Une
réponse à la question :
pourquoi Rudolf Steiner
nous a-t-il rendu si difficile
de le comprendre ?
par Lutz von Lölhöffel
(accentuations du texte par l'auteur)
(trad. F. Germani, v. 01 - 10/10/2021)
1 - Au paragraphe 19 de la conférence de Dornach du 28.12.1914 (1re
dans GA 275 = L'art à la lumière de la sagesse des Mystères),
édition allemande 1966, page 26, il est dit :
"On entend si souvent : Oui, les livres que nous offre
la science de l'esprit moderne sont écrits difficiles, ils exigent
que l'on fasse un réel effort, que l'on devienne actif dans le
développement de ses forces d'âme, afin de vivre complètement dans
cette science de l'esprit. - Des personnes "bienveillantes" - et
je mets cela entre guillemets - cherchent toujours à faciliter la
tâche de leurs semblables dans les passages difficiles et, si
possible, - et je ne mets pas de guillemets ici -, elles veulent
banaliser ce qui est écrit dans un style un peu difficile.
Mais il est dans la nature de la science de l'esprit qu'elle pose
des exigences à l'activité de la vie de l'âme, que dans une
certaine mesure on ne vienne pas facilement à la reconnaissance de
la science de l'esprit, car dans cette science de l'esprit, il ne
s'agit pas seulement de prendre ceci ou cela, il s'agit de savoir
comment on peut l'absorber qu'on l'absorbe par l'effort, par
l'activité de l'âme, qu'on doit, pour ainsi dire, pardonnez
l'expression moins polie, travailler à la sueur de son âme pour le
bien spirituel-scientifique. Cela appartient, pardonnez
l'expression mécanique, à l'entreprise spirituelle-scientifique."
Cependant, le "style difficile" n'est pas le seul moyen utilisé par
Rudolf Steiner pour alourdir la compréhension des contenus
spirituels-scientifiques. En les expliquant, il utilise à plusieurs
reprises des mots différents pour expliquer les mêmes faits et
utilise souvent le même mot pour désigner des choses très
différentes. De plus, il a l'habitude de répartir les différents
aspects d'une affaire déterminée sur plusieurs passages, qu'il faut
rassembler afin de saisir ce sujet aussi complètement que possible
et avancer vers sa (vraie) compréhension - pour trouver ce qu'il a
voulu communiquer et ne pas rester collé sur une seule formulation.
2 - Un passage, peut-être plus connu que celui cité ci-dessus,
figure déjà au paragraphe 21 de la conférence aux membres de
Nuremberg du 3.12.1911 (n° 7,2 dans GA 130 = Le christianisme
ésotérique et la direction spirituelle de l'humanité), édition 1995,
pages 194 au milieu et 195 ci-dessus :
"Pour ceux qui ont entendu, des conférences comme elles
ont tout de suite été données, je tiens à préciser que j'ai
présenté autrement ces processus graduels d'un autre
point de vue, tant à Munich qu'à Stuttgart. Mais c'est la même
chose. Ce n'est que ce qui devrait maintenant être présenté en
rattachement aux trois grandes forces de l'humanité, la foi,
l'amour et l'espérance, qui a été présenté là par référence
directe aux éléments de la vie de l'âme humaine. Mais c'est tout à
fait la même chose, et je le fais exprès de cette manière,
pour que les anthroposophes s'habituent à aborder la chose
plutôt que les mots. Lorsque nous verrons que les choses
peuvent être caractérisées sous les aspects les plus divers, alors
nous ne jurerons plus par les mots, mais nous nous efforcerons
d'approcher la chose et de la prendre de telle sorte que nous
sachions que les mots qui caractérisent les choses sous les
aspects les plus divers ne sont censés signifier rien d'autre que
des approximations précises de la chose elle-même. Nous approchons
de la chose par rien de moins que par jurer sur les mots une fois
prononcés, mais seulement en ce que nous amenons en harmonie
ce qui est dit dans les temps successifs, de même que nous
apprenons à connaitre un arbre seulement en le prenant non d'un
seul côté, mais des côtés les plus variés."
