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Les banques, organes de la vie de l’esprit

Thomas Brunner
Conférence donnée au colloque du 2 mai 2009 :
Bases d’un développement d'une vie de l’esprit adaptée à notre temps
face à la crise financière internationale

1er au 3 mai 2009, Société anthroposophique, Vienne

Paru en allemand 2. Auflage, 100-300, Berlin 2012
© EDITION IMMANENTE
Alle Rechte vorbehalten. Auch der auszugsweise Abdruck
bedarf der Zustimmung des Autors.
Umschlaggestaltung: Ulja Novatschkova
www.edition-immanente.de
ISBN 978-3-942754-10-1
Preis: € 5,00
(Traduction B.P.)


L'omniprésence que créent les Écritures,
en dépit de l’éloignement et du passé,
est certainement ce qu’il y a de plus élevé dans l’espèce humaine.
Qu'un tel moyen de compréhension universelle existe,
et qu'il y soit associé tellement plus que
ce qui s’exprime directement dans les lettres et
réside dans le mot lui-même et sa signification,
prouve fondamentalement que tous les êtres humains
de tous les temps sont beaucoup plus Un
que ce que l’on pense et pressente.

Die Allgegenwart, welche die Schrift,
der Entfernung und der Vergangenheit zum Trotz, schafft,
ist gewiss das Höchste im Menschengeschlecht.
Dass es ein solches Mittel allgemeiner Verständigung gibt,
und dass sich daran wieder so ungleich mehr anknüpft,
als unmittelbar im Buchstaben und
selbst im Wort und seiner Bedeutung liegt,
beweist im Grunde, dass alle einzelnen Menschen
aller Zeiten viel mehr eins sind,
als man so denkt und ahndet.

Wilhelm von Humboldt, 1819


Je commencerai par vous souhaiter un très bon après-midi à vous tous, chers amis !

Nous en étions arrivés au thème de la « communauté ». J’ai déjà insisté sur le fait que le terme de communauté comporte plusieurs acceptions ; il existe de très nombreuses formes de communautés. Je vais maintenant tenter d'aborder ce sujet sous l'angle des sciences sociales, dans le sens d'une gestion du capital par une société civile en passe de devenir responsable.
J’aborderai mon sujet par deux réflexions.
Je voudrais tout d'abord me relier à ce que Rudolf Steiner a fait ici à Vienne : il organisa en 1922 le plus grand congrès anthroposophique tenu de son vivant, le fameux Congrès Est-Ouest, où il donna un premier aperçu de ce qu'était devenue depuis 1919 la perspective développée dans son livre Éléments fondamentaux pour la solution du problème social. Il arriva à la conclusion que toutes les parties avaient mal compris l'intention de ce livre, car on essayait de mettre en œuvre dans les institutions extérieures ce qui était un appel à la nature humaine immédiate. ( 1 ) Ce terme de « nature humaine » est très étrange ; il ne dit pas « à l'être humain individuel », mais de fait « à la nature humaine immédiate ».
Je voudrais ensuite indiquer une deuxième chose, une parole que l’on prononce souvent dans les milieux anthroposophiques avant d'entamer, par exemple, des débats ou un travail en groupe :

« Salutaire est seul
quand dans le miroir de l'âme humaine
se forme toute la communauté
et dans la communauté vit, de l'âme individuelle, la force. » ( * )
„Heilsam ist nur
wenn im Spiegel der Menschenseele
sich bildet die ganze Gemeinschaft
und in der Gemeinschaft lebet der Einzelseele Kraft".

