1923 - L'année de Rudolf Steiner

Institut pour une triarticulation sociale
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1922 < .......1923....... > 1924

Replacer dans son contexte

Premier semestre

Ce que Rudolf Steiner a offert à l'humanité au cours de cette vie terrestre n'était pas seulement un enseignement que l'on peut accepter ou rejeter, ni seulement une œuvre que l'on peut construire ou détruire. Les enseignements et les œuvres ont de tout temps été soumis au destin que leur réservaient leurs contemporains. Mais Rudolf Steiner a accompli, par son parcours de vie, l'acte de recevoir l'être spirituel "anthroposophie" des mondes spirituels et de l'incorporer à la sphère terrestre. Un tel être spirituel, qui habite désormais la sphère terrestre, ne peut pas être vaincu par les forces opposées en détruisant l'une ou l'autre de ses formes d'expression terrestres, il ne perd pas son existence parce qu'une décennie aveugle ne veut pas le voir, il ne meurt pas, même si une génération d'humains terrestres ou des parties de ceux-ci devaient lui refuser ou détruire son lieu de travail et de résidence. Car il est d'essence suprasensible et, en tant que tel, il construit sans cesse son corps terrestre à nouveau. Une fois incorporé à la sphère terrestre par l'action d'un être humain, il s'y réalisera toujours à nouveau en tant qu'être immortel, éternellement créateur, guide spirituel, source de force inépuisable, à travers les têtes, les cœurs et les mains des humains de bonne volonté dans cette sphère terrestre.

C'est pourquoi les forces de l'adversaire, spirituelles, élémentaires et humaines, ont certes pu infliger au corps terrestre de cet être des blessures malsaines et douloureuses, elles ont pu détruire la "maison du Verbe" extérieurement, dans le physique, le visible, dans la forme formée par la matière terrestre, mais elles n'ont pas pu atteindre l'esprit qui avait parlé là dans le Verbe dans sa sphère créatrice, elles n'ont pas pu arrêter le Verbe qui était devenu force terrestre. Elles essaieront sans doute encore souvent de le faire, mais devront toujours reconnaître à nouveau que l'on peut certes détruire les formes d'expression corporelles d'un être spirituel, mais que l'on ne peut pas pour autant toucher l'âme et l'esprit dans leur existence et leur activité.

C'est pourquoi il s'agissait pour Rudolf Steiner, en tant que porteur terrestre de cet être spirituel et guide vers sa demeure suprasensible, d'aller à la rencontre de la renaissance de sa forme terrestre par un nouvel acte de création : par la reconstruction du Goetheanum, la maison du Verbe, qui reçut une nouvelle forme terrestre, et par la communion des cœurs humains avec la force créatrice originelle, la pierre angulaire spirituelle que cet être spirituel préservait pour tout l'avenir comme une réalité suprasensible dans l'existence terrestre. Ce n'était donc pas un hasard, mais l'expression d'une loi de vie supérieure, qu'en 1923, la 21e année de vie du mouvement spirituel qu'il avait inauguré, une nouvelle enveloppe, une nouvelle maison lui soit donnée au moment de la naissance-Je , et que dans les cœurs des humains, qui devaient être les porteurs

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de cette impulsion spirituelle, fut immergée la pierre angulaire/de fondation spirituelle qui, au-delà de toutes les transformations des enveloppes extérieures, porte en elle la force de l'essence supra-sensible et donc éternelle de ce mouvement spirituel.

Tournons-nous donc vers les actes et les mesures visibles par lesquels Rudolf Steiner réalisa ces deux tâches au cours des années à venir. C'était l'expression d'une tel savoir de l'indestructibilité et de la force créatrice continue de ce noyau spirituel que Rudolf Steiner, comme nous l'avons décrit dans ce qui précède, quelques heures après que le travail d'une décennie sur l'œuvre merveilleuse de la construction ait été détruit en une nuit, poursuivait immédiatement le lendemain son cycle de conférences sur le "moment de la naissance de la science de la nature dans l'histoire du monde et son développement depuis lors" (GA326) et incitait le même jour ses élèves à un travail artistique par la représentation du Jeu de Noël, le Jeu des Rois. Mais à quelques mètres de ce lieu de travail provisoire se trouvait dehors l'amas de ruines fumantes de l'énorme construction, et lorsque, le soir de ce jour de l'an, les dernières flammes eurent dévoré les derniers restes de bois, seules les formes noircies par la fumée de la terrasse de pierre sur laquelle s'était élevée la construction se dressaient encore au-dessus du sommet de la colline. Il s'agissait maintenant, tandis que le travail spirituel se poursuivait, de préserver et de garder d'abord ce qui avait été conservé comme bâtiments, la menuiserie avec la salle de conférence provisoire, l'atelier où se trouvait intacte la statue sauvée du feu. Il s'agissait en même temps de prendre toutes les mesures pour engager la reconstruction du deuxième bâtiment du Goetheanum auprès des autorités par des autorisations, auprès des amis par des actes.

L'organisation de la protection des bâtiments encore existants était un impératif de l'heure. Ces jours-ci, on ne savait pas encore si l'incendie dévastateur était dû à des causes techniques, par exemple un court-circuit de la ligne électrique, ou à un acte sacrilège commis par des adversaires malveillants. Le fanal de cet incendie, visible de loin et dont la presse de toute l'Europe a donné un écho retentissant, a provoqué de fortes émotions chez les humains : les voix de la tristesse, de l'amertume, de la souffrance, de la volonté inébranlable de construire dans d'innombrables cœurs humains, mais aussi les voix de la haine, de la volonté d'anéantissement, de la résistance malveillante. Tout ce qui se passe d'extraordinaire sous l'effet d'un puissant mouvement spirituel fait toujours appel aux deux pôles du monde de l'âme humaine, l'amour et la haine. Maintenant aussi, l'amour doit être éveillé pour pouvoir rencontrer la haine et s'y opposer. - Celui qui éduque à la bonté ne doit pas la considérer comme un acquis. Oui, les symptômes de l'époque montraient à quel point les forces de la haine et le type des "mauvais compagnons" que Goethe oppose à Faust étaient encore puissants. Même s'ils menacent et grondent parfois à distance, ils sont proches sans être appelés à l'heure décisive. Sur la base des 'avertissements' de

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Rudolf Steiner au cours des années précédentes, quelques personnes s'étaient déjà réunies pour surveiller le chantier la nuit. Chaque jour de la semaine, l'un d'entre nous avait fait le tour du bâtiment pendant la nuit afin de pouvoir donner l'alerte en cas de danger. Cela s'était avéré efficace la nuit de l'incendie, car le foyer d'incendie avait été immédiatement découvert, les pompiers alertés et tout ce qui était humainement possible mis en œuvre. Mais on croyait encore à l'époque qu'une mauvaise parole ne devenait pas une mauvaise action, on était parti de l'idée justifiée qu'il fallait seulement veiller à ce que les éléments ou les accidents de nature technique ne causent pas de dommages et qu'ils puissent être empêchés de le faire en cas d'urgence. Mais maintenant, il fallait s'opposer non seulement à la nature et aux éléments, mais aussi à la passion humaine qui s'était enflammée, et il fallait assurer la protection de ce qui existait encore, afin de le sauver jusque dans des temps plus calmes. C'est pourquoi j'ai proposé ces jours-là à Rudolf Steiner la création d'une "garde" qui, après avoir obtenu son accord, fut immédiatement organisée et se composa d'abord d'une trentaine de jeunes gens qui surveillaient jour et nuit les bâtiments et les valeurs encore existants.

L'esprit de communauté sociale et de camaraderie qui, dans l'entourage de Rudolf Steiner, permettait à chacun d'assumer sans plus toute sorte de service pour la cause commune, s'exprimait ici à nouveau de manière symptomatique. Si des étudiants, des scientifiques et des artistes acceptaient tout naturellement de monter la garde de jour comme de nuit, par tous les temps, c'était parce qu'ils étaient conscients que ce service rendu à l'ensemble était aussi précieux que toute autre participation à l'œuvre commune. Au lieu de lire ou d'écrire des livres, d'apprendre ou de créer, on se mettait en veille pour un certain temps. Cette époque de la fondation et de la mise en œuvre de l'organisation de la garde au Goetheanum me laisse encore aujourd'hui des impressions très fortes. Souvent, Rudolf Steiner réunissait les gardiens autour de lui pour une brève allocution, les remerciait pour leur service et leur serrait la main, puis il prononçait quelques mots sur les phénomènes de l'époque et les exigences qu'elle pose. Dans son livre de souvenirs "Heiliges Vermächtnis (testament saint)", Fred Poeppig, qui faisait également partie de ce cercle de gardiens, a relaté ces réunions de manière belle et claire, comme lorsque Rudolf Steiner dit aux gardiens/veilleurs :

« Vous ne devriez pas seulement monter la garde extérieure de nos bâtiments ici, vous devriez vous sentir responsables en tant que gardiens de la culture...".

