés dans ce qui
précède à l'aide des conférences de Rudolf Steiner
(cf. pages 335, 385/86), la tâche de reconnaître
et de réaliser l'aspect contemporain de
l'introduction d'une nouvelle fête annuelle,
l'inauguration de la fête de Saint-Michel à
l'automne, cette fête qui inscrit et consacre
chaque année la défaite du dragon par l'archange
Michel dans les grands rythmes du cours de l'année
comme un événement touchant le cosmos, la Terre et
l'humain. - Rudolf Steiner a ensuite décrit en
détail comment, dans la polarité de l'été et de
l'hiver, l'union avec la force du Christ à Noël
s'oppose à la menace de domination des puissances
ahrimaniennes hostiles au Christ qui, en été,
c'est-à-dire dans ces périodes du cycle annuel où
la terre s'abandonne entièrement au naturel et au
végétal, déploient aussi pour l'humain leur
surpuissance menaçante. Lorsque cette sagesse
originelle parlait du combat de Michel contre le
dragon, elle faisait allusion à la victoire que
cette entité de Michel avait remportée autrefois
sur
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les hordes ahrimaniennes. Dans des conférences
antérieures, Rudolf Steiner avait présenté cet
événement dans les mondes spirituels, qui s'était
déroulé avant le tournant du siècle, et il
montrait maintenant comment, dans le grand rythme
du cours de l'année, dans le processus de
respiration de la Terre, l'heure d'automne est
l'heure juste pour diriger la conscience dans une
consécration festive sur cet acte de Michaël. Car
c'est cette puissance mondiale qui vainc les
puissances ahrimaniennes surpuissantes pendant
l'été et qui est en même temps appelée à préparer
la liaison avec la force du Christ que l'humain
fait ensuite resplendir en lui au temps de Noël et
de Pâques. C'est donc surtout à l'automne que la
force du Christ vient au secours de l'humain, que
la Terre doit être purifiée des forces contraires
et que l'espoir de vivre le Christ doit s'affermir
en l'humain. C'est pourquoi le fait que la période
autour du 29 septembre, à l'équinoxe d'automne,
soit depuis toujours consacrée au nom de Michel,
est à nouveau un signe de la teneur spirituelle de
l'ancienne sagesse. Rudolf Steiner a résumé ce
rythme sacré du cours de l'année, qu'il a expliqué
en détail jusque dans tous ses événements naturels
et spirituels, par les mots suivants :
|
"Jusqu'à
présent, la Saint-Michel/le jour de
Michel est une fête paysanne - vous
savez quel sens j'y attache - une fête
d'humains simples. Elle est appelée à
devenir de plus en plus la fête
complémentaire de la fête de Pâques, à
partir de la reconnaissance de tout le
sens de la respiration annuelle
terrestre et cosmique. Car c'est ainsi
que l'humanité, qui comprendra à son
tour la vie terrestre dans le sens
spirituel, devra un jour penser.
|
Pendant
l'expiration de l'été, la terre est
ahrimanisée. Malheur si la naissance de
Jésus tombait dans cette terre
ahrimanisée ! Avant que le cycle ne soit
à nouveau achevé et que le mois de
décembre ne s'approche, ce qui permettra
à l'impulsion du Christ de naître dans
la terre pénétrée, la terre doit être
purifiée du dragon, des forces
ahrimaniennes, par des forces
spirituelles. Et la force de Michael
doit s'unir à ce qui afflue en tant que
respiration terrestre depuis la période
de septembre jusqu'à la période de
décembre, la force de Michael
purificatrice, celle qui vainc le
mauvais ahrimanien, doit s'unir à elle,
afin que la fête de Noël puisse
s'approcher de la bonne manière, et que
la naissance de l'impulsion du Christ
puisse s'accomplir de la bonne manière,
laquelle continuera ensuite à mûrir
jusqu'à la période de Pâques".
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Ainsi, la force de Michael est au service de la
force du Christ. Et l'humain d'aujourd'hui peut,
par le service de consécration humaine dans le
culte des fêtes annuelles, se mettre consciemment,
chacun par ses propres moyens, au service des
puissances spirituelles dirigeantes qui façonnent
le destin terrestre et le destin humain.
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Après ces exposés sur Pâques, Rudolf Steiner a
abordé l'histoire des cultes qui étaient liés aux
fêtes annuelles dans les époques précédentes. Il a
dévoilé le sens qui, dans les temps les plus
reculés, sous-tendait ces coutumes populaires
tirées des secrets de la nature, comme le lancer
de runes, les devinettes, la fonte de plomb, etc.
à l'époque de l'automne et de l'hiver, des
coutumes qui provenaient naturellement d'un tout
autre niveau de conscience que celui
d'aujourd'hui. Il a ensuite parlé de la sagesse
transmise lors de l'initiation aux mystères
chthoniens de l'Antiquité, qui était encore au
courant des secrets de l'hiver, qui savait encore
comment, en cette période hivernale
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2ème semestre |
Replacer
dans son contexte
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