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traduction  BP au 11/10/2020

VII. La fondation de l'École Waldorf

 Entretemps, les préparatifs pour la fondation de l’école de Stuttgart s’étaient tellement intensifiés qu’il fallait que tout le monde s’entraide afin de pouvoir terminer le plus tôt possible, c’est-à-dire avant la rentrée scolaire de l’automne. Rudolf Steiner avait accepté de prendre la direction pédagogique de l’école et de nommer les enseignants, tandis qu’Emil Molt se préoccupait avant tout de répondre à toutes les exigences extérieures. Il y avait un bâtiment très bien situé, un ancien restaurant sur le Kanonenweg, qui comptait un nombre de pièces et d’appartements suffisant pour le début. Il fallut le rénover et acheter le mobilier nécessaire, les bancs, les tableaux noirs, le matériel de gymnastique, etc. Emil Molt était débordé. Il était tout à fait dans son élément, malgré les inquiétudes que lui causaient les diverses charges financières. Comme il l’écrit dans ses mémoires, il réussit à mettre à disposition la somme, importante pour l’époque, de 100 000 marks, dont Rudolf Steiner, qui voyait beaucoup plus loin, pensait que « ça suffirait pour un début ». Il fallait déjà acquérir le bâtiment et l’inscrire au registre foncier et obtenir l’autorisation officielle d’ouvrir une école. Il s’avéra que de telles choses, qui découlent d’impulsions spirituelles, sont favorisées par le destin, même si, à l’époque, nous ne pensions pas du tout qu’un mouvement mondial se développerait à partir de cette petite école de travailleurs.
7 septembre 1919 : un grand jour ! Une petite école unique pour les enfants des collaborateurs de l’usine de cigarettes Waldorf-Astoria ouvrit ses portes. Les 191 enfants de travailleurs furent rapidement rejoints par un grand nombre d’enfants issus du cercle des parents anthroposophes. La cérémonie d’inauguration eut lieu un dimanche dans la Stadtgartensaal et réunit beaucoup de monde. Emil Molt se chargea de l’introduction et Rudolf Steiner honora l’école d’un long discours, où il faisait remarquer que les plus grandes choses étaient encore nées de la nécessité.
Tant de choses ont déjà été écrites sur cette école et sa signification qu’il ne semble pas nécessaire de la traiter ici en détail.
L’ouverture de l’école Waldorf fut une grande joie, non seulement pour Emil Molt, mais aussi pour beaucoup d’autres personnes qui avaient le sentiment d’assister à la naissance de quelque chose d’extraordinaire. Les conférences de Rudolf Steiner sur l’éducation populaire avaient fait connaître les problèmes d’une nécessaire transformation du système scolaire, ainsi que sa vision de la pédagogie et de la didactique. La nomination des premiers enseignants, qui devaient se réunir pour former un collège, était unique en son genre : Rudolf Steiner les avait choisis d’une manière particulière parmi les membres de la Société et du mouvement anthroposophique. Il connaissait chacun d’eux mieux que la personne concernée elle-même. S’il se fondait sur l’expertise nécessaire pour enseigner dans les différentes classes, il n’y avait qu’un seul enseignant formé qui pouvait représenter l’école à l’extérieur. C’est E.A. Karl Stockmeyer qui, le 13 mai 1919, avec Rudolf Steiner et Emil Molt, rendit visite au ministre de la Culture du Wurtemberg, Haymann, et reçut confirmation qu’aucun examen d’État n’était exigé pour le personnel enseignant d’une école privée selon l’ancienne loi scolaire de 1836. Cela ouvrit la voie pour fondation de l’école Waldorf. Tous les futurs enseignants venaient de finir leurs études ou avaient exercé d’autres professions. Rudolf Steiner avait entièrement confiance en eux : ils allaient entrer sans préjugés dans la nouvelle pédagogie. Et à quels hommes magnifiques il avait confié ce premier collège d’enseignants ! Tous avaient répondu à son appel, même s’il leur avait d’abord fallu rompre des liens professionnels ( 45 ).