Il planta alors dans notre âme deux mots qu'il répéta souvent : ‘Veiller - et avoir une attitude/mentalité de fer’ ! »

C'est à la vigilance, à l'intérieur comme à l'extérieur, que conduisait toute son œuvre. C'est pourquoi nous savions que nous n'étions pas seulement des gardiens ou des pompiers, mais que nous étions au service de cette œuvre. Ce sera toujours un signe de la santé intérieure d'un mouvement spirituel que de savoir si, à l'avenir aussi, chacun

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sera prêt à assumer volontiers toute tâche de ce genre, même si elle n'est pas prévue dans son autre mode de vie.

Il fut aussi très instructif de voir, à travers un autre exemple, comment Rudolf Steiner se positionnait par rapport à ce qui est au service de la collectivité et à ce qui ne peut être fait que par l'initiative et la responsabilité de l'individu. Cette "garde" lui avait été proposée et il l'avait approuvée parce qu'elle servait l'intérêt général. Or, à cette époque, quelqu'un qui ne le connaissait manifestement pas depuis assez longtemps lui demanda s'il pouvait le surveiller personnellement dans sa maison. Il a refusé sèchement cela. L'auteur de la question n'avait pas pensé qu'un tel service personnel ne pouvait être rendu que sous sa propre responsabilité et qu'il ne fallait pas, par une question préalable, faire porter la responsabilité à celui à qui le service était destiné. Certains d'entre nous savaient que Rudolf Steiner refuserait catégoriquement toute question de ce genre, et comme nous savions en même temps qu'il était alors menacé personnellement, nous sommes tout simplement allés surveiller sa maison sans poser de questions. Nous faisions cela deux par deux chaque nuit, et c'est ainsi qu'il devait inévitablement nous rencontrer un soir en rentrant à la maison. Les premières fois, il n'a pas du tout fait attention à nous, il est passé à côté de nous comme si nous n'étions pas là. Ce n'est qu'au bout de plusieurs semaines, lorsqu'il nous a de nouveau croisés dans une pièce à une heure tardive, qu'il nous a salués chaleureusement, comme si notre présence allait de soi. Plus tard, j'ai appris de lui que cela lui convenait, mais uniquement parce que nous l'avions fait de notre propre chef et que nous l'avions appliqué de manière conséquente.

Au bout d'un certain temps, lorsque les vagues de l'agitation extérieure se sont apaisées dans le monde, ce service a bien sûr été immédiatement cessé. Car lorsque les relations avec l'environnement devinrent si cordiales que de larges cercles de la population s'engagèrent d'eux-mêmes comme forces de protection et d'aide pour l'œuvre sur la colline, en raison du destin commun et du grand respect sans cesse croissant pour l'œuvre inébranlable de Rudolf Steiner - il faut ici remercier tout particulièrement la commune de Dornach et son généreux et serviable maire, le Dr. Bernhard Krauß -, cette garde du bâtiment avait aussi achevé sa tâche et ceux qui y avaient travaillé pouvaient à présent se consacrer entièrement à leurs autres domaines d'activité.

Comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, le bâtiment de la menuiserie avec sa salle provisoire et l'atelier de Rudolf Steiner, où se trouvait la statue qui n'était pas encore achevée à l'époque, ainsi que son local de travail avaient heureusement été épargnés par l'incendie, de sorte que l'on put continuer à y travailler immédiatement.

Les lieux de travail de l'administration du Goetheanum étaient alors installés dans plusieurs maisons entourant le bâtiment, de sorte que leur activité ne devait pas non plus être interrompue. Le secrétariat, qui devait s'occuper de l'organisation de l'entreprise et de la correspondance, se trouvait encore à l'époque dans la

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Maison Friedwart", où j'ai pu effectuer ce travail pendant de nombreuses années avec Madame M. Metzener, jusqu'à ce que nous déménagions dans le nouveau bâtiment du Goetheanum, où Rudolf Steiner avait prévu des locaux spéciaux pour cela. Le bureau de construction se trouvait à nouveau dans un autre bâtiment, la "maison des vitraux(Glahaus)" déjà mentionnée, où E. Aisenpreis, E. Binder, S. Ruschmann et d'autres collaborateurs s'occupaient de l'administration technique de la construction. Le "bureau des congrès", créé plus tard notamment pour l'organisation des congrès, a ensuite été repris par le Dr. O. Fränkl. Le "service d'ordre" restant, encadré par W. Moldenhauer et quelques amis, a contribué pendant toutes les décennies à maintenir vivante la bonne tradition de l'époque de la fondation de la Bauwache (garde de l'édifice) et a pu se consacrer à nouveau à la belle tâche d'aider le flux de visiteurs lors des congrès qui avaient à nouveau lieu et de contribuer à l'harmonie extérieure et à la bonne réussite des congrès.

Au cours de ces premières semaines de l'année 1923, il fallut tout d'abord clarifier les causes de l'incendie au cours de nombreuses négociations avec les autorités compétentes, prendre les décisions concernant l'assurance et entamer les premières démarches pour rendre certaine la reconstruction. Grâce à des enquêtes approfondies, les autorités ont constaté que l'incendie n'était dû ni à une faute personnelle, ni à des défauts techniques (court-circuit de la ligne électrique, etc.) et ont accordé la totalité de la somme assurée. Celle-ci ne couvrait cependant qu'une infime partie des énormes dégâts occasionnés, car la construction de l'édifice s'était élevée à plus de sept millions de francs, qui, comme nous l'avons déjà expliqué, avaient été exclusivement apportés par les dons des membres. Ce n'est donc pas seulement toute une décennie de travail bénévole et une valeur artistique inestimable qui ont été détruites, mais aussi un très grand dommage matériel. Le fait que Rudolf Steiner se soit tourné directement vers la reconstruction sans se laisser abattre par ces graves dommages, et ce à une époque où les conditions extérieures, tant spirituelles que matérielles, ne cessaient de s'aggraver dans l'environnement, montre la certitude intérieure qu'une telle œuvre née de l'Esprit possède, même dans les temps les plus difficiles, la force portante de se renouveler de manière éternellement vivante et de réaliser malgré tout son propre chemin de destin, même en présence des plus grands obstacles extérieurs.

C'était un symbole de son immense force de concentration et de sa capacité unique à élever l'action spirituelle au-dessus des vagues du destin extérieur que, pendant ces semaines qui étaient remplies pendant la journée par de nombreuses démarches administratives et organisationnelles difficiles et éprouvantes et qui mobilisaient ses forces très fortement sollicitées par les événements, il ait pu se rendre quand même les soirs dans la salle de conférence de la menuiserie, devant les membres et, avec le même calme serein qui avait caractérisé son action pendant toutes ces décennies, il leur parlait dans un flux ininterrompu de dons spirituels des résultats de la recherche en science

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de l'esprit. C'est ainsi que nous l'avons vu, ébranlé par la force des coups du sort et souvent accablé par l'ampleur des problèmes et des tâches qu'ils soulevaient, monter soir après soir au pupitre de Dornach et parler, indépendamment des turbulences de la situation extérieure, dans une sérénité énergisante, de science de la nature, d'histoire de l'esprit, de philosophie et de christologie, de formation spirituelle et de tâches temporelles à accomplir.

Ces conférences de Dornach, tenues dans les premières semaines de janvier après l'incendie, ont donné une image de l'évolution de la vie spirituelle et religieuse depuis le 4e siècle après Jésus-Christ, de la détresse psychique qui a rempli l'humanité depuis le 4e siècle, jusqu'à sa rédemption par l'expérience du Christ, que le 20e siècle doit nous apporter. Il a parlé des combats spirituels de Giordano Bruno, de Jakob Böhme et de Baco de Verulam, et de la résolution des énigmes de la vie apparues depuis le Moyen-Âge par une compréhension des pendants entre l'être prénatal, l'être terrestre et l'être post-mortem des humains. Il a illustré les voies par lesquelles le vrai, le beau et le bon peuvent être redécouverts dans la nature et dans l'humain par une exploration de la structure de force suprasensible de l'humain, qui le met en harmonie créative avec les règnes élémentaires et les entités du cosmos par le biais de son être physique, éthérique, astral et Je. Il a éclairé les chemins d'évolution de l'humain à travers la chute et l'élévation du péché, à travers un réveil du sommeil des sens des siècles passés vers l'éveil lumineux de la conscience de l'esprit que notre époque exige inexorablement. Avec une parole des jeux de Noël "Stichl, lève-toi !", il a appelé les humains à contribuer à ce que le sommeil spirituel confus et onirique de l'humanité soit dissipé et à ce que les temps difficiles soient maîtrisés. Il s'agissait désormais plus que jamais de regarder en face le démoniaque dans la pensée et l'action de l'environnement et de contrer le déferlement du mal à partir de la force de rayonnement d'un centre de force construit dans l'exercice spirituel.

