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Traduction de Daniel Kmiecik, revue par FG
version allemande

Voies vers un terrain d'entente
dans le mouvement pour la Dreigliederung de l’organisme social

Christoph Strawe, Octobre 2014

paru dans Sozialimpulse 4/2014

Le fait qu’autant d’êtres humains, qui sont actifs ou bien, selon le cas, s’intéressent pour la Dreigliederung, se sont retrouvés à Stuttgart, témoigne de la volonté d’approfondir le dialogue et la collaboration entre nous. Le Forum 3, comme l’exposa notre modérateur Ulrich Morgenthaler dans ses paroles d’accueil, est « né du dialogue » et offre un cadre optimal pour notre travail.

Le titre « Questions ouvertes d’une Dreigliederung sociale » possède trois directions d’impact. Il s’agit premièrement d’aller à la rencontre de la détresse sociale du présent, des problèmes manifestes de la société mondiale du présent, qui dépendent d’un besoin de plus en plus grand de Dreigliederung sociale. Il s’agit, deuxièmement, de lutter pour la Dreigliederung, avec des questions ouvertes — questions de connaissance et controverses —. Il s’agit, troisièmement, de développer parmi nous une forme d’élaboration de ces questions ouverte aux résultats et dialogique .

Cent ans de Dreigliederung

Il y a des manifestations qui, dans le contexte temporel où elles surgissent, font saillie parmi d’autres. Ce fut le cas en 1989, lors du « Congrès de novembre » à Stuttgart, qui se situait alors 200 ans après la Révolution française et 70 ans après le mouvement populaire pour la Dreigliederung de 1919, au moment culminant du mouvement de bourversements qui eu lieu en Europe [ndtDK1]. En marge de ce congrès se fonda l’initiative du réseau Dreigliederung, qui peut à présent faire un bilan après 25 ans d’activité. Toute une série de ceux qui sont présents ici étaient déjà présents alors.

Aujourd’hui, nous nous trouvons encore devant la commémoration imminente des centenaires des mémorandums de 1917 et du mouvement populaire pour la Dreigliederung (1919). Selon l’impression que j’en avais en 1989, de telles commémorations, elles étaient censées mener à de nouvelles impulsions pour la cause, car il ne peut s’agir de tenir de simples discours de célébration. D’où l’initiative du réseau. Certainement qu’alors, nombre d’entre nous ont nourri l’espoir que les activités de Dreigliederung crussent plus fortement, que ce fut effectivement le cas, malgré tout ce qui a été fait. Souvent l’impression demeure : polyphonique, mais pas toujours harmonieuse, controverses animées, mais pas toujours dialogiques. L’écho répondant à notre invitation montre que l’impulsion d’entente sur des questions en suspens et au travail ensemble est chez nous existante comme « une vague déferlante ».

Aussi aujourd’hui vaut de nouveau que de nouvelles impulsions sont la meilleure façon de célébrer les années de commémorations qui viennent. Elles sont l’occasion d’un examen de conscience pour rendre compte de l’endroit où nous en sommes avec la Dreigliederung sociale et de demander : que devons nous faire dans les années à venir pour que notre impulsion devienne plus forte ? La réflexion en arrière sur le mouvement de 1917-1922 devrait, pour cette raison, concerner l’interrogation toute particulière de ce que nous pouvons en apprendre aujourd’hui.

Dreigliederung et première Guerre mondiale

Cette année, l’attention publique se porte sur l’éclatement de la Première Guerre mondiale, voici cent ans. Beaucoup des nombreuses initiatives de Dreigliedierung de Rudolf Steiner dépendent effectivement beaucoup de cette guerre, de son éclatement et de sa fin. La Première Guerre mondiale dépend à nouveau des amalgamations malsaines entre politique et économie, entre culture et politique, entre économie et culture, c’est-à-dire d’une absence de la Dreigliederung. Ces amalgamations ne purent être dissoutes et créèrent les foyers de conflits qui amenèrent cette guerre.