Des premiers professeurs, outre E.A. Karl Stockmeyer, citons aussi Herbert Hahn, qui avait donné le cours pour les ouvriers de la fabrique de cigarettes ; puis les quatre Viennois : le Dr Eugen Kolisko, le futur médecin de l’école ; Walter Johannes Stein, chercheur en histoire ; Alexander Strakosch, ingénieur, qui dut quitter les chemins de fer autrichiens ; Karl Schubert, qui dirigea ensuite avec brio la classe de soutien ; Caroline von Heydebrandt, l’enseignante la plus populaire pour les plus petits ; Ernst Uehli, qui enseigna d’abord l’allemand et l’art, puis devint professeur de religion ; Rudolf Treichler, pour les langues étrangères ; Paul Baumann, professeur de musique, qui eut l’inspiration pour écrire de merveilleuses chansons pour enfants ; son épouse Elisabeth Baumann-Dollfuss et Nora von Baditz pour l’eurythmie.
L’école n’était liée à aucune confession religieuse, mais une instruction religieuse chrétienne libre fut introduite plus tard. Elle ne devait notamment pas être une école « anthroposophique », parce qu’on n’y enseignait pas cette vision du monde, qui constituait simplement l’arrière-plan de la manière de penser et de la force de connaissance du collège des professeurs.
En août 1919, Rudolf Steiner donna aux douze premiers professeurs de la future école un cours pédagogique de deux semaines ( 46 ), qui fut suivi d’un séminaire, pour les préparer à leurs nouvelles tâches. Chez tous, il pouvait compter sur la connaissance de la science de l’esprit, ainsi que sur celle des efforts qu’il avait faits dans le domaine social au cours des derniers mois pour la triarticulation de l’organisme social :
« C’est parce que nous voulons ici préserver le système d’éducation et d’instruction de son naufrage léniniste, qui pourrait aussi affecter l’Europe centrale, que nous devons aborder la compréhension du plan scolaire tout autrement aujourd’hui que le professeur ordinaire qui aborde le ‘bulletin municipal’... qu’il considérera avec des sentiment très particuliers d’obéissance quand il lui est envoyé à la maison par ses camarades-dictateurs. Ce que peut recéler le socialisme comme tyrannie se fera sentir tout particulièrement dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation » ( 46 ).
 
 - Emil Molt 1922
 
Dans le cours, il développa la nouvelle conception de la nature humaine et donna la méthode et la didactique pour la constitution de l’école Waldorf. Tous furent très enthousiastes et profondément impressionnés par l’abondance de sagesse qui leur était communiquée. Peu avant l’ouverture de l’école, il dit aux parents être extrêmement satisfait de voir que se concrétisait maintenant ce que réclamait l’évolution des temps.
La spacieuse école, dotée d’une tour bien connue dans tout Stuttgart et placée devant une carrière de keuper romantique qu’on appelait « le mur rouge », était idylliquement située et se prêtait parfaitement à des agrandissements ultérieurs. L’une des plus belles rues panoramiques y passait, d’où l’on avait une vue magnifique sur toute la ville avec ses châteaux, ses jardins, ses académies et ses théâtres. Avant la révolution, il y avait là plusieurs pièces d’artillerie et 101 coups de feu saluaient l’anniversaire du roi. Derrière l’école se dresse aujourd’hui encore la belle construction de Uhlandshöhe au-dessus du Mur rouge. Ce fut un cadeau du destin que de pouvoir acquérir au bon moment ce bout de terre extraordinairement approprié.
Le démarrage de l’école fut retardé d’une semaine parce qu’on n’avait pas réussi à terminer toute l’installation ni à repeindre toutes les pièces. Même après, certains enfants ont dû encore écrire sur leurs genoux.
Parallèlement à la rentrée scolaire, Steiner donna les conférences aux enseignants, qui non seulement traitaient plus intimement de l’essence de l’enseignement, mais parlaient aussi des enfants en détail afin de les aider par un suivi personnalisé. Ces conférences, maintenant disponibles en version imprimée, donnent une foule de détails sur les suggestions pédagogiques de Rudolf Steiner, que l’on appelle aujourd’hui pédagogie Waldorf. Il existe une littérature complète sur le sujet.