Après avoir ainsi assuré la continuité spirituelle et pratique de l'activité à Dornach, Rudolf Steiner partit en voyage à la fin du mois de janvier afin de résoudre en tous lieux les problèmes posés par la nouvelle situation du destin et d'établir clairement le nouveau point de départ sur lequel il faudrait désormais construire. Comme pour l'humain individuel, de tels événements du destin sont aussi pour un mouvement spirituel l'occasion d'une rétrospective et d'une prévision. C'est pourquoi Rudolf Steiner a fait des conférences et des discours qu'il a tenus fin janvier à Dornach et à Stuttgart une rétrospective décisive et clarifiante. Car s'il invitait les humains qui voulaient aider à regarder en face les forces adverses dans le monde et à s'y opposer, il faisait précéder chaque fois de manière conséquente l'appel encore plus intense à ce que chacun et la communauté s'examinent d'abord eux-mêmes pour voir où pourraient s'être introduites par effraction les forces d'entrave ou les actions déviantes dans leurs propres

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rangs et entraveraient le développement. C'est pourquoi Rudolf Steiner a prononcé à cette époque les paroles les plus sérieuses, les plus dures et les plus inconditionnelles de l'"examen de conscience" à l'intention des membres et les a invités avec amour, mais aussi avec une implacable cohérence, à une rétrospective sans illusions. On ne peut pas vraiment comprendre beaucoup de choses dans l'évolution du mouvement avant et après l'année 1923 si l'on n'accorde pas à cette rétrospective, à laquelle Rudolf Steiner lui-même invitait et contribuait alors avec tant d'insistance, l'attention qui lui revient. Les conférences et les discours qu'il donna le 26 janvier à Stuttgart sous le titre "Paroles de douleur, de recherche de conscience, paroles pour la prise de conscience de la responsabilité", le 30 janvier sur "La formation du jugement sur la base des faits", les 6 et 13 février sur "Les trois phases du travail anthroposophique" et les 27 et 28 février à l'occasion de l'assemblée des délégués à Stuttgart, servirent avant tout à cela.

Dans cette rétrospective, Rudolf Steiner, en décrivant en détail les événements des dernières années, est parti du fait que le rythme de l'évolution de ce mouvement spirituel avait été, à maints égards, tout à fait différent depuis son début en 1902 jusqu'à 1919 environ, et qu'au cours des années 1919 à 1922, toute une série d'éléments nouveaux avaient influencé ce développement, ce qui avait entraîné un changement considérable de la situation interne et externe du mouvement, apportant aussi bien des enrichissements positifs que de graves dangers, des difficultés et des dérives diverses.

Alors que Rudolf Steiner, dans sa propre activité, était toujours parti du noyau central de la recherche spirituelle-scientifique, l'anthroposophie, et que c'est à partir de là qu'il avait transformé et fécondé les différents domaines de travail, et que ce type d'activité avait entièrement déterminé la ligne de conduite intérieure et extérieure du Mouvement, de nombreuses nouvelles forces étaient devenues actives dans le Mouvement - en particulier depuis 1919 - qui, certes de bonne volonté, ont apporté dans le Mouvement, pour ainsi dire de la périphérie, leurs méthodes de pensée scientifiques, leurs intérêts de vie pratiques et leurs domaines de travail acquis dans le monde extérieur, sans avoir d'abord suffisamment transformé et réincarné leurs contenus à partir du noyau essentiel de l'anthroposophie. C'est ainsi que de nombreux corps étrangers spirituels sont entrés dans l'organisme du mouvement et que beaucoup de choses qui voulaient s'activer dans cet organisme n'ont pas pu renaître de l'essence de l'anthroposophie par catharsis et transformation. Rudolf Steiner avait déjà rappelé l'année précédente, lors de la rétrospective après le Congrès de Vienne, "que le mouvement anthroposophique a agi dès le début à partir de l'ésotérisme". En raison de la forte croissance du mouvement et de l'afflux de nombreux humains ayant des intérêts particuliers pour certaines disciplines scientifiques ou sociales ou pour certaines professions de la vie, beaucoup de choses étaient venues de l'extérieur, ce qui, selon la façon dont cela se rattachait avec le courant central

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de l'anthroposophie ou non, pouvait apporter un enrichissement ou, au contraire, une distraction et une fragmentation. C'est pourquoi Rudolf Steiner a dit dans cette conférence à Stuttgart du 25 janvier 1923 :

"Depuis 1919, dans le sillage du mouvement anthroposophique, il s'est produit bien des choses d'une autre manière que si l'anthroposophie avait progressé dans la même sorte de mouvement, dans la même essence de mouvement qu'elle a observée jusqu'en 1918. Il ne fait aucun doute que l'anthroposophie est appelée à agir dans les domaines les plus divers de la vie, y compris bien sûr dans tous ceux qui, en lien avec elle, ont été cultivés de manière fructueuse depuis 1919 par différents amis de l'anthroposophie. Mais les événements extérieurs ont conduit d'une certaine manière à ce que les choses ne soient pas directement extraites de l'anthroposophie, mais qu'elles soient en quelque sorte fondées et cultivées à côté de l'anthroposophie - bien que pas du tout dans le sens anthroposophique. Et c'est ainsi que nous avons vu, depuis 1919, diverses choses qui ont été cultivées - non pas anthroposophiquement, mais à côté de l'anthroposophie - dans un autre type de mouvement que celui qui avait suivi de manière élémentaire la poursuite du mouvement anthroposophique jusqu'en 1918".

Il utilisa ici la belle comparaison de la mère et de ses filles et souligna le danger que les filles oublient leur mère dans la poursuite de leurs propres objectifs. Tous ces mouvements de filles, le travail scientifique spécialisé, la pédagogie, le mouvement de la triarticulation, le mouvement pour le renouveau religieux, le mouvement de la jeunesse, etc. étaient nés de la mère "anthroposophie", mais dans le zèle de la réalisation de leurs propres intérêts, ils couraient parfois le risque d'oublier ou de négliger leur origine, la source de vie d'où ils provenaient et recevaient la vie. En s'isolant de cette source de vie, ils ont emprunté des voies qui les ont menés à s'isoler de l'ensemble du courant spirituel et à perdre ainsi leur véritable nature et leur mission :

"Car nous ne devons pas devenir un cercle de pédagogues, un cercle de rénovateurs religieux, un cercle de scientifiques, un cercle de jeunes, de vieux et de moyens, nous devons être une communauté anthroposophique consciente de ce dont elle s'inspire et dont elle alimente au fond ses mouvements-filles. Nous devons en être fortement conscients !...

Puissiez-vous entendre avec le sérieux qui convient ce que j'ai dû vous dire aujourd'hui avec un cœur profondément meurtri. Puisse-t-il s'agir en vous d'une force de travail, d'une volonté de travailler, d'une volonté de s'unir précisément dans le domaine du mouvement anthroposophique. Il ne faut offenser personne en lui disant qu'il est un excellent membre du travail du Jour à venir, de l'école Waldorf, ou qu'il travaille de manière remarquable dans le domaine du renouveau religieux ou dans un autre domaine. Mais tous ceux-là - en plus de ceux qui ne sont pas entrés dans un domaine particulier - et aussi ceux qui sont vieux et jeunes et au milieu, tous, tous devraient prendre conscience de la mère : la Société anthroposophique elle-même, d'où tout cela doit jaillir et dans laquelle tous les spécialistes individuels doivent collaborer. Trop de spécialistes, sans que cela ait été remarqué de la bonne manière, sont devenus grands parmi nous ; certains sont si grands qu'ils sont déjà petits à nouveau, parce qu'ils ont trop oublié la Mère".

