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Les Fondamentaux 1/4..............................................................................................suivant>

avec l'aimable autorisation de l'auteur, et du Bulletin des professionnels de la biodynamie.
Mouvement de l'agricuture biodynamique .

  



Zone de Texte: L’aspiration à la connaissance chez Rudolf Steiner  Par Antoine Dodrimont – Président de la Société Anthroposophique en France

Très tôt, le jeune Rudolf Steiner manifesta une propension particulière à connaître les phénomènes du monde qui l’entourait. Encore enfant, il put, nous dit-il dans son autobiographie, découvrir la loi de cause à effet en observant le fonctionnement d’un moulin à l’intérieur duquel il pouvait régulièrement entrer (1). Par contre, l’usine textile, dans laquelle il ne lui était pas permis de pénétrer, resta pour lui une énigme. Et il ne demanda à personne de lui en apprendre davantage à son propos. En effet, nous rapporte-t-il dans l’ouvrage précité : « J’étais persuadé qu’il était inutile de se renseigner sur un objet que l’on ne peut pas voir » (2). Avec ces deux exemples, nous pouvons constater qu’il se préoccupe de penser fondamentalement en lien avec des phénomènes observés.

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Antoine Dodrimont lors de sa conférence au congrès
de la biodynamie en novembre 2011

Ce souci de réunir l’observation et le penser vaut aussi bien pour les faits du monde sensible qu’il voit de ses yeux physiques que pour les phénomènes spirituels auxquels il nous dit avoir eu accès dès sa huitième année, lorsqu’une parente défunte lui apparut dans la salle d’attente de la gare du village où il résidait. A ce qu’il vit à ce moment, il voulut ajouter la compréhension afin de savoir comment se déroule la vie dans le monde spirituel. « Eh bien, celui qui a fait une expérience de cette nature dans sa prime enfance et qui est porté, de par la disposition de son âme, à tenter de la comprendre sait, à partir d’un événement tel que celui-ci – lorsqu’il en fait l’expérience de façon consciente – comment on vit dans le monde spirituels » (3). Cette expérience consciente consiste à chercher, par l’activité de penser, les concepts permettant d’interpréter correctement le phénomène perçu par un regard intérieur.
D’autres phénomènes spirituels lui furent dès lors accessibles comme les êtres de la nature vivant à l’arrière-plan des arbres et des montagnes, ce dont il témoigne : « le garçon vécut à peu près à partir de ce moment avec les esprits de la nature que l’on peut, à vrai dire, particulièrement observer dans une région comme celle-là, avec les entités créatrices agissant derrière les choses, de la même façon qu’il laissait agir sur lui le monde extérieur » (4). Il ne parla pas à ses proches de ses expériences spirituelles ni des questions qu’elles lui posaient. C’était parfaitement inutile, car il n’aurait pas été compris. En effet, il existait à l’époque un double refus de concevoir que la raison humaine pût, par sa propre activité, pénétrer à l’intérieur de phénomènes d’ordre supra-sensoriel. Cela venait d’un côté des Eglises qui, dans ce qu’elles disaient des mondes de l’esprit, s’appuyaient sur la révélation et la tradition. Et, d’un autre côté, se trouvait la philosophie de Kant et de ses tenants qui considéraient que la raison ne pouvait rien savoir directement de ce qui pouvait se passer au-delà de la frontière des sens et des perceptions sensorielles. Cependant, s’il ne parla pas de ses expériences, le jeune Steiner éprouva le besoin de chercher intérieurement à en comprendre le sens et même à savoir si elles en avaient un aux yeux d’une conscience humaine. Il vécut avec ce type d’interrogation jusqu’à ce qu’il découvrit une réponse par la pratique de la géométrie.
En se plongeant avec enthousiasme dans un livre de géométrie auquel il eut accès vers 9 ans, il découvrit « l’idée que l’âme pouvait ressentir des formes issues d’une contemplation purement intérieure sans avoir besoin de recouvrir à l’expérience sensible » (5). Cela voulait dire qu’il existait sur terre, dans une activité d’étude courante, un type d’expérience de nature spirituelle différente d’une expérience sensible. C’était là la justification qu’il cherchait à ses expériences spirituelles. La justification de pouvoir se « dire que l’expérience du monde spirituel n’est pas moins réelle que celle du monde sensible ». C’est ce que lui donnait la géomètrie en lui permettant d’accéder à « un savoir que l’âme seule par sa propre force peut expérimenter » (6).