Cinquante ans plus tard, à l’occasion de l’anniversaire de la fondation de l’école Waldorf à Stuttgart, les intervenants officiels de la fête soulignèrent, à plusieurs reprises, d’autres caractéristiques de cette pédagogie particulière, comme l’enseignement par périodes, l’absence de bulletins de notes, le fait que la classe restait avec le même enseignant de la 1ère classe à la 8e classe avant que s’y ajoutent des professeurs spécialisés, le riche enseignement artistique avec peinture, modelage, sculpture, flûte et musique en classe jusqu’à l’orchestre de l’école, art du mouvement de l’eurythmie et pièces de théâtre annuelles des grandes classes ; bref, on cherchait à découvrir l’essence même de cette nouvelle pédagogie. Lors du banquet qui suivit, l’ancien Premier ministre du Wurtemberg, Reinhold Maier, se leva pour dire que tout ce qui avait été mentionné et qui méritait dans certaines circonstances d’être imité ne se résumait pas à ces détails. Selon lui, le secret de la réussite résidait ailleurs, à savoir dans l’autonomie exemplaire et infatigable du corps enseignant. Mais le secret était encore plus profond : grâce à la connaissance anthroposophique de la nature humaine, ces enseignants avaient acquis une toute nouvelle relation avec leurs élèves.

Restaurant Uhlandshöhe à Stuttgart

Pour étayer cela, je rapporterai ici l’épisode assez connu qui se déroula dans la classe de Walter Johannes Stein. Celui-ci raconta : « Quand Rudolf Steiner vint dans ma classe, où j’enseignais l’histoire et traitais de la guerre de Saxe de Charlemagne, je me plaignis des difficultés que j’avais à expliquer aux enfants la cruauté des Francs qui avaient exécuté 10 000 Saxons simplement parce qu’ils ne voulaient pas être baptisés de force. Rudolf Steiner répondit : ‘Ce n’est pas étonnant, car ils sont assis là, ces Saxons’ ! » Cette indication jette non seulement une lumière cachée sur les liens karmiques de la nouvelle école avec les époques antérieures, mais elle montre aussi en peu de mots quelle vision spirituelle profonde de l’homme ces enseignants durent acquérir pour répondre aux exigences des jeunes individualités qui arrivent sur terre avec certaines aptitudes. C’est la tâche des enseignants et en même temps la clé du succès de ces écoles que de faire fructifier ce qui sommeille chez ces élèves.
Ces enseignants s’investissaient en conséquence dans leur nouvelle profession. De tôt le matin jusqu’à tard le soir, ils travaillaient pour assimiler la matière et négligeaient souvent leur vie familiale. Parmi les plus enthousiastes se trouvaient le Dr Eugen Kolisko et Walter-Johannes Stein. Le premier réussit même à lire dans une voiture ouverte en marche. C’était un enseignant exemplaire qui savait captiver ses élèves. En tant que médecin scolaire, il était responsable de l’enseignement de l’histoire naturelle. La façon dont il avait décrit le lion avec sa crinière était devenu un mot à la mode : « Il ne tient pas à l’arrière ce qu’il promet à l’avant ! » Il dessinait aux enfants un triangle idéal dans l’air avec une telle clarté qu’ils croyaient le voir. Il voulait échapper à la ligne matérielle tracée. Il écrivit un premier traité sur la chimie phénoménologique.
Certes, il n’était pas facile de maintenir le niveau du premier collège mis en place par Rudolf Steiner lui-même et de trouver les enseignants appropriés pour le mouvement scolaire qui est aujourd’hui répandu dans le monde entier. Mais on peut acquérir les bases et profiter de l’expérience acquise dans les séminaires créés entretemps ; au début, il n’y en avait pas. En revanche, Rudolf Steiner dirigeait lui-même les nombreuses conférences aux professeurs, dont l’étude revêt encore aujourd’hui une grande importance. J’ai eu la chance de vivre toute cette évolution et j’ai également pu participer aux cours sur la lumière et la chaleur ( 47 ) qui ont suivi pendant la période de Noël 1919 et mars 1920, ainsi qu’au cours sur l’astronomie ( 48 ) de janvier 1921.
