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Extrait du livre :
Welt im Umbruch. Ordnungspläne, Nationalitätenfrage,und die Haltung Rudolf Steiner während der Ersten Weltkrieges.
[Monde en révolution. Planifications d’ordre, question de nationalité et l’attitude de Rudolf Steiner pendant la première Guerre mondiale],
Freies Geistesleben, Stuttgart, 2014

trad. F. Germani

Markus Osterrieder


Synarchie et domination mondiale


Les "Protocoles des Sages de Sion" dans le contexte de la politique d'alliance et de la clandestinité occulte, 1880-1912

I.

Le 7 juillet 1920, le quotidien de langue russe Varšavskoe slovo (Parole de Varsovie) publiait un article intitulé "Esquisses d'un Décaméron russe. Magiciens et sorciers à la cour du tsar" sous la plume d'un certain Acheron. Il y affirmait que l'occultiste français Papus (Gérard Encausse, 1865-1916) avait rédigé un "rapport très précis" sur les activités du thaumaturge Maître Philippe de Lyon (Anthelme Nizier Philippe, 1849-1905) à la cour du tsar, "qui prouvait [ . ... ] que Philippe appartenait à une loge maçonnique secrète et qu'il s'était fixé pour objectif, en gagnant la confiance de Nicolas II, d'anéantir ce dernier et toute sa famille". De plus, Papus aurait joint "les procès-verbaux des réunions secrètes des loges maçonniques [ ... ] de différentes parties de l'Europe", de sorte que Petr Račkovskij aurait pu utiliser le rapport comme base de la fabrication des Protocoles des Sages de Sion.1

Cette première mention d'un non-juif comme auteur possible des Protocoles n'a été reprise que de manière isolée par les chercheurs2 , mais la plupart du temps, en se référant à la fascination de l'occulte et au détriment de la recherche historique et philologique, elle a été jugée comme une simple mystification.3 Une étude du contexte occulte et politique ainsi que du cercle de personnes dans lequel Papus a évolué de 1880 à sa mort en 1916 ne peut certainement pas résoudre l'énigme de la paternité des Protocoles. Mais elle permet de jeter une lumière éclairante sur ce milieu d'où sont issues nombre de représentations et de motivations sociopolitiques et conspirationnistes qui sont exposées dans les Protocoles.

Vers 1890, Papus avait les mains dans une multitude de casseroles occultistes, poussé par l'ambition de rassembler sous sa direction toutes les sociétés initiatiques de France;4 seule la franc-maçonnerie régulière lui restait fermée. En 1891, Papus avait donné un cadre organisationnel à l'Ordre Martiniste, qui existait déjà sous des formes préliminaires depuis 18875. L'Ordre Martiniste, dérivé du "Philosophe Inconnu" Louis Claude de Saint-Martin, s'est rapidement répandu dans une grande partie de l'Europe et a aussi trouvé un certain écho parmi la noblesse russe.6 Parmi ses adeptes se trouvaient les grands-ducs de la lignée Romanov-Holstein-Gottorp, Nikolaj Nikolaevič et son frère Petr Nikolaevič, ainsi que leurs épouses monténégrines, Anasta-sija (Stana, 1868-1935) et Milica (1866-1951), fille du roi monténégrin Nikola I Petrović-Njegoš (1841-1921).

Papus n'avait absolument aucune raison d'écrire de façon désobligeante sur Maître Philippe, car ce dernier était son propre "Maître spirituel".7 Lorsque, lors de son premier voyage en Russie de décembre 1899 à janvier 19008, Papus fit l'éloge de son "Maître" lors d'une conférence ésotérique à Saint-Pétersbourg, sans le nommer, cela suscita une grande curiosité parmi les auditeurs, parmi lesquels se trouvaient les deux Monténégrines ; peu après, un martiniste russe révéla l'identité de Philippe.9


Philippe souligna dans le cercle familial qu'il devait "les relations avec les grands princes" à Papus.10 Mais la réputation de Maître Philippe devait aussi profiter à l'Ordre martiniste et à Papus. Dans ses Mémoires, Victor-Émile Michelet, membre du Suprême Conseil dans l'Ordre Martiniste, remarquait en 1937 qu'un grand nombre de princes des Balkans (notamment dans les royaumes de Roumanie, de Serbie et du Monténégro11) étaient martinistes, même si Michelet regrettait dans la foulée que les gouvernements français n'aient pas su profiter de cet avantage.12

1 Acheron : Očerki iz Rossijskogo Dekamerona. Kolduni i kudesniki pri carskom dvore, in : Varšavskoe slovo, 7 juillet 1920 ; cité d'après Cesare G. De Michelis : Il manoscritto inesistente. I "Protocolli dei savi di Sion". Un apocrifo de XX secolo. Venezia 1998, p. 105 et suivantes. L'article réchauffait en substance des accusations contre Maître Philippe que le chef de la police russe à l'étranger à Paris, Petr Račkovskij, répandait depuis 1902 dans la presse française contre le "nouveau Cagliostro" de "race israélite", "une arme dans la main des francs-maçons". Papus avait alors défendu publiquement Maître Philippe contre ces accusations. Cette campagne coûta son poste à Račkovskij. Henri Rollin : L'Apocalypse de notre temps. Les dessous de la propagande allemande d'après des documents inédits. 1ère éd. Paris 1939, ici Paris 1991, p. 462-471 ; Alex Butterworth : The World That Never Was. A True Story of Dreamers, Schemers, Anarchists and Secret Agents. Londres 2011, p. 376-378.

2 Par exemple de Rollin : L'Apocalypse, p. 453 ; James Webb : The Occult Establishment. Glasgow 1981, p. 243-253 ; Robert Wolfe : Remember to Dream. A History of Je-wish Radicalism. New York 1994, p. 120-135.

3 De Michelis : Il manoscritto inesistente, p. 107.

4 Gérard Galtier : La Maçonnerie égyptienne, Rose Croix et néo-chevalerie. Monaco 1989, p. 294.

5 Marie-Sophie André, Christophe Beaufils : Papus. Biographie. La Belle Epoque de l'occultisme. Paris 1995, p. 57.

6 Andrej Serkov : Istorija russkogo masonstva 1845-1945. Saint-Pétersbourg 1997, p. 67-90 ; Viktor Bračev : Čekisty protiv okkul'tistov. (Okkul'tno-mističeskoe podpol'e v SSSR). Moscou 2004, p. 42-62.

7 Philippe Encausse : Sciences occultes, ou, 25 années d'occultisme occidental. Pa-pus, sa vie, son œuvre. Paris 1949, p. 135 et suivantes, 209 et suivantes, 357.

8 Serge Caillet : Monsieur Philippe, l'ami de Dieu. Paris 2000, p. 85.

9 En 1904, Papus s'est justifié dans une lettre à Philippe, affirmant qu'il n'avait en fait pas voulu révéler son identité. "Le ciel m'est témoin qu'en Russie, je vous ai fait aimer sans vous nommer et que c'est l'indiscrétion d'un Martiniste qui a fait connaître votre nom aux puissants de là-bas". Cité par Philippe Encausse : Le Maître Philippe de Lyon. Thaumaturge et homme de Dieu, ses prodiges, ses guérisons, ses enseignements. Il reste à savoir si Papus n'a pas provoqué une indiscrétion ciblée pour gagner ainsi en influence.

10 Receuil de Papus, cité par Caillet : Monsieur Philippe, p. 218.

11 Papus était aussi familier avec la reine serbe Natalija qu'avec la reine roumaine Elisabeta. Maria di Romania : La storia della mia vita. Milano 1936, p. 171, 382 ; Louis de Maistre : L'énigme René Guénon et les "Supérieurs In-connus". Contribution à l'étude de l'histoire mondiale "souterraine". Milan 2004, p. 636 et suivantes ; André/Beaufils : Papus, p. 66.

12 Victor-Émile Michelet : Les Compagnons de l'hiérophanie. Souvenir du mouve-ment hermétiste à la fin du XIXe siècle, 1ère éd. Paris 1937, ici réédité à Nice en 1977, p. 102.

Papus n'était donc pas du tout hostile à l'action de Philippe en Russie - bien au contraire, il était depuis des années, comme son "maître spirituel", un partisan résolu d'une alliance militaire entre la France et la Russie. Déjà à l'occasion de l'accession au trône de Nicolas II en novembre 1894, Papus avait exprimé dans une adresse au jeune tsar le souhait que la France et la Russie restent à jamais jumelées.13 Maître Philippe fut également le conseiller politique du couple impérial ; il se prononça par exemple contre une constitution pour l'empire tsariste, car une telle constitution entraînerait la chute du pays et de sa dynastie, comme le rappelait encore le 14 décembre 1916 la tsarine Alexandra à son mari : "Pense que même M. Philippe a dit qu'il ne fallait pas accorder de constitution, car ce serait ta ruine et celle de la Russie. Et tous les vrais Russes parlent ainsi".14


Les visites de Papus et de Maître Philippe devaient notamment servir à renforcer l'Entente franco-russe, surtout parce que Papus s'attendait à une guerre prochaine contre l'Allemagne, qui, selon lui, se dessinait déjà clairement dans l'astral.15 Philippe Encausse entendit son père, peu avant sa mort en 1916, déclarer avec confiance que l'alliance franco-russe tiendrait, car il s'était assuré de la fidélité du tsar à l'alliance : "M. Philippe et moi avons fait du bon travail là-bas "16.

