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Collection: 09 - Nationalisme et âmes de peuple
Sujet : Culte au lieu de langue et mémoire - conversation à la place du sang
 
Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes GA257 109-119 (1989) 27/02/1923
Traducteur: Marcel et Henriette Bideau Editeur: EAR

 

Former une communauté ! Il est au plus haut point curieux que la formation d'une communauté apparaisse comme un idéal à l'époque présente tout particulièrement. D'un sentiment élémentaire et profond dans bien des âmes naît aujourd'hui l'idéal d'un rapport bien déterminé de personne à personne, joint à l'impulsion d'agir en commun. Il y a un certain temps, un groupe de jeunes théologiens qui s'engageaient dans la voie du pastorat vint me trouver ; ils étaient poussés avant tout par la recherche d'une rénovation religieuse, d'une rénovation qu'anime profondément la véritable force du Christ, une rénovation religieuse qui puisse au temps présent saisir de nombreuses âmes comme elles veulent l'être, mais comme il n'est pas possible qu'elles le soient dans le cadre des confessions traditionnelles actuelles. Et j'ai dû prononcer une parole qui me paraît d'une extrême importance pour le développement de ce courant de rénovation religieuse :
Il faut, ai-je dû dire, chercher dans le juste esprit à fonder une communauté, chercher à introduire dans l'action sur le plan religieux, sur le plan de l'assistance aux âmes, ce qui peut unir l'être humain à l'être humain. — Et je dis aux amis qui étaient venus me trouver : Avec des mots abstraits, avec le sermon au sens ordinaire du terme, avec les rites pauvres du service divin qui se sont encore maintenus dans telle ou telle confession, on ne peut pas créer de communauté sur le terrain religieux. Tout ce qui, dans le domaine de la religion également, tend de plus en plus vers l'intellectualisme, a eu pour effet qu'un nombre non négligeable des sermons que l'on entend aujourd'hui sont entièrement imprégnés d'un élément rationaliste, intellectuel. Ce qui aujourd'huiest offert aux hommes ne les lie pas les uns aux autres, mais les isole au contraire ; leur communauté sociale est atomisée. Et ceci doit paraître compréhensible à quiconque sait que ce qui relève de la ratio, de l'activité intellectuelle, chaque individualité humaine [ ] pour peu que j'aie atteint un certain niveau de formation dans mon développement, je peux, sans m'appuyer sur d'autres, acquérir des connaissances intellectuelles et les parfaire toujours davantage.[Penser, on peut le faire seul, tout comme on peut pratiquer seul la logique ; et peut-être même le fera-t-on d'autant mieux qu'on le fera seul. On a même le besoin de se retirer du monde le plus possible, et aussi du monde des humains, lorsqu'on se cantonne dans la pensée strictement logique. Mais l'homme n'est pas seulement prédisposé à cet isolement. Et si je me propose aujourd'hui d'essayer de rendre clair sous forme imagée, non pas intellectuelle, ce qui, dans les profondeurs du cœur humain, est en quête de la vie en commun, je suis obligé de le faire parce que nous vivons dans la période de transition qui mènera au développement de l'âme de conscience dans la nature humaine, parce que notre vie doit devenir de plus en plus consciente. Plus consciente ne veut pas dire plus intellectuelle. Cela signifie que l'on ne peut plus en rester à vivre les choses au seul niveau de l'instinct. Sur le terrain de l'anthroposophie précisément, il faut essayer de faire en sorte que ce qui a été élevé au niveau de la conscience claire soit néanmoins présenté avec toute la richesse de la vie élementaire,avec une plénitude, aimerais-je dire, du même ordre que celle qu'inspirent à l'âme humaine la perception et les sensations naïves. Il faut y arriver.

Or, il existe dans la vie une sorte de communauté qui est évidente pour tout le monde et qui, sur toute la surface du globe, montre que les humains sont faits pour la communauté. Une communauté sur laquelle, partout, dans la vie culturelle et même politique et économique, on attire aujourd'hui l'attention, mais le plus souvent d'une manière fort nocive, dont il y a cependant des enseignements à tirer, même s'ils sont sommaires.