Un coup d’œil en arrière révèle que de nombreuses choses entreprises par Rudolf Steiner à cette époque-là ont encore gagné en actualité. De nombreux problèmes, auxquels l’impulsion de Dreigliederung fut une tentative de réponse, n’ont pas été résolues, bien au contraire, ils ne font que culminer : ils se chargèrent d’une nouvelle matière de conflit, d’autant que de nouveaux problèmes vinrent s’y adjoindre. Et des tendances fondamentales problématiques d’alors du développement social se sont encore renforcées.

Points angulaires et étapes de développement de la Dreigliederung sociale

Rudolf Steiner renvoyait déjà, bien avant le mouvement véritable de la Dreigliederung, à de telles tendances fondamentales. Ainsi constatait-il dans ses deux essais de 1898 « La question sociale » et « Liberté et société »( 1 )le fait d’individualisation croissante comme une tendance de base et posait la question de savoir comment dans cette condition, État et société devaient se transformer, pour pouvoir satisfaire aux exigences de l'émancipation (NDT ou majorité) et de la liberté de l’individu. Car le comportement de l’individualité et de la communauté s’inversait par rapport à celui de l’ancienne communauté, qui avait subordonné l’individu. L’individu surgissant au centre de la communauté, celle-ci doit exister pour lui et créer un espace pour son développement.

Les essais « Science de l’esprit et question sociale » de 1905/1906 complétèrent cette image : ici Steiner tourne son regard sur l’autre pôle de l’événement social et il constate qu’en effet, nous ne vivons pas seulement dans une époque d’individualisation, mais plus encore aussi dans une époque de formation de structures globales dans l’économie. Il se demande alors : comment la société doit-elle se transformer eu égard à ce réseau économique, comment doit-elle effectivement tenir compte du fait que nous dépendons tous mutuellement les uns des autres et que nous sommes de plus en plus responsables les uns vis-à-vis des autres — par les prix que nous payons, et par l’art et la manière dont nous travaillons et menons des affaires ?

Avec cela Steiner pose des points d’angle et dénomme les trois grands complexes de questions avec lesquels la Dreigliederung sociale a de tout temps à faire. Il continue alors à développer cela en les configurant dans des tentatives d’intervenir pratique dans les conditions. Cela se produit d’abord par les mémorandums de 1917, dans lesquels la Dreigliederung sociale surgit comme un programme de paix centre européen. En considération des conflits existants de peuples et groupes, il se demande ce qui doit survenir afin que des êtres humains issus de différentes ethnies, religions et autres, puissent coexister pacifiquement. On devrait d’abord libérer l’individu, lui permettre une vaste autonomie culturelle, avec cela on libère aussi les peuples. Le chemin inverse peut seulement conduire à de nouveaux conflits et de nouvelles guerres. Celui qui, dans le cadre des exigences d’un ordre de paix, placerait la solution du droit d’autodétermination des nations au-dessus de tout  — et placerait donc ainsi le droit des sujets collectifs au-dessus du droit humain individuel et de la liberté de l’individu — celui-là programmerait d’avance l’oppression des minorités.

À partir des conflits du présent se révèle l’actualité de la Dreigliederung sociale…

Tout cela est incroyablement actuel. « L’État nation doit mourir », telle est la teneur récente du titre d’un essai dans le Spiegel-online, dans lequel il est justement exposé comment l’exigence d’un droit de détermination des nations a été délibérément utilisé et le sera toujours en tant qu’instrument de dissension. Ce thème est dans la même mesure actuel en Ukraine, dans le conflit israélo-palestinien, en Syrie et en Irak : partout où des structures étatiques sont mises à profit pour des objectifs nationalistes, culturels, ou selon le cas, des buts et intérêts religieux.