Le martiniste Michelet écrit à propos des activités de Maître Philippe en Russie qu'il a exercé "avec Papus une influence trop considérable sur la politique européenne" pour pouvoir passer cette influence sous silence : "Philippe appartient à l'Histoire secrète et le rôle qu'il y jouera n'a pas été raconté avec exactitude. Il ne le sera peut-être jamais. Ce qui semble certain, c'est que si le gouvernement français et ses diplomates avaient été moins sots, s'ils avaient aidé Philippe au lieu de le persécuter stupidement, le dernier couple impérial de Russie ne serait pas tombé au pouvoir de Raspoutine, et l'inévitable révolution bolchevique eût été retardée "17.


13 Adresse du Syndicat des magnétiseurs, masseurs, médiums, guérisseurs à sa Majesté l'Impératrice de Russie, in : L'Initiation 1894 ; cité par André/Beaufils : Papus. S. 173.

14 A.A. Polovcev : Dnevnik, in : Krasnyj archiv. Bd. III, 1923, p. 198-199 ; trad. Joachim Kühn (éd.) : Aleksandra Fëdorovna. La dernière tsarine. Ses lettres à Nicolas II et ses journaux intimes de 1914 à son assassinat. Berlin 1922, p. 218.

15 "Des clichés assez nombreux concernant une guerre possible entre la France et l'Allemagne traversent en ce moment le plan astral et sont perçus plus ou moins nettement par les voyants. ... nous retiendrons toutefois une vision très nette annonçant la déclaration de guerre pour le 21 février 1906... espérons encore que tout s'arrangera pacifiquement." L'Initiation, janvier 1906 ; cité d'après André/Beaufils : Papus, p. 249.

16 Encausse : Le Maître Philippe, p. 96.

17 Michelet : Les Compagnons de l'hiérophanie, p. 100-101. Des propos similaires ont également été affirmés par le martiniste de premier plan et patriarche de l'Église Gnostique de France, Jean Bricaud (Tau Jean). Encausse : Le Maître Philippe, p. 96.

II.

Des décennies avant le début de la guerre, Papus avait déjà rencontré une telle partisane de l'alliance entre l'Allemagne et la France : la Grande Française, la journaliste et écrivaine Juliette Adam, née Lamber (1836-1936), a fait la connaissance d'une partisane de l'Entente entre la France et la Russie. Ardente germanophobe revancharde, Juliette Adam fut toute sa vie une adversaire implacable de Bismarck et de l'Empire allemand. En 1868, elle s'était unie en secondes noces avec l'avocat et fondateur du Crédit foncier, Antoine Edmond Adam (1816-1877). C'est à peu près à cette époque qu'Adam adhéra à la loge La Clémente Amitié18 , alors la plus importante du Grand Orient de France. En 1877, la loge comptait environ 250 membres, dont Gambetta (depuis 1869) et l'avocat Maurice Joly (1829-1878)19 , auteur de la satire Dialogue aux Enfers entre Montesquieu et Machiavel (1864), qui deviendra l'un des modèles littéraires des Protocoles20 .

Avec son journal La Nouvelle Revue, fondé en 1879, Adam, qui était depuis lors sur toutes les lèvres de la vie culturelle parisienne, veilla, d'abord en tant qu'éditeur, puis en tant que personne influente au sein du comité directeur du journal, à préparer le terrain journalistique pour une future alliance franco-russe, sans laquelle la revanche n'était pas envisageable. 21 Adam fut aidé par le fait que les panslavistes en Russie étaient tout aussi intéressés par un rapprochement avec la France, d'une part contre l'influence de l'Autriche-Hongrie dans les Balkans, mais aussi pour gagner un allié dans le Great Game (Grand Jeu) contre l'Empire britannique. Certes, Adam saluait l'idée d'une "fédération des peuples latins" et était prêt à œuvrer "pour l'établissement du panlatinisme contre les dangers du pangermanisme ou du panislamisme", "mais je vous avoue qu'en vue d'intérêts immédiats de politique actuelle, je suis slavophile".22 A ses yeux, l'alliance entre la France et la Russie était presque une "alliance mystique".23

D'étranges communautés de circonstance se retrouvent vers 1890 autour de l'espoir d'une alliance avec la Russie : des francs-maçons à tendance socialiste et républicaine, proches du Parti radical, des monarchistes catholiques et des clercs ultramontains, des antisémites convaincus comme Édouard Drumont (auteur du pamphlet La France juive, Paris 1886), des panslavistes et des conservateurs partisans de l'autocratie tsariste.

18 Michel Gaudart de Soulages : Hubert Lamant, Dictionnaire des francs-maçons français. Paris 1995, p. 63. Pour la biographie d'Adam, voir Saad Morcos : Juliette Adam. Le Caire 1961 ; Anne Hogenhuis-Seliverstoff : Juliette Adam, 1836-1936. L'instigatrice. Paris 2002.

19 Eric Saunier (éd.) : Encyclopédie de la franc-maçonnerie. Paris 1999, p. 150.

20 Dès 1868, l'écrivain et agent de police prussien Herrmann Goedsche (1815-1878) plagiait le livre de Joly (dont la traduction allemande avait été publiée en 1865) dans son roman trivial Biarritz, écrit sous le pseudonyme de Sir John Retcliffe. Dans le chapitre intitulé "Au cimetière juif de Prague", Goedsche décrivait comment des représentants fictifs des douze tribus d'Israël faisaient état, lors d'une de leurs réunions annuelles, des progrès de leur plan à long terme visant à établir la domination mondiale. Les discussions des dirigeants juifs portent sur des thèmes et des idées tirés du Dialogue de Joly. Biarritz est considéré comme une source importante des Protocoles. Cf. Hans Speier : The Truth in Hell. Maurice Joly on Modern Despotism, in : Polity 10/1, 1977, p. 18-32, ici p. 26.

21 Marie-France Hilgar : Juliette Adam et la Nouvelle Revue, in : Rocky Mountain Review of Language and Literature 51, 1997, p. 11-18.

22 Juliette Adam à M. Gromier, 15 août 1882 ; cité par Morcos : Juliette Adam, p. 510.

23 Juliette Adam en 1897 dans Le Matin, cité d'après Georges Michon : L'alliance franco-russe, 1891-1917. Paris 1927, p. 68.

L'engagement en faveur d'une alliance franco-russe a rapproché Juliette Adam de Papus et des cercles du milieu occulte parisien qu'il dominait. Anna de Wolska, féministe militante d'origine polonaise et maîtresse de Papus depuis 188824 , réussit à convaincre Adam, au début des années 1890, de participer à des séances de spiritisme rue de Trévise et de rédiger des articles pour la revue L'Initiation. Papus mentionnait déjà Adam en 1891/92 comme membre de son Groupe Indépendant d'Études Ésotériques, qu'il avait fondé après avoir quitté la Société Théosophique d'Elena Blavatskaja, et il ne tarissait jamais d'éloges sur son travail.

La compagne de Papus était la fille de l'ingénieur et activiste social Calixte de Wolski (Kalikst Wolski, 1816-1885), issu de la noblesse terrienne de Potoczek (province de Lublin), qui s'était réfugié en France dans sa jeunesse après l'insurrection de novembre 1831. Expulsé de son pays en raison de ses opinions socialistes, il se rendit en Amérique et contribua en 1855 à la fondation de la commune sociale utopique de La Réunion au Texas, inspirée par Fourier.25 Wolski écrivit un livre intitulé La Russie juive (1887) pendant les pogroms des années 1880 dans l'empire tsariste, dans lequel il reprochait aux juifs d'être en fin de compte eux-mêmes responsables des persécutions. En se référant aux écrits Kniga kagala. Materialy dlja izučenüa evreiskogo byta (Le livre du kahal. Matériaux pour l'étude de la vie juive, 1869) et Kniga kagala. Vsemirnyj evreiskü vopros (Le livre du kahal. La question juive globale, 1879) du converti Iakov Brafman (1825- 1879)26 , Wolski qualifiait l'institution administrative du kahal de despotisme (ce que les Protocoles devaient reprendre27) et prétendait dévoiler le but et les motivations internes des Juifs. En s'appuyant sur le chapitre de Goedsche intitulé "Au cimetière des Juifs à Prague", tiré du roman Biarritz,28 , il a pris pour exemple le discours fictif d'un "grand rabbin", prononcé lors d'une "réunion secrète" au cours de laquelle les Juifs auraient dévoilé leurs désirs de domination mondiale, présents depuis toujours : "Lors donc que nous serons rendus les uniques possesseurs de tout l'or de la terre, la vraie puissance passera entre nos mains, et alors s'accompliront les promesses qui ont été faites à Abraham". 29

En janvier 1882, Adam se rendit en Russie afin de trouver des alliés pour ses projets. Elle avait pu nouer les premiers contacts avec l'aide de son amie intime de l'époque30 et agent de police russe Justine (Justin'ja) Dmitrievna Glinka (1836-1918 ?), la fille d'un diplomate russe qui observait les nihilistes russes à Paris. C'est ainsi qu'Adam fit la connaissance de publicistes influents comme Mikhaïl Katkov et Ivan Aksakov, le président du comité panslaviste.

