Institut pour une
triarticulation sociale
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Jean-Marc
Decressonnière - L ' «approche anthroposophique» 5 Développement vers une économie associative ? 5.1 La
revendication émancipatrice de l'approche NPI
Dans ce qui suit, en un premier pas devrait être présenté comment le pendant entre ces étendues de développement est conceptualisé dans l'apport du NPI, pour alors mesurer ce concept holistique de développement ensuite à l'aune de son propre critère, le concept d'ordre économique associatif. Lievegoed considère le développement de l'humanité comme la condition préalable décisive pour faire face à/maîtriser l'avenir.474 Il considère l'être humain comme "un être qui ne peut se développer que s'il peut aussi être créatif dans son travail et (...) assumer des responsabilités, qui travaille avec d'autres pour un objectif commun, créant ainsi une communauté fondée sur une vrai humanité avec les autres "475 . Cette image de l'humain sous-tend le concept de la phase d'intégration 476 , qui est marqué par la recherche d'une intégration du travail et du développement humain 477 , afin que les humains puissent aussi trouver l'épanouissement de leur vie dans leur situation de travail 478 . Par suite du déploiement des sous-systèmes sociaux, les entreprises, en tant qu'unités sociales matures, "pourront alors également remplir leurs tâches dans une société post-industrielle se développant, une société dans laquelle les problèmes culturels, moraux et politiques seront mis en avant "479 . D'après Livegoed, cette société future exprimera le concept de la triarticulation de l'organisme social de R. 474 Cf.
Lievegoed 1974, p. 15. 83 Steiner. 480
En luttant pour intégrer le sous-système social des
entreprises, une voie commune vers un nouveau niveau de
coexistence sociale est ouverte sur la base d'une
formation du comportement humain. 481 Cette
référence sociétale du développement de l'entreprise se
concrétise avec l'élargissement du concept de
développement du NPI à la phase d'association. Glasl
considère également le développement des entreprises comme
une condition importante pour un développement actif de la
société dans son ensemble, basé sur la conscience et la
responsabilité de l'individu. 485 C'est un
chemin qui favorise le dépoiement spirituel,
psychique/d'âme et corporel de l'humain 486 et
qui conduit ainsi à l'utilisation des meilleures
particularités chez les humains : "le soutien mutuel, la
prévoyance et l'anticipation dans la responsabilité
commune". 487 Selon Glasl, l'approche NPI
montre ainsi "comment un organisme social peut utiliser
ses propres forces pour trouver une voie vers une
émancipation croissante et responsabilité sociale" 488. 479
Lievegoed 1974, p. 87. 84 la compensention d'intérêts 490 à la place de la pe sée de combat économique ordinaire jusque là. 491 Ainsi le développement de la phase d'association permettra aux entreprises de faire face activement aux grands conflits actuels et futurs, c'est-à-dire de s'ouvrir fondamentalement aux problèmes macroéconomiques (vie de l'économie), macro-politiques (vie de droit) et macro-culturels (vie de l'esprit) 493 et de les traiter de manière constructive. 494 Intégrées dans des biotopes d'entreprise orientés vers les utilités sociétales,495 selon Glasl, les entreprises "ne pourront plus facilement se soustraire à leur part de responsabilité écologique et économique et sociale globale". 496 Glasl voit
donc l'ouverture de l'entreprise à son environnement dans
la phase associative 497 comme le germe d'un
renouveau de la vie économique au sens de la vision d'une
économie associative 498 développée par R.
Steiner - une perspective de développement social qui,
compte tenu de la diffusion croissante du concept de Lean
Management, se concrétiserait de plus en plus. 499 490 Cf.