Dans les premières années de sa vie, l'enfant est introduit dans une communauté humaine réelle et concrète, sans laquelle il ne pourrait pas vivre. C'est la communauté du langage humain. Je dirais que dans la langue nous avons la forme de communauté que la nature place devant notre regard intérieur. C'est par la langue, et en particulier par la langue maternelle, qui est comme inoculée à l'être humain tout entier dans le temps où le corps éthérique de l'enfant n'est pas encore né, que le premier facteur de communauté vient à son contact. La faute en est seulement au rationalisme de notre époque si la langue est perçue dans l'éclairage de l'agitation politique, et si on l'utilise comme critère d'appréciation des différentes nationalités ; cependant que d'autre part on ne tient aucun compte des aspects psychiques profonds, et des prodigieuses valeurs de destin et de karma qui sont liées à la langue et à son génie ; alors que c'est à partir de la langue que l'homme, de par les dispositions mêmes de sa nature, aspire de toutes ses forces à la communauté. Que serions-nous si nous devions croiser notre semblable sans rencontrer en lui, exprimée par des sons, la même vie de l'âme, dans un mot rendant le même son dans sa bouche que dans la nôtre, un mot dans lequel nous aussi pouvons mettre cette vie de l'âme qui est la nôtre ? Il suffit que chacun d'entre nous fasse un modeste effort pour se connaître, et nous atteindrons alors à ce qu'ici je ne peux pas développer faute de temps ] je veux dire à une vue globale de cette première communauté humaine élémentaire que nous devons à la langue.

Mais il est quelque chose de plus profond encore, bien que moins souvent manifeste dans la vie que le langage humain. La langue est certes quelque chose qui, à un certain niveau superficiel, unit les hommes entre eux en une vie commune ; mais elle ne pénètre pas très profondément dans les zones secrètes de la vie psychique. Dans la perspective de la vie terrestre, nous remarquons à certains moments la présence d'un élément formateur de communauté autre que la langue, et qui la dépasse. Celui-là l'éprouve qui retrouve plus tard dans la vie — si le destin l'a prévu - d'autres êtres qu'il a connus étant enfant. Imaginons le cas idéal suivant : le destin fait que quelqu'un, à un âge avancé, se retrouve avec trois, quatre ou cinq compagnons de jeunesse, des amis d'enfance, peut-être dans sa 40e ou sa 50e année, des compagnons qu'il a perdus de vue depuis des dizaines d'années, mais avec lesquels il a peut-être vécu le temps qui s'écoule entre la dixième et la vingtième années. Supposons entre ces êtres l'existence de bonnes relations humaines, des relations fécondes imprégnées d'affection, évoquons en pensée ce que cela signifie lorsque de tels êtres sont visités par les souvenirs de ce temps d'enfance vécu en -commun. Or, le souvenir se situe à un niveau plus profond que celui de la, langue. Et les âmes résonnent plus intimement à l'unisson lorsque le pur langage des souvenirs peut unir deux êtres, ne serait-ce que pour une brève rencontre. Et ce ne sont certainement pas les faits en soi seuls qui, en resurgissant, relient une âme à l'autre — ceux qui ont de l'expérience dans ce domaine le savent — lorsque se répand dans les âmes cette extraordinaire intimité, cette profondeur, qui peuvent apparaître dans un cas idéal comme celui que je viens d'imaginer. C'est quelque chose de tout autre. Ce n'est pas le contenu concret qui meuble les pensées du souvenir, c'est un vécu entièrement indéterminé et cependant bien déterminé, un vécu commun à ces âmes, c'est la résurrection de mille et un petits faits vécus en commun, mais qui se fondent en une totalité ; et ce qui éveille cette expérience globale, c'est tout ce qui vient de l'autre âme participant au souvenir commun.