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Ces paroles étaient des vérités fondamentales et des avertissements que Rudolf Steiner a donnés au mouvement qu'il a inauguré pour tout l'avenir, car il y aura toujours le danger que se forme, à partir d'arrangements extérieurs, de concessions, de compromis et d'intérêts particuliers, un cercle de pédagogues, de rénovateurs religieux, de scientifiques, d'agriculteurs, de médecins, de personnes voulant être actives socialement, de jeunes et de vieux, etc. qui oublie la mère, qui oublie la source commune, le mouvement anthroposophique, qui le néglige ou même le renie par commodité ou par intérêt personnel. Ces "paroles de douleur et d'examen de conscience", ces "paroles pour la prise de conscience de la responsabilité", Rudolf Steiner a demandé de les inscrire profondément dans son cœur pour toujours. Il soulignait :

"L'ensemble de ce qui est aujourd'hui lié à l'anthroposophie ne peut exister sans la Société anthroposophique, il a besoin de la Société anthroposophique comme réceptacle. On peut être un excellent professeur d'école Waldorf, un excellent pédagogue, on peut aussi être un excellent propagateur de l'anthroposophie par la parole et par l'écrit, mais on peut soustraire son activité à l'entretien et au soin de la Société anthroposophique, ou plus généralement à l'action de l'anthroposophie d'humain à humain... Nous avons eu des gens énergiques et enthousiastes dans le domaine du mouvement de la triarticulation : en travaillant dans le domaine du mouvement de tri articulation, ils ont de plus en plus retiré leur activité de la Société anthroposophique proprement dite. Et maintenant, nous sommes menacés par le fait que dans le domaine du renouveau religieux, des personnalités éminentes agissent d'une manière peut-être tout à fait brillante, et il pourrait se produire à nouveau, et maintenant dans un domaine particulièrement important, qu'à la Société anthroposophique, les forces soient à nouveau retirées ...

On peut à son tour être un excellent scientifique au sein de la Société anthroposophique et ne pas tenir compte de ses conditions de base en tant que telles. En tant que scientifique, on peut parfaitement transposer les enseignements anthroposophiques à la chimie, à la physique, etc. et on peut être un aussi mauvais anthroposophe que possible ... De sorte que ces scientifiques parlent encore avec cette approche, avec ce sous-entendu qu'ils apportent de la chimie, de la physique, etc., où il y a certes encore quelque chose de l'humain en général, qui est chimique, physique, biologique ou juridique, mais qui est quand même très éloigné de l'humain en général. - Mais ce dont nous avons besoin, c'est que la mère ne soit pas oubliée. Car si la Société anthroposophique n'avait pas cultivé l'anthroposophie pendant une décennie et demie à partir du centre, l'anthroposophie en tant que telle - les scientifiques n'auraient pas pu s'installer sur son sol. L'anthroposophie leur a donné ce dont ils avaient besoin. Ils devraient se souvenir qu'ils doivent à leur tour rendre, par leur collaboration à la Société anthroposophique, ce qu'ils ont trouvé pour la science à partir de l'anthroposophie".

Depuis quelque temps, il avait souvent constaté que des conférences scientifiques étaient tenues par certains participants, alors qu'elles auraient pu être présentées avec succès dans n'importe quelle autre université ou haute école, dont

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les contenus ne sont pas nés de l'anthroposophie à neuf à partir du fond, qui ne mènent pas de l'anthroposophie à la science, mais ajoutent aux connaissances scientifiques extérieures un appendice plus ou moins anthroposophique ; qui évitaient craintivement de placer les connaissances et la terminologie de la science de l'esprit au point de départ de leurs considérations, mais qui croyaient devoir parler à partir du langage courant des amphithéâtres et du vocabulaire du monde extérieur, afin de satisfaire les deux parties, mais qui, en fin de compte, laissaient ainsi les deux parties insatisfaites et ne les encourageaient pas. A cet égard, Rudolf Steiner a dit :

"on entend souvent des scientifiques de la Société anthroposophique dire : nous effrayons les non-anthroposophes lorsque nous leur parlons sans plus du corps éthérique ou astral. - Mais nous restons stériles si nous critiquons les non-anthroposophes sur leur terrain en ne nous servant que des jugements qui peuvent aussi se développer sur ce terrain. On peut parler de corps éthérique et de corps astral si on dit pourquoi on fait ceci". …

"Une autre chose qui nous pose de grandes difficultés, c'est que l'impulsivité du mouvement anthroposophique n'est pas évaluée partout de manière correcte. On peut tout simplement entendre ici ou là des jugements qui renient totalement le mouvement anthroposophique en le mettant en parallèle avec ce qui doit être remplacé par lui pour l'évolution de l'humanité. Il m'est encore arrivé ces derniers jours que quelqu'un m'a dit : si l'on présente à telle ou telle personne ce que donne l'anthroposophie, même les praticiens les plus forts l'acceptent, il suffit de ne pas leur parler d'anthroposophie ou de triarticulation, il faut les renier. Vous voyez, c'est quelque chose qui a été pratiqué par certains depuis de nombreuses années. C'est la chose la plus fausse que nous puissions faire. Nous devons nous présenter partout dans le monde sous le signe de la pleine vérité, quel que soit le domaine, en tant que représentants de l'essence anthroposophique, et nous devons être conscients que, dans la mesure où nous ne pouvons pas le faire, nous ne pouvons pas promouvoir le mouvement anthroposophique. Toute prise de position déguisée en faveur du mouvement anthroposophique ne conduit finalement à aucun salut".

De tels opportunismes et de telles erreurs apparaîtront bien toujours ici et là chez certains humains et seront défendus par eux, mais tôt ou tard, ils conduiront toujours à la stérilité et à la dérive. C'est contre cela que Rudolf Steiner voulait mettre en garde et préserver une fois pour toutes le mouvement spirituel et ceux qui s'en sentent responsables.

Par une telle tendance à s'adapter aux phénomènes du temps ou par les aspirations personnelles de quelques collaborateurs, beaucoup de choses trop actives, trop actives, beaucoup d'"aménagements précipités", comme il les appelait, avaient été introduites dans le Mouvement depuis l'année 1919. On avait commencé des choses que l'on n'a pas menées à terme, que l'on n'a pas poursuivies, mais que l'on a soudainement abandonnées pour longtemps ou pour des années, pour les reprendre plus tard avec la même précipitation. Il y a des humains qui n'arrivent jamais à trouver le bon équilibre entre l'inaction et la précipitation

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Mais succombaient plutôt à l'un ou l'autre extrême. Il manquait à certains collaborateurs la démarche constante et continue de la progression, qui seule peut correspondre au noyau ésotérique d'un mouvement spirituel. Rudolf Steiner a tiré la conclusion suivante pour de tels efforts :

C'est ainsi que les difficultés se sont multipliées à cause de ce que j'appellerais les aménagements extraordinairement précipités qui ont été pris depuis l'année 1919, notamment - il faut toujours le souligner - à cause du fait que des personnalités ont fondé toutes sortes de choses et n'ont plus collaboré ensuite à ce qu'elles avaient elles-mêmes fondé".

Dans sa rétrospective et ses perspectives, Rudolf Steiner opposait à ces dérives inconséquentes d'efforts souvent motivés par la bonne volonté mais par un excès de force débridé, le noyau du mouvement à partir duquel, même en ces temps mouvementés, le courant ésotérique "purement anthroposophique" avait été cultivé et réalisé de manière conséquente, en progressant continuellement et tranquillement.

Dans ce contexte, il a décrit comment le bâtiment du Goetheanum s'était révélé pour lui un instrument fin qui indiquait infailliblement si ce qu'un orateur apportait de l'extérieur s'accordait avec les formes artistiques et organiques de cet environnement ou si, inorganique et étranger, il ne parvenait pas à s'intégrer à cette harmonie (cf. p. 410). Dans sa rétrospective, il dit par exemple de ce premier cours universitaire de l'année 1920 :

"La première série de conférences dans son ensemble se révèle comme quelque chose qui n'était pas tout à fait organiquement issu de la même idée que la construction elle-même. C'était comme quelque chose d'introduit dans l'édifice purement anthroposophique ... Les personnalités scientifiquement formées sont devenues des membres de la société. La science a été leur chemin de vie et leur éducation. L'anthroposophie est devenue leur affaire de cœur. Ils s'en sont inspirés pour leur science. C'est ainsi que nous avons reçu des explications scientifiques de personnalités à la pensée anthroposophique, avant que les différents domaines de la connaissance ne soient nés de l'anthroposophie" ...-.