3 - Oui, Rudolf Steiner va même jusqu'à dire qu'il formule de
manière à ce que les gens soient obligés de se forger un
jugement indépendant sur la série de faits qu'il présente [voir le
paragraphe 7 suivant de la conférence aux membres de Stuttgart du
30.1.1923 (2e dans GA 257 = Formation anthroposophique de
communauté), édition allemande 1989, page 33/34] :
"Il est donc nécessaire, lorsqu'on fait une affirmation
sous responsabilité sur le champ anthroposophique, que l'on tienne
compte du contexte, que l'on ne fasse donc pas, à propos de ce qui
au sens strict veut se placer sur le terrain de l'anthroposophie,
la remarque que l'on se forme un jugement indépendamment de ce que
dit Steiner. Car s'il n'est pas sur la défensive ou contraint de
corriger l'un ou l'autre, il parlera toujours de telle manière
que, même lorsqu'il a parlé, l'individu est même obligé de
former son propre jugement, car la possibilité de former un
jugement dépendant ne lui est pas du tout donnée.
Souligner cela est beaucoup plus important et essentiel pour
l'ensemble de l'attitude anthroposophique que ce qui a été
souligné par certains ici hier et qui, en raison de son caractère
déplacé, peut donner lieu à de nombreux germes de malentendus. Il
est extrêmement important que je l'évoque ici comme quelque chose
qui appartient dans le principe à l'anthroposophie". (Ce en quoi,
la dernière phrase se réfère à plus que le paragraphe 7 cité ici
!).
4 - Encore avant 1914, à savoir dans le paragraphe 29 de la
conférence aux membres de Kassel du 30.6.1909 (7e dans GA 112 =
L'Évangile de Jean en relation avec les trois autres Évangiles, en
particulier avec l'Évangile de
Luc), [ 2 ]
il est dit, édition allemande 1984, page 133 en bas à 134 en
haut :
"Lorsque nous comprenons la résurrection de Lazare
ainsi, elle devient pour première fois pleinement transparente. Ne
croyez toutefois pas que lorsque des faits
spirituels-scientifiques sont communiqués, on puisse en parler si
ouvertement que tout soit présenté à tout le monde aussitôt. Ce
qui se cache derrière un tel fait spirituel-scientifique est
communiqué sous divers déguisements et voiles. Il doit en être
ainsi. Car celui qui veut saisir un tel mystère doit d'abord se
frayer un chemin à travers des difficultés apparentes, afin que
son esprit soit fortifié et revigoré. Et c'est précisément parce
qu'il a du mal à se frayer un chemin à travers les mots qu'il
atteint l'esprit derrière une telle chose..."
5 - Vers la fin du paragraphe 31 de la conférence aux membres de
Dornach du 24.12.1916 (9e dans GA 173 = Considérations d'histoire du
temps. Première partie) il est dit :
" ... C'est pourquoi j'insiste toujours de nouveau : je
ne me laisserai jamais aller à penser parler autrement qu'en des
concepts dans une certaine mesure difficiles qui font appel à
l'intellect, de sorte que tout le monde soit obligé de penser
avec moi, de participer à ce qui est en jeu en termes de
concepts. Il est hors de question de provoquer une frénésie et
d'avoir un effet sur autre chose que l'intellect si l'on prend
pleinement au sérieux la cinquième période post-atlantique et ses
exigences."
6 - Dans la conférence aux membres de Vienne du 1.10.1923 (n° II,4
dans GA 223 = Le cycle de l'année en tant que processus respiratoire
de la Terre et les quatre grands temps de fête [I] +
L'anthroposophie et l'esprit humain [II] Édition allemande 1990, le
paragraphe 13 (page 155 milieu à 156 haut) est écrit ce qui suit :
"Si vous lisez un livre anthroposophique, pour
mon compte même si vous lisez un cycle, et que vous le lisez de
telle manière que votre lecture ressemble à la lecture d'un autre
livre, que votre lecture est aussi abstraite que la lecture d'un
autre livre, alors vous n'avez pas vraiment besoin de lire de la
littérature anthroposophique. Je vous conseillerais plutôt de lire
des livres de cuisine ou des manuels techniques ou autres, car ils
seront plus utiles, ou un manuel sur la meilleure façon de faire
des affaires. Lire des livres anthroposophiques ou écouter des
conférences anthroposophiques n'a de sens que si l'on est
conscient que pour absorber ces résultats, il faut s'accorder
tout à fait différemment que pour les autres résultats. Cela
apparaît déjà dans le fait que ces humains-là qui se considèrent
aujourd'hui comme particulièrement intelligents considèrent
néanmoins cette littérature anthroposophique comme une folie.