Ainsi se présentent les choses dans la perspective de la vie terrestre. Et c'est en prolongeant le cheminement de cette réalité psychique jusque dans le spirituel que j'ai dû parler comme je l'ai fait à l'époque aux théologiens de nos amis venus me trouver dans l'intention que l'on sait. Je leur ai dit : Si, travaillant au renouvellement de la religion, on veut qu'apparaisse une véritable communauté, on a besoin d'un culte applicable à l'époque présente et qui lui soit adapté. Vivre ensemble le culte, cela apporte quelque chose qui dans l'âme suscite le sentiment de la communauté de par sa propre nature seule. Et le mouvement de rénovation religieuse a compris cela, il a adopté ce culte, et je crois que c'était un mot lourd de sens que celui qu'a prononcé ces jours-ci, en ce même lieu, le Dr. Rittelmeyer lorsqu'il a dit : C'est de cet aspect de la formation de la communauté que naîtra peut-être pour le mouvement anthroposophique l'un des plus grands dangers qui puissent venir du mouvement de rénovation religieuse ; car dans ce culte, il y a un élément d'une extrême importance susceptible de former une communauté. Ce culte lie les êtres les uns aux autres. — Et en fait, qu'est-ce donc qui lie ainsi les êtres entre eux ? Qu'est-ce qui, avec des individus qui ont été désunis par l'intellectualisme, par la logique, reconstitue une communauté et la fondera à coup sûr ? C'est à cela manifestement que M. Rittelmeyer pensait en disant : Il y a là le moyen de fonder une communauté. Mais comme de son côté la Société Anthroposophique tend à former une communauté, il faudra qu'elle trouve le moyen qui lui soit adéquat si elle veut éviter qu'un certain danger la menace du côté du mouvement de rénovation religieuse.

Et maintenant, quel est dans la nature même du culte, tel notamment qu'il a été établi dans ce but pour le mouvement de rénovation religieuse, le secret de ce qui engendre la communauté ? Ce qui s'exprime dans les formes du culte, qu'elles soient données dans la cérémonie ou dans les paroles prononcées, c'est un reflet d'expériences réelles ; certes d'expériences faites non pas sur cette terre, mais dans le monde que l'être humain traverse au cours de son existence pré-terrestre, lorsqu'il se trouve dans la seconde partie du chemin entre la mort et une nouvelle naissance ; des expériences tirées du monde qu'il traverse à partir du minuit de l'existence entre la mort et une nouvelle naissance, durant la descente vers la vie terrestre. Dans le domaine que l'homme traverse alors se trouve le monde, résident les événements, les substantialités (Wesenhaftigkeiten) qui trouvent dans les formes authentiques et vraies du culte un véritable reflet. Qu'éprouve donc alors celui qui participe au culte en même temps que l'être vers lequel un karma quelconque l'a conduit ? — et le karma est si complexe que nous sommes pleinement autorisés à supposer qu'il intervient partout où quelque chose nous fait rencontrer d'autres êtres. L'un vit avec l'autre des souvenirs communs de leur existence pré-terrestre. C'est cela qui émerge des profondeurs subconscientes de l'âme. Nous avons, avant de descendre sur terre, traversé un monde, vécu un monde qui ici, dans le culte, est présent devant nos âmes incarnées sur terre. Ce sont là des attaches puissantes, c'est vraiment faire descendre non seulement les images, mais aussi les forces du monde suprasensible dans le monde sensible. Mais c'est faire descendre des forces qui concernent l'homme dans des profondeurs qui sont liées aux arrière-plans les plus secrets de l'âme humaine. Lé culte lie les êtres entre eux parce qu'il fait descendre des mondes spirituels les forces de ces mondes, parce que l'être humain a, présent dans la vie terrestre, ce qui est supra-terrestre. Il ne l'a pas présent dans un langage rationnel, lequel provoque l'oubli du monde spirituel, même dans les profondeurs inconscientes de l'âme ; il l'a devant lui dans l'image vivante, imprégnée de force, une image qui n'est pas seulement symbole, image morte, mais qui est porteuse de force, chargée de force, parce qu'il a devant lui ce qui fait partie de son environnement spirituel lorsqu'il n'est pas dans son corps physique. Un souvenir commun qui englobe tout, et qui oriente vers le monde spirituel, c'est cela qui constitue dans le culte la force créatrice de communauté.