Citoyen de deux mondes
Désormais, Rudolf Steiner vécut comme citoyen de deux mondes dont il faisait l’expérience et qu’il s’efforçait de comprendre par la pensée. Mais il chercha à aller plus loin. A l’adolescence naquit la question essentielle de savoir comment créer, à partir de la raison humaine, un pont entre l’expérience du monde sensible et celle du monde spirituel. Pour lui, la réponse devait venir de la façon de penser le lien entre les deux expériences, de la forme à donner à la pensée pour qu’elle soit apte à les embrasser toutes deux. C’est ce qu’il exprime dans son autobiographie : « Pour que l’âme puisse admettre l’expérience du monde de l’esprit… il est indispensable de développer une pensée capable d’accéder à l’essence des phénomènes naturels » (7). Il s’agissait dès lors de développer, d’intensifier la pensée pour qu’elle atteigne le spirituel dans tout l’univers, quelle que soit la forme dans laquelle celui-ci apparaissait à l’homme. « Je pressentais, dit-il à ce propos, que la pensée pouvait être développée et devenir une force capable d’embrasser véritablement les choses et les évènements du monde » (8).
Si la problématique était clairement posée à ses yeux, il n’en fallut pas moins de longues années pour élaborer le mode de penser adéquat. Ne trouvant pas d’éclairage ni chez Kant, ni chez d’autres philosophe fermés au domaine spirituel, il fut forcé de chercher la solution pour lui-même, dans la solitude.
C’est dans ce contexte qu’il poursuivit en parallèle des études scientifiques classiques, une formation philosophique en autodidacte et ses propres investigations du monde spirituel. Lors de ses études supérieures à l’Ecole polytechnique de Vienne, il découvrit l’œuvre scientifique de Goethe. Il vit en Goethe l’observateur génial capable de découvrir à travers les phénomènes sensibles l’idée de la plante originelle, une idée purement suprasensible. En somme, Goethe avait déjà commencé à construire le pont auquel lui, Steiner, pensait. Tout en exposant la démarche de Goethe dans l’édition de ses œuvres scientifiques, Rudolf Steiner élabora sa propre théorie de la connaissance de tous les phénomènes de l’univers, en parfait accord avec Goethe lui-même (9).


Portrait de Goethe

Une nouvelle conception de la réalité
Pour Steiner, dans l’esprit de Goethe, il s’agit toujours de partir de l’observation des phénomènes qui nous interpellent et qui nous posent question. En partant de ces questions, nous pouvons, par la pensée, chercher les concepts et les idées qui apporteront les éclaircissements souhaités. De la naîtra l’interprétation des phénomènes, qui se déroule dans la conscience de l’homme, laquelle est le théâtre où se réunissent observation et pensée.
Selon cette approche, l’être humain n’est pas un miroir qui reflète passivement le monde physique, mais un acteur essentiel de la connaissance de toutes choses. En même temps, l’idée de réalité acquiert un sens nouveau. En effet, si la réalité comprend les trois aspects considérés : les phénomènes observés, l’activité de pensée et la conscience humaine, il n’y a plus lieu de la réduire à ce qui est extérieur, visible et tangible. Dès lors, le fossé traditionnel creusé par la conscience moderne occidentale entre le monde objectif de la nature et l’homme subjectif n’a plus de sens ni de raison d’être. L’homme et la nature sont réunis, car ils participent d’un même monde unifié par l’activité pensante. Et la réalité de l’univers apparaît à la fois comme matérielle et spirituelle, objective et subjective sensible et suprasensible… Considérant que le monde ne peut être complet sans la pensée humaine R. Steiner écrit : « de quel droit décrétez-vous le monde achevé sans le penser ? Le monde ne produit-pas le penser dans la tête de l’homme avec la même nécessité que la fleur sur la plante ? Plantez une graine en terre. Elle prend racine et produit une tige. Elle se déploie en feuilles et fleurs. Placez la plante en face de vous. Elle s’unit dans votre âme à un concept déterminé. Pourquoi ce concept appartient-il moins à la totalité de la plante que la feuille et la fleur ? Vous dites : les feuilles et fleurs sont là sans sujet que les perçoive ; le concept n’apparaît que lorsque l’être humain se place en face de la plante. Très bien. Mais les fleurs et les feuilles aussi n’apparaissent sur la plante que s’il y a de la terre ou on puisse mettre la graine, s’il y a de la lumière et de l’air où des feuilles et des fleurs puissent se déployer. De la même manière, le concept de plante naît si une conscience pensante s’approche de la plante. » (10)
Une telle compréhension de la réalité a d’importantes conséquences. En réunissant ce que la science et la philosophie analytiques des temps modernes ont distingué, R. Steiner a posé un jalon pour humaniser la science, en élargir la portée dans ses objets et méthodes, et dépasser à terme la seule perspective matérialiste, qui a toute sa justification dans la monde matériel mais ne peut, elle-seule, prétendre tout expliquer.
Il a pu également promouvoir une écologie spirituelle, où la nature, abordée dans toutes ses dimensions et spécificités, fait l’objet de compréhension et de respect jusque dans les pratiques agricoles, source d’alimentation saine pour l’homme et l’animal.

Notes
(1) et (2) : R. Steiner, autobiographe, Edition anthroposophiques rormandes, 1979, t1, p. 19 et 20
(3) et (4) : R. Steiner, esquisse biographe (1861-1893), conférence du 4 février 1913, l’esprit du temps n°8 (hiver 1993).
(5) et (6) : R. Steiner, autobiographe, op.cit., p. 28 et 29
(7) et (8) : Id., p. 45 et 47
(9) : R. Steiner, une théorie de la connaissance chez Goethe, édition anthroposophiques romandes, 2000.
(10) : R. Steiner, la philosophie de la liberté, édition Novalis, 1993, p. 88-89.