Cette parole est prononcée dans des contextes de travail, elle est prononcée dans des établissements de pédagogie curative, etc. Le terme de communauté y apparaît très, très clairement, la communauté et l'âme individuelle. Je voudrais maintenant faire une remarque à ce sujet. Cette parole n'a pas simplement été donnée à la pédagogie curative, à l'école Waldorf ou à d'autres groupes de travail fermés ; elle était dédicacée à une femme sculpteur, Edith Maryon, dans un recueil d'essais de Steiner sur la triarticulation de l'organisme social. Et elle signifie : la communauté est ici, tout d'abord au moins, la communauté de l'organisme social. Et si on demande aujourd'hui qui, dans ce sens, est la communauté, la réponse est, bien sûr, la communauté de l'humanité. Je vais tenter de développer ce que cela peut signifier concrètement. Que cela peut-il signifier concrètement, que peut donc signifier l'organisation sociale ? L'individualité par rapport à la communauté de l'humanité ?
Si l’on examine l’évolution de la société humaine et de l'activité économique, on distingue, en gros, trois étapes. L'une est la société naturelle, qui vit directement des produits naturels. Elle est organisée au niveau régional. Ce sont les petites communautés qui vivent au niveau régional, qui vivent vraiment dans la nature et du travail sur la nature. Il faut parcourir un long chemin culturel avant qu’apparaissent le travail et la division du travail au sens moderne de ces termes. On peut donc considérer que l’étape suivante est une étape où une société s'organise par le travail, c'est-à-dire qu'un premier individu devient agriculteur, un autre est toujours chasseur, un autre se met à tanner les peaux, un autre commence à tisser, un autre encore se lance dans la construction de maisons. Au moment où la différenciation et la spécialisation commencent et où, dans la communauté, des situations différentes continuent d'émerger, ce type de première division du travail conduit à la nécessité de conclure des accords juridiques et, ensuite, à la formation de l'État-nation.
Si l’on va un peu plus loin, pour passer à une étape où s’organise ce travail, le travail différencié, c'est-à-dire où l'activité entrepreneuriale organisatrice apparaît, alors cette activité aboutit à la rationalisation du processus de travail et génère ce qu’on appelle le capital. Cette étape n’a commencé de fait qu’il y a 300 ou 400 ans : les sociétés de capitaux se développent, les banques se développent. Cette accumulation de capital, associée à toute l'essence de l'argent qui apparaît ici, entraîne naturellement une extension de l'économie au-delà du cadre national. Et c'est là que nous en sommes aujourd'hui : dans l'économie mondiale.
Dans ce simple aperçu, nous avons déjà trois possibilités de construire des communautés. Nous construisons des communautés économiques à petite échelle, ce que nous faisons encore aujourd'hui, pourrait-on dire, en formant des communautés d’entreprise. Ensuite, nous avons la communauté étatique. Et enfin nous avons la communauté mondiale, l'humanité. Ces termes définissent pour ainsi dire le cadre de tout ce qui signifie aujourd'hui activité économique.
Que se passe-t-il maintenant que ce processus ne semble plus se poursuivre de manière salutaire, mais qu'il mène à une crise ? Que se passe-t-il pour que ce processus ne conduise pas à poursuivre l’évolution, mais qu'il soit freiné et qu'il s’effondre à certains moments ? Pour que l’on n’en arrive pas ainsi à la communauté de l'humanité, pour que celle-ci soit perturbée dans son développement salutaire par de multiples intérêts égoïstes individuels et collectifs ? Pour que l'on puisse dire que la mondialisation a surtout entraîné de nouvelles inégalités ? Des relations inéquitables dans le domaine économique. D'une manière ou d'une autre, quelque chose n’a pas suivi. Ici (voir tableau), c'était vraiment la société naturelle originelle, régionale, c'était une société de compétences en culture pure, c'est-à-dire que le chef était celui qui savait le mieux quand il fallait semer, quand il allait pleuvoir ; c’était celui qui connaissait vraiment bien les conditions dans lesquelles on vivait. C'est pourquoi, dans les anciennes cultures, il n'y avait pas seulement la force de l’homme, mais il y avait encore beaucoup de matriarcats. On discerne encore dans le monde antique, dans les premières sculptures grecques, l’importance qu’avaient les déesses. En d'autres termes, dans les premières sociétés naturelles, on n’avait pas seulement besoin de la force, mais aussi d’un lien complètement différent avec les lois de la nature.
On voit ensuite un processus d'abstraction, une émancipation par rapport à la nature et, avec le système monétaire, une émancipation radicale par rapport à l'obligation d'être lié à la nature. Pour parler de façon terre-à-terre, cette évolution a conduit aujourd'hui à la formation d’un potentiel d'abstraction qui a encouragé la spéculation ; par là, on a retiré du processus le capital formé, qui n'est pas redevenu socialement fécond ; autrement dit, on ne l’a pas remis en circulation, on l’en a retiré. C’est ainsi que l’on a créé l'argent du crédit. On a mis l'argent à la banque et on l’a retiré du processus organique. On peut maintenant se demander : pourquoi a-t-on retiré cet argent, pourquoi a-t-on extrait l'argent, qui est une force de l'activité économique actuelle ? Pourquoi ne passe-t-il pas dans des investissements directs ? Quelle est la motivation qui pousse l'homme, alors qu'il fait déjà des bénéfices, à retirer l'argent et à vouloir le faire se multiplier sur un mode spéculatif, comme s'il s'agissait d'un processus purement abstrait ? D’un point de vue plutôt psychologique, on dit généralement : parce que les gens sont avides, parce qu'ils veulent plus. Et je pense que, oui, psychologiquement, cela explique beaucoup de choses, les gens veulent se protéger. On peut aussi dire que tout processus de prévoyance vieillesse est un processus qui consiste à retirer quelque chose parce qu'on pense à l'avenir. Ces systèmes sont d’ailleurs en train de s'effondrer, parce que ce sont des processus très abstraits. En termes réels, ce n'est pas de l'argent que je vais toucher dans 30 ou 40 ans ; en termes réels, la génération actuelle paie, par son travail, la contrepartie de l'argent que je dépenserai plus tard. Nous sommes donc dans un contexte vivant ! Mais, à mon avis, ce processus d'extraction a une cause autre que purement psychologique.
Il faut maintenant examiner cela de plus près, car je crois que la cause réside dans la pensée d'État-nation qui n'a pas encore été surmontée. L'État-nation en tant que communauté économique pose aujourd'hui encore ses conditions – l'Autriche est un bon exemple, presque un exemple parfait, d'une économie nationale vraiment bien établie et bien constituée – oui, l'État économique national, qui n'a pas encore été vaincu, pose ses conditions à ce processus de développement économique dans lequel, tout simplement, il extrait l'argent des impôts pour lui-même. On pourrait donc dire que dans cette sphère (tableau, milieu), l'État-nation tire ses rentrées fiscales du processus de formation du capital. C'est une chose à laquelle on s’est habitué, on pense même que cet État-nation a pour tâche de financer de nombreux domaines. On s'est donc habitué à ce modèle, qui date en fait du XIXe siècle, selon lequel l'État-nation est une entreprise commerciale. C'était effectivement le cas au XIXe siècle. Mais l'État-nation en tant qu'entreprise commerciale a conduit à la première Guerre mondiale, puis à la seconde.
Nous avons maintenant l'Union européenne, mais cette évolution vers l'UE ne dépasse pas vraiment l'État-nation, c'est même l'inflation de l'État-nation. Nous ne faisons que créer un plus grand marché intérieur. Nous construisons donc un État-nation beaucoup plus complet, dont les adversaires, maintenant, sont en Inde, en Chine et aux États-Unis. Cela signifie qu'il se crée un équilibre des blocs, dont sort plus ou moins l'Afrique, qui continue à être exploitée économiquement comme si elle était notre marché d'esclaves et à être traitée comme une ressource pour l'Europe. Par exemple, de nombreux paysans africains sont ruinés par l'écoulement sur le marché africain des surplus de viande, fortement subventionnée, en provenance de l'UE. Toutes ces idées ne sont pas nouvelles, on continue à penser en termes de colonialisme économique national, à un niveau maintenant plus élevé.
Quel sens cela a-t-il de continuer à développer ce processus, qui ne s’achève pas ici dans l'abstraction de la formation du capital ? Que signifie surmonter la bulle spéculative ? On pourrait en fait dessiner une troisième boucle, car évidemment ce processus a pour conséquence que la nature elle-même se désorganise et aboutit à des catastrophes climatiques, car l'activité économique dans son ensemble n'est plus en équilibre et s’oppose à une évolution naturelle vivante.