Oui, ils doivent avoir des raisons de considérer cela comme une
folie. Les raisons sont les suivantes : tout le reste dit
autrement, tout le reste nous présente le monde autrement. Nous ne
pouvons pas nous laisser abuser par ces anthroposophes qui
présentent le monde d'une manière totalement différente ! - Oui,
ce qui vient au monde comme résultats anthroposophiques est
différent de ce que l'on nous dit aujourd'hui. Je dois dire
que la politique parfois suivie par certains de nos amis, qui
consiste à embellir l'Anthroposophie aux yeux du monde en la
présentant comme s'il n'y avait pas de contradictions avec les
opinions triviales des autres, n'est pas vraiment correcte, bien
qu'on la rencontre sans cesse. On a besoin d'une autre
attitude, une orientation de l'âme complètement différente, si
l'on veut vraiment considérer ce que dit l'anthroposophie comme
plausible, compréhensible, intelligent et non pas fou".
7 - Maintenant, j'aimerais apporter un exemple.
Il s'agit de la formulation des "trois parlements" dans "l'organisme
social".
Ce lecteur qui ne connait pas les premiers paragraphes de ce
document de travail et qui n'a pas étudié comment cela pourrait être
pensé avec les parlements est peut-être tenté de prendre ce passage
au pied de la lettre, de le citer comme le résultat de la recherche
de l'esprit. Cela conduit alors à du travail personnel manquant de
fond ! - à des malentendus parmi ceux qui entendent ou lisent
(seulement) cette citation.
Dans la conférence publique de Berne : "Les fondements
réels d'une Société des Nations dans les forces économiques,
juridiques et spirituelles des peuples" (1re dans GA 329 = La
libération de l'être humain comme base d'une réorganisation
sociale - ancienne pensée et nouvelle volonté sociale) du
11.3.1919 (édition allemande 1985) Rudolf Steiner parle au
paragraphe 26 du fait "qu'il faut distinguer dans un organisme
social trois sources de vie humaine tout à fait différentes et
originelles. Ces trois sources originelles de la vie humaine,
elles se rejoignent tout naturellement dans l'organisme social,
elles travaillent ensemble."
Puis, au début du paragraphe 30, il est dit :
"Cette triarticulation de l'organisme social n'a pas
provoqué une quelconque pensée abstraite, cette triarticulation
est là." Des citateurs hâtifs pourraient maintenant penser que
cela signifie que "la triarticulation" existe déjà, alors que ce
passage fait seulement référence aux "trois sources".
Si l'on poursuit la lecture, il en résulte que :
"Et la question peut seulement être : comment réguler de
manière appropriée cette triarticulation, pour qu'il en sorte non
pas un organisme social malade, mais un organisme social sain ?".
Et ceux qui ont encore des doutes n'ont qu'à lire la suite :
"Ensuite - et je ne peux évidemment citer que des résultats dans
ces indications - une observation impartiale de l'organisme social
conduit à dire : C'est précisément la mauvaise appréciation de
cette différence radicale des trois sources de la vie sociale au
cours du développement historique récent qui a conduit à la
discussion dans laquelle nous sommes déjà engagés aujourd'hui, et
dans laquelle nous serons de plus en plus engagés. D'une manière
illégitime, au cours des derniers temps, ces trois courants
[sources] de l'interaction humaine ont été mélangés."
Au paragraphe 48, nous arrivons maintenant à l'endroit où
apparaissent les mots "trois parlements". Il y est dit (page 37
ci-dessus) :
"La vie économique d'un organisme social triarticulé
pourra se vivre tout de suite aussi à l'intérieur de rapports
économiques qui ne sont pas faits par des rapports étatiques, mais
par des êtres humains qui se développent/grandissent hors de tels
territoires où il n'y a pas un parlement, mais où sont trois
parlements, un parlement spirituel, un économique et un
d'état, dans lesquels il n'y a pas une administration,
mais trois administrations qui œuvrent ensemble. Ce n'est qu'à
partir de tels territoires que pourront en grandir des humains qui
pourront alors jouer le rôle correct dans une organisation
intergouvernementale.