Et encore : "J'ai décrit dans l'hebdomadaire "Das Goetheanum" comment, par exemple pour l'art eurythmique, les lignes du Goetheanum se sont prolongées dans le mouvement de l'humain. Mais cela devait être le cas pour tout au Goetheanum selon les intentions initiales ; - je laissai donc mon regard spirituel errer sur la manière dont cette architecture intérieure, cette sculpture et cette peinture correspondaient à ce que les orateurs disaient du haut de l'estrade. Et là, j'ai trouvé que tout ce qui était, dans le meilleur sens du terme, un tableau anthroposophique, où l'on parlait de l'anthroposophie au sens le plus étroit, s'accordait merveilleusement bien avec le style architectural. Mais pour toute une série de conférences, on avait le sentiment que celles-ci ne pourraient être tenues que lorsque le Goetheanum serait parvenu à ériger toute une série de bâtiments annexes, dont le style architectural serait à son tour adapté à ces études et considérations spéciales. Le Goetheanum, au cours de ses presque dix ans de destin, a vraiment vécu le destin de la Société anthroposophique ; et il a été facile de remarquer, en ressentant l'harmonie ou la disharmonie du style de construction avec ce qui a été fait à l'intérieur, comment quelque chose d'inorganique est en fait entré dans le courant même du mouvement spirituel anthroposophique".

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Il a ensuite évoqué l'activité de Mme Marie Steiner et d'Albert Steffens, qui ont donné à ces manifestations ce qui est issu de ce noyau essentiel et en lien organique avec lui, comme un exemple de la manière dont on agit au meilleur sens du terme à partir de l'essence et de la source de l'anthroposophie :

"Les manifestations de ce type comprenaient toujours des représentations d'eurythmie. On se rendait compte à cette occasion que l'édifice exigeait que les connaissances qui y étaient présentées soient transformées en un tout par l'art. L'intérieur du Goetheanum ne semblait pas tolérer un cycle de conférences qui ne serait pas complété par des éléments artistiques. Je crois que l'on ressentait comme une nécessité le fait que Madame Marie Steiner, du haut de l'orgue, insère son art de la récitation et de la déclamation dans les conférences.

Personnellement, j'ai toujours eu le plus grand plaisir à entendre Albert Steffen du haut de la tribune du Goetheanum. Ce qu'il dit veut toujours être ressenti sous des formes plastiques. Il est comme un sculpteur de la langue, un sculpteur qui taille le bois. Je percevais une harmonie entre les formes de construction et ses sculptures linguistiques, qu'il plaçait dans la construction de manière à la fois réfléchie et sûre."

Il y avait déjà là le noyau et le germe à partir desquels, à la fin de cette année riche en décisions, la nouvelle constitution saine et organique de ce mouvement spirituel et de la Société anthroposophique universelle pouvait naître.

Dans une vue d'ensemble de tous les phénomènes positifs et négatifs, rectilignes et aberrants, tels que le cours du destin de tout mouvement spirituel en expansion doit nécessairement les apporter, Rudolf Steiner décrivit encore une fois en images vivantes, dans une conférence du 6 février 1923, "les trois phases du travail anthroposophique", telles qu'elles s'étaient développées jusqu'alors. Les événements décrits jusqu'ici depuis 1902 permettront de comprendre facilement ce qui est à nouveau évoqué dans ce contexte. Dans cette conférence, il a caractérisé comme première phase l'époque de 1902-1909, où, à côté du développement et de l'élaboration de l'anthroposophie, de la propre recherche spirituelle-scientifique, la tâche a aussi été accomplie "d'abord d'opposer à ce qui existait dans la Société théosophique - et c'était la réception traditionnelle de sagesses orientales très anciennes - la spiritualité de la civilisation occidentale centrée sur le Mystère du Golgotha". Nous avons décrit cette phase en détail dans ce qui précède. Rudolf Steiner a dit de la deuxième époque, qui pouvait alors s'appuyer sur la substance fondamentale de la précédente, sur les connaissances du monde spirituel, du destin et de la réincarnation, sur les vérités et les intuitions religieuses, sur les premières impulsions artistiques et sociales :

"Cette deuxième phase du mouvement anthroposophique avait donc comme prémisses les enseignements les plus importants sur le destin et les vies terrestres répétées, elle avait le mystère du Golgotha sous un éclairage spirituel qui était en accord avec la civilisation du présent. Il avait en outre une interprétation des évangiles qui permettait à la tradition d'apparaître à nouveau en accord avec ce que l'on peut encore saisir aujourd'hui par le

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Christ vivant, présent et agissant. Dans la deuxième phase, qui a duré jusqu'en 1916 ou 1917, on devait d'abord, je dirais, observer tout ce qui est la civilisation scientifique et pratique extérieure du présent. Il fallait montrer comment l'anthroposophie pouvait être harmonisée avec ce qui est aujourd'hui scientifique, ce qui est aujourd'hui artistique, bien sûr dans un sens plus profond, et ce qui est aujourd'hui la vie pratique...

Un autre aspect de cette phase a été le développement de l'artistique. C'est à peu près au milieu de cette phase qu'est apparue l'intention de mettre en scène le Goetheanum, le bâtiment de Dornach. Ce qui a été donné artistiquement dans les Mystères s'est étendu à l'architecture, à la sculpture et à la peinture. S'y est ajouté l'eurythmique, dont j'ai souvent pu caractériser l'essence. Et tout cela a jailli en quelque sorte de la source qui venait d'être ouverte par les chemins que j'ai esquissés dans le livre "Comment acquérir des connaissances des mondes supérieurs", mais suffisamment pour que quiconque le veuille puisse se faire une idée de la manière dont on doit suivre de tels chemins".

Lorsque, au cours de la troisième phase, de 1916 à 1922, ces connaissances tirées de la "pure anthroposophie", de la recherche spirituelle-scientifique, furent diffusées par lui dans l'environnement et transposées dans la pratique de la vie, alors, à côté des nombreuses personnes qui, à partir du noyau central, développaient organiquement cette action dans l'environnement, apparurent dans les dernières années de cette époque quelques autres éléments dans le mouvement qui n'avaient pas encore trouvé ce lien organique avec le tout et le juste équilibre entre compréhension et action. Rudolf Steiner disait à ce propos :

"Il était maintenant arrivé qu'un certain nombre de personnalités voulaient faire ceci ou cela, voulaient le faire d'elles-mêmes et le faisaient... de sorte qu'au sein du mouvement anthroposophique, toutes sortes de communautés autres que celle qui est anthroposophique à l'origine se sont créées".

Reconnaître ces éléments inorganiques et les éviter à l'avenir n'est possible, selon lui,

"si ceux qui y travaillent, par exemple comme scientifiques, se souviennent qu'ils ne doivent pas oublier l'anthroposophie au-dessus de la science, mais qu'ils doivent justement couronner la phase la plus récente de la science par l'anthroposophie... Ceux qui travaillent comme enseignants ont une tâche similaire. Et en particulier, ceux qui sont actifs en tant que praticiens auraient une tâche similaire... Combien d'oppositions, par exemple, le mouvement de la triarticulation a apporté au mouvement anthroposophique parce que le mouvement de triarticulation n'a pas su se placer sur le terrain anthroposophique... Il en va de même dans d'autres domaines. Ce dont nous devons tenir compte, c'est que l'anthroposophie est la mère de ce mouvement... Il ne peut y avoir séparément un mouvement d'école Waldorf, un mouvement pour la vie spirituelle libre, un mouvement pour le renouveau religieux... mais tout cela ne peut s'épanouir que si cela se sent à l'intérieur du mouvement mère, le mouvement anthroposophique. Je sais qu'en fin de compte, c'est quand même ce qui est dit dans tous les cœurs pour tous ceux qui veulent sincèrement le mouvement anthroposophique" !

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Si, dans cette phase, certains cercles avaient "oublié l'anthroposophie dans un certain sens par rapport à toutes sortes de mouvements individuels", comme il l'a dit, il était maintenant nécessaire de le reconnaître, de l'éviter à l'avenir et de retrouver de tous côtés la totalité de l'organisme global de ce mouvement spirituel. La plupart des membres et des collaborateurs avaient parfaitement reconnu et respecté cette tâche d'action organique et constante à partir des lois spirituelles de la totalité. Mais il se trouve aussi de temps en temps dans chaque mouvement des individus qui, soit par des forces de volonté indomptées, soit par une dose d'ambition encore apportée avec, soit par une disposition au compromis, soit par un manque de compréhension du sens et de la signification de l'ensemble et de l'unité d'un tel mouvement spirituel, soit par une disposition et un penchant sentimental unilatéral, ne peuvent pas encore trouver le juste équilibre et la collaboration des forces et des tâches et peuvent ainsi provoquer toutes sortes de perturbations et de partialités dans le cours du destin de l'ensemble.