Glasl/Lievegoed 1993, p. 116. 85 Cette approche du NPI est-elle à la hauteur de sa prétention d'être un pionnier de l'ordre économique associatif au sens de Steiner ? Il existe des parallèles avec les idées de Steiner en ce qui concerne la mise en réseau des entreprises tout au long de la chaîne de valeur, telle qu'elle est mise en œuvre dans le concept de lean management (ou dans la phase d'association). Conformément aux principes du Lean Thinking, le Lean Management est un retour à l'objectif initial de l'activité entrepreneuriale : les besoins des personnes. Celles-ci constituent le point de référence du flux de valeur qui passe par les différentes entreprises. La satisfaction des besoins des clients peut être mieux servie si, comme l'expliquent Womack et Jones, la "guerre froide industrielle "503 qui a prévalu jusqu'à présent entre les entreprises alignées le long du flux de creation de valeur cède la place à une collaboration coopérative fondée sur la confiance mutuelle.504 Glasl voit le principe d'association réalisé dans cette intégration orientée vers le client de la chaîne de valeur dans un réseau d'entreprises.505 Toutefois, cette évaluation exprime une compréhension réductionniste de ce que Steiner entendait par économie associative. Lorsque Glasl souligne que le concept de Lean Management offre "les idées directrices et les valeurs dont nous avons besoin en Europe pour que notre économie soit compétitive sur les marchés mondiaux "506 et appelle à sa mise en œuvre rapide "avant qu'il ne soit trop tard pour l'Europe ! "507 , il ne reconnaît pas que Steiner avait précisément pour but de contrer l'économie capitaliste compétitive par un ordre économique alternatif plus approprié dans lequel l'ensemble des relations économiques sont coordonnées par association. Contrairement à Steiner, l'approche NPI ne soulève pas la question du système. Au lieu de cela, les associations sont conceptualisées dans le cadre du système d'économie de marché en vigueur et peuvent donc être instrumentalisées dans le but de renforcer la compétitivité. Cela n'exprime qu'une compréhension unidimensionnelle et donc réductionniste du concept d'association de Steiner. L'approche NPI comprend l'association exclusivement comme une intégration verticale de la chaîne de valeur. Steiner, en revanche, conçoit l'association comme une institution dans laquelle, par dessus 503
Womack/Jones 1997, p. 351. Personne
ne peut ignorer la compétitivité, Figure 24 : La logique de la concurrence/compétition 510
508 Cf.
section 3.3.2 87 management toujours plus d'"emplois" tombent, car dans un monde où les ressources sont limitées, il n'y a pas de fin aux améliorations. 511 Dans une industrie gonflée, cependant, la réduction des effectifs est inévitable.512 Jones se justifie par le fait que, tragiquement, il y aura des problèmes macrosociaux bien plus importants si les entreprises ne se développent pas en entreprises allégées : 513 "Si nos industries ne se convertissent pas, elles ne seront plus compétitives et disparaîtront complètement. 514 " Glasl est également conscient des effets de la gestion allégée sur le marché du travail. 515 Mais contrairement à Jones, il lui reste aussi à donner une réponse à ce problème. En résumé, il faut dire que le modèle de développement du NPI, mesuré à sa propre aune, est insuffisant. En ignorant les contraintes systémiques structurelles de l'économie de marché capitaliste, il ne peut pas réussir à montrer la voie d'une évolution vers une économie associative. Alors que l'approche de la réforme sociale de Steiner visant à surmonter le capitalisme 516 commence par "ce qui est en dehors de l'individu humain", 517 notamment par la conception des institutions sociétales, 518 l'approche NPI voit la solution des problèmes sociétaux principalement dans le changement moral de la conscience des gens vers des idéaux altruistes et solidaires. Dans ce contexte, il s'avère moins liée dans son essence à l'approche de science sociale de Steiner, c'est-à-dire l'"approche anthroposophique" au sens propre, qu'à l'éthique de la vertu 510 Extrait
de Brugger/Glasl 1994, p. 25. 88 des enseignements sociaux écclésiaux. 519 À cet égard, l'appellation "anthroposophique" de l'approche NPI, qui suggère un accord avec Steiner, est trompeuse/conduit dans l'erreur. 5.2 Les implications socio-technologiques de l'approche NPI
Afin de
pouvoir exploiter son capital de manière rentable,
l'entrepreneur capitaliste dépend du facteur de production
qu'est le travail, qu'il achète sur le marché du travail.
520 Toutefois, par le biais du contrat de
travail, il n'acquiert pas encore une prestation de
travail clairement définie, mais seulement une capacité/un
patrimoine de travail abstrait. 521 Le travail
doit d'abord encore être extrait de cette capacité de
travail. 522 Au regard du conflit d'intérêts
structurel entre l'entrepreneur (profit) et de
l'employé/occupé (salaire réduisant le profit), la
transformation de la capacité de travail achetée sur le
marché du travail en prestation de travail concrètement
délivrée 523 se présente comme un problème de
contrôle. 524 89
Figure 25 : Stratégies de contrôle managérial dans les différentes phases de développement de l'entreprise Dans la phase pionnière, les occupés sont soumis à un contrôle direct 526 par l'entrepreneur pionnier. Cette forme de contrôle personnel recule au profit de formes de contrôle structurelles dans la phase de différenciation. Il s'agit, d'une part, du contrôle technique à travers les contraintes de la machine et, d'autre part, du contrôle bureaucratique à travers des règles impersonnelles et des systèmes d'incitation.527 Enfin, dans la phase d'intégration, les formes de contrôle externes et directes sont remplacées par un autocontrôle indirect des employés/occupés.