Je voudrais maintenant aborder le point suivant : où le capital est-il géré aujourd'hui ? Dans la banque moderne. La banque en tant qu'institution qui, comme l'Église au Moyen Âge, est au centre de la société et gère ce qui y est mis. Donc l'argent qui est mis à la banque. Que ce soit dans les assurances, dans la prévoyance vieillesse ou autre, tout se retrouve dans ce pot. D'autre part, la banque accorde des prêts. Et au fond, pour le dire simplement, que fait la banque d'aujourd'hui ? La banque d'aujourd'hui veille très consciemment, parce qu'elle en vit (!), à ce que l'anonymat s'établisse entre les deux, entre celui qui lui apporte l'argent et celui qui voudrait lancer une initiative et donc prend un crédit. Elle veille à ce que les deux ne se rencontrent pas. C'est la technique de la banque, c'est ce dont elle vit. Et c’est une évidence avec laquelle nous traitons dans notre vie quotidienne : nous n'avons pas d'autre relation avec notre banque qu'une relation purement numérique, une relation constituée uniquement de chiffres. D’un côté l'argent est versé, de l’autre il est retiré de manière anonyme. Le processus de la rencontre est ainsi court-circuité. On peut tout simplement dire : si nous voulons prendre des responsabilités dans ce processus, nous devons y créer des rencontres !
La GLS Bank a été fondée dans ce sens. On peut voir tout à fait concrètement comme elle a commencé : c'était un ensemble d'initiatives, la banque GLS à Bochum, c’était comme une communauté fiduciaire. De nombreuses personnes étaient rassemblées, comme nous ici. M. Wilhelm Ernst Barkhoff, que j'ai également connu, avait invité les gens à se réunir. Il avait même dit que chacun devait se considérer comme un banquier. ( 2 ) Il s'était également rendu une fois à Vienne, où il avait dit : mettez-vous ensemble ; si, par exemple, les cent membres d’une branche anthroposophique réglaient toutes les transactions bancaires directement entre eux, c'est-à-dire par le biais de prêts mutuels, alors cette communauté aurait économisé un million de marks par an, soit ce que la banque ici retire.
Cri du public : intérêts !
Oui, non seulement en intérêts, mais aussi en marge interne, en postes très spécifiques des services bancaires, c’est-à-dire en postes où la banque veut gagner de l'argent. Barkhoff a donc calculé : une centaine de personnes pourraient économiser un million de marks (ce qui correspondrait peut-être à 500 000 euros aujourd'hui), qui seraient ensuite investis dans des initiatives libres. Mais où cela passe-t-il habituellement ? Où ? Où, une fois retiré, cela va-t-il ? Où l'argent va-t-il une fois retiré, dans la banque habituelle ? Il passe dans la bulle qui a éclaté maintenant, avec la crise financière actuelle. Dans la bulle qui devient de plus en plus étrangère au contexte économique réel. Les premiers banquiers de la GLS s’étaient donc réunis – M. Czesla, un conseiller fiscal, à une réunion à Bochum, a redit récemment qu’il y a 20 ans, à une réunion de la banque GLS, 60 personnes s’étaient véritablement réunies autour d’une table. Ce fut terriblement éprouvant, mais tout le monde avait représenté concrètement une initiative. Il s'agissait donc d'un groupe d'initiative. Et c'est ainsi que, pour la première fois, ce lien s'est développé, une compensation fiduciaire, commune et mutuelle des crédits. La fiduciaire existe encore aujourd'hui. Malheureusement, M. Barkhoff a été frappé par un « coup du sort », car il a reçu d'un entrepreneur 300 millions de DM (!). En conséquence, le processus a été accéléré et, en un certain sens, perturbé. Parce que là, il avait de l'argent et devait tout gérer en même temps. Dès cet instant, le processus s'est réorienté vers la formation d’une banque au sens ancien du terme. Avant, il s'agissait d'un pur lien mutuel, d'une compensation mutuelle. Ainsi donc, ces 300 millions provenaient de l'économie, ils ne lui ont pas été donnés directement, ils lui ont été confiés pour servir de base à la GLS Bank. Et là, tout de suite, on est face au problème : la gestion ! Si l'on va aujourd'hui à la GLS, il n'y voit plus 60 personnes assises là, comme à l'époque, où tous se connaissaient véritablement, parlaient entre eux et créaient des relations concrètes, très différenciées et organisées individuellement. Aujourd'hui on a une grande banque pesant un milliard, dirigée par un petit comité, par trois ou quatre personnes, et où beaucoup, beaucoup d’employés distribuent les fonds dans certains domaines et selon certains critères. Le champ immédiat n'est pratiquement plus là. Ainsi, dans un sens, l'« individualisme éthique » initial des membres de la fiduciaire s'est transformé en formalisation d'un « investissement éthique », de sorte qu'une institutionnalisation trop forte et trop centralisée a largement effacé une impulsion véritablement futuriste.
Si l’on regarde ce qu'est réellement la banque, on peut faire la comparaison avec ce qui se disait au Moyen Âge, à la fin du Moyen Âge : le pape est le seul à avoir accès à Dieu. Si vous voulez obtenir la remise de vos dettes avant de passer devant le « Jugement dernier », vous devez donner votre obole, vous devez payer votre indulgence. C'est ce qui a conduit aux thèses de Luther. C'est ce qui a conduit Luther à dire : non, le pape ne peut pas louer l'esprit pour lui-même et l'administrer pour lui-même. C'est exactement le problème que nous avons aujourd'hui à la banque ! La banque est la nouvelle Église, car elle gère le capital social et l'empêche de devenir un capital de capacités libre. Elle empêche ce processus. Car ce processus signifierait : la banque n'est pas intéressée par le profit qu'elle ne génère que par l'anonymat ; elle est seulement intéressée par la prestation de service qui rend la rencontre possible. Qu'est-ce qu'une banque exactement ? Qu'est-ce qu'une banque de nos jours ? De nos jours, on peut considérer la banque comme une coopération active, créant des rencontres concrètes sur place, afin de discuter de chaque initiative et de parler des possibilités de les réaliser – bien sûr, dans les limites du possible.
C'est pourquoi Rudolf Steiner a utilisé le terme de banque pour désigner ce qu'il a appelé « Aktiengesellschaft der Kommende Tag ». Cette « Aktiengesellschaft der Kommende Tag » n'était pas une société anonyme au sens habituel du terme, mais l’octroi mutuel de crédits. Et il a appelé les réunions « discussions bancaires ». Il a appelé discussions bancaires la revue commune des activités. Ce sont des choses très concrètes, possibles, que l’on peut reprendre aujourd'hui et qui nous permettrait de dire : nous pouvons dépasser ce processus de spéculation en rétablissant ce lien.