Rudolf Steiner avait observé ces développements pendant un certain temps et les avait laissés se développer librement, afin que ceux qui y aspiraient apprennent eux-mêmes, en tant qu'humains libres, ce qui en résulterait. Mais le temps était venu de réveiller au maximum les forces de la conscience et de se concentrer à nouveau entièrement sur le noyau essentiel de ce mouvement spirituel. Dans ce contexte, il parla de la nécessité de se consacrer désormais entièrement à ce qui est central dans l'anthroposophie, car ce sont précisément ces contenus de l'anthroposophie qui "se présentent comme un besoin de l'âme d'un nombre toujours croissant d'humains" :

"Cela exige que je réponde aux exigences accrues de l'entretien du besoin anthroposophique plus que cela n'a pu être le cas depuis que des institutions pratiques de diverses sortes se sont formées par les objectifs des amis de notre cause ... Pour un délai relativement court, j'ai dû répondre aux souhaits des amis. Mais de même, je dois maintenant me placer du point de vue que je n'ai la permission d'agir qu'à l'intérieur de ce centre de la vie anthroposophique avec ses effets artistiques et pédagogiques".

Rudolf Steiner a pu rappeler ici que, même dans les époques les plus tumultueuses de ces années, il avait continuellement poursuivi "la représentation directe du monde spirituel". Et comme nous le savons par les événements et les étapes de développement des années passées, c'est justement dans ces temps les plus difficiles des années de guerre et d'après-guerre qu'il avait poussé au plus haut point l'exploration et la représentation des faits spirituels et les avait transmis à l'environnement par la parole et par l'action. Cette substance et cette force spirituelles étaient là, et si le mouvement lui-même s'y consacrait de manière concentrée et sans se disperser, il était à la longue à la hauteur de toute opposition.

Rudolf Steiner avait déjà réfléchi à l'attitude à adopter face à l'adversité l'année précédente, lorsque les conditions des années 1919-22 avaient entraîné une augmentation constante des attaques et que toujours de nouveau, en partie aussi

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de ses propres rangs, a été contraint de s'opposer à ces attaques perpétuelles par une telle défense justement, a déclaré que ce serait la plus grande erreur s'il s'y laissait prendre. Car c'est précisément la tendance cachée, mais consciente, des forces maléfiques à l'œuvre derrière cette opposition, de vouloir entraîner le chercheur de l'esprit dans des affrontements négatifs permanents, des défenses et des défenses, afin de l'empêcher de faire de la recherche spirituelle, du travail positif et fructueux. Lui-même ne tomberait pas dans ces pièges, mais poursuivrait imperturbablement son propre chemin. Bien sûr, il y a des moments décisifs où il s'agit d'ôter de toutes ses forces le masque de cette opposition et de rendre visible ce qui se cache derrière. Il faut alors le faire avec clarté et cohérence, mais au niveau spirituel. Mais il ne s'est jamais laissé contraindre à l'entraîner continuellement dans cette sphère de défense et d'attaque.

En effet, face à un certain type d'adversaires de bas niveau, Rudolf Steiner a utilisé une fois, alors qu'il devait être poussé à une confrontation procédurale avec de telles personnes, une comparaison drastique mais pertinente : un humain qui, lors d'une promenade, entre par mégarde en contact avec un objet naturellement sale, par exemple un cochon, ne va pas pour autant poursuivre le cochon, car il ne peut pas être autrement que sale par nature. Il faut l'accepter comme un fait et éviter tout contact ultérieur dans la mesure du possible.

Et en ce qui concerne le reste de l'opposition, il dit encore une fois dans sa conférence de février 1923 :

"Une grande partie des opposants est en fait constituée de telle sorte qu'elle vit dans des contextes de vie très précis. Elle a par exemple étudié ici ou là telle ou telle chose ; il est d'usage de penser de telle ou telle manière sur telle ou telle chose ; du fait qu'elle doit penser de telle ou telle manière, elle doit devenir un adversaire de l'anthroposophie. Elle ne sait pas du tout pourquoi elle doit le devenir, mais elle doit le devenir parce qu'elle est inconsciemment attachée à ce qui l'a élevé, à ce qu'elle a vécu ; c'est ainsi qu'il en est intérieurement. - Extérieurement, il est évident que pour la prospérité ou la ruine de ce qui a été fondé avec la société anthroposophique, de tels adversaires doivent être écartés du champ de la manière correspondante.

Mais les personnalités dirigeantes de l'opposition savent très bien ce qu'elles veulent. Car parmi eux se trouvent ceux qui connaissent bien les lois de la recherche spirituelle - même si c'est d'un autre point de vue que celui de l'anthroposophie - et qui savent que le meilleur moyen est de bombarder continuellement celui qui a besoin de calme pour faire des recherches spirituelles d'écrits et d'objections adverses, afin qu'il soit détourné de sa recherche spirituelle. Car ils savent très bien que la réfutation permanente des adversaires ne peut pas s'accorder avec la recherche spirituelle. Ils veulent vous jeter des bâtons dans les roues en vous opposant ces choses. Ces gens, qui savent en fait ce qui est important, ne se soucient pas tant de ce qui est écrit dans les livres de leurs adversaires, mais que ces livres soient jetés à la tête du chercheur de l'esprit. Et ils tiennent particulièrement à ce que, par le biais de

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ruses et de moyens similaires, ils le contraignent à se défendre lui-même. Ces choses doivent tout de même être considérées en toute objectivité".

A cet égard aussi, Rudolf Steiner invitait donc à reconnaître et à éviter le manque de discernement et donc les réactions erronées qui s'étaient produites en maints endroits au cours des années précédentes.

Lorsque, lors d'un débat sur cette question, quelqu'un fit remarquer le danger de destruction du mouvement par l'opposition, il répondit :

"On a dit que le mouvement anthroposophique pouvait être détruit par les opposants. Il ne peut pas l'être. Les adversaires peuvent constituer le plus grand danger pour la société anthroposophique, pour moi-même personnellement, etc. etc. Mais le mouvement anthroposophique, il ne pourra lui être fait aucun mal, il pourra tout au plus être arrêté par les adversaires".

Il savait que l'essence "anthroposophie" était suffisamment liée aux forces de la sphère terrestre pour que les adversaires puissent certes l'entraver et la combattre, mais jamais l'empêcher de progresser vers l'avenir.

Après avoir effectué, lors de ces conférences de fin janvier à février 1923, avec amour et sérieux, sans compromis et de manière conséquente, une sorte de nettoyage général de la sphère des forces au sein du mouvement et vis-à-vis de l'opposition, il pouvait maintenant se consacrer entièrement aux grands actes qui ouvraient une nouvelle ère de l'évolution et qui étaient prédestinés à l'année 1923. Avant les impulsions annonçant les futures tâches ésotériques du mouvement qu'il donna à Dornach à Pâques et à Noël 1923, il introduisit ces nouvelles étapes de développement dans les conférences du soir de Dornach de février et mars 1923, dans lesquelles il parla d'abord des transformations historiques de l'activité spirituelle des anciens lieux de mystères aux centres de travail spirituels actuels ; sur les impulsions morales qui, en tant qu'actes d'entités spirituelles, se répercutent dans cette évolution et jusque dans l'organisation psycho-corporelle de l'être humain ; sur le renversement de la situation spirituelle de l'être humain vis-à-vis de l'univers depuis le tournant du siècle et sur la création d'un nouveau monde au XXe siècle, la création d'une nouvelle unité entre la science, l'art et la religion. Il est caractéristique qu'à cette époque, consacrée à la création d'une nouvelle harmonie de la vie communautaire, Rudolf Steiner se soit particulièrement tourné, dans la thématique de ses conférences, vers les lois spirituelles de la musicalité. Ainsi, dans les conférences des 7 et 8 mars à Stuttgart, il donna deux conférences fondamentales pour l'essence et l'exercice de la musicalité sur "L'expérience sonore de l'humain" et mena ensuite ces réflexions jusqu'aux sources ésotériques de l'harmonie et de la musicalité dans l'organisme global de l'univers dans la conférence de Dornach du 16 mars sur "Le monde des hiérarchies et le monde des sons".