Pendant ce temps, Glinka ne s'intéressait pas seulement à la politique, mais aussi à tous les phénomènes occultes. A Paris, elle se retrouva dans les cercles de Papus, découvrit la théosophie et fit bientôt partie du cercle restreint de la branche parisienne de la Société théosophique d'Orient et d'Occident.31

1884 elle rendit visite à Elena Blavatskaja à Ebersfelde, près de Würzburg ; bientôt, l'histoire circula qu'à cette occasion, le légendaire Maître Morya de la Loge Blanche lui était apparu une nuit. Vsevolod Solov'ev, frère du philosophe Vladimir Solov'ev, rapporta à propos de celle qu'il appelait "Miss A" : "she was continually surrounded by 'phenomena' and miracles of all sorts [ ... ]. She did not live in Russia, and had lodgings in Paris ; but she was continually vanishing, no one knew where, and was generally absorbed in some very complicated and intricate affairs of her own (elle était continuellement entourée de "phénomènes" et de miracles de toutes sortes [...]. Elle ne vivait pas en Russie, et avait un logement à Paris ; mais elle disparaissait sans cesse, on ne savait où, et était généralement absorbée dans des affaires très compliquées et très compliquées qui lui appartenaient...)"32 L'une de ces affaires compliquées consistait en une tentative, au début de 1883, de convaincre le tsar Alexandre III, dans un rapport secret, que Bismarck nourrissait le projet de faire assassiner le tsar, tout en assurant : "Votre Majeste pourrait compter sur l'appui entier de 'l'Alliance Israelite Universelle'. Cette Alliance est une immense force d'intelligences et d'argent".33 Et le rôle de Glinka dans les débuts des Protocoles et dans la création de l'ouvrage connu sous le nom de Tajna evrejstva (Le secret du judaïsme) est également très "impliqué", voire controversé.34


24 André/Beaufils : Papus, p. 68, 91 et suivantes. Cf. également Webb : Occult Establishment, p. 245- 248.

25 Cf. Léon Poliakov : The History of Anti-Semitism. Suicidal Europe, 1870-1933, Philadelphie 2003, p. 37 ; Stanley S. Sokol : The Polish Biographical Dictionary. Profiles of Nearly 900 Poles Who Have Lasting Contributions to World Civilization. Wauconda Il. 1992, p. 439-440.

26 John Klier : Imperial Russia's Jewish Question, 1855-1881. Cambridge 1995, p. 169- 173, 263-288 ; Yohanan Petrovsky-Shtern : The 'Jewish Policy' of the Late Imperial War Ministry. The Impact of the Russian Right, in : Kritika. Explorations in Rus-sian and Eurasian History 3/2, 2002, p. 217-254, spéc. p. 219-227.

27 Cesare G. De Michelis : La giudeofobia in Russia. Dal Libro del Kahal ai Proto-colli dei savi di Sion. Torino 2001.

28 " [ ... ] nous commençons par le discours d'un grand rabbin, prononcé à une réu-nion secrète. Ce discours, extrait d'un ouvrage anglais publié par sir John Readc-lif, sous le titre de Compte-Rendu des événements politico-historiques survenus dans les dix dernières années, dévoile la persistance avec laquelle le peuple juif poursuit, de temps immémorial et par tous les moyens possibles, l'idée de 'régner sur la terre'" Kalixt de Wolski : La Russie juive. Paris 1887, p. 3 et suivantes. Le pseudonyme de Herrmann Goedsche était Sir John Retcliffe.

29 Wolski : La Russie juive, p. 4.

30 Rollin : L'Apocalypse, p. 371.

31 Marie-José Delalande : Le mouvement théosophique en France 1876-1921. Diss. Université du Maine. Le Mans 2007, p. 723.

32 Vsevolod Solov'ev : A Modern Priestess of Isis. Londres 1895, p. 34.

33 Gosudarstvennyj Archiv Rossijskoj Federacii (GARF), f. 677 op. 1 d. 763, l. 1-2, cité par Henryk Baran, Lev Aronov et Dmitrij Zubarev : K predystorii "Proto-kolov Sionskich mudrecov". Ju. D. Glinka i ee pis'mo imperatoru Aleksandru III, in : Novoe literaturnoe obozrenie 82, 2006, p. 169-182, ici p. 173. Le fondateur de l'Al-liance était Adolphe Crémieux (Isaac Moïse, 179 6-1880), qui détenait également le plus haut grade maçonnique 90° du rite Misraïm.

34 Cet écrit, apparemment rédigé vers 1895, a été retrouvé en 1909 au département de la police russe. Reproduit dans Youri Delevskij : Protokoly sionskich mudrecov (Istorija odnogo podloga). Berlin 1923, p. 123-135. Voir à ce sujet la contribution de Michael Hagemeister "Das verschollene Exemplar der Lenin-Bibliothek" dans ce volume. C'est surtout James Webb : The Occult Establishment, p. 236 et suivantes, qui a tenté de mettre Glinka en relation avec cet écrit.

III.

Deux autres femmes faisaient partie de la communauté d'opinion de Juliette Adam et Papus. La première était la journaliste russe et agent propagandiste de Katkov, Ol'ga Alekseevna Novikova (1840-1925), qui depuis la fin des années 1870, sous le nom de "M.P. for Russia", faisait campagne à Londres avec son célèbre collègue journaliste, l'occultiste WilLiam Thomas Stead, en faveur d'une conciliation anglo-russe et s'y associa avec Blavatskaja, par intérêt spirituel et politique. Stead a consacré un long portrait biographique à son amie Novikova, dans lequel il a souligné ses mérites dans la réalisation du rapprochement anglo-russe. "Le véritable crédit de l'entente anglo-russe n'appartient pas en premier lieu à leurs ministres respectifs, qui peuvent être temporairement en charge des bureaux étrangers. Plus que quiconque ses véritables auteurs ont été Madame Novikoff et Monsieur Gladstone, qui il y a trente ans [vers 1879] [...] se sont tenus épaule contre épaule pour aider cette bonne cause". 35

En 1877/78, Stead à Darlington et Novikova à Moscou avaient travaillé ensemble comme une sorte de service de renseignements pour Gladstone. "Madame Novikoff à Moscou était au centre du mouvement pan-slave. Elle était en contact étroit et constant avec M. Katkoff [ ... ] et avec M. Aksakoff, le président du Comité pan-slave "36 . Stead a défendu cette cause dans son journal Northern Echo et est devenu par la suite correspondant en Angleterre pour le journal de Katkov, Moskovskie Vedomosti ; à cette époque, il écrivait quotidiennement à Novikova pour la tenir au courant de l'évolution de la situation en Angleterre.

L'autre personne dans cet enchevêtrement de destins était Catherine Radziwiłł, née Ekaterina Rževuskaja (Katarzyna Rzewuska, 1858-1941) à Saint-Pétersbourg.37 À l'âge de neuf ans, elle fut envoyée par son père Adam Rzewuski à Paris chez ses sœurs, les tantes de Catherine, Évelyne de Balzac et Carolina Lacroix38. Ewelina (Évelyne) Rzewuska (1801-1882), veuve Hańska, était mariée depuis 1850 à Honoré de Balzac. Elle comptait parmi les adeptes de l'occultiste parisien Éliphas Lévi.39

Grâce à Évelyne et Carolina, Ekaterina eut accès aux salons parisiens, où elle fit la connaissance des personnalités culturelles et littéraires de l'époque, dont Juliette Adam, avec laquelle Catherine travaillait depuis 1882, lorsqu'elle revint à Paris après avoir quitté Saint-Pétersbourg.

Dans l'entourage de Juliette Adam à Paris, Catherine rencontra également sa petite-cousine Marie Victoire Saint Yves (née de Riznitch ou Riznić, 1827-1895), qui n'avait divorcé qu'en 1876 d'Eduard Fedorovič von Keller, vice-gouverneur de Kiev et homme de confiance du tsar Aleksandr III. Marie Victoire était mariée depuis 1877 à l'occultiste Joseph-Alexandre Saint Yves d'Alveydre (1842-1909), qu'elle aida à s'élever socialement. Elle le délivra de son emploi précédent d'employé auxiliaire au ministère français de l'Intérieur et lui procura en 1880 la noblesse d'un marquis. Elle disposait en outre de moyens financiers suffisants pour financer la publication de ses Missions en plusieurs volumes ainsi que la poursuite de ses recherches au cours des années suivantes. Mais le plus important était ses liens sociaux avec l'aristocratie européenne, que Saint Yves a pu utiliser pour diffuser ses idées sur la "synarchie".

Alexandre Saint Yves avait repris de l'éminent occultiste français Éliphas Lévi (1810-1875) la prophétie selon laquelle un empire universel verrait le jour en 1879, qui établirait la paix mondiale. En 1877, Saint Yves publia son premier ouvrage intitulé Clefs de l'Orient sur l'ordre social, appelé "synarchie" (harmonie des dominations41), de l'empire universel du futur tant attendu - les États-Unis d'Europe. Il fut dédié au comte de Chaudordy, un des premiers représentants d'une Triple Entente entre la France, l'Angleterre et la Russie. Dans ce livre et ceux qui suivirent jusqu'en 1886, Saint Yves argumentait que l'organisme social des États européens devait subir une transformation radicale sous la forme d'une triarticulation pour des raisons de développement spirituel et occulte. Ces trois domaines devraient devenir autonomes les uns des autres dans le corps social national, remplacer l'État unitaire traditionnel et former trois "conseils" à l'échelle européenne : un Conseil international des Églises nationales, qui incarnerait l'"autorité" spirituelle ; un Conseil européen des États nationaux pour gérer le "pouvoir" extérieur ; enfin, les représentants dirigeants de l'économie, de l'industrie et de la finance devraient également se réunir dans un Conseil européen des communes nationales propre.42

35 W.T. Stead (éd.) : The M.P. for Russia. Reminiscences and Correspondence of Madame O. Novikoff, 2 vol. Londres 1909, vol. I, p. VI. Stead ajoute que Novikova "était presque aussi familière avec les controverses qui ont fait rage autour du Filioque qu'avec les clauses du traité de Berlin".