C’était très intéressant de voir Rudolf Steiner à ces cours. Contrairement aux réunions intimes des branches ou même aux conférences publiques animées, il s’exprimait ici de manière tout à fait scientifique en phrases courtes, pour ainsi dire prêtes à être imprimées. C’était une continuation spirituelle des méthodes scientifiques appliquées jusque-là. Cela m’a particulièrement frappé avec le cours d’astronomie48 3 : dans onze conférences, il ne parla guère du ciel étoilé, mais seulement de son reflet sur la Terre, par exemple dans le comportement des plantes, des secrets de leur croissance dans différents endroits de la Terre et bien plus encore, des tendances à former des spirales, etc., tout ceci étant imprimé aujourd’hui. Ce n’est que dans la douzième conférence qu’il dévoila un système d’univers complètement inattendu et nouveau, qui ne correspondait ni à la vision géocentrique de Ptolémée ni à la vision héliocentrique de Copernic et qu’on ne pouvait pas non plus considérer comme une simple synthèse des deux. Il n’évoquait que rapidement certains mouvements en spirale du soleil et des planètes, comme si le temps ne semblait pas encore mûr pour comprendre de tels secrets. Lors de la description des grandes et des petites boucles qui caractérisent les corps célestes successifs, je pensai aux énormes changements des conditions mondiales et aux catastrophes mondiales que Rudolf Steiner associait ailleurs à la disparition de l’ancienne Atlantide, à l’ère glaciaire et autres bouleversements, et qui provoqueront également de puissants changements à l’avenir. Les enseignants étaient ainsi familiarisés avec les aspects les plus importants du développement de la Terre et de l’homme afin de pouvoir être à la hauteur de leur enseignement. La pédanterie n’avait aucune place à l’école face à une telle sagesse.
Rudolf Steiner était implacablement strict par rapport à l’exercice professionnel. Lui-même venait à l’école très tôt et ne permettait à personne d’être en retard. Même quand des enseignants qui participaient au cours d’agriculture à Koberwitz lui demandèrent s’ils pouvaient suivre deux jours de plus ce cours si important pour l’avenir de l’humanité, il se contenta de dire : « mais les cours reprennent demain ! »
On sait qu’il y avait une grande liberté dans les classes, mais les élèves en abusaient très rarement. En revanche, lorsqu’ils se comportaient de façon immorale, Rudolf Steiner n’hésitait pas à les exclure. Mais lorsqu’un jour il voulut remplacer un professeur dans une classe difficile, il se rendit compte qu’il n’y avait aucun moyen d’établir le calme. Il quitta donc la classe déchaînée pour, le dos contre la porte, bloquer la poignée de l’extérieur. Mais même lors de cet effort, il ne perdit pas son sens de l’humour. Une autre fois, on devait lui présenter un enfant qui n’était pas encore prêt pour l’école et dont le caractère irascible inquiétait ses parents. Par ruse, il finit par arriver à la confrontation. Mais dès que l’enfant aperçut le grand invité, il s’écria : « Toi sale petit moineau » et sortit en courant. Rudolf Steiner rit de bon cœur et dit que la colère disparaîtrait vers l’âge de 14 ans.
Un autre épisode se produisit lors d’une visite de Rudolf Steiner, où un garçon l’attendait avec ses parents. Du dernier étage, on pouvait voir arriver l’invité. Quand celui-ci passa la porte d’entrée, le garçon cracha en bas. On ne sait pas s’il atteignit son but ou non. En tout cas, les parents se confondirent en excuses. Mais Rudolf Steiner n’en tint pas compte. Il dit, faisant allusion à l’intérêt du gamin pour les mathématiques : « Il voulait seulement calculer avec combien d’avance il devait cracher afin que ça m’atteigne ». Du même garçon, sa mère raconta que, lors de la première rencontre, alors que l’enfant était encore dans son couffin, Rudolf Steiner l’avait salué avec ces mots : « Bonjour Monsieur le Docteur ! » Et quand Steiner rendit visite à l’une de mes filles, peut-être une semaine après sa naissance, il lui tint un moment la racine du nez avec trois doigts et lui donna ensuite son nom.