Même pour celui qui a pu observer l'inépuisable diversité du savoir et du savoir-faire de Rudolf Steiner dans tant de domaines, c'est à nouveau une expérience d'émerveillement que de voir comment, dans ces conférences, il dominait de la base l'essence, l'histoire,

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la thématique et la technique de la création musicale et maintenant aussi pour la musique, donnait le matériel de connaissance pour les récepteurs et les interprètes dans ce domaine. Il a tout d'abord donné un aperçu des étapes concrètes de l'évolution de l'expérience sonore humaine au cours de l'histoire*, par exemple des transformations structurelles de l'humanité par le passage de l'expérience de la quinte à celle de la tierce, à la sensation de l'octave. Il a ensuite expliqué comment, au cours de l'évolution, de telles métamorphoses de l'expérience musicale étaient liées à la formation de l'organisation spirituelle et de la conscience-Je de l'humanité et a aussi caractérisé les influences sur l'humain nerveux, l'humain rythmique et l'humain des membres. Il expliqua leur importance dans la pédagogie pour les différentes classes d'âge, les bienfaits des ambiances majeures et mineures pour les forces de l'âme de l'humain en devenir, et montra aussi aux musiciens créatifs la voie à suivre pour trouver à notre époque, grâce à la formation des forces de l'imagination, de l'inspiration et de l'intuition, l'accès aux sphères spirituellement productives du musical, à la source originelle de la composition.

Dans sa conférence de Dornach du 16 mars, il a aussi rappelé comment, aux premiers stades de l'évolution de l'humanité, "l'expérience musicale coïncidait avec une expérience directement religieuse", qu'à l'époque, il y avait encore une conscience de la manière dont l'action de la divinité, des hiérarchies , s'exprimait dans l'expérience de la septième, de la quinte, de la tierce, etc. comment les humains vivaient alors encore les "acclamations cosmiques des dieux" et les "lamentations cosmiques des dieux", comment cette activité hiérarchique dans les sphères cosmiques s'est imprimée dans l'organisation humaine au cours des âges. Et comment l'humain, qui a de plus en plus perdu cette expérience au cours du siècle dernier et qui risque donc de devenir improductif dans le domaine musical, peut à nouveau se relier consciemment à ces sphères par la connaissance et la formation spirituelles. Ici aussi, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à l'étude personnelle de toutes les idées créatives contenues dans ces conférences et dans celles consacrées au même thème (voir aussi p. 83, 264, 267). De telles suggestions de Rudolf Steiner sont aujourd'hui déjà à l'origine d'un grand nombre d'élèves musiciens qui ont offert à notre époque une multitude de compositions de grande valeur.

En plus de ces conférences menant à la sphère lumineuse du musical, il a aussi parlé à Dornach, ces dernières semaines, du pôle opposé de telle

* Rudolf Steiner : "Das Ton-Erlebnis des Menschen" (L'expérience sonore de l'homme), "Das moralische Erleben der Farben- und Tonwelt" (L'expérience morale du monde des couleurs et des sons), "Die Welt der Hierarchien und die Welt der Töne" (Le monde des hiérarchies et le monde des sons) ; voir aussi : Dr G. Wachsmuth : "Die ätherische Welt in Wissenschaft, Kunst und Religion" (Le monde éthérique dans la science, l'art et la religion) chap. X, "Mysterien- und Geistesgeschichte" (Histoire des mystères et de l'esprit) chap. IX ; Walter Blume : "Musikalische Betrachtungen im geisteswissenschaftlichen Sinne (Considérations musicales dans le sens spirituel-scientifique)" ; Prof. Hermann Beckh : "Das geistige Wesen der Tonarten (L'être spirituel des sortes de son )" ; Dr. H. E. Lauer : "Die Entwicklung der Musik im Wandel der Tonsysteme (L'évolution de la musique dans la transformation des systèmes de son)" ; H. Ziemann : "Polaritäten-Metamorphose in der Tonskalen-Bildung (Métamorphoses de polarité dans la formation d'échelles de sons)", Gäa-Sophia, vol. II ; Erich Schwebsch : "Anton Bruckner. Ein Beitrag zur Erkenntnis von Entwicklungen in dcr Musik (Une contribution à la connaissance de l'évolution de la musique)" ; A. G. Huber : "Auf den Geisteswege von (Sur le chemin spirituel de) Joh. Seb. Bach et L. van Beethoven" ; entre autres.

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harmonie dans le cosmos, sur les phénomènes de décadence et de destruction dans l'organisme de l'humain et dans les règnes de la nature. Il illustra comment, par la matérialisation du langage, l'humain s'isole de plus en plus des puissances spirituelles qui étaient et sont toujours actives dans le langage. Il a aussi décrit la nature de la dysharmonie dans les règnes inférieurs de la nature, a parlé par exemple des effets des plantes toxiques, de leur influence sur l'organisation humaine et dans l'art de la guérison, et a ensuite mené cette vue d'ensemble jusqu'à la compréhension du danger qui menace l'ensemble de l'organisme de la Terre dans son évolution future par l'intellectualisme étranger à l'esprit de l'homme terrestre actuel. L'aperçu de l'imbrication intime de tous ces phénomènes, des actes des dieux et des humains, a donné à celui qui a écouté ces conférences et les a assimilées une conscience de responsabilité qui s'est orientée avec la même intensité vers l'intérieur et l'extérieur.

Fin mars, Rudolf Steiner se rendit une nouvelle fois de Dornach à Stuttgart pour participer, du 25 au 29 mars, à un "congrès artistique et pédagogique" de l'école Waldorf libre, auquel il contribua lui-même par deux conférences du soir sur "Pédagogie et Art" et "Pédagogie et Morale", et par des mots d'introduction à une soirée de récitation de Mme Marie Steiner, ainsi qu'à une représentation d'eurythmie pour adultes et à une représentation d'eurythmie pour enfants.

Comme symptôme caractéristique pour rappeler les conditions extérieures de l'époque, il convient de mentionner qu'à cette époque, le glissement de l'environnement dans le chaos économique était déjà si avancé qu'un billet d'entrée pour de telles manifestations devait être estimé à 5000 marks, un billet d'entrée pour une représentation artistique à 300-1000 marks. Peu de temps après, en juin 1923, un cours d'eurythmie coûtait déjà 60 000 marks, et ainsi de suite, et la chute dans l'abîme était évidente. L'humanité se trouvait alors à un stade où la dysharmonie, le chaos et l'incapacité à maîtriser la vie devenaient les dominantes de l'époque.

C'est pourquoi il était tout à fait judicieux et opportun que Rudolf Steiner, à Pâques 1923 à Dornach, ramène la conscience des humains qui voulaient entendre à ce noyau ésotérique et la concentre là où elle pouvait se renforcer et se consolider à la source originelle, et qu'au lieu de se perdre dans le chaos d'un environnement fragmenté, ils pouvaient recevoir cette "communion spirituelle" avec les puissances créatrices qui avaient construit et guidé avec sagesse le monde cosmique et terrestre, jusqu'à ce que l'humain s'isole d'elles dans son aveuglement. Il avait parlé de cette communion spirituelle comme d'un acte ésotérique de l'humain se formant lui-même et se reconnectant avec le monde spirituel par ses propres forces lors de sa dernière conférence dans le premier bâtiment du Goetheanum à Noël dernier (voir page 502). Or, à Pâques, l'idée de la résurrection devait être vécue, non seulement par tradition, comme consolation de la foi, ou par habitude de fêtes annuelles qui laissaient intacte la vie du reste de l'année, mais comme

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une pensée de la résurrection qui s'enracine dans la connaissance de la sagesse du divin et de son œuvre vivante, la nature et l'humo, et qui peut donner l'impulsion à une action conforme à l'esprit. Les conférences de Pâques de Dornach de l'année 1923 étaient consacrées au thème : "Le cycle annuel et les quatre grandes périodes de fête de l'année".