36 Stead (éd.) : The M.P. for Russia, vol. I, p. 406.

37 Lev Aronov, Chenrik [Henryk] Baran, Dmitrij Zubarev : Knjaginja Ekaterina Radzivill i "Protokoly sionskich mudrecov" : Mistifikacija kak obraz žizni, dans : Novoe literaturnoe obozrenie 96, 2009, p. 76-133 ; Michael Hagemeister : "Alles nur Betrug und Lüge" ? Faits et fictions dans la vie de Catherine Radziwill, dans : Agnieszka Brockmann e.a. (éd.) : Kulturelle Grenzgänge. Mélanges pour Christa Ebert. Berlin 2012, p. 281-292.

38 Née Karolina Rzewuska (1793/95-1885), elle fut, sous le nom de Sobańska, la maîtresse du poète national polonais Adam Mickiewicz et une espionne russe.

39 Célestin Valois : Balzac et le Martinisme ou Lécrivain héraut du Temple, chapitre "Autour de la Pologne - Madame Hanska", 8 décembre 2007, http://www.bldt.net/ Om/spip.php ? Article69 7.

40 Éliphas Lévi : Dogme et rituel de haute magie. T. II : Rituel. 2e éd. Paris 1861, p. 330 et suivantes. L'ancien abbé Alphonse-Louis Constant, alias Éliphas Lévi, se référait à la doctrine des archanges comme régents du temps, que le bénédictin Trithemius von Sponheim avait développée au XVIe siècle à la cour de l'empereur Maximilien Ier.

41 Sur la synarchie en général, Jean Saunier : La Synarchie. Paris 1971 ; Jacques Weiss : La Synarchie : l'autorité face au pouvoir depuis la préhistoire jusqu'à la prochaine paix selon Saint Yves d'Alveydre. Paris 1967 ; Jean Saunier : Saint Yves d'Alveydre ou une synarchie sans énigme. Sur la persistance de l'idée de synarchie en France sous la IVe République et le gouvernement de Vichy au sein du "Mouvement Synarchique d'Empire", voir Geoffroy de Charnay : Synarchie. Paris 1946 ; André Ulmann, Henri Azeau : Synarchie et pouvoir. Paris 1968 ; Annie Lacroix-Riz : Le Choix de la défaite. Les élites françaises dans les années 1930. Paris 2006. Généralement "conspirationniste" : Richard F. Kuisel : The Legend of the Vichy Synarchy, in : French Historical Studies 6/3, 1970, p. 365-398. Olivier Dard : La Synarchie, ou : Le mythe du complot permanent. Paris 1999.

42 Au plus tard en 1885, on s'intéresse à l'œuvre de Saint Yves dans les rangs du Grand Orient de France : "Nous apprenons la prochaine fondation à l'orient de Paris d'une nouvelle Loge sous le titre distinctif de "Synarchie". Un certain nombre de Francs-Maçons profondément frappés du haut enseignement social renfermé dans les livres des Missions de M. de Saint Yves dont nous avons dit quelques mots dans notre dernier numéro, ont résolu de dormir un corps, au sein de la maçonnerie, à la doctrine professée par l'illustre penseur". Le Monde maçon-nique, avril 188 5 ; cité d'après Saunier : Saint Yves d'Alveydre, p. 300.

Dans son ouvrage ésotérique de plus de 900 pages intitulé Mission des Juifs (1884), Saint Yves voulait montrer comment la "synarchie trinitaire" s'était déjà pleinement développée dans la vie sociale du judaïsme ancien après la sortie d'Égypte, mais avait ensuite commencé à dégénérer en anarchie jusqu'à la naissance de Jésus. Un Israélite, Jésus-Christ, serait cependant aussi la promesse du futur renouvellement social de la synarchie, lorsque celle-ci embrassera un jour l'humanité entière. Saint Yves a attribué aux Juifs un rôle clé positif dans le développement et la mise en œuvre terrestre de l'ordre social universel divin, qui devient dans les Protocoles les plans d'une future domination mondiale qui sera réalisée sous un despote bienveillant de la maison de David.43

C'est de cette rencontre avec un mystérieux oriental nommé Hardjij Scharipf Bagwandass44 que naît le livre de Saint Yves, Mission de l'Inde en Europe, Mission de l'Europe en Inde (1886).45 Dans cet ouvrage, Saint Yves défendait l'idée que la synarchie était déjà réalisée depuis longtemps dans les profondeurs de la terre, dans les montagnes de l'Asie intérieure, dans la "Terre sainte de l'Agarttha", par une société spirituellement et technologiquement très supérieure, avec des chemins de fer et une aviation développés, sous la direction du "Maître de l'univers" et Souverain Pontife, le Brahatma. L'Agarttha se révélerait à nouveau au monde lorsque les dirigeants de ce dernier mettraient en œuvre la loi sociale de la synarchie dans la réalité.46

Dans la deuxième partie, qui traite de la "mission de l'Europe en Asie" et donc de questions contemporaines, Saint Yves aborde le Great Game, qui avait pris des allures dramatiques en 1885/86. S'adressant aux Russes, il écrit qu'une éventuelle victoire en Asie sur l'Empire britannique ne serait pas comprise par les peuples locaux comme une libération, mais comme une nouvelle conquête, si la Russie n'adoptait pas la loi de la synarchie pour apporter, en même temps que la libération politique, la rédemption sociale. De plus, la Russie pourrait alors se joindre à l'Angleterre et à l'Europe (par laquelle il entend surtout la France) et former, avec les peuples d'Asie, la Sainte Alliance, qui est à la base de toute foi et de toute science.47

En décembre 1887, Edward Robert Bulwer-Lytton, First Earl of Lytton, est arrivé à Paris en tant que nouvel ambassadeur britannique. Il avait commencé sa carrière politique en 1850 en tant qu'attaché non rémunéré de son oncle Sir Henry Bulwer, alors ambassadeur à Washington. De 1876 à 1880, Lord Lytton a servi en tant que vice-roi britannique des Indes et s'est particulièrement concentré sur les relations avec l'Afghanistan. Il termina sa carrière politique en tant qu'ambassadeur britannique en France (1887-1891), où il se fit aussi un nom en tant que poète (nom de plume Owen Meredith), à l'instar de son célèbre père, Edward Bulwer-Lytton, qui connaissait bien le monde de l'occulte. Il traduisit lui-même l'hommage de Saint Yves à la reine Victoria, Poème de la Reine Lord Lytton devait poursuivre les négociations avec Jean-Baptiste Damaze de Chaudordy (auquel Saint Yves avait dédié ses Clefs de l'Orient), mais ce dernier les faisait dépendre de l'entrée de la Russie dans l'Alliance. Lytton, qui s'était encore prononcé en 1877/78 pour une guerre avec la Russie sur la question de l'Afghanistan,48 songea alors jusqu'à sa mort en 1891, comme le prince de Galles Edward VII, Lord Salisbury et Randolph Churchill, à une amélioration des relations entre les deux empires.

Aux yeux de Saint Yves d'Alveydre, le rapprochement entre Russes et Anglais était un préalable à l'union mystique et synarchique des souverains européens avec le "temple universitaire de l'Agarttha". 49 La réorganisation sociale à l'aide de la synarchie devait être présidée par le Souverain Pontife, auquel Saint Yves consacra ses quatre livres sur les "missions" synarchiques : "Ainsi, la synarchie peut s'accomplir ex cathedra, sous l'égide du Souverain Pontife européen, redevenu accessible à tous les Judéo-Chrétiens sans exclusion de cultes, d'universités ni de peuples. Cette réorganisation supra-nationale est la clef de voûte possible de tout l'État Social européen. "50 Dans l'utopie sociale des Protocoles, le rôle du "Brahatma" Souverain Pontife est tenu par le "Roi des Juifs" qui "posera sur sa tête sacrée la couronne que l'Europe doit lui offrir, alors il sera l'ancêtre, le patriarche du monde entier", à l'image du dieu hindou Vishnu aux cent mains qui "symbolisent sa toute-puissance". 51

Pour donner une consécration poétique supplémentaire à toute l'entreprise, Saint Yves créa en 1889 trois grands poèmes en vers adressés à la reine d'Angleterre, au couple royal du Danemark et au tsar Alexandre III de Russie. La préface de cette dernière œuvre, publiée par Papus dans sa revue L'Initiation en novembre 1889, indiquait clairement que Saint Yves considérait le rapprochement franco-anglo-russe comme la pierre angulaire du règne de Dieu sous la forme de la synarchie. Saint Paul, apôtre de la liberté, serait le guide spirituel de l'Angleterre, Saint Jean, apôtre de la fraternité, celui de la Russie, et Saint Pierre, apôtre de l'égalité devant la loi sociale évangélique, celui de la France et des autres Latins (y compris le Vatican). Tous trois sont en effet "très unis dans le ciel".52

43 Joseph-Alexandre Saint Yves d'Alveydre : Mission des Juifs. Même le biographe bienveillant de Saint Yves, Jean Saunier, fait référence au "caractère provocateur" du livre "qui expliquerait le déferlement d'antisémitisme de ces années en France". Saint Yves d'Alveydre : Mission des Juifs, p. 129.

44 Joscelyn Godwin : Saint Yves d'Alveydre and the Agarthian Connection, in : The Hermetic Journal 32, 1986, p. 24-34 ; 33, 1986, p. 31-38.