…"
[ 3 ]
Il s'agit de remarquer ici qu'il est distingué entre des
comités/aréopages qui établissent des règles respectivement émettent
des prescriptions et des administrations. Les administrations
seraient seulement les "organes exécutifs". Seulement nous sommes
habitués au fait qu'ils émettent également des règlements
(ordonnances), bien que ce ne soit pas du tout la tâche d'"organes
exécutifs". Si l'on fait donc une distinction appropriée, il
apparaît clairement qu'avec les "trois parlements" sont pensés des
comités donnant des prescriptions, et que ceux-ci ne doivent pas
être issus d'élections de la population, mais doivent être formés de
personnes compétentes dans les domaines différenciés. Seul le
"parlement d'État" pourrait voir le jour sur la voie à d'élections
générales. La question de savoir si cela est souhaitable ou si les
décisions du peuple en la matière ne sont pas la meilleure solution
(comme Rudolf Steiner l'entendait) est examinée dans mon document de
travail n° 5027a (Parlement ou procédure référendaire dans le membre
"vie de droit" ?).
En ce qui concerne l'International (aujourd'hui "Nations unies"), il
est dit ensuite au paragraphe 49 (page 37 au milieu) :
" ... Tous ces rapports seront aussi placés sur une base
saine dans le domaine international, lorsque la base saine se sera
d'abord produite dans le territoire social particulier. De ces
territoires sociaux particuliers émergera alors l'être humain qui
pourra contribuer de manière adéquate à la vie internationale.
8 - Que le sujet des "organisations internationales" soit complété
ici encore par une déclaration de Rudolf Steiner tirée du paragraphe
50 de la conférence aux membres à Berne du 29.11.1917 (1re dans GA
182 = La mort comme transformation de la vie, édition allemande
1969, pages 31 bas à 32 haut), citée ici :
" ... C'est l'un des extrêmes. De l'autre côté,
l'extrême dont rêvent aujourd'hui toutes sortes de soi-disant
idéalistes : créer dans le monde entier, en dehors de tout ce qui
est spirituel, des organisations purement programmatiques, intra-
et interétatiques, grâce auxquelles les guerres sont censées être
abolies. Les humains se convaincront, parce qu'ils vivent dans une
telle illusion, qu'ils ne sont pas en train d'abolir ce qu'ils
veulent abolir, mais plutôt de conjurer ce qu'ils veulent abolir.
Il y a une bonne volonté dans ces choses. C'est ce qui doit
émerger de la conscience matérialiste de l'époque, je dirais,
comme un sommet politique de l'être terrestre tout entier, mais
qui conduira exactement au contraire de ce qu'ils veulent obtenir
avec cela."
Dans le numéro de juillet (n° 1/2/ ? 1919), un long essai du
professeur de droit de Tübingen, Philipp von Heck, est paru dans
"Die Tribüne - bimensuel pour l'accord social" sur le thème de la
"Triarticulation de l'organisme social", dans lequel il est fait
référence aux "trois parlements". La conférence publique de Rudolf
Steiner à Berne le 11 mars 1919 n'a été imprimée qu'en 1943/44
dans la revue bernoise "Gegenwart". Soit l'expression des trois
parlements apparaît déjà ailleurs dans l'œuvre de Rudolf Steiner et
a déjà été publiée à l'époque, soit le professeur de Tübingen a
participé à la Conférence internationale de la Société des Nations
du 7 au 13 mars 1919 à Berne et a également entendu la
conférence publique parallèle de Rudolf Steiner du 11 mars 1919
dans la salle du Grand Conseil de l'Hôtel de ville de Berne.
9 - Un endroit supplémentaire où est parlé de trois parlements se
trouve dans les paragraphes 42 et 51 de la conférence publique de
Berne "Welchen Sinn hat die Arbeit des modernen Proletariers ?"
