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Institut pour une triarticulation sociale
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Collection: 05 - LA VIE JURIDIQUE DEMOCRATIQUE
Sujet: Séparation de travail et revenu signifie aussi abolition de l'héritage et de l'intérêt sur intérêt.
 
Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes 186 046-051 (1990) 30/11/1918
Original
Traducteur: Marie-France Rouelle et Gudula Gombert Editeur: Editions Dervy

 


Il lui faut s'habiller, et ses vêtements, d'autres doivent les fournir par leur travail. Pour que je puisse enfiler une veste ou un pantalon, des hommes doivent employer leur force de travail pendant des heures afin de les réaliser. Ils travaillent pour moi. C'est de cela que je vis, pas de mon argent. Mon argent n'a d'autre valeur que de me donner le pouvoir de me servir du travail d'autrui. Et étant donné les rapports sociaux actuels, on ne commence à témoigner de l'intérêt pour ses semblables que lorsqu'on répond à cette question de façon adéquate, lorsqu'on se représente en pensée : Un certain nombre d'hommes doit travailler un certain nombre d'heures afin que je puisse vivre au sein de la structure sociale. Il ne s'agit pas de se flatter en se disant : J'aime le genre humain. On n'aime pas le genre humain lorsqu'on croit vivre de son argent et qu'on n'a pas la moindre idée de la manière dont les hommes travaillent pour nous, pour que l'on ait au moins le minimum vital.
02012 - Mais cette idée : tel nombre de gens travaillent afin que nous ayons le minimum vital, est inséparable de la suivante : nous devons en revanche rendre à la société, non pas avec de l'ar­gent, mais de nouveau par du travail, ce qui a été produit pour nous. Lorsque nous sentons l'obligation de travailler, sous quelque forme que ce soit, en compensation du travail d'autrui dont nous bénéficions, alors seu­lement nous avons de l'intérêt pour nos semblables. Donner son argent à autrui signifie seulement pouvoir le tenir en tutelle, en esclavage, pouvoir l'obliger à travailler pour vous. Ne pouvez-vous pas, à partir de votre vécu personnel, répondre vous-même à cette question : Combien d'hommes songent que l'argent n'est qu'une indication sur la force de travail humaine, qu'il n'est qu'un instrument de pouvoir? Combien d'hommes imaginent qu'ils ne pourraient même pas être là, dans ce monde physique, s'ils n'étaient redevables au travail d'autrui de ce à quoi ils prétendent eux-mêmes pour leur existence? Se sentir redevable envers la société dans laquelle on vit, c'est le début de cet intérêt qui est nécessaire pour une forme saine de la société.
02013 - Il faut bien réfléchir à ces choses afin de ne pas s'élever de manière malsaine vers des abstractions spirituelles, mais de passer sainement de la réalité physique à la réalité spirituelle. Le manque d'intérêt pour la structure sociale caractérise justement les siècles passés au cours desquels les hommes ont progressivement contracté l'habitude, dans le domaine des impulsions sociales, de ne s'intéresser qu'à leur chère petite personne. De manière détournée, chacun n'agissait plus ou moins que pour lui-même. Une vie sociale saine n'est possible que si l'intérêt que nous portons à notre précieuse personne est élargi au véritable intérêt social. Et sous ce rapport, la bourgeoisie peut en effet se poser une question : Qu'avons-nous raté?
Qu'on réfléchisse donc à la chose suivante : il existe une culture de l'esprit, il existe des oeuvres de cette culture. Prenons une chose au hasard et demandons-nous : À combien d'êtres humains ces oeuvres d'art sont-elles accessibles? Ou mieux encore : À combien d'êtres humains ne sont-elles pas du tout accessibles ? Pour combien de gens n'existent-elles pas, ces oeuvres d'art? Mais calculez aussi combien d'hommes doivent travailler pour qu'elles puissent exister. Une oeuvre d'art quelconque se trouve à Rome, par exemple. Un bourgeois quelconque peut aller à Rome. Additionnez simplement la quantité de travail devant être produite par ceux qui sont actifs, etc., etc. — le «etc.» n'a pas de fin —, afin que ce bourgeois puisse aller à Rome contempler quelque chose qui est là pour lui, parce qu'il est bourgeois, mais qui n'est pas là pour tous ces gens qui commencent aujourd'hui à faire valoir leur conception prolétarienne de la vie. C'est bien cet état d'esprit qui s'est développé au sein de la bourgeoisie, cette idée que la jouissance va de soi. Mais on ne devrait jamais considérer la jouissance comme quelque chose qui va de soi. On devrait littéralement regarder comme un péché social le fait de profiter de quelque chose sans en redonner l'équivalent à la communauté, sous la forme dont on est capable, mais sous une forme quelconque. Rien ne devrait rester inexploité pour la communauté. Il n'est pas dans l'ordre de la nature, ni dans celui de l'esprit, de priver la communauté de quoi que ce soit. Le temps et l'espace ne sont que des obstacles artificiels, ils ne sont pas des obstacles réels. Les choses dépendant du lieu où elles se trouvent peuvent être reproduites partout et ainsi être accessibles à tous. Et les choses pouvant être reproduites ne sont pas liées au lieu; elles peuvent, c'est une loi générale, être transportées n'importe où. Le fait que la Madone de saint Sixte (3) se trouve en permanence à Dresde et ne puisse être vue que par les gens pouvant se rendre dans cette ville est donc bien une idée dérivée de la philosophie bourgeoise, car ce tableau est mobile et peut être emporté dans le monde entier. Et, je ne prends qu'un exemple au hasard, ce dont l'un profite doit pouvoir en profiter aussi à un autre, on peut très bien veiller à cela.