Il y aurait là beaucoup, beaucoup à dire ; bien sûr, on pourrait développer longuement. J'espère donc avoir dit quelques mots sur le thème de la communauté. Tout être humain aujourd'hui est, d'une certaine manière, dans les trois communautés. Chaque être humain. Premièrement, dans la mesure où je suis un être physique, je suis toujours régional dans « mon monde ». Oui, on ne peut pas s'en sortir physiquement, je suis un être économique au niveau régional, en tant que producteur ou consommateur. D'autre part, j'ai un passeport, ce qui signifie que nous sommes tous des citoyens. Et je ne peux pas non plus aller en Amérique sans passeport. Il s'agit donc en fait d'une deuxième identité.
Et la troisième question est : que suis-je en tant qu'être humain, en tant qu'être humain de l'humanité ? Comment cela fonctionne-t-il ? Là, il n'y a pas de passeport. C'est une question de qualité, du type d'initiative que je prends individuellement. C'est la question de la vie de l’esprit aujourd'hui. C'est la question : sommes-nous en train de développer une vie de l’esprit supranationale ?
Cela signifie bien sûr : ici (tableau, gauche), je suis personne physique, ici (tableau, milieu), je suis personne d'État et pour finir, ici (tableau, droite), je suis individualité. S’il faut façonner l'éducation, la culture, toute la vie de l’esprit en fonction du niveau atteint, alors il n'est plus possible que l'éducation soit organisée par l'État-nation, alors l'éducation doit être organisée librement hors de l'État-nation. Ensuite, le nouveau système bancaire doit veiller à ce que les relations entre les hommes se forment sur une base supranationale. En 1919, Rudolf Steiner a par exemple parlé de l’association mondiale des écoles, en disant que cette association, qui devait être une association culturelle, devait rendre tout possible, devait amorcer une vie de l’esprit dans le monde entier. Aujourd'hui, nous dirions : nous avons besoin que vive une société civile transnationale !