(Quelle est la signification du travail du prolétaire moderne ?) du
17.3. 1919 (2e dans GA 329 = La libération de l'être humain comme
base d'une réorganisation sociale - Vieille pensée et nouvelle
volonté sociale). Cependant, cette conférence n'a été imprimée pour
la première fois qu'en 1985. Il y est dit :
(42) "Ainsi, en s'impliquant dans les fondements de ces
choses, on en arrive cependant à l'opinion radicale, qui s'avère
pour certains inconfortable, que pour le rétablissement de nos
conditions sociales, trois organisations sociales
indépendantes doivent se développer côte à côte, qui
travailleront ensemble de la bonne manière précisément parce
qu'elles n'ont pas une centralisation uniforme/unifiée, mais sont
centralisées en elles-mêmes..." : un parlement qui
administre les affaires spirituelles, une administration qui sert
seulement ces affaires spirituelles ; un parlement et une
administration de l'État de droit, l'État politique au sens étroit
; un parlement et une administration indépendante du cycle
économique pour lui-même ; en quelque sorte des États souverains
côte à côte. En se tenant côte à côte, ils pourront réaliser ce
que l'âme prolétarienne moderne désire, mais qui ne peut être
atteint par une pure étatisation centraliste de l'ordre sociétal."
(page 73 centre)
(51) "Mais pour cela, il faut d'abord que les humains se
tiennent dans un juste rapport les uns aux autres. [...] Le même
humain peut être en même temps dans le parlement économique,
dans le parlement démocratique, dans le parlement
spirituel, il devra seulement voir comment il doit toujours
trouver le jugement à partir de l'objectivité des conditions
provenant des différentes sources." (page 77 bas à 78 haut)
Une réponse de Rudolf Steiner à l'essai du professeur Philipp von
Heck est parue dans les numéros 3/4 (août) et 5/6 (septembre) 1919
de la revue "Die Tribüne" et est maintenant publiée dans GA 24 =
Aufsätze über die Dreigliederung des sozialen Organismus und zur
Zeitlage. 1915-1921, édition allemande 1961, sous le titre "Über die
'Dreigliederung des sozialen Organismus' - Eine Erwiderung von Dr.
Rudolf Steiner" (Sur la triarticulation de l'organisme social. Une
réplique du Dr Steiner) aux pages 434 à 447.
10 - A ce propos, on peut citer encore un autre passage qui se
trouve dans la conférence publique de Berne "Les bases spirituelles
et scientifiques de la question sociale" du 14.10.1919 (6e dans GA
329 = La libération de l'être humain comme base d'une réorganisation
sociale - ancienne pensée et nouvelle volonté sociale). Cette
conférence a également été imprimée pour la première fois en 1985.
Une discussion ne semble pas avoir eu lieu. Après une remarque
intermédiaire du Dr Roman Boos, une longue conclusion de Rudolf
Steiner a suivi. Il est dit au paragraphe 4 (page 222 de haut en
bas) :
"Et maintenant, se montre tout de suite, aux diverses
objections qui ont été faites, combien la pensée de fond
est encore peu comprise aujourd'hui. Ainsi est, par exemple,
apparu dans [ 4 ] un magazine, une longue discussion sur cette
structure triarticulation de l'organisme social, et il a été dit :
"Oui, il veut placer trois parlements à la place du
parlement unique - un parlement spirituel, un parlement
du droit et un parlement de l'économie. Mais ce dont
il s'agit, c'est que dans un parlement démocratique,
seules peuvent être décidées les choses que tout être humain est
devenu capable de juger, qui ne nécessitent pas de connaissances
spécialisées, et que précisément les choses qui nécessitent des
connaissances spécialisées doivent être séparées vers dehors.
Donc si, dans le domaine de la vie spirituelle et dans le domaine
de la vie économique, il n'est permis d'être là aucun
parlement, ainsi [parce que là] la chose est justement l'inverse.
Il s'agit donc d'utiliser honnêtement le parlementarisme en le
limitant au domaine dans lequel il peut vraiment se vivre
correctement."
Le 28.4.1919, la brochure de Rudolf Steiner "Die Kernpunkte der
sozialen Frage in den Lebensnotwendigkeiten der Gegenwart und
Zukunft" (Les points clés de la question sociale dans les nécessités
de la vie au présent et à l'avenir) était en vente, elle a donc pu
être présentée au professeur von Heck. L'annexe de cette brochure
contient l'appel "Au peuple allemand et au monde de la culture !