Après la Révolution de novembre, on en vint, en 1919, à un mouvement populaire important pour la Dreigliederung de l’organisme social. Il est introduit par « l’appel au peuple allemand et au monde de la culture » de Steiner, dans lequel il est dit que la tâche du jour c’est de pénétrer et façonner les conditions sociales par la conscience. Si nous avons aujourd’hui, à faire à ces nombreux problèmes déjà mentionnés, cela tient à ces déficits de façonnement — dont les répercussions sont immenses et ne cessent de continuer d’empiéter.

Il est tragique qu'un mouvement, qui voit l’articulation sociale comme sa tâche, en considération de ces conflits n’ait pas grandi de manière massive et ne soit pas devenu plus fort dans ses effets. Pourtant, ce n’est pas, comme beaucoup le pensent, que tout échouât et que rien n’arrivât. Un examen précis de l’histoire de l’effet de la Dreigliederung après 1945 montre à peu près comme en de nombreux endroits des activités de la Dreigliederung ont laissé des traces derrière elles.( 2 )

Il y eut de nouvelles poussées d’activité de la Dreigliederung en 1968, 1989 et 1999. La première se trouve en rapport avec le printemps de Prague et du mouvement de 1968. Des mots-clefs comme Achberg, Joseph Beuys, la naissance du mouvement pour la législation populaire à trois niveaux sont à mentionner. Aussi la fondation du parti des Verts [Grünen, ndtDK] est difficilement pensable sans ces amorces.

La seconde poussée dépend du mouvement de bouleversement en Europe de l’Est et centre-est, avec l’engagement de la société civile contre l’état de tutelle, sur lequel écrivait alors Rolf Henrich, cofondateur du Nouveau Forum [Neues Forum, ndtDK] en RDA, invité au Congrès de novembre, mentionné au début de cet article. ( 3 ) Il apporta sur le point de ce qui vivait de manière sous-jacente au mouvement en tant que motif de la Dreigliederung : on voulait sortir l’État de la vie culturelle qu’il opprimait, tout autant hors de la vie économique, qu’il étriquait à partir des planifications bureaucratiques, on voulait poser ces domaines sur leur propre base respective et transformer l’État totalitaire en un démocratique, dans lequel est droit ce dont des citoyens majeurs conviennent entre eux.

La troisième poussée ne fut pas occasionnée par un empiètement de l’État, mais par l’abus de pouvoir d’une économie globale orientée sur le profit, qui menaçait la démocratie et détruisait la diversité des cultures. Ainsi le ressentirent les acteurs de la Société civile qui en 1999, à la « bataille de Seattle », firent échouer une réunion de l’OMC. Pour la première fois surgissait une troisième force sur la scène mondiale, la Société civile globale. Sa relation à la Dreigliederung, fut par la suite formulée par le titulaire du Prix Nobel alternatif, Nicanor Perlas, dans son ouvrage : «Configurer la globalisation — Société civile, force de culture et Dreigliederung ( 4 ) » : ce mouvement serait une force culturelle sociale, qui devait se mouvoir du factuel au conscient et progresser jusqu’à la Dreigliederung. L’apparition de Perlas parmi nous amena une impulsion de mise en réseau global de sorte  que de nombreux amis dans la Société civile devinrent actifs et quelques-uns participèrent aussi au Forum social mondial

Œuvrer à quoi ?

Peut-il y avoir une nouvelle poussée ? À quoi ressemblerait-elle ? À quoi faut-il œuvrer pour renforcer le mouvement, surmonter les faiblesses, unir les énergies et viser à avoir plus de résonance ?