Ces conférences, qui ont fait passer l'inauguration du culte spirituel des saisons de fête au Goetheanum à un nouveau stade de développement, partaient de la considération du cours de l'année comme un puissant "processus de respiration de la terre", spirituel et organiquement vivant, et ont conduit, à partir de cette compréhension, à un culte des fêtes annuelles qui donnera la force intérieure et la direction spirituelle à la structure sociale fondée sur l'esprit du cours de la vie future, afin d'introduire peu à peu, dans la dysharmonie de l'environnement, l'harmonie et l'objectif de la direction spirituelle du monde. Nous ne pouvons ici qu'évoquer en quelques points la substance de la connaissance et l'action ésotérique de ces conférences de Pâques de Dornach, mais elles sont aussi devenues accessibles à l'étude depuis lors. Rudolf Steiner partait à nouveau de processus naturels observables pour ensuite dévoiler le spirituel qui se manifeste en eux. Goethe avait déjà parlé de manière allusive d'une "respiration de la terre" et Rudolf Steiner s'est penché concrètement sur les rythmes et les forces qui se manifestent dans cet énorme processus de respiration. Nous avons déjà mentionné les premiers pas de connaissance sur ce chemin dans ce qui précède (voir page 348) et c'est pourquoi nous abordons ici directement les processus dans le monde élémentaire et cosmique-spirituel que les humains, dans la sagesse originelle des époques passées, associaient aux saisons de consécration et de fête au cours de l'année. Les solstices d'été et d'hiver n'étaient pas seulement pour eux un problème astronomique extérieur, mais ils connaissaient les subtiles transformations matérielles, psychiques et spirituelles qui s'opèrent dans la nature et dans l'humain à ces moments de l'année. La recherche spirituelle d'aujourd'hui peut à nouveau accéder à ces subtils changements dans la structure de l'âme. Alors qu'en été, la terre a rayonné ses forces dans l'environnement, les a expirées, et a ainsi provoqué la plénitude des phénomènes végétatifs, en hiver, elle les retire à nouveau dans la terre protectrice, les concentre à l'intérieur et retient son souffle au plus profond de l'hiver, avant de recommencer au printemps le processus d'expiration, le rayonnement*. Rudolf Steiner décrivit alors l'intuition pleine de sagesse qui, en ces temps plus clairvoyants, avait conduit à placer la fête de la Nativité précisément à la saison où la terre retient pour ainsi dire son souffle, où elle est concentrée dans son être propre :

C'est le moment où l'on place à juste titre la naissance de Jésus, parce que la Terre est alors en quelque sorte en possession intérieure de toute la force de son âme. Et en naissant à ce moment-là, Jésus est né d'une force terrestre qui a fait naître tout le psychisme/ce qui est d'âme de la Terre

* Rudolf Steiner : "Le cycle annuel et les quatre grandes périodes de fête de l'année" ; voir aussi à ce sujet : G. Wachsmuth : "Les forces éthériques de l'image dans le cosmos, la terre et l'homme".

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porte en elle. Et c'est un sens profond qu'ont, à l'époque du mystère du Golgotha, les initiés qui étaient encore dignes de l'ancienne initiation, un sens profond que ces initiés ont lié à la vision qui fait tomber la naissance de Jésus dans ce moment d'inspiration terrestre, de retenue du souffle terrestre".

A l'époque de l'apparition du Christ, "une grande métamorphose spirituelle et d'âme traversa tout l'univers des mystères" et transforma les anciens cultes, célébrations et actes de consécration. Alors qu'à l'époque précédente, le moment propice pour la liaison cultuelle avec les puissances essentielles du monde se lisait dans les constellations du soleil, de la lune et des étoiles, à l'horloge universelle, on savait désormais que ces puissances et forces créatrices étaient également liées à la Terre elle-même, et les périodes de fête du cœur de l'hiver et du printemps devinrent, à partir de la vision de processus spirituels réels, la célébration annuelle de la naissance du Christ à Noël et de la résurrection à Pâques. On reconnaissait "la signification cosmique de la naissance de Jésus", on savait que "si Jésus naît, il naît à une époque où la terre ne parle en quelque sorte pas avec les cieux, où la terre est entièrement repliée sur elle-même avec son essence". Mais lorsque, à l'époque de l'équinoxe de printemps, avec l'ascension de l'orbite solaire, "les forces de l'âme de la terre se déversent dans le cosmos", lorsqu'elles se préparent "à recevoir ce qui est solaire", c'est le temps de la résurrection, de la fête de Pâques. Lorsqu'en juin, au solstice d'été, les forces terrestres sont entièrement expirées dans l'immensité, lorsque "l'âme de la terre est imprégnée de la force du soleil, de la force des étoiles", c'est le temps de la consécration de la fête de la Saint-Jean. Et l'inspiration, la concentration des forces terrestres en automne conduit à nouveau à ce moment du cycle annuel où la conscience de l'humain s'associe chaque année à l'événement de la naissance de l'enfant Jésus sur terre.

En raison des changements qui se sont produits dans le domaine des mystères et de la connaissance de l'esprit au cours du dernier tiers du siècle dernier et que nous avons présentés dans ce qui précède à l'aide des conférences de Rudolf Steiner (cf. pages 335, 385/86), la tâche de reconnaître et de réaliser l'aspect contemporain de l'introduction d'une nouvelle fête annuelle, l'inauguration de la fête de Saint-Michel à l'automne, cette fête qui inscrit et consacre chaque année la défaite du dragon par l'archange Michel dans les grands rythmes du cours de l'année comme un événement touchant le cosmos, la Terre et l'humain. - Rudolf Steiner a ensuite décrit en détail comment, dans la polarité de l'été et de l'hiver, l'union avec la force du Christ à Noël s'oppose à la menace de domination des puissances ahrimaniennes hostiles au Christ qui, en été, c'est-à-dire dans ces périodes du cycle annuel où la terre s'abandonne entièrement au naturel et au végétal, déploient aussi pour l'humain leur surpuissance menaçante. Lorsque cette sagesse originelle parlait du combat de Michel contre le dragon, elle faisait allusion à la victoire que cette entité de Michel avait remportée autrefois sur

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les hordes ahrimaniennes. Dans des conférences antérieures, Rudolf Steiner avait présenté cet événement dans les mondes spirituels, qui s'était déroulé avant le tournant du siècle, et il montrait maintenant comment, dans le grand rythme du cours de l'année, dans le processus de respiration de la Terre, l'heure d'automne est l'heure juste pour diriger la conscience dans une consécration festive sur cet acte de Michaël. Car c'est cette puissance mondiale qui vainc les puissances ahrimaniennes surpuissantes pendant l'été et qui est en même temps appelée à préparer la liaison avec la force du Christ que l'humain fait ensuite resplendir en lui au temps de Noël et de Pâques. C'est donc surtout à l'automne que la force du Christ vient au secours de l'humain, que la Terre doit être purifiée des forces contraires et que l'espoir de vivre le Christ doit s'affermir en l'humain. C'est pourquoi le fait que la période autour du 29 septembre, à l'équinoxe d'automne, soit depuis toujours consacrée au nom de Michel, est à nouveau un signe de la teneur spirituelle de l'ancienne sagesse. Rudolf Steiner a résumé ce rythme sacré du cours de l'année, qu'il a expliqué en détail jusque dans tous ses événements naturels et spirituels, par les mots suivants :

"Jusqu'à présent, la Saint-Michel/le jour de Michel est une fête paysanne - vous savez quel sens j'y attache - une fête d'humains simples. Elle est appelée à devenir de plus en plus la fête complémentaire de la fête de Pâques, à partir de la reconnaissance de tout le sens de la respiration annuelle terrestre et cosmique. Car c'est ainsi que l'humanité, qui comprendra à son tour la vie terrestre dans le sens spirituel, devra un jour penser.

Pendant l'expiration de l'été, la terre est ahrimanisée. Malheur si la naissance de Jésus tombait dans cette terre ahrimanisée ! Avant que le cycle ne soit à nouveau achevé et que le mois de décembre ne s'approche, ce qui permettra à l'impulsion du Christ de naître dans la terre pénétrée, la terre doit être purifiée du dragon, des forces ahrimaniennes, par des forces spirituelles. Et la force de Michael doit s'unir à ce qui afflue en tant que respiration terrestre depuis la période de septembre jusqu'à la période de décembre, la force de Michael purificatrice, celle qui vainc le mauvais ahrimanien, doit s'unir à elle, afin que la fête de Noël puisse s'approcher de la bonne manière, et que la naissance de l'impulsion du Christ puisse s'accomplir de la bonne manière, laquelle continuera ensuite à mûrir jusqu'à la période de Pâques".

Ainsi, la force de Michael est au service de la force du Christ. Et l'humain d'aujourd'hui peut, par le service de consécration humaine dans le culte des fêtes annuelles, se mettre consciemment, chacun par ses propres moyens, au service des puissances spirituelles dirigeantes qui façonnent le destin terrestre et le destin humain.

Après ces exposés sur Pâques, Rudolf Steiner a abordé l'histoire des cultes qui étaient liés aux fêtes annuelles dans les époques précédentes. Il a dévoilé le sens qui, dans les temps les plus reculés, sous-tendait ces coutumes populaires tirées des secrets de la nature, comme le lancer de runes, les devinettes, la fonte de plomb, etc. à l'époque de l'automne et de l'hiver, des coutumes qui provenaient naturellement d'un tout autre niveau de conscience que celui d'aujourd'hui. Il a ensuite parlé de la sagesse transmise lors de l'initiation aux mystères chthoniens de l'Antiquité, qui était encore au courant des secrets de l'hiver, qui savait encore comment, en cette période hivernale

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2ème semestre


1922 < .......1923....... > 1924

Replacer dans son contexte