Une force comme celle-là, la Société Anthroposophique en a besoin aussi pour qu'une communauté puisse apparaître en son sein. Mais le motif de constituer une communauté dans le mouvement anthroposophique peut être d'une autre nature que dans le mouvement de rénovation religieuse, bien que l'un n'exclue pas l'autre, qu'au contraire ils puissent subsister ensemble dans la plus belle harmonie si leur rapport est compris correctement au niveau de la sensibilité. Mais il faut justement commencer à comprendre comment un autre élément créateur de communauté peut être introduit dans la vie humaine. C'est un souvenir transposé dans le spirituel qui rayonne à nos yeux dans les formes du culte. Ces formes parlent à quelque chose de plus profond que l'intellect, elles parlent au coeur ; car le cœur, au fond, comprend le langage de l'esprit, bien que pour cette vie terrestre ce langage de l'esprit n'entre pas actuellement dans le champ de la conscience immédiate. Et maintenant, pour comprendre l'autre élément qui doit jouer le rôle correspondant dans la Société Anthroposophique, il est avant tout nécessaire que vous ne portiez pas vos regards seulement sur le mystère de la langue et du souvenir dans la perspective de la communauté, mais sur autre chose encore qui est présent dans la vie de l'homme. Considérez l'état de l'homme en train de rêver et comparez-le à celui de l'être pleinement éveillé dans sa vie diurne.[]

Le monde du rêve est un monde qui isole l'être humain pour la vie terrestre. L'être humain est seul avec le monde de ses rêves. Imaginons un être humain dormant et rêvant, d'autres êtres — dormant ou éveillés — autour de lui : les mondes qui sé trouvent dans leurs âmes n'ont rien à faire avec ce qu'il vit dans sa conscience de rêve, rien à faire avec sa conscience de rêve. L'être humain s'isole dans le monde de ses rêves, et plus encore dans celui de son sommeil. Avec l'éveil, nous entrons dans une certaine vie en commun. L'espace où nous nous trouvons, où se trouve l'autre, la sensation, la représentation de cet espace qui sont les siennes, sont aussi les nôtres. En nous éveillant au contact de ce qui nous entoure, nous entrons, dans une certaine mesure, dans la même vie de l'âme à laquelle s'éveille aussi l'autre. En sortant par l'éveil de l'isolement du rêve, nous entrons jusqu'à un certain point dans une communauté d'êtres humains de par la nature de ce lien que nous avons avec le monde extérieur. Nous cessons d'être aussi radicalement en nous-mêmes, enfermés dans le cocon, dans l'enveloppe du rêve, aussi beau, aussi grandiose, aussi riche de sens et de signification soit-il. Mais comment nous éveillons-nous ? Nous nous éveillons au contact du monde extérieur, de la lumière, du son, des phénomènes de chaleur, de tout le contenu du monde sensible, mais nous nous éveillons aussi — du moins pour le courant de l'existence quotidienne, au contact de la présence extérieure d'autrui, de son être naturel. Pour la vie courante, nous nous éveillons au contact du monde naturel. C'est lui qui nous éveille et nous fait passer de l'isolement à une certaine vie de communauté. Mais nous ne nous éveillons pas encore — et c'est là le mystère de la vie quotidienne — en tant qu'être humain au contact d'un autre être humain, de l'être intérieur le plus profond en autrui. Nous nous éveillons au contact de la lumière, du son, voire de la parole que nous adresse autrui, en ce sens qu'elle fait partie de l'être naturel de l'homme : nous nous éveillons au contact des paroles qu'il forme et qu'il profère. Nous ne nous éveillons pas au contact de ce qui se déroule dans les profondeurs de l'autre âme humaine. Nous nous éveillons au contact de l'être naturel d'autrui, nous ne nous éveillons pas, dans le courant de la vie quotidienne, au contact de son être psychique et spirituel.