Un préalable important à cela serait une entente entre nous. On en a certainement déjà atteint ici une masse (NDT critique), mais il y a d'après l’impression de beaucoup encore « de l’air en hauteur ». Il est facile de concevoir qu’on pense tout d’abord, à ce propos, à une entente quant au contenu sur des questions controversées. Mais il serait peut-être encore plus important de se mettre d’accord sur le niveau auquel on devrait se préoccuper des contenus. « Combien ce serait beau pourtant, si tous nous étions tous unis en tout ». Un tel vœu est compréhensible. Oui, mais, devrions-nous réellement être unis en tout ? Et sinon en tout, sur quoi donc ? La confrontation de position sur des contenus différents à elle seule n’est pas encore une explication fructueuse. Dans le meilleur cas, elle mène à plus de transparence et avec cela à surmonter de confrontations non nécessaires et peut-être encore à la découverte de communautés au sens de dénominateurs communs. Un réel dépassement des oppositions n'a pas lieu ainsi. Cela requiert de lutter pour une unité supérieure des oppositions, leur élévation au sein d’une triade au sens Hegelien : relevé, conservé, levé à un degré plus élevé.

Des discussions sur le plan des contenus étaient menées de manière multiple avec des citations, souvent sous appel à l’autorité de R. Steiner. Il y en a certes encore ici ou là, mais cela est heureusement en train de passer de mode. On omettait à l’occasion la dépendance contextuelle des déclarations, on n’en distinguait pas ce qui est essentiel ou non essentiel, ce qui ne s’adressait qu’à une période de temps délimitée et déterminée ou bien à toute une époque historique, ou bien encore ce qui relevait de l’investigation spirituelle, ou encore de ce qui avait été emprunté à une revue ( 5 ) ; ce qui n’était qu’un aspect de ce qui était présenté, lequel pourtant était à suivre, car il était traité en d’autres endroits selon des aspects différents, voire même carrément opposés. De cette façon, on trouvait toujours quelque chose, qui semblait venir appuyer sa propre conception et qui pouvait être utilisé comme une arme contre la manière de voir des autres — si bien que sous le manteau d’une plus grande fidélité on mésusait de l’édition des œuvres complètes comme « magasin libre-service ». Bien sûr je ne me dresse pas contre les citations en soi, mais contre une manière de s’y prendre infructueuse avec les textes, qui ne nous mène pas plus loin dans la connaissance personnelle et — ce qui pèse particulièrement lourdement —  nous rend incapables d’agir.

Particulièrement préoccupant a été qu'à des endroits où des exemples isolés, pour des solutions possibles à partir de la Dreigliederung ont été hautement styliser en des règles et principes de validité universelle. Steiner attire lui-même l’attention sur cette méprise, avec une grande netteté, dans une conférence du 30 novembre 1921, dans laquelle il expose comment son livre « Les points essentiels de la question sociale », ne provient pas de considérations théoriques, mais serait né de l'expérience de la vie, qu’il a dû ensuite résumer en phrases générales, « qui alors à nouveau de leur côté sont regroupées dans le slogan : ‘Dreigliederung de l’organisme social’ . Mais ce qui est là-dedans, cela devait donc être pour le moins illustrer par quelques directives. On devait dire, comment on pense que les choses doivent être prises en mains. C’est pourquoi j’ai donné quelques exemples, comment le développement du capitalisme doit progresser plus loin, comment, à peu près, la question des travailleurs est à régler et ainsi de suite. Là, j’ai tenté de donner des ébauches concrètes, particulières. Maintenant, j’ai participé à de nombreuses discussions sur ces « points essentiels de la question sociale » et j’ai constamment trouvé que les gens, dans leur opinion utopique d’aujourd’hui, demandent toujours : oui, comment sera ceci ou cela à l’avenir ? — Ils se sont appuyés en cela sur les ébauches que j’ai données sur le particulier, mais moi, je ne les ai jamais pensés autrement qu’en tant qu’exemples. Dans la vie entière concrète, il en est ainsi qu’on fait une chose quelconque, que l’on met en place à partir de son meilleur savoir qu’on peut le mettre en place une structure quelconque dans la réalité, mais que l’on pourrait aussi faire tout autrement, cela va de soi. La réalité n’est pas telle qu’un seul élément théorique s’y adapte. On pourrait évidemment faire tout autrement ? »( 6 )