Dans ce texte et dans le reste du texte de la brochure, il n'est pas
fait mention de trois parlements, mais l'"appel" parle clairement de
trois législations et de trois administrations. Et si vous lisez
attentivement le reste du texte de la brochure, vous trouverez la
même chose aux paragraphes 19, 21, 25, 27 et 38 du chapitre II,
ainsi qu'au paragraphe 6 du chapitre III. Trois législations dans le
même État, cela a dû dépasser le patrimoine de représentations du
professeur de droit.
S'il avait toutefois lu attentivement, il aurait dû lui venir que
ces trois législations concernent des domaines très différents et
que la législation dans les domaines de la "vie de l'esprit" et de
la "vie de l'économie" doit être soignée par des experts, tout comme
venir en l'état sans décision à la majorité. En outre, on constate
que ces experts sont choisis d'une autre manière que par des
élections de la population, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de
parlement au sens classique du terme.
La pratique de la République de Weimar et de la République fédérale
d'Allemagne a montré entre-temps qu'aucune décision n'est prise au
Parlement sur la base de l'opinion des députés, mais que les députés
sont contraints de voter selon les ordres de la direction de leur
parti ou du chef de leur groupe parlementaire. Le fait que ces
instructions coïncident toujours avec les représentations des grands
donateurs des milieux bancaires et économiques ne surprendra que
ceux qui ne se rendent pas encore compte des énormes avantages
qu'ils en retirent.
Cet exemple montre que même si le choix des mots de Rudolf Steiner
est quelque peu négligé, avec de la bonne volonté et une étude
attentive, il est tout à fait possible de reconnaître ce que Rudolf
Steiner a voulu communiquer (*).
Je dois les références suivantes à la critique de Rüdiger Blankertz
sur le livre "Le porche du monde spirituel. Ses boulons et ses
charnières" par Mieke Mosmuller, paru dans le numéro 253
(Saint-Michel 2010) de "Anthroposophie. Vierteljahresschrift zur
anthroposophischen Arbeit in Deutschland" (pages 266-269).
Blankertz attire l'attention sur un projet de lettre de Marie von
Sivers et Rudolf Steiner (vers 1909) à un éditeur, qui ne se trouve
pas dans l'édition complète, mais seulement dans le numéro de Pâques
1967 des "Contributions à l'édition complète Rudolf Steiner" (n° 17,
page 6).
Blankertz écrit au préalable : "Les références nombreuses et
détaillées de Rudolf Steiner à la manière d'une lecture correcte
dans ses écrits peuvent être facilement découvertes si l'on ne passe
pas outre les préfaces et les introductions".
Puis il est dit chez lui: "On ne retrouve pas aussi facilement son
rejet brusque de toute sorte de livres auxiliaires destinés à
faciliter la lecture de ses écrits. A un projet de lettre de Marie
Steiner à un éditeur, dans lequel elle rejette son intention
d'imprimer de tels manuels auxiliaires comme "un travail contre
l'esprit de notre mouvement" - visiblement il y avait déjà un marché
pour cela à l'époque - a été inséré par Rudolf Steiner de façon
manuscrite :
"Par vos propos, pourtant bien intentionnés, vous livrez
la critique la plus désobligeante de l'œuvre de Steiner en
considérant ses écrits comme insuffisamment lisibles, alors qu'ils
sont délibérément rédigés de telle sorte que seul le théosophe
sérieux les lira. Les trucs populaires, que tout le monde pense
commodément qu'il comprend, le Dr Steiner pourrait bien sûr les
écrire aussi, s'il le voulait.'"
11 - Prenons maintenant au moins un exemple dans les "Préfaces et
introductions" des livres de Rudolf Steiner
Extrait d'une préface à GA 9 = "Théosophie. Einführung in
übersinnliche Welterkenntnis und Menschenbestimmung" (Théosophie.
Introduction dans la connaissance du monde suprasensible et la
détermination de l’humain) : La première édition a été publiée en
1904. Rudolf Steiner cite sa préface dans la préface de la troisième
édition (de 1910, paragraphe 4) :
"Comme les livres sont censés être lus à notre époque,
celui-ci ne peut être lu. D'une certaine manière, chaque page,
voire chaque phrase, devra être élaborée par le lecteur. Cela a
été recherché avec conscience. Car seulement ainsi le livre peut
devenir pour le lecteur ce qu'il devrait devenir pour lui.