Afin de rendre le sujet encore plus vivant, je voudrais le préciser encore par rapport au passé. Après tout, la question est la suivante : quelle est l’instance qui doit décider de la question du développement humain individuel dans la société en général ? Nous avions déjà entendu parler de Jakob Böhme et, d'une manière un peu différente, de Luther, c'est-à-dire de ces individualités qui se sont détachées de l'autorité extérieure de l'Église. Nous savons que ce fut un processus long, très long, jusqu'à ce que le citoyen démocratique voie le jour. Mais ce citoyen démocratique en ce moment se ruine lui-même, parce qu'il n'atteint pas le niveau de la liberté, parce qu'il se donne une norme, un corset social, de sorte qu'il ne peut pas se déployer selon sa nature, selon son évolution – c’est-à-dire en tant qu'individualité. Et c'est précisément cet attachement anachronique à l'État-nation. Ce que je voulais vraiment dire ici, c’est que le projet qui est en cours et le projet qui s’est inspiré de l'ensemble de l'œuvre de Rudolf Steiner, qu'aucun de ses contemporains n'avait développé à ce point – à part Wilhelm von Humboldt, qui avait déjà posé les bases –, ce que personne n'avait développé à ce point, c'est que l'école était de fait financée exclusivement par la société civile. Et qu'elle n’est pas retournée dans le corset du financement étatique. C'est la première école Waldorf.