45 Alexandre Saint Yves d'Alveydre : Mission de l'Inde en Europe. Mission de l'Europe en Asie. Paris 1886 [édition retirée], Paris 1910, réédité à Nice en 1995, p. 23.

46 Ibid., p. 25.

47 Ibid., p. 228f.

IV.

Papus se considérait comme l'exécuteur du testament synarchique de Saint Yves. Son Maître intellectuel, qu'il rencontra pour la première fois en octobre 1887, "le marquis de Saint Yves d'Alveydre a révélé aux intellectuels la seule voie politique compatible avec l'initiation : la synarchie",53 écrivait Papus dès 1888. Lors du premier Congrès de l'Occultisme, le 9 mai 1907, Papus insista sur la nécessité de diffuser "l'étude de la synarchie telle qu'elle a été formulée dans les missions de Saint Yves" par le travail des loges martinistes et des "sociétés associées". 54

Une loge martiniste a pu être ouverte dans la métropole cosmopolite de Salonique, sur le sol de l'Empire ottoman en pleine fermentation55 , dont les membres fréquentaient en outre les loges maçonniques régulières Macedonia Risorta et Véritas.56 Outre les Juifs séfarades autochtones, ce sont surtout les soi-disant dönmes (convertis),57 qui y jouaient un rôle déterminant. Bien que nominalement musulmans, les "dönmes", qui se tenaient à l'écart de la communauté juive, suivaient les enseignements hérétiques du rabbin Sabbatai Zevi (1626-1676), qui s'était fait proclamer "messie" à Jérusalem en 1665 et s'était converti à l'islam le 16 octobre 1666 en présence du sultan ottoman. Le sabbatianisme était un autre lien qui unissait les maçons de Salonique à l'Italie, en particulier à la maçonnerie occultiste Misraïm de Venise et aux Carbonari, proches de ce dernier courant.59 Les Dönme jouaient un rôle significatif dans ces loges ; leur solidarité de groupe et leur expérience du secret et de la double identité servaient de modèle.60 Les deux loges susmentionnées constituaient des lieux de rencontre clandestins et des refuges pour la "Société ottomane de la liberté" (Osmanlı Hürriyet Cemiyeti), qui travaillait dans la clandestinité contre le sultan, et qui devint plus tard la direction révolutionnaire interne du "Comité pour l'unité et le progrès" (Îttihad ve Terakki Fırkası) des Jeunes-Turcs. Tous les membres fondateurs, sauf un, étaient initiés dans la Macedonia Risorta italienne et les Uéritas françaises.61

48 John D. Rose : Salisbury-Lytton. The Controversy over Russia's Threat to India, 1876-1878, dans : The New Review. A Journal of East European History 13/1-2, 1973, p. 3-16.

49 Saint Yves d'Alveydre : Mission de l'Inde, p. 138 et suivantes.

50 Ibid., p. 161.

51 Jeffrey L. Sammons (éd.) : Les Protocoles des Sages de Sion. Le fondement de l'antisémitisme moderne - une falsification. Texte et commentaire. Göttingen 42007, p. 86, 91.

52 Saunier : Saint Yves d'Alveydre, p. 371f.


53 Papus : Traité élémentaire de science occulte. 5e éd. Paris 1898, p. 327.

54 André/Beaufils : Papus, p. 321. Cf. Papus : Anarchie, indolence & synarchie. Les lois physiologiques d'organisation sociale et l'ésotérisme. Paris 1894.

55 L'homme de Papus à Salonique était Amon de Medonça, manifestement originaire d'Haïti, qui se vantait dans une lettre adressée en 1915 au Grand Orient de Paris d'avoir fondé après 1900 une dizaine de loges à Salonique. Paul Dumont : La Franc-Maçonnerie d'obédience française à Salonique au début du XX siècle, in : Turcica 16, 1984, p. 65-94, ici p. 83 et suiv. ; Thierry Zarcone : Salonique, in : Saunier (éd.), Encyclopédie de la franc-maçonnerie, p. 792 ; de Maistre : L'énigme René Guénon et les "Supérieurs Inconnus", p. 615.

56 La loge Macedonia Risorta était issue, sur le modèle de Mazzini, d'un atelier fondé en 1864 par la Grande Orientation d'Italie sous le Grand Maître Garibaldi. La deuxième loge importante de la ville, la Veritas, fondée en 1904, dépendait du Grand Orient de France.

57 Marc D. Baer : The Dönme. Jewish Converts, Muslim Revolutionaries, and Secular Turks. Stanford 2009 ; le même : Globalization, Cosmopolitanism, and the Dönme in Ottoman Salonica and Turkish Istanbul, in : Journal of World History 18/2 (2007), p. 141-170 ; le même : The Double Bind of Race and Religion. The Conversion of the Dönme to Turkish Secular Nationalism, in : Comparative Studies in Society and History 46/4 (2004), p. 682-708.

Les diplomates britanniques antisémites, comme le nouvel ambassadeur Sir Gerard Lowther (1858-1916), voient dans le "Comité juif [sic !] pour l'unité et le progrès", partisan de la Révolution française "impie et nivelante", la signature d'un complot judéo-maçonique international par lequel "le Juif" travaille à une prise de contrôle économique de la Turquie et alimente les dissensions entre les Turcs et ses concurrents potentiels comme les Grecs et les Arméniens, tout en augmentant la dépendance de l'État vis-à-vis des dettes des financiers juifs. "Le Juif déteste la Russie et son gouvernement, et le fait que l'Angleterre soit désormais amicale avec la Russie a pour effet de rendre le Juif dans une certaine mesure anti-britannique en Turquie et en Perse - une considération à laquelle les Allemands sont, je pense, sensibles "62.

Papus, quant à lui, s'intéressa très tôt aux affaires ottomanes et entretint une correspondance avec le sultan Abdül-hamid II, qui avait transmis à Papus son estime. C'est ainsi qu'il écrivit au sultan en 1893 :

L’Europe est profondément troublée en ce moment. L’athéisme et l’irreligion des pharisiens qui gouvernent les peuples et les âmes vont bientôt porter leurs fruits et deux seules alternatives se présentent de plus en plus menaçantes : le triomphe de la révolution sociale dirigée par les sociétés secrètes chez les peuples chrétiens ou le triomphe du césarisme tartare sous l’impulsion des rois et des princes d’Occident, que ces solutions se produisent avec ou sans une guerre. Or, à ce système de spoliation des territoires, conséquence de l’État matérialiste des esprits, succédera, en cas de création des États-Unis d’Europe, une sûreté absolue pour l’avenir de la Turquie dont personne n’aura plus même l’idée d’envier la situation, la prospérité et la richesse. C’est l’affaire de 50 ans au plus [ ... ] .63

Lors d'une conférence ésotérique du 25 janvier 1912, Papus précisa quels "grands bouleversements" l'Europe allait connaître : La disparition de la papauté en tant que pouvoir temporel sera suivie par l'effondrement de l'Angleterre et de sa maison royale, car la classe des lords, qui possède les biens fonciers, doit disparaître par une restructuration sociale. En outre, il existe une prophétie qui parle du grand roi et du grand pape à venir (un écho au "roi des Juifs" dans les Protocoles) : "Cette prophétie vous a souvent été déve-loppée : elle prétend qu'il y aura des Etats-Unis d'Europe, et que ces Etats-Unis s'organiseront pour nommer un roi parlementaire - n'oublions pas le parlementarisme - qui dirigera le tout. "64

58 Cf. l'œuvre fondamentale de Gershom Scholem : Sabbatai Zwi. Le Messie mystique. Frankfurt/M. 1999 ; en outre, le même : Die jüdische Mystik in ihren Hauptströungen. 6e éd. Frankfurt/M. 1996, p. 315-355 ; Matt Goldish : The Sabbatean Prophets. Cambridge, Mass. 2004.

59 Galtier : La Maçonnerie égyptienne, p. 59, 116 et suivantes, 170 et suivantes.

60 Parmi les 150 frères de la Loge Véritas, 129 étaient juifs et 15 musulmans ou dönmes en 1908. Un tiers des frères de la loge L'Avenir de l'Orient étaient des Dönme. Cf. Baer : The Dönme, 94 et suiv.

61 M. Şükrü Hanioğlu : The Young Turks in Opposition. Oxford 1995, p. 40 ; le même : Preparation for a Revolution. The Young Turks, 1902-1908. Oxford 2001, p. 212 et suivantes ; Paul Dumont : La franc-maçonnerie ottomane et les "idées françaises" à l'époque des Tanzimat, dans : Revue du monde musulman et de la Méditerranée 52/1, 1989, p. 150-159.

62 Sir G. Lowther à Sir C. Harding, Constantinople, 29 mai 1910 ; FO 800/193A (Lowther Papers) ; cité d'après Elie Kedourie : Young Turks, Freemasons and Jews, in : Middle Eastern Studies 7/1 (1971), p. 89-104, ici p. 100.