Quiconque se contente de le lire ne l'aura pas lu du tout. Ses
vérités doivent être vécues. La science de l’esprit a seulement
une valeur dans ce sens."
Et le paragraphe 10 (= paragraphe final) de cette préface de la
troisième édition est repris de la deuxième édition (de 1908) et dit
:
"De l’autre côté, il y a le fait que beaucoup
aujourd'hui rejettent le plus fortement ce dont ils ont le plus
besoin. La force contraignante de nombreuses opinions, que l'on
s'est forgées sur la base d'une "expérience scientifique sûre",
est si grande pour certains qu'ils ne peuvent que tenir la
présentation d'un livre, comme celui-ci, comme une absurdité
dépourvue de sol. [ 5 ]
L’interprète de la connaissance suprasensible peut absolument
faire face à de telles choses sans aucune illusion. - On sera
cependant facilement tenté d'exiger d'un tel interprète qu'il
fournisse des preuves "irréprochables" de ce qu'il avance. Mais on
ne considère pas qu'en agissant ainsi, on s'abandonne à une
tromperie. Car on exige - sans en être conscient - non pas les
preuves qui reposent dans la chose, mais celles que l'on veut
soi-même reconnaître ou que l'on est en situation de reconnaître.
L'auteur de cet écrit sait qu'il n'y a rien qui ne puisse être
reconnu par tous ceux qui se trouvent sur le sol des connaissances
actuelles de la nature. Il sait qu'il est possible de répondre à
toutes les exigences de la science de la nature et que c'est tout
de suite à cause de cela que l'on peut trouver fondé en lui-même
la sorte de représentation du monde suprasensible donnée ici. Oui,
c'est tout de suite le mode d'imagination authentique de science
de la nature qui devrait se sentir chez lui dans cette
représentation. Et celui qui pense ainsi se sentira touché par
maintes discussions, d'une façon qui est caractérisée par la
phrase de Goethe, profondément vraie : "Une fausse doctrine ne se
laisse réfuter, car elle repose sur la conviction que le faux
serait vrai". Les discussions sont dépourvues de fruit vis-à-vis
de celui qui veut seulement laisser valoir des preuves qui
reposent dans le sens de sa manière de penser. Celui qui familier
de l’essence du "prouver", il est clair sur ce que l'âme
humaine trouve le vrai par d'autres chemins que par discussion. -
C'est à partir d’une telle attitude que ce livre, même dans sa
deuxième édition, est remis au public."
Document de travail n° 5723a /
22.01.11
(*) Ce document de travail a
maintenant dix ans. Il semble qu'il ait évolué depuis. Mais je
n'en ai pas de version plus récente et je ne peux savoir si
c'est sur l'exemple, la controverse, des "trois parlements" qui
est la raison de triarticulation pour sa publication sur
ce site (bien que son sujet principal soit intéressant aussi).
Toujours est-il que depuis semble
se confirmer effectivement qu'il s'agit bien de modes
d'expression du moment ou de constellations d'auditeurs. Lutz
n'était cependant pas encore en mesure alors de profiter
d'études plus exhaustives, telle que la mène par exemple S.
Coiplet (et d'autres aussi), notamment sur les modes de rapports
et relations entres des êtres humains dans le sens de cette
triarticulation de Steiner. Elles montrent qu'ils ne sauraient
être efficaces à chaque domaine social, que différenciés (libres
échanges de "bons conseils" dans la vie de l'esprit, mise sur
pied et application de "lois" dans celle du droit objet de
l'Etat, "contrat" dans les échanges économiques). Cela ne laisse
donc de place à "parlement", parlementarisme donc, que dans la
vie de droit démocratique (sous une forme d'ailleurs perfectible
si j'en juge les critique de Steiner vis-à-vis de celui
britannique, jugé inadapté à l’Europe du centre par exemple).
Ce qui est sûr, c'est que ce
concept "organique" de triarticulation (trois domaines autonomes
empêchant dans leur interaction les effets destructeurs de ce
que seraient leurs tendances unilatérales), reste encore
difficile à penser pour beaucoup, appliqué à la vie sociale. On
préfère alors encore quand même imaginer souvent une instance
"chapeau" aux trois domaines. Mais celle-là, ne se trouve pas
chez Steiner.
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