Le mouvement Waldorf a renoncé à cette impulsion et n'a donc plus de véritable moteur. Pourquoi a-t-on besoin d'une Société anthroposophique ? Quand on n'a plus de contenu social, plus de lien, on aboutit à un club de loisirs s’intéressant à l’esprit. Lorsque les rencontres humaines libres n'ont plus de contenu réel ni de tâche supra-personnelle, la société civile s'endort et des comportements bourgeois hypocrites apparaissent. Chacun ne s'intéresse plus qu'à son jardinet subjectif. Quand on n’a plus rien à soulever, il ne faut pas s'étonner, d’une part, que le mouvement de l'école Waldorf, en s’étendant, ait été de plus en plus nationalisé, mais qu’en même temps il soit devenu de plus en plus creux, et, d'autre part, que la Société anthroposophique se réduise comme peau de chagrin. Il ne faut pas s'en étonner : cette Société anthroposophique n'a plus de tâche, car raffiner l'esprit bourgeois ne suffit pas comme tâche.
C'est pourquoi Rudolf Steiner a insisté sur ce point : cette Société anthroposophique n'a jamais reçu la moindre subvention de l'État (la construction du Goetheanum, elle non plus, n'a jamais rien dû à l'État) ; ayant compris cela, vous devez aller dans le monde et faire comprendre qu’il doit en être ainsi de toute vie de l’esprit. ( 3 ) Voilà une tâche ! On peut alors aussi se faire une idée des braises à rallumer dans la vie de la communauté, des idées qui pourraient même refaire surface. Vous pouvez vraiment regarder toute, oui, vraiment toute l'œuvre de Rudolf Steiner, il aurait pu aussi, sans doute, être professeur quelque part ou faire n’importe quoi d’autre. Il ne s'est pas laissé acheter. Non, il était temps de donner cette impulsion, car on en était arrivé à la société par actions, à une abstraction du système monétaire, ce qui rendait possible une communauté supranationale de l'humanité.
Aujourd'hui, techniquement parlant, nous en sommes véritablement arrivés à la mondialisation, de sorte que nous pouvons dire : aujourd'hui, nous devons nous intéresser à l'individualité d'une manière totalement nouvelle ! Et nous devons vraiment produire suffisamment de feu spirituel pour pouvoir réinvestir dans la culture les énormes sommes d'argent retirées aujourd'hui. Je ne parle pas seulement de ce que l'individu a dans sa poche ou sur son compte bancaire, je parle d'une évolution de la société où 10 % d’entre elle dispose de 70 % du capital total. C'est de cela que je parle. Et cela concerne autant l'Autriche que l'Allemagne. Et c'est ce qui devrait nous intéresser. Nous devrions nous intéresser à une nouvelle conception de la banque, dans laquelle nous créerions de nouvelles formes de rémunération.
Je n'ai pas encore abordé le thème de la politique, parce que ce serait un autre point, mais je l'ai à l'esprit, car – et c'est une chose à examiner aussi de très près – que signifie réellement le processus législatif et comment fonctionne-t-il ? Comment réaliser ce que Joseph Beuys, Wilfried Heidt, Johannes Stüttgen et d'autres ont recherché et recherchent encore, à savoir rétablir un véritable lien entre le système démocratique et le souverain, avec la communauté nationale ? Comment, oui, comment y parvenir ? Évidemment, cela dépend également de la question de savoir si nous pouvons, ici (tableau, droite), faire le moindre progrès dans notre vie de l’esprit.
Voilà, j’en ai terminé. Ce ne sont là pour l'instant que des considérations générales, mais peut-être allons-nous les discuter et les rendre encore plus vivantes. Je vous remercie.