Dans sa correspondance, Papus aimait également laisser entendre que les Supérieurs Inconnus, si souvent évoqués dans le martinisme, étaient déjà en train d'élaborer les grands bouleversements. Le 28 octobre 1905, il écrivit à l'ambassadeur russe à Rome Nikolaj Murav'ëv (1850-1908), qui avait été ministre de la justice de l'empire tsariste de 1894 à 1905 et qui correspondait fréquemment avec Papus à cette époque : "il se monte en ce moment en France une nouvelle société occulte financière et politique qui pourra être d'un grand secours à nos amis. Je vous enverrai à mesure tous les documents sur cet intéressant sujet". 65 Dans une autre lettre de 1912, Papus justifiait son activité par les mots suivants : "Ne croyez pas que je sois seul à lutter pour les idées de Saint Yves, un grand mouvement d'organisation synarque se réalise en ce moment dans beaucoup de contrées et nous sommes beaucoup dévoués à cette réalisation, mais nous jugeons inutile de le crier encore sur les toits. "66

La Russie était particulièrement bien choisie pour la réalisation de la synarchie, et l'intérêt des martinistes pour la situation politique et sociale dans l'empire tsariste n'était que trop évident. Lorsque le couple impérial Nicolas II et Alexandra se rendit pour la première fois en France en visite d’État à l'automne 1896, où ils furent reçus par Faure à Cherbourg, Papus publia dans L'Initiation un message dans lequel il recommandait au tsar la lecture de Fabre d'Olivet et de Saint-Yves. La Russie est "le pays le plus réellement religieux et le plus proche des voies providentielles" de tous les pays occidentaux, elle a donc un rôle précis à jouer. Le martiniste Gary de Lacroze, ancien condisciple de Papus au Collège Rollin, membre de l'Ordre de la Rose-Croix Catholique et Esthétique du Temple et du Graal de Péladan ainsi que du Groupe Indépendant d'Études Ésotériques, a exprimé à l'écrivain Frédéric Boutet combien Papus était proche de son modèle.

63 Papus au sultan Abdülhamid II, 27 janvier 1893 ; cité par Encausse : Sciences oc-cultes, p. 380 et suivantes.

64 Encausse : Papus : Le "Balzac de l'Occultisme", p. 104f.

65 Papus à Nikolaj Murav'ëv, 28 octobre 1905, Fond Papus, Bibliothèque Munici-pale de Lyon, Ms. 5486-25, corr. Russie. Le frère cadet de Murav'ëv, le colonel d'état-major général comte Valerian Murav'ëv-Amurskij (1861-1922) était ami avec Papus depuis environ 1891. A plusieurs reprises, Murav'ëv-Amurskij accompagna Papus lors de ses voyages à Saint-Pétersbourg, où il appartenait à la loge martiniste locale. André/Beau-fils : Papus, p. 109 et suivantes, 179 et suivantes, 208. En raison de son intervention dans l'affaire Dreyfus - il se prononça, dans le sens de Papus et de Maître Philippe, contre une punition des calomniateurs de Dreyfus - Mourav'ëv-Amourskij fut, à l'instigation de Witte, révoqué de son poste parisien en 1902 et muté en province russe. André/Beaufils : Papus, p. 255. C'est là que, selon ses propres dires, Alexandre du Chayla l'a rencontré. Murav'ëv-Amurskij lui aurait raconté son séjour à Paris et aurait tenu des propos désobligeants à l'égard de ses anciens protégés Papus et Philippe. Il aurait éprouvé une véritable haine envers Papus, dont les "bons" conseils l'auraient ruiné, et l'aurait "violemment" accusé "au sujet des procès-verbaux", A. du Chayla à Vladimir Burcev, 28 décembre 1937 ; GARF f. 5802, op. 1, d. 682, p. 2. - Je dois cette information à Michael Hagemeister.

66 Papus à Staïr-Siddhar, non daté [1912], Fond Papus, Bibliothèque Municipale de Lyon, Ms. 5493, Papiers divers.

67 L'Initiation, octobre 1896 ; André/Beaufils : Papus, p. 174. En juin, La Revue Blanche avait publié une "lettre ouverte à Nicolas II" d'un russe, exprimant des idées analogues.

Cagliostro et qu'il aurait le même succès que le rite égyptien de l'Italien, qui, comme on le sait, comprenait le rite de Misraïm ou de Memphis-Misraïm.68 Lacroze estime que cela pourrait signifier, pour les intellectuels russes, que la doctrine et le plan d'une révolution russe pourraient ainsi voir le jour. Peu avant le déclenchement de la guerre, Papus aurait parlé de sa mort prochaine et de l'avenir du martinisme : "Il se développe et entre sur le plan des réalisations politiques : J'ai mis à l'ordre des Loges un programme social qui a beaucoup de succès : le service civil obligatoire". Lacroze a commenté cette déclaration : "C'est le germe du soviétisme".69

En mars 1913, Papus posa à nouveau la question rhétorique de savoir si la guerre allait éclater au printemps, car les images astrales de la guerre étaient très vives.70 La guerre attendue servirait à la naissance d'une "Nouvelle Europe", laissait entendre Papus un an plus tard en l'approuvant, car les mystérieux Supérieurs Inconnus ("quelques hommes modestes, inconnus, quelques grands financiers, supérieurs, par leur conception large des actions sociales, aux politiciens orgueilleux qui se figurent, une fois ministres éphémères, gouverner le monde") agissaient selon une science de l'organisation sociale qui viendrait des anciens temples d'Égypte et aurait été conservée dans certains centres hermétiques. 71 Ainsi inspirés, ils négocieraient déjà, dans des "organismes peu connus de la politique internationale", la réorganisation de la carte européenne : "la libération de la Pologne devenue le centre d'une Suisse balkanique, la disparition de l'Autriche et la constitution des États-Unis d'Europe après l'écrasement définitif de la féodalité militariste" [sous-entendu : les puissances centrales]. Ce nouvel ordre ne pouvait toutefois être réalisé qu'après un profond bouleversement social.

Selon Papus, au tournant du siècle, c'est surtout un homme politique qui faisait obstacle au "projet synarchique" en Russie, tout comme à la politique d'alliance : le ministre des Finances de Russie, Sergueï Witte (1849-1915)72 , qui voyait dans les régions asiatiques de l'empire tsariste, en particulier la Sibérie, le potentiel d'un développement futur. Pour atteindre son objectif, Witte soutenait aussi les représentants d'une "politique d'orientalisation" religieuse, culturelle et politique de l'empire tsariste.73 Il fallait, pour pouvoir concurrencer les États plus développés sur le plan industriel, être la première grande puissance à s'assurer également une zone d'influence en Chine et à la pousser dans la dépendance économique.

68 L'antisémite Leslie Fry a affirmé que Justin'ja Glinka avait acquis les Protocoles à Paris en 1884 avec l'aide du juif Joseph Schorst et les avait rapportés en Russie. Théodore Joseph Schorst (Schapiro) aurait été membre d'une loge du rite de Misraïm. Voir l'article de Michael Hagemeister "Das verschollene Exemplar der Lenin-Bibliothek" dans ce volume. Les accusations portaient essentiellement sur le fait qu'Adolphe Crémieux, le fondateur de l'Alliance Israélite Universelle, détenait le plus haut grade, le 90°, dans le Rite de Misraïm. Papus demanda cependant en vain en 1896 et 1897 à être admis dans le Rite de Misraïm. Ce n'est qu'en 1908 qu'il obtint des hauts grades des Rites Unis de Memphis et de Misraïm. Galtier : La Maçonnerie égyptienne, p. 128-133, 294-296 ; Serge Caillet : La Franc-maçonnerie égyptienne de Memphis-Misraïm, 2e éd. augmentée. Paris, p. 163-170.

69 Cité d'après Encausse : Sciences occultes, p. 96 et suivantes.

70 Mysteria, mars 1913 ; cité d'après André/Beaufils : Papus, p. 320.

71 Allusion évidente à la maçonnerie égyptienne (Memphis-Misraïm) et à son influence au XIXe siècle.

Les projets de Witte n'étaient pas seulement incompatibles avec les intérêts géopolitiques et économiques impérialistes de l'Empire britannique (et de plus en plus aussi des États-Unis d’Amérique) en Asie, ils mettaient aussi à mal les souhaits français d'une alliance militaire de plus en plus développée, selon laquelle la Russie devait regrouper ses forces en Occident. Dès avril 1897, Juliette Adam et Édouard Drumont dénoncent l'intention de Witte et du "parti allemand représenté par Witte" de transformer la Russie en "puissance asiatique" afin de l'"impliquer dans les conflits d'Extrême-Orient", ce qui permettrait à l'empereur allemand Guillaume II de viser "l'hégémonie en Europe "74. Pour Drumont, antisémite notoire, Witte était de toute façon irrémédiablement corrompu parce qu'il était "marié à une Juive et associé à une bande de financiers cosmopolites", parmi lesquels se distinguaient les Rothschild. Witte a "peu à peu poussé la Russie vers le système juif",75 ce qui peut être constaté par le fait que Witte avait introduit l'année précédente le monopole d'État sur la vente d'alcool dans quatre provinces du Reich.