Pour de nombreux parents, l’existence de l’école Waldorf était un grand apaisement. Souvent, ils attendaient avec impatience le changement de dents de leurs enfants, dont Rudolf Steiner avait indiqué, en l’expliquant, que c’était un signe de maturité scolaire. Il arriva même que l’on casse des dents de lait pour qu’un enfant soit admis un an plus tôt chez une maîtresse particulièrement populaire. On appréciait aussi le fait que, dans les petites classes, les enfants écrivent eux-mêmes le contenu des cours dans des cahiers et les illustrent par des dessins pleins de fantaisie. Le cours d’histoire était particulièrement vivant. Le professeur le donnait de façon si proche de la réalité qu’on pouvait croire qu’il voyait les personnalités qu’il décrivait devant lui. Pas étonnant que les enfants ne se soient pas lassés de l’écouter. Si l’on compare la vision historique cultivée dans les écoles Waldorf avec la façon dont l’histoire est souvent enseignée aujourd’hui à partir de tableaux de dates, etc., il est absolument justifié de la qualifier de « fable convenue » (R. Steiner).
Dans cette description de l’école Waldorf, j’ai ajouté des choses qui ne datent pas de la première année. Je voulais montrer que tout ici provenait des impulsions d’une vie libre de l’esprit. La perte du caractère d’une école unique pour toutes les couches de la population s’explique, entre autres, par les frais de scolarité. Ceux-ci, au début de la nouvelle école, étaient payés par la Waldorf-Astoria pour les enfants des travailleurs. On rechercha des parrainages pour d’autres enfants de parents pauvres. Si les autorités accordaient aux écoles libres la somme qui est dépensée pour chaque enfant dans les écoles publiques, parce qu’il s’agit d’économies, ou du moins autorisent à déduire de l’impôt sur le revenu les dépenses des élèves fréquentant des écoles privées, les écoles Steiner seraient également ouvertes aux enfants de parents pauvres, qui dépendent aujourd’hui totalement des parrainages et autres. Souvent, des parents envoient leurs enfants dans ces écoles alors même qu’ils habitent loin ; ils paient des frais de scolarité considérables pendant de nombreuses années ; le fait qu’ils soient prêts à faire des sacrifices est un bon exemple de financement des institutions culturelles par le bas, c’est-à-dire du côté des consommateurs qui réclament de telles prestations. Pendant les périodes de transition, les enseignants eux-mêmes, malgré tout leur idéalisme, ont dû faire le sacrifice d’un niveau de vie très faible.
Quelle satisfaction cela a dû être pour Emil Molt de voir comment « son » école se développait ! Non seulement il était passé d’apprenti à directeur général d’une entreprise industrielle renommée, mais il pouvait aujourd’hui agir en tant que « père d’une école », ou plus précisément comme protecteur d’une école qui, contrairement aux écoles d’apprentissage habituelles, était fondée sur des connaissances spirituelles de l’esprit et contribuait ainsi à donner une impulsion culturelle révolutionnaire au monde. Il n’avait certainement pas été facile pour Molt de persuader les travailleurs de confier leurs enfants à la nouvelle école, et encore moins de convaincre ceux qui avaient déjà fréquenté d’autres écoles de changer.
Dès le début, l’école Waldorf eut une orientation sociale. C’est aussi la raison pour laquelle tous les enfants suivaient les cours généraux et étaient même soutenus et encouragés par leurs camarades. Ce n’est que dans les cas pathologiques qu’il y eut des cours spéciaux, puis, plus tard des classes spéciales et des écoles spéciales. Il n’y avait pas non plus de notes, mais à la fin de l’année, les enseignants des descriptions détaillées qui permettaient aux enfants eux-mêmes, ainsi qu’à leurs parents, de voir où ils en étaient dans leurs progrès et où ils devaient faire particulièrement attention. Dans la plupart des cas, ces témoignages se terminaient par un proverbe destiné à encourager l’enfant. Naturellement, on voyait assez vite si certains enfants étaient plus doués dans les matières pratiques, s’ils faisaient de beaux travaux manuels en cours (avec Berta Molt et Helene Rommel), ou s’ils se montraient plus doués en langues ou en mathématiques. Néanmoins, ils continuaient à suivre toutes les matières car, d’une part, les tâches artistiques éveillent l’imagination des élèves et, d’autre part, les talents intellectuels n’apparaissent souvent pas immédiatement. Ce n’est qu’à l’âge de 14 ans qu’une bifurcation vers des matières plus pratiques – technologie ou artisanat – était prévue pour ceux qui n’aspirent pas à des études universitaires. Cette bifurcation ne put pas être réalisée du vivant de Rudolf Steiner. Pour les grandes classes, il donnait des consultations pour le choix de la profession et continuait à prodiguer des conseils à ceux qui étaient sortis de l’école. Par exemple, de manière générale, il ne considérait pas les mariages entre camarades de classe comme favorables, parce qu’il s’agit surtout d’un karma qui a expiré.