Un débat suit.

Notes :
( * ) autres traductions :
« Il ne peut y avoir de salut que
si, dans le miroir de l’âme humaine,
se forme l’ensemble de la communauté
et si dans la communauté vit la force de chaque âme. » /

Que la communauté humaine se constitue comme reflet de l'âme humaine
et que dans cette communauté puisse vivre la force de chaque âme individuelle :
ceci est salutaire pour l'homme. /

La communauté n’est saine que si c’est dans le miroir de l’âme humaine
qu’elle se forme comme un tout ;
et si dans cette communauté vit la force de chaque âme individuelle. /
 
Pour qu’à l’intérieur d’une communauté agissent des forces saines,
la communauté doit se former comme le reflet de l’âme humaine
et faire vivre en elle les forces de chaque âme.

( 1 )  « Quand, il y a trois ans, à la demande d’un certain nombre d’amis marqués par les événements sociaux qui ont suivi la fin provisoire de la grande guerre mondiale, j‘ai publié mon ouvrage Éléments fondamentaux pour la solution du problème social, j’ai aussitôt eu l’impression que cette publication avait au fond été mal comprise un peu partout. Mal comprise parce qu’on la classa d’emblée parmi les écrits qui, de manière plus ou moins utopique, cherchaient à exprimer sous forme d’institutions extérieures ce que leurs auteurs ressentaient comme pouvant remédier aux conditions sociales chaotiques qui résultaient de l’évolution récente de l’humanité. Or le but de mon ouvrage n’était pas d’en appeler à la réflexion sur des institutions quelconques, il était de s’adresser directement à ce qui fait notre nature humaine. » Rudolf Steiner, conférence du 11 juin 1922, Vienne, GA083 ed1981 p.278.
( 2 ) « La question se pose d'elle-même : pouvons-nous – en tant que "libres concepteurs du monde et de la société" – laisser à d'autres cette tâche importante qui consiste à transmettre de l'argent, c'est-à-dire à transmettre le pouvoir d'agir, sans subir de dommages existentiels ? Dans une société d’hommes qui veulent devenir libres, tout homme ne doit-il pas être banquier ? La manipulation consciente de l'argent par chacun n'est-elle pas la clé de la porte d'entrée dans une société où les gens se donnent mutuellement la liberté ? » Wilhelm Ernst Barkhoff, « Prêt et communautés économiques : le principal droit social en pratique. »
( 3 ) « Notre Société anthroposophique a-t-elle reçu une subvention de l'État, dans quelque pays que ce soit ? Nos membres enseignants sont-ils des fonctionnaires ? Cette Société anthroposophique n’a-t-elle point rempli, dès le départ, ce vers quoi tendent toutes les autres organisations spirituelles ? N'est-ce pas à ce titre l'idéal auquel on puisse prétendre pratiquement ? […] Nous ne pouvons pas avoir comme objectif d'introduire la vie spirituelle libre dans notre Société. Par contre, nous pouvons nous fixer comme devoir de répandre cette vie spirituelle libre dans le monde, en dehors de notre Société, en expliquant à la ronde que toute vie spirituelle doit s’exercer suivant la même organisation. » Rudolf Steiner, GA 190, conférence du 14 avril 1919.