Après son premier séjour en Russie, Papus était déterminé à s'opposer à Witte et à son orientation politique. Le 24 octobre 1901 parut le premier d'une série d'articles dans le journal L'Echo de Paris, que Papus publia en collaboration avec le journaliste antisémite Jean Carrère sous le pseudonyme de "Niet" (non).76 Les articles sous-entendaient qu'il existait en Russie une conspiration secrète, anglo-allemande, mais implicitement avant tout "juive" par la référence à la maison Rothschild, sous la forme d'un cartel financier tout-puissant : "Il s'est donc fondé, en Europe, il y a quelques années, un syndicat financier, aujourd'hui tout puissant, dont le but suprême est d'accaparer tous les marchés du monde, et qui, pour faciliter ses moyens d'action, doit fatalement, conquérir l'influence politique. [ ... ] le centre est à Londres, et [ ... ] les ramifications les plus importantes sont à Vienne et en Allemagne".77 L'acte le plus récent de ce cartel serait la monopolisation des mines d'or à l'aide de la guerre au Transvaal.78

Les conspirateurs tentaient d'influencer la politique mondiale selon le principe "le pouvoir par l'or et l'or par le pouvoir" et de saper la position du tsar. Ils prévoient d'affaiblir la Russie et la France et de détruire l'Entente franco-russe. L'agent principal de ce complot serait Sergej Witte, corrompu par son ambition et son orgueil : "marié avec une femme d'origine israélite, ce qui lui permet, quand c'est nécessaire, d'avoir pied dans l'autre camp. Seul de tous les ministres, il peut influencer sur la destinée de la Russie".79

Lorsque, par la suite, le ministre de l'Intérieur conservateur Vjačeslav von Pleve affirma au tsar que Witte était l'instrument d'un complot juif, ce dernier dut démissionner de son poste de ministre des Finances en août 1903. La mention du Transvaal, annexé par l'Empire britannique à la fin de la deuxième guerre des Boers, indique qui Papus visait en premier lieu comme organisateurs du "cartel", en plus de Witte : le Premier ministre de la colonie du Cap Cecil Rhodes, son ami le gouverneur de la colonie du Cap Alfred Milner et le complexe bancaire de la famille juive Rothschild, lié aux deux.

72 Pour la biographie : Sidney Harcave : Count Sergei Witte and the Twilight of Imperial Russia. Une biographie. Armonk, N.Y. 2004

73 David Schimmelpenninck van der Oye : Toward the Rising Sun. Les idéologies russes de l'Empire et le chemin vers la guerre avec le Japon. DeKalb, Ill. 2001, S. 61-82.

74 Rollin : L'Apocalypse, p. 343.

75 Ibid., p. 13.

76 Sous forme de livre sous le titre : Niet : La Russie d'aujourd'hui. Le tsar, les grands-ducs, les ministres, la société, les finances, la police, l'administration, la diplomatie. Paris 1902.

77 Niet : La Russie d'aujourd'hui, p. 6.

78 Ibid., p. 7.

79 Ibid., p. 150-155.

V.

Nous arrivons ainsi au dernier cercle de personnes autour de Papus. Celui-ci s'intéressait depuis longtemps aux expériences occultes et spirituelles de William Thomas Stead (1849-1912), fondateur du "nouveau journalisme" et figure dominante de la vie publique de l'île britannique.80 Depuis 1881, Stead assistait à des séances de spiritisme. Son propre don de médium s'est manifesté pour la première fois en 1892 : il recevait depuis lors régulièrement des messages de "défunts" via le "téléphone écrivant", la faculté d'écriture auto-matique, ou le "téléphone bifurqué", comme il appelait le corps humain.81 Depuis 1894, il publiait la revue trimestrielle Borderland, qui était régulièrement annoncée et spécialement commentée dans Le Voile d'Isis de Papus.82 De son côté, Papus établit une liste d'adresses des cercles mis en place par Borderland et de leurs membres, qu'il regroupa selon leurs capacités occultes telles que "clairvoyance, télépathie, occultisme, auto-écriture, etc".83 En 1909 et en mars 1910, il rendit visite à Stead à Mowbray House.84


Le 4 avril 1889, Stead avait fait la connaissance de l'impérialiste sud-africain Cecil J. Rhodes (1853-1902).85 Rhodes était Premier ministre de la colonie du Cap et président de De Beers, l'une des plus grandes et des plus riches corporations du monde en 1895.86 Il voulait consacrer son immense fortune, acquise en Afrique du Sud dans les mines d'or et de diamants et à la bourse, à la création d'une société secrète pour étendre l'influence du monde anglophone, avec la Grande-Bretagne comme noyau, dans le monde entier. Pendant ses études à Oxford, Rhodes devint membre de la loge régulière Apollo n° 357, Orient of Oxford, où il fut élevé au rang de Master Mason en 1877 87 . A l'âge de 24 ans, Rhodes avait déjà acquis sa conviction, qu'il écrivit au printemps 1877 dans une "confession de foi" (Confession of Faith). Il a déclaré qu'il voulait "rendre les guerres impossibles" et offrir enfin à l'humanité le bonheur tant attendu de la paix mondiale.

80 Pour la biographie : Frederic Whyte : The Life of William T. Stead, 2 vol. Londres

1925 ; Grace Eckley : Maiden Tribute. Une vie de W.T. Stead. Philadelphie 2007.

81 Roger Luckhurst : The Invention of Telepathy, 1870-1901, Oxford 2002, p. 127.

82 Le Voile d'Isis, n° 181 (28 novembre 1894).

83 Fond Papus, Bibiothèque Municipale de Lyon, Ms. 5486-13, correspondance Grande-Bretagne.

84 André/Beaufils : Papus, p. 288.

85 Eckley : Maiden Tribute, p. 104.

86 John J. Stephens : Fuelling the Empire, South Africa's Gold and the Road to War. Chichester 2002, p. 222.

87 Daniel Ligou (éd.) : Dictionnaire de la franc-maçonnerie. Paris 2004, p. 1015 ; Apollo University Lodge. The Freemasons' Lodge of the University of Oxford No. 357 http://www.apollo357.com/index.php/history/1870-1914.

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J'affirme que nous sommes la race la plus raffinée du monde et que plus le monde que nous habitons est beau, plus il est bon pour l'espèce humaine. [...] l'absorption de la plus grande partie du monde sous notre domination signifie simplement la fin de toutes les guerres. [ ... ] Je regarde l'histoire et je lis l'histoire des jésuites. Je vois ce qu'ils ont été capables de faire dans une mauvaise cause et je pourrais dire sous de mauvais dirigeants. Aujourd'hui, je deviens membre d'un ordre religieux. Je vois la richesse et le pouvoir qu'ils possèdent, l'influence qu'ils détiennent [ ... ]. Pourquoi ne devrions-nous pas former une société secrète avec un seul objectif - la continuation de l'Empire britannique, pour placer l'ensemble du monde non civilisé sous la domination britannique, pour la restauration des États-Unis, pour faire de la race anglo-saxonne un seul Empire. [ ... ] Pour avancer un tel plan, quelle aide splendide serait une société secrète, une société qui ne serait pas ouvertement reconnue, mais qui [sic !] travaillerait en secret pour un tel objet. [ ... ] Formons la même sorte de société qui devrait avoir ses membres dans chaque partie de l'Empire britannique travaillant avec un objet, et une idée, qui devrait avoir ses membres placés dans nos universités et nos écoles et qui devrait regarder la jeunesse anglaise passer entre leurs mains. [ ... ] La Société devrait inspirer et même posséder des portions de la presse, car la presse règle l'esprit des autres personnes.88

La réalisation de ce plan devint l'obsession de toute une vie. L'ambition de Rhodes était presque sans limite ; il a dit un jour : "Penser à ces étoiles que l'on aperçoit la nuit, à ces vastes mondes que nous ne pourrons jamais atteindre.... J'annexerais les planètes, si je le pouvais ; j'y pense souvent "89.

En juin 1888, dans une lettre à sa personne de confiance, Lord Nathan Rothschild, il explique comment organiser la société envisagée : "En examinant les questions suggérées, prenez la Constitution des Jésuites si vous pouvez l'obtenir et insérez >Empire anglais< pour >Religion catholique romaine.<. "90

88 Cecil Rhodes : Confession of Faith (1877). Bodleian Library, Oxford ; cité d'après Werner Engelmann : Die Cecil Rhodes-Stipenien. Leur histoire et leur signification pour les boursiers allemands. Diss. Heidelberg 1965, p. 157 et suivantes.

89 Cité d'après Leo Huberman : Man's Worldly Goods. The Story of the Wealth of Nations. New York 1936, p. 268 et suivantes.

90 Rhodes à Rothschild, 20 juin 1888, cité d'après Engelmann : Die Cecil-Rhodes-Stipenien, p. 180 ; cf. Carroll Quigley : The Anglo-American Establishment. De Rhodes à Cliveden. New York 1981, p. 34.

Selon les cinq testaments de Rhodes datant de 1877-1892, l'ordre devait fonctionner comme "une sorte de fraternité religieuse comme les jésuites : "une église pour l'extension de l'Empire britannique", "pour former le peuple à l'idée anglophone et travailler pour l'Empire britannique de la manière dont les Jésuites ont travaillé pour l'Église de Rome". "91.

Il avait trouvé en Stead un collaborateur adéquat pour la "sainte cause". Immédiatement après leur première rencontre, le 4 avril 1889, Stead écrivit à sa femme : "Mr. Rhodes is my man ! Je viens d'avoir une conversation de trois heures avec lui. [ ... ] Je ne peux pas te dire son plan parce qu'il est trop secret. [...] Il m'a dit des choses qu'il n'a dites à aucun autre homme - sauf à Lord Rothschild [...]. Rappelez-vous que tout ce qui précède sur R. est très privé.". 92 Stead pensait avec respect au destin futur de tous les anglophones, à savoir dominer le monde. La revue serait donc dédiée à l'objectif de travailler pour l'Empire et de le renforcer, voire de l'étendre si nécessaire.