Le texte laisse reconnaître que nous pouvons apprendre de Rudolf Steiner avant tout des points de vue fondamentaux et des impulsions méthodologiques. On tâtonne dans un piège méthodologique quand on se dispute sur des détails — qui n'auraient pas du tout le droit de mener à des controverses puisque dans les détails « On pourrait évidemment faire tout autrement ». Il s’agit de différentes configurations d’une impulsion de base, et non pas de choses vraies ou fausses. Se disputer ici n’a pas de sens, il vaut bien mieux échanger des expériences et apprendre les uns des autres.

Caractéristiques essentielles de la Dreigliederung sociale

Il est très sensé par contre de mener une discussion pour savoir si et dans quelle mesure,  nous parvenons à transmettre le caractère substantiel de la Dreigliederung sociale et aussi si de la manière dont nous le faisons, nous laissons cette substance devenir visible. Je désigne en cela, quant à moi, trois points substantiels importants :

1. Ce n’est pas l’articulation de la société en sous-systèmes — cette idée est bien commun dans de larges parties de la sociologie —, qui est le seul et « unique caractère d’ordonnancement » des impulsions de travail de la Dreigliederung de l’organisme social. L’élément particulier de notre impulsion consiste beaucoup plus dans la manière dont le sujet « Gliederung de la société » est mis en lien avec de l’être humain hors de tutelle (NDT la majorité au vrai sens du terme) et de la question qui en résulte de savoir comment ces sous-systèmes doivent être reliés entre eux, afin que l’être humain puisse lui-même structurer ses conditions sociales.

La Dreigliederung ainsi caractérisée n’est pas du tout une solution quant aux contenus de la question sociale, pas un programme qui dit comment ceci doit être comme ceci et cela. Elle décrit beaucoup plus les structures d’une société d’êtres humains placés hors de tutelle. Elle est une amorce pour instaurer les conditions d’une aptitude à la configuration de l’organisme social par les humains. Les contenus ne prennent naissance premièrement qu’au cours de ce processus de configuration, car la vie sociale ne doit pas aujourd’hui être conduite ni dirigée d’en haut. La Dreigliederung de l’organisme social est presque la conséquence sociale de la majorité individuelle. C’est un point totalement central, dont résultent beaucoup d’autres choses…

2. …par exemple, que la Dreigliederung elle-même a un caractère dialogique qui dépend des nécessités de communication des êtres humains hors de tutelle. Les structures sociales auxquelles on s’efforce sont décrites en tant qu’espaces de rencontres, à partir de l’accord dans des associations économiques, de la direction collégiale, du discours démocratique, qui rendent cela possible, de sorte que ceux qui participent mettent eux-mêmes en ordre leurs relations. Sans cesse, il s’agit de formes de rencontre, de formes de dialogues et d’espaces, dans lesquels les facultés sociales peuvent mûrir et la conscience de responsabilité se développer.

Un vieil argument contre la Dreigliederung et de la philosophie de la liberté qui lui est sous-jacente, c’est que dans ce mouvement, on ne compte qu’avec les Anges et non pas avec des humains véritables, avec leurs erreurs et faiblesses. Cela étant, Steiner dit, en 1918, qu’un premier pas important dans la science sociale serait d'avouer que l’être humain est aussi bien un être social qu’il est un être antisocial. ( 7 ) Et dans le même contexte, il dit conformément à cette acception, que des institutions sociales devraient être créées, auxquelles l’égoïsme pût se heurter et se corriger, ( 8 ) des organes donc, dans lesquels un équilibre des intérêts pût avoir lieu, mais non pas de tels organes aux portes desquels égoïsme et intérêts personnels « dussent être abandonnés ». Ceux qui participent ne se départissent pas de leur égoïsme et le travaillent dans une rencontre, au moyen de laquelle ils apprennent à relativiser leurs points de vue en considération de ceux de leurs partenaires.