02014 - Je prends un exemple au hasard, mais je choisis toujours des exemples qui sont valables pour tout le reste, c'est-à-dire qui éclairent parfaitement les autres choses. Vous voyez, il suffit de donner à son discours un accent comme celui-ci pour toucher à une quantité de choses auxquelles les gens n'avaient pas réfléchi plus que cela, mais qu'ils considéraient comme allant de soi. Même dans notre milieu, où les choses se conçoivent aisément, on ne songe pas toujours qu'on ne doit pas faire que profiter, mais que, pour chaque chose reçue, nous devons un équivalent à la société.
02015 - De tout ce que j'ai mentionné à partir d'exemples isolés qui pourraient être non pas multipliés par cent, mais par mille, jaillit une question : Comment les choses peuvent-elles changer si l'argent n'est en réalité qu'un instrument de pouvoir? La réponse se trouve déjà dans le principe social fondamental (4) dont j'ai parlé ici la semaine dernière. Car le propre de cette sorte de science sociale qui est puisée dans le monde spirituel est d'être aussi sûre que les mathématiques. Dans ce domaine, on ne peut pas jeter un regard dans la vie pratique en disant : Bon, vérifions d'abord si ces choses sont exactes. Non, les choses qu'à partir de la science spirituelle je vous ai présentées comme une science sociale sont à peu près comme le théorème de Pythagore). Aucune expérience ne pourra contredire que le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Il vous faudra appliquer ce principe partout. C'est la même chose avec le principe que je vous ai présenté comme étant celui de la science sociale et de la vie sociale. Tout ce que l'être humain acquiert par son travail dans le contexte social se transforme en calamité. Et le salut n'interviendra dans ce contexte que lorsque l'homme ne gagnera plus péniblement sa vie par son travail, mais que la société lui offrira d'autres sources de subsistance. Ceci contredit en apparence ce que je viens de dire, mais seulement en apparence. Car ce qui justement donnera un prix au travail, c'est qu'il ne sera plus rétribué. Séparer travail et procuration des moyens d'existence, voilà quel doit être notre but, voilà ce à quoi nous devons travailler, de manière raisonnable bien entendu, et non pas à la manière bolcheviste. Je l'ai expliqué récemment. Lorsque le travail n'est plus rémunéré, l'argent perd toute sa valeur en tant qu'instrument de pouvoir dans le travail. Il n'y a donc pas d'autre remède à l'usage abusif de l'argent que de créer une structure sociale où plus personne ne sera payé pour son travail, où l'obtention des moyens d'existence proviendra d'un tout autre côté. Il sera alors impossible de contraindre quiconque par l'argent dans le travail.
02016 - La plupart des interrogations surgissent aujourd'hui dans la confusion, et seule la science de l'esprit peut leur rendre la clarté. À l'avenir, l'argent ne doit plus être un équivalent de la force de travail humaine, mais uniquement de la marchandise morte. À l'avenir, on n'obtiendra que de la marchandise morte, pour de l'argent, mais pas de la force de travail humaine! Cela est d'une importance énorme, mes chers amis. Et maintenant, songez que c'est justement de la conception prolétarienne que naît, sous les aspects les plus divers, cette idée que la force de travail est avant tout une marchandise dans l'industrialisme moderne. C'est en effet un des principes du marxisme, un de ceux qui lui ont fait le plus de prosélytes parmi les prolétaires. Nous avons là une revendication qui, de façon confuse, embrouillée, naît du côté opposé à celui dont doit venir sa satisfaction. C'est ce qu'il y a de singulier dans les exigences sociales actuelles. Dans la mesure où elles apparaissent de manière instinctive, elles procèdent d'instincts parfaitement justes et sains, mais comme elles naissent d'une structure sociale chaotique, elles surgissent dans la confusion et mènent donc également à des confusions. Il en est ainsi dans de nombreux domaines. C'est pourquoi il est indispensable de vraiment comprendre une conception sociale telle que nous la propose la science spirituelle, car elle seule peut apporter le véritable salut.