En 1891, ces projets de création d'une sorte d'"ordre", de "société secrète" ou de "fellowship" prirent une forme plus concrète. Stead présenta Rhodes à Earl Albert Grey, Alfred Milner et Reginald Baliol Brett (Lord Esher). Lord Esher était le conseiller le plus influent du prince de Galles et futur roi Edward VII, qui détenait aussi le grade maçonnique de Grand Maître de la Grande Loge Unie d'Angleterre. A la fin de l'été 1891, Rhodes fit savoir dans une lettre "top secrète" à Stead que ses idées n'avaient pas changé depuis la "profession de foi" de 1877. Dans ses deux derniers testaments, Rhodes ne mentionnait plus la création d'une société secrète, mais prévoyait l'octroi de bourses d'études destinées à éduquer l'élite juvénile des colonies et des États-Unis, mais aussi d'Allemagne, dans l'esprit britannique à l'Université d'Oxford93. Il ne faut pas en conclure que Rhodes aurait abandonné en quelques mois son ancien projet, soi-disant "immature", auquel il s'était accroché pendant quinze ans.94 Stead a aussi souligné que les bourses ne devaient pas remplacer une "société secrète", mais au contraire permettre son fonctionnement.95

91 Cité d'après Engelmann : Die Cecil-Rhodes-Stipendium, p. 160 ; Quigley : The Anglo-American Establishment, p. 34 ; Whyte : The Life of William T. Stead, vol. II, p. 208 et suivantes ; cf. William T. Stead : The Last Will and Testament of Cecil John Rhodes. Londres 1902, p. 211 ; Robert I. Rotberg : The Founder. Cecil Rhodes and the Pursuit of Power. Oxford 1988, p. 663 et suivantes.

92 Cité d'après Whyte : The Life of William T. Stead, vol. I, p. 270 et suivantes ; cf. Quigley : The Anglo-American Establishment, p. 37 et suivantes. L'implication de Nathan Rothschild apportait naturellement de l'eau au moulin des théoriciens d'un complot juif mondial. Mais dès 1891, Rhodes était tellement désabusé par Nathan Rothschild qu'il cherchait un fiduciaire supplémentaire pour sa fortune, car il considérait le banquier comme "totalement incapable" de comprendre sa pensée. Cité d'après Stead : The Last Will, p. 103 ; cf. Niall Ferguson : The House of Rothschild. Money's Prophets 1798-1848. New York 1999, p. 362. En février 1901, Sir Clinton Dawkins, associé de J.P. Morgan, écrit à Milner : "the next 20 years ought to see the Rothschilds thrown into the background, and the Morgan group supreme. [...] les États-Unis vont dominer de la plupart des façons". Bodleian Library Oxford, Milner Pa-pers 214/42.

Rhodes rêvait alors plus que jamais d'une fusion de la Chambre des Communes britannique et du Congrès américain, d'une capitale anglophone à Washington, d'une union anglo-américaine qui régnerait sur le monde entier et assurerait la paix pour l'éternité. Rhodes estimait que la réalisation de l'union anglophone était encore plus importante que l'indépendance de l'Empire britannique. Sa vision était généreuse et sa réalisation s'étalait sur une longue période. Il ne prévoyait une union anglo-américaine et la réalisation de la paix mondiale que dans cent ans96.

Le programme politique de Rhodes présente également des parallèles évidents avec les "plans" présentés dans les Protocoles en ce qui concerne les objectifs et leur réalisation (société secrète, contrôle de l'éducation et de la presse). Même le "vrai pape de l'Église universelle" trouve son équivalent dans les "Lettres du Vatican" que W. T. Stead a rédigées en automne 1889 dans la Pall Mall Gazette. Il y recommandait au Vatican, s'il voulait encore jouer un rôle dans le futur Nouvel Ordre (New Order), qui était entre les mains des peuples anglophones, que la papauté s'occidentalise, s'anglicise ou s'américanise, voire que le pape lui-même "pense anglais".97

93 Engelmann : Les bourses Cecil Rhodes ; Thomas J. Schaeper, Kathleen Schaeper : Cowboys into Gentlemen. Rhodes Scholars, Oxford, and the Creation of an American Elite. Oxford 1998.

94 Comme l'affirme généralement la littérature spécialisée, voir Engelmann : Die Cecil Rhodes-Stipenien, p. 15 et suivantes ; Frank Aydelotte : The American Rhodes Schol-arships. A Review of the First Forty Years. Princeton 1946, p. 15 et suivantes.

95 Cf. Engelmann : Les bourses Cecil Rhodes, p. 29.

96 Aydelotte : The American Rhodes Scholarships, p. 113.

97 William T. Stead : The Pope and the New Era. Being Letters From the Vatican in 1889, Londres 1889, p. 28.

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Stead propose que la Grande-Bretagne et les États-Unis s'unissent par le biais d'une union politique, mais aussi par les liens du sang renoués par des mariages intercontinentaux. Le sang britannique serait ainsi revitalisé par l'énergie débordante de l'Amérique. Mais il prévoyait aussi que l'influence principale des États-Unis se ferait sentir à l'avenir dans la culture, la presse, le journalisme, la musique et le théâtre, ainsi que dans le mode de vie en général, et que les Américains s'immisceraient constamment dans les affaires des autres continents et peuples avec un besoin de mission messianique. 98

Stead perdit la confiance de Rhodes vers 1900 parce qu'il s'était publiquement opposé à l'action des Britanniques pendant la guerre des Boers et qu'il avait fait connaître au grand public britannique et américain certaines idées clés de Rhodes.99 Alors que la personne de Stead passait au second plan et que son nom fut même rayé du testament en 1901, Alfred Milner, haut-commissaire d'Afrique du Sud, devint le successeur spirituel et l'exécuteur des volontés de Cecil Rhodes. En 1897, Milner avait été nommé haut-commissaire d'Afrique du Sud.

En 1888, Stead avait fait la connaissance de Catherine Radziwiłł à l'hôtel Europa de Saint-Pétersbourg par l'intermédiaire de son amie Ol'ga Novikova.100 Il est possible que ce soit Novikova qui, trois ans plus tôt, ait fourni au cercle de Juliette Adam du matériel pour le livre La société de Londres.101 En 1896, Stead a de nouveau permis la rencontre de Catherine avec Cecil Rhodes. Enfin, en 1899, Catherine suivit l'impérialiste anglais en Afrique du Sud, où une tension s'ensuivit, dont Alfred Milner s'inquiétait au plus haut point, d'autant plus que Rhodes écrivait à Catherine, le 2 février 1901, à propos de la situation politique en Afrique australe : "Vous ne comprenez pas la situation [...]. Découvrez ce que Milner pense et veut faire, c'est le point le plus important pour moi. "102. Mais aux yeux de Milner, Catherine était "l'animal le plus répugnant que l'on puisse imaginer" et il avertissait en lettres capitales : "Elle est dangereuse !" A une autre occasion, il a fait remarquer : "C'est étrange comme le sexe entre dans ces grandes affaires d'État. Il a toujours. Il veut toujours. Il n'est jamais enregistré, donc l'histoire ne sera jamais intelligible... "103 Milner accusa également Radziwiłł de semer la discorde entre lui et Rhodes "en racontant à chaque partie des mensonges sur ce que l'autre avait dit à son sujet". Elle serait une intrigante au service de puissances ennemies104.

98 William T. Stead : The Americanisation of the World. The Trend of the Twen-tieth Century. Londres, p. 5, 59, 123.

99 Stead : The Last Will ; le même : Mr. Rhodes's Will and Its Genesis, in : The Review of Reviews 25 juin 1902, p. 479-481.

100 W.T. Stead : The Romance of Princess Radziwell, in : Saturday Evening Post, Phi-ladelphia 23 janvier 1904. Copie à la Bodleian Library d'Oxford, Milner Papers 467/87-95.

101 On y lit : "Les juifs, à Londres, dominent tous les marchés ; la Cité est entre leurs mains, la moitié des aldermen et des lords-maires, comme la plupart des grands financiers, sont juifs. La noblesse de finance, par les Baring et surtout par les Rothschild, est à Londres l'égale de la noblesse d'épée ; la société lui ouvre ses portes, non sans quelque restriction cependant, lorsqu'il s'agit d'un fils d'Israël. Des alliances se font entre les vieux lords et les banquiers". Comte Paul Vasili : La société de Londres. Paris 1885, p. 420 et suivantes. Morcos : Juliette Adam, p. 284-288, considère Adam lui-même au moins comme le coauteur, peut-être avec Catherine Radziwiłł ; Frank Fox : The Protocols of the Elders of Zion and the Shadowy World of Elie de Cyon, in : East European Jewish Affairs 27/1, 1997, p. 3-22, ici p. 18, voit en Cyon l'auteur.

On ne sait pas si Catherine Radziwiłł, qui a finalement volé des papiers confidentiels au Cap et imité la signature de Rhodes sur des chèques et des traites, a réellement transmis des informations à Paris avant son incarcération en novembre 1901, informations qui ont ensuite été intégrées dans le pamphlet "Niet" de Papus, ou si Papus a appris par Stead des détails sur les vastes projets de Rhodes.

Il s'avère cependant que des pensées, des idées et des motivations circulaient dans le cercle de personnes autour de Papus, qui réapparaissent dans les Protocoles sous une forme modifiée ou altérée sous la forme de l'utopie juive de domination mondiale. Il ne s'agissait pas exclusivement de "fantasmes de conspiration" littéraires, car des tentatives concrètes ont été faites pour transposer ces idées dans la réalité sociale correspondante.

102 Cité d'après Farrant : The Princess from St. Petersburg, p. 243.

103 Cité d'après Rotberg : The Founder, p. 652-656. Cf. Princess Radziwill : Cecil Rhodes's Future, in : The Review of Reviews 22 (1900) p. 857-871 ; Catherine Radziwill : Cecil Rhodes - Man and Empire-Maker. Londres 1918

104 Milner à Rhodes, 28 août 1900, Bodleian Library Oxford, Milner Papers 467/2-4.

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