3. Ce qui est aussi central, c’est de mettre au clair que la Dreigliederung sociale nécessite un penser vivant, mobile. Une sorte de « compréhensibilité imagée » est à former et à éduquer pour cela. Rudolf Steiner ne cesse de parler à ce sujet du fait que de nouvelles possibilités cognitives sont à ouvrir et à exploiter pour comprendre le social. Le scientifique du social se tient autrement devant son objet que le scientifique de la nature. Il doit, pour parler véritablement en images, « entrer et s’installer dans la cornue », car, dans le social on y est toujours « fourré dedans » et l’art et la manière par lesquels on réfléchit sur le social, devient une vertu agissante en soi même. ( 9 ) Bien trop souvent seulement cela reste non médité.

Lors de la tentative d’appréhender le social de manière appropriée, le jugement personnel en arrive du reste à une limite. Précisément vis-à-vis des questions économiques, cela ne suffit pas — ici on en arrive, en étant remis à soi-même, à un faux jugement ( 10 ), parce qu’un individu, au sein d’une économie de la division du travail, n’a pas le champ de perception indispensable pour une formation de jugement correspondante. Les expériences des représentants de la production, de la circulation et de la consommation finale doivent confluer afin que, sur cette base, un jugement social échoie et que des accords puissent être pris. Ce n’est qu’ainsi que peut naître un « sens commun objectif ».

Pense le QUOI, mais plus encore le COMMENT…

Avec cela nous sommes arrivés à un point auquel nous reconnaissons : dans le dialogue sur des questions cognitives ouvertes de la Dreigliederung, le QUOI est certes important, mais le COMMENT est peut-être plus important encore. Nous devons trouver un chemin social pour travailler les uns avec les autres les problèmes cognitifs manifestes. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire en détail ? Quelles questions en surgissent ?

  1. conscience méthodologique et autoréflexion — Comment des débats deviennent-ils féconds ?

Contenu et méthode sont reliés l’un l’autre et sont inséparablement liés sur ce point. Mais il y a une différence, celle de savoir si l’art et la manière dont je déplace les contenus sont consciemment manipulables ou pas. La manipulation consciente rend possible l’autoréflexion de ses points de vue personnels et aussi avec cela, leur relativisation : c’est d’abord en sachant si je découvre la possibilité de me penser dans les points de vue d’autrui, que je peux développer une compréhension, quant à savoir sur quels fondements tel ou tel point de vue sera adopté.

En effet, le problème n’est pas que surgissent principalement des controverses. Le problème est plus souvent qu’à l’occasion, les positions de l’un ou de l’autre soient plus ou moins ignorées. En tant que rédacteur de la revue « Sozialimpulse », j’ai rencontré à maintes reprises le problème que des articles me soient proposés qui présentent une sorte de monologue, que ce soit pour ou contre le revenu inconditionnel de base et que sais-je encore.  Par quel moyen un gain de connaissance est-il censé naître, lorsqu’une telle contribution ne se rattache pas à des discussions, qui ont déjà été menées dans la revue ? Il serait infiniment souhaitable que nous commencions à nous référer les uns aux autres et à entrer dans nos vues les uns les autres. Ce n’est que si nous avons pris réellement connaissance des objections d’autrui que l’on peut fonder la raison pour laquelle la totalité semble avoir une autre apparence. Mais trop souvent on éprouve que des objections sont simplement ignorées, qu’aucune sorte de référence n’en est tirée. Cela ne peut naturellement pas conduire à une progression cognitive faisant entrer les aspects et objections d’autrui. Ce fut une bonne méthode de la scolastique que d’avoir à répéter les arguments des jouteurs qui débattent et de signaler ainsi qu’on les a bien compris, plutôt que de présenter d’abord les siens en propre.