Les exercices en langues étrangères à partir de la première classe, combinés à la récitation et au chant pour développer le sens de la langue, furent aussi quelque chose de totalement nouveau. Une fois, une fillette rentra à la maison enthousiaste parce qu’elle avait pu pour la première fois réciter un poème dans une langue étrangère. Lorsqu’on lui demanda de quelle langue il s’agissait, elle répondit simplement : tu sais, la langue « one, two, three, four, five ». Emil Molt lui-même avait un fils à l’école, qui devint par la suite un homme d’affaires international. Le fait que les élèves de ces écoles libres choisissent en général plus de professions artistiques, académiques et sociales que celles de la vie de l’économie est un fait important qui est probablement lié aux conditions sociales insatisfaisantes de l’industrie.
L’attrait de l’école Waldorf se traduisit par le fait que des élèves des écoles publiques exprimèrent le souhait d’y entrer. Il arriva également à plusieurs reprises que des élèves qui avaient déjà réussi leurs examens finaux ailleurs ressentent le besoin de passer encore une année de grande classe à l’école Waldorf.
Pour Rudolf Steiner, ce fut un moment très heureux où il put faire passer une partie de son expérience de vie dans cette jeune école et où il trouva un corps enseignant qui répondait de manière intensive et enthousiaste à ses intentions. Erich Gaben décrit de nombreux aspects et détails de cette première période de l’école dans l’introduction aux conférences des enseignants avec Rudolf Steiner, d’où je tire les statistiques sur le développement étonnamment rapide de l’école :
Première année (d’existence de l’école) : 8 classes, 12 enseignants, 256 enfants
Deuxième année : 11 classes, 19 enseignants, 420 élèves
Troisième année : 15 classes, 30 enseignants, 540 élèves
Quatrième année : 19 classes, 37 enseignants, 640 élèves
Cinquième année : 21 classes, 39 enseignants, 687 élèves
Sixième année : 23 classes, 47 enseignants, 784 élèves
Il est évident que cette croissance rendit très rapidement nécessaire la construction de nouveaux bâtiments, avec une salle des fêtes et un gymnase. Heureusement, le site se prêtait également à l’introduction de cours d’horticulture, à la construction de baraques pour une cantine et pour un très beau jardin d’enfants.
Revenons au premier Noël de l’école, où les enfants purent déjà réciter des poèmes, ce dont Rudolf Steiner fut très heureux. Il exprima également son bonheur de voir la prospérité générale de l’école. Dans un délicieux discours aux enfants, il leur parla de l’Enfant Jésus, des fleurs et des animaux. Il parla des oiseaux, qui peuvent même faire plus que les hommes, parce qu’ils ont des ailes pour voler. Mais les enfants humains pouvaient aussi acquérir de telles petites ailes, qui se nomment « assiduité et attention ». Avec ces deux ailes, ils deviendraient des gens capables, disait-il. À chaque fête, il demandait : « Aimez-vous vos professeurs ? » et les enfants lui répondaient en criant d’une seule voix un « oui » plein de joie.


( 45 ) - On trouvera un portrait détaillé des douze enseignants du premier collège dans un livre paru en 1977 à Stuttgart, Der Lehrerkreis um Rudolf Steiner in der ersten Waldorfschule 1919-1925 (Le cercle des professeurs autour de R. Steiner dans la première école Waldorf 1919-1925).
( 46 ) - Conférence du 5 septembre 1919 in : L’art de l’éducation : méthode et pratique (II). GA 294. Dornach 1974.
( 47 ) - Rudolf Steiner, Impulsions de la science de l’esprit pour le développement de la physique, premier cours scientifique (lumière et matière), GA 320, Dornach 1964. Second cours scientifique (chaleur et matière). GA 321, Dornach 1972. *
( 48 ) - Rudolf Steiner, La relation de l’astronomie avec les autres sciences, troisième cours scientifique. GA 323, Dornach 1926.