Il s'agit là d'un troisième éveil, ou du moins d'un troisième état de la vie de l'âme. Par l'appel de la nature, nous sortons du premier pour nous éveiller au second. Par l'appel de l'élément psychique et spirituel, nous sortons du second au contact d'autrui pour nous éveiller au troisième. Encore faut-il tout d'abord percevoir cet appel. De même qu'on s'éveille de façon juste à la vie terrestre quotidienne par la nature extérieure, il se produit un éveil d'un degré supérieur lorsque nous nous éveillons de façon juste à l'être psychique et spirituel du prochain, lorsque nous apprenons à ressentir en nous l'être spirituel et psychique du prochain comme nous ressentons la lumière et le son dans la vie de notre âme lors de l'éveil ordinaire. Aussi belles que soient les images que nous contemplons dans l'isolement du rêve, aussi majestueuses nos expériences intérieures dans cet isolement de la conscience du rêve, nous ne pourrons tout d'abord pas les lire, par exemple, à moins que ne surviennent des états tout à fait anormaux. C'est là un rapport que nous n'entretenons pas avec le monde extérieur. Eh bien, nous aurons beau assimiler des idées aussi belles qu'on voudra, tirées de l'anthroposophie, de ce qui nous est dit là d'un monde spirituel, nous aurons beau pénétrer, en théorie, tout ce qui peut nous être dit du corps éthérique, du corps astral, etc., nous ne comprendrons pas encore de ce fait le monde spirituel. Nous ne commençons à développer les débuts d'une compréhension du monde spirituel qu'en nous éveillant au contact de l'être psychique et spirituel d'autrui. C'est alors seulement commence la compréhension effective de l'anthroposophie. Oui, notre tâche est de partir, pour la compréhension effective de l'anthroposophie, de l'état que l'on peut appeler : éveil de l'être humain au contact de l'être psychique et spirituel d'autrui. La force qui cause cet éveil, on peut la faire naître en implantant un idéalisme spirituel dans une communauté humaine. Aujourd'hui, n'est-ce pas, on parle beaucoup d'idéalisme. Mais l'idéalisme, aujourd'hui, au sein de notre civilisation, c'est une notion passablement usée. Car il n'y a véritable idéalisme que lorsque l'homme peut prendre conscience de ceci : tout comme, en établissant les formes du culte, il fait descendre un monde spirituel dans le physique, de même il élève quelque chose qu'il a perçu, qu'il a reconnu et compris dans le terrestre au niveau du spirituel, du suprasensible. Nous faisons pénétrer le supra-terrestre dans une image pleine de force lorsque nous célébrons les rites du culte. Nous nous élevons dans le suprasensible avec la vie de notre âme lorsque ce que nous connaissons dans le monde physique, nous le vivons spirituellement, comme un idéal, de telle manière que nous apprenons à ressentir que nous le vivons dans le suprasensible, nous disant alors : Ce que tu as perçu ici dans le monde des sens devient soudain vivant lorsque tu l'élèves au niveau de l'idéal. Cela devient vivant si tu le pénètres comme il convient des forces du coeur et de l'impulsion de la volonté. Si tu fais rayonner la volonté dans tout ton être intérieur, si tu y appliques ton enthousiasme, alors avec l'expérience que tu fais dans le monde sensible en le nourrissant d'idéal, tu parcours en sens inverse le chemin que tu suis en introduisant les mystères du suprasensible dans les rites du culte.
En effet, que la Société Anthroposophique soit petite ou grande, nous pouvons en un certain sens atteindre à ce que je viens de caractériser. Nous pouvons l'atteindre si nous sommes effectivement en mesure, par la force vivante que nous mettrons en/ oeuvre pour donner forme aux idées du spirituel, de faire l'expérience d'une force d'éveil, de quelque chose qui ne se contente pas d'idéaliser le vécu sur le plan sensible — cet idéal restant une pensée abstraite — mais de manière telle que l'idéal acquière une vie plus haute du fait que nous nous adaptons à sa vie, et qu'il devienne la contre-image du culte, je veux dire le sensible élevé au niveau du suprasensible. Nous pouvons y parvenir par les voies du sentiment si, partout où nous cultivons l'anthroposophie, nous avons à coeur de la pénétrer de sentiment spiritualisé ; si dès que nous ouvrons la porte menant au local — il peut être aussi profane qu'on voudra, la lecture en commun d'un texte anthroposophique le sanctifie — nous ressentons que cette porte est un seuil que nous franchissons avec respect. Et nous devons pouvoir susciter en nous le sentiment qu'il en est de même pour chacun de ceux qui