2. La condition préalable à toute compréhension c’est d’éviter les malentendus.

« Ce qu’est un concept ne peut pas être dit par des mots. Des mots ne peuvent qu’attirer l’attention de l’être humain sur le fait qu’il a des concepts. » ( 11 ) Que veut dire autrui, avec les mots dont il fait usage ? Le manque de clarté à ce sujet est une source de nombreux malentendus. Au moyen de la clarification de ce problème, beaucoup se résout, et selon le cas, se relativise.

Je prends un exemple de mon travail de rédacteur. Beaucoup d’entre vous connaissent et apprécient les articles de Roland Benedikter. Un jour Benedikter a défendu la thèse que nous devrions élargir la Dreigliederung à une considération comprenant sept aspects. Au plan discursif, typologique et systématique, il s’agit aujourd’hui des dimensions centrales d’économie, de politique et de culture, de religion, de technologie et de démographie. Certains lecteurs trouvèrent cela extra, d’autres protestèrent qu’avec cela, la Dreigliederung ne serait pas complétée, mais au contraire, abandonnée. J’exclus ici, pour une fois, la question de savoir comment le rapport de la culture et de religion est à penser et le fait de savoir si l’écologie ne représente pas encore une autre dimension centrale. Il me semble incontestable que la technologie, la démographie et ainsi de suite, représentent des dimensions énormes, aujourd’hui, de la question sociale. Mais s’agit-il avec la technologie et la démographie de membres [ou plus précisément de composantes spirituelles, ndtDK] de l’organisme social ? N’y aurait-il pas, d’abord pour une fois, de clarifier et de savoir s’il est sensé et nécessaire de faire la distinction entre les dimensions de la question sociale et les membres [ou composantes spirituelles, ndtDK] de l’organisme social ? Si l’on tient cette distinction pour nécessaire, il en résulte un nouveau potentiel de structure interrogative féconde : comment agit la naissance de nouvelles dimensions de la question sociales sur les nécessités configuratrices et le comportement des membres de l’organisme social ? Je ne vais pas du tout y répondre ici, mais au contraire seulement indiquer une possibilité de la manière dont on peut reprendre constructif une contradiction qui semblait insoluble.

La compréhension requiert toujours aussi un travail de traduction. Si celui-ci ne se produit pas, on en arrive à un cloisonnement en in-groups [c’est-à-dire de groupes d’insiders ou de « connaisseurs », spécialistes qui ne se comprennent qu’entre eux, ndtDK], qui utilisent un langage propre, incompréhensible aux autres. Cela vaut à l’intérieur de la scène de la Dreigliederung comme pour le public et en particulier, vis-à-vis du monde académique. Comment notre discours devient-il « capable de rattacher », comment porte-t-il un discours scientifiquement social et général ? Depuis Steiner et qu’avec cela la Dreigliederung devint aussi de manière croissante l’objet de controverses académiques, cette interrogation est devenue encore plus actuelle.

3. Intérêt authentique comme base pour un travail en commun fécond

Un dialogue réel se fonde sur un intérêt authentique à la cause, à l'autre position, à l’être humain qui la défend et dans les raisons pour lesquelles il la défend. L’intérêt authentique nous aide au-delà de la simple coexistence des points de vue. À la place de la résignation au point de vue de l’autre, surgit une tolérance active et forme la base d’un travail commun fécond.

4. Développement d’une culture de l’interrogation en tant que point de départ pour des débats.

Un intérêt authentique est toujours relié à une attitude interrogative. Mon intérêt dans un sujet ou une personne m’incite à poser des questions en rapport à l’objet de mon intérêt. Le développement d’une culture de l’interrogation semble être pour moi une clef pour que des débats deviennent féconds. Toute connaissance commence par une question. Celui qui croit déjà avoir une réponse sur tout, ne connaîtra plus et n’a même plus besoin de partenaire dialogique. N’avoir aucune question, c’est une caractéristique du dogmatisme. Dans les histoires de Monsieur Keuner, de Brecht, nous lisons : « J’ai remarqué — dit Monsieur K. — que beaucoup d’entre-nous s’effarouchent de notre doctrine du fait que nous connaissons la réponse à tout. Ne pourrions-nous pas, dans l’intérêt de la propagande, dresser une liste des questions, qui nous apparaissent totalement irrésolues ? »( 12 )