02017 - Vous vous demanderez à présent : Oui, mais cela suscitera-t-il un changement? Prenons par exemple une personne vivant de son héritage. Elle continuera à acheter de la marchandise contre cet argent, et celle-ci renferme déjà la force de travail d'autrui. Donc, cela ne change rien, me direz-vous. Vous avez raison. Si vous pensez de façon abstraite, cela ne change rien. Mais si votre regard pénétrait les effets de ce qui se produit lorsque l'obtention des moyens d'existence est séparée du travail, vous jugeriez différemment. Car, dans la réalité, il ne suffit pas de tirer simplement des conséquences abstraites, les choses ont aussi leurs effets réels. Lorsqu'à l'avenir l'obtention des moyens d'existence sera véritablement séparée de la prestation de travail, alors en effet il n'y aura plus d'héritages. Cela entraîne une telle modification de la structure que l'on n'aura pas d'argent pour autre chose que se procurer des marchandises. Car, lorsqu'une chose est réellement pensée, elle a toutes sortes d'effet. Et cette séparation a entre autres un effet très singulier. Lorsqu'on parle de réalités, on ne peut dire par exemple : Cela, je ne le comprends pas. Vous pourriez aussi bien dire : Je ne vois pas pourquoi la morphine est soporifique. Cela ne résulte pas non plus d'un simple rapport de concepts, cela ne vous apparaît que lorsque vous suivez les effets.
02018 - Il y a dans l'ordre social d'aujourd'hui quelque chose d'extrêmement contre nature; c'est le fait que l'argent se multiplie quand on ne fait que le posséder. On le dépose dans une banque et on reçoit des intérêts. C'est ce qui peut exister de plus contre nature. C'est véritablement un parfait non-sens. On ne fait absolument rien, on dépose à la banque l'argent qu'on n'a peut-être pas acquis par son travail, mais grâce à un héritage, et des intérêts vous sont versés. Cela est un réel non-sens. Mais lorsque l'obtention des moyens d'existence sera séparée du travail, il sera nécessaire d'utiliser l'argent dans la mesure où il est là, où il est produit en équivalence des marchandises disponibles. Il devra circuler. Car l'effet réel sera que l'argent ne se multipliera pas, mais au contraire diminuera. Actuellement, quelqu'un qui possède un certain capital l'aura quasiment doublé d'ici environ quatorze années, si l'on prend le taux d'intérêt normal, et il n'aura rien fait qu'attendre. Si vous considérez le changement de la structure sociale devant se produire sous l'influence du principe dont je vous ai parlé, la quantité d'argent n'augmentera pas, mais diminuera au bout d'un certain nombre d'années; le billet de banque que j'aurai acquis au départ n'aura plus aucune valeur. Il sera dévalué et ne vaudra plus rien.
019 - Le mouvement intervenant dans la structure sociale deviendra un mouvement naturel, quand les circonstances feront que le seul argent, qui n'est rien d'autre qu'un certificat attestant que l'on a un certain pouvoir sur les forces de travail des hommes, perdra sa valeur au bout d'un certain temps, s'il n'est pas mis en circulation. Il ne se multipliera donc pas, mais diminuera progressivement et ne vaudra absolument plus rien au bout de quatorze ans ou peut-être davantage. Si vous êtes millionnaire aujourd'hui, dans quatorze ans vous ne serez pas deux fois millionnaire, mais un pauvre diable si dans l'intervalle vous n'avez fait aucune acquisition nouvelle. Lorsqu'on dit ces choses aujourd'hui, cela fait aux gens le même effet que lorsque certaines petites bêtes leur causent des démangeaisons, si je peux me permettre l'expression. Je le sais, et je n'aurais pas fait cette comparaison si je n'avais pas perçu des mouvements curieux dans l'auditoire. Mais c'est bien parce qu'on réagit ainsi aujourd'hui que le bolchevisme existe.