s'unissent à nous pour assimiler en commun l'enseignement vivant de l'anthroposophie. Il ne faut pas seulement que ce sentiment devienne une conviction abstraite intime, mais qu'il soit vécu intérieurement si bien que, dans le lieu où nous nous livrons à l'étude de l'anthroposophie, nous ne nous contentions pas d'être assis là avec un certain nombre de personnes qui reçoivent ce qu'elles entendent ou ce qui est lu, et le transforment en leurs propres pensées, mais que par tout ce processus d'assimilation d'idées anthroposophiques, un être spirituel réel est présent dans la pièce où nous nous livrons à l'étude de l'anthroposophie. De même que, dans les rites du culte qui se déroule dans le monde sensible, les forces divines sont présentes de manière sensible, de même nous devons apprendre avec nos âmes, avec nos coeurs, par les dispositions de nos âmes, à rendre présente une véritable entité spirituelle dans la pièce où retentit la parole anthroposophique ; nous devons pouvoir disposer nos propos, nos sentiments, notre pensée, nos impulsions volontaires dans un sens spirituel, c'est-à-dire non dans un sens abstrait, mais de façon à ressentir en nous-même comme si un être planait au-dessus de nous, spirituellement et réellement présent, nous regardait des hauteurs et nous écoutait. Nous devons éprouver une présence spirituelle, une présence suprasensible qui est là parce que nous étudions l'anthroposophie. Alors toute activité anthroposophique commence à devenir une réalisation du suprasensible.
Allez dans les communautés primitives, vous verrez qu'il s'y trouve encore autre chose que le seul langage. Le langage a son siège dans l'homme supérieur. Considérez l'être humain dans sa totalité, vous trouvez ce qui, dans les communautés primitives, lie les êtres entre eux ; c'est le sang commun à tous. Les liens du sang maintiennent les humains en une communauté. Mais dans le sang vit l'âme-groupe, l'esprit-groupe, que l'on ne rencontre pas sous cette forme chez des êtres libres. Dans un ensemble d'êtres humains unis par les liens du sang a pénétré un élément spirituel commun, venant en quelque sorte d'en-bas. Là où un sang commun coule dans les veines d'un certain nombre d'hommes, un esprit-groupe est présent. Par ce que nous vivons en commun aussi, lorsque nous nous ouvrons ensemble à l'anthroposophie, peut être cultivé non pas un tel esprit-groupe de par le sang, il est vrai, mais cependant un esprit de communauté réel. Si nous sommes capables de ressentir cela, nous nous unissons, humains que nous sommes, pour former de véritables communautés. Il nous faut seulement réaliser l'anthroposophie, la réaliser en sachant faire naître dans nos communautés anthroposophiques une conscience telle que lorsque les êtres se rencontrent en vue d'un travail anthroposophique commun chacun s'éveille au contact de l'être spirituel et de l'âme de l'autre. Les humains s'éveillent au contact les uns des autres, et venant à se retrouver constamment, ils s'éveillent, chacun ayant entre temps fait d'autres expériences, ayant progressé, et se retrouvant l'un l'autre transformés. C'est un éveil au sein d'une vie germante et florissante. Et quand vous avez trouvé la possibilité pour les âmes humaines de s'éveiller les unes aux autres, et les esprits humains les uns au contact des autres, la possibilité de vous rendre dans les communautés anthroposophiques habités par cette conscience vivante : Nous nous éveillons parce que nous avons, maintenant seulement, compris ensemble l'anthroposophie — quand appuyés sur cette compréhension, vous vous ouvrez aux idées anthroposophiques avec une âme éveillée — et non pas avec l'âme de tous les jours qui dort, ignorante des réalités supérieures — alors descend sur le lieu de votre activité une spiritualité commune réelle. Sommes-nous dans la vérité, lorsque nous parlons du monde suprasensible et restons incapables de nous hisser jusqu'à atteindre à cette spiritualité réelle, d'accomplir ce culte inversé ? Nous ne sommes vraiment capables de saisir, d'appréhender le spirituel que lorsque nous en avons non seulement une idée abstraite et pouvons la formuler théoriquement, y compris pour nous-mêmes, mais que nous pouvons croire — et croire sur la base d'une foi qui démontre — que dans l'appréhension du spirituel, les esprits forment avec nous une communauté spirituelle. Vous ne pouvez pas provoquer la naissance d'une communauté anthroposophique par des institutions extérieures. Il faut qu'elle naisse des sources les plus profondes de la conscience humaine elle-même.