Je ne veux certainement pas plaider pour cela de découvrir des questions pour raisons de propagande. Elles se montrent à nous tout simplement quand nous nous tenons dans le monde avec regard ouvert. Le questionnement correct nous conduit plus loin à la connaissance pendant que des questionnements faux peuvent significativement gêner des processus de connaissance.

Questions fondamentales du développement social de la Dreigliederung

L’idée qu’un rôle-clef revient à la culture de l’interrogation est la raison profonde pour laquelle nous avons testé d’autres voies dans la structuration du colloque du 11 octobre, dont nous espérons une aide lors du développement d’un style de travail ouvert. On y a travaillé à l’appui d’un catalogue de questions ouvertes. Il renferme des questions directrices pour les diverses sections du dialogue, lesquelles avaient à nouveau été articulées en d’autres questions particulières. À l’appui de ces questions, le dialogue put librement se développer à l’improviste.

Il y s’agissait de 1. de questions sur l’actualité et sur le caractère de la Dreigliederung sociale, 2. de questions au sujet du comportement des trois membres de l’organisme social et de leurs qualités, 3. du comportement des images archétypes aux résolutions concrètes ; 4. de questions sur l'application de la Dreigliederung sociale et 5. de la question du comment le développement social-humain et celui social-structurel se conditionnent-ils mutuellement ?

Cette dernière est peut-être absolument la question-clef du développement social : La Dreigliederung vise à des conditions sociales, dans lesquelles et auxquelles les humains peuvent développer en même temps leurs facultés sociales. Car qu’est-ce qui aiderait l’être humain, s’il conquérait en luttant un ordre de bien-être agissant automatiquement et en recevrait tout de même des dommages en sa qualité de prochain ?


Notes :

( 1 )Magazin für Literatur, imprimé dans Essais sur l’histoire sociétale et contemporaine 1887-1901, GA 31, Dornach 1989, p.247-262.

( 2 )Voir C. Strawe : Conditions d’apparition et histoire des effets des rudiments de la Dreigliederung de l’organisme social. Dans Rahel Uhlenhoff (éditeur) : Anthroposophie dans l’histoire et au présent, Berlin Édition scientifique 2011.

( 3 ) Rolf Henrich : L’État de tutelle. De la faillite du socialisme réellement existant. Reinbeck près de Hambourg 1989.

( 4 )Édition Info3, Francfort-sur-le-Main 2000.

( 5 )Un exemple en est une remarque dans une conférence du 26 novembre 1922 (GA 219) sur l’île de Pâques qui se serait effondrée dans l'océan ce qui fut à l’époque une fausse nouvelle très répandue.

( 6 )Les questions cardinales de la vie économique, Oslo, dans : La réalité des mondes supérieurs GA 79, Dornach 4988, p.242.

( 7 )Conférence à Dornach, le 6 décembre 1918, dans GA 186, Dornach 1990, p.89.

( 8 )À l’endroit cité précédemment, p.103.

( 9 )Cours d’économie nationale (1922), GA 340, Dornach 2002, pp.65 et suiv.

( 10 ) Conférence d’Oxford 28 août 1922, GA 305, Dornach 1991, p.202.

( 11 ) Rudolf Steiner : La philosophie de la liberté (1893/94), GA 4, Dornach 1995, p.57.

( 12 ) Bertold Brecht : Histoires de Monsieur Keuner, « Questions convaincantes ».

( #hdk1 ) révolution pacifique, voir l’ouvrage de Christian Führer : « Et nous y étions présents —La révolution qui vint de l’Église », List Taschenbuch, 6ème édition 2014, 335 pages, 9,99 €.