526 Cf.
Krell 1996, p. 28. 90 Dans le
contexte du contexte d'action capitaliste, dans lequel se
déroule le développement de l'entreprise, les
caractéristiques du concept de phase d'intégration ont un
caractère éminemment socio-technologique : Dans la phase
d'intégration idéale-typique, les personnes portent les
objectifs de l'entreprise.532 Elles travaillent
avec une grande autonomie 533 et portent une
responsabilité entrepreneuriale commune.534 En
contrepartie, elles sont tenues d'être honnêtes et
sincères dans l'examen critique, l'évaluation et
l'appréciation de leurs actions par rapport à ce qui est
requis.535 En bref : les salariés doivent
mettre le "sang de cœur" dans les objectifs de
l'entreprise et faire des problèmes des clients leur
"affaire de cœur".536 Le déploiement du
sous-système social de l'entreprise dans la phase
d'intégration se présente donc comme "une sorte d'attaque
globale de l'âme des employés/preneurs de travail "537
.
91 alors que le système économique capitaliste dominant s'est révélé impossible à légitimer dans son noyau normatif. Avec son modèle dialectique de phases idéales-typiques du développement de l'entreprise, l'approche NPI - dans la version originale de Lievegoed - représente un cadre conceptuel théoriquement riche pour l'analyse du développement des entreprises.541 En revanche, la tentative de Glasl de conceptualiser l'ordre économique associatif comme une (quatrième) phase du développement de l'entreprise n'est pas convaincante. D'une part, l'extension de l'approche NPI à une autre phase de développement n'est pas compatible, d'un point de vue conceptuel, avec l'idéal-type dialectique et fermé du développement de l'entreprise de Lievegoed et, d'autre part, le concept de phase associative implique une compréhension réductionniste de l'économie associative, qui est donc en contradiction avec l'approche de Steiner. Comme nous l'avons vu, l'approche NPI ne tient pas compte du fait que les entreprises capitalistes ne sont pas en premier lieu des associations de coopération dans le but de satisfaire les besoins humains, mais qu'elles représentent avant tout des associations de domination et des sociétés de valorisation. 542 Compte tenu de cette myopie par rapport aux contraintes structurelles fondées sur le système économique dominant, l'approche NPI ne peut pas réussir à ouvrir la voie à un renouvellement de la société. Contrairement à Steiner, qui s'attaque aux questions structurelles de l'ordre économique et oppose à l'institution du marché "libre", au régime capitaliste de la propriété et à la vénalité du travail fondée sur le rapport salarial des institutions socio-économiques plus appropriées et favorables au développement humain, l'approche NPI cherche à améliorer les conditions économiques sur un plan moral en surmontant l'égoïsme des hommes. Cette perspective unilatérale et extrêmement idéaliste est fatale à l'approche NPI, car les structures systémiques de l'économie de marché capitaliste, qui ne sont pas remises en question, surmontent le développement des entreprises et des personnes qui en font partie. L'approche NPI peut donc être instrumentalisée comme une tentative d'appropriation intégrale de l'homme pour la valorisation rentable du capital. Avec ses formules d'harmonie à la fois aveuglantes et socialement romantiques, elle contribue de manière idéologique à dissimuler l'opposition structurelle d'intérêts entre le capital et le travail. Dans ce contexte, le 541 La mise à l'épreuve empirique de cette
typologie des phases n'a toutefois pas pu être discutée dans
le cadre de ce travail. 92 L'approche NPI, contrairement à son intention émancipatrice, peut être classée comme une technologie sociale stabilisatrice du système. Même si l'approche NPI manque son objectif, celui-ci ne perd en aucun cas sa distinction légitimante - au contraire : l'idée de l'économie associative représente, comme il a été clairement démontré dans le cadre de ce travail, une perspective concrète pour la réforme du contexte d'action économique dominant conformément au principe régulateur de la compréhension transsubjective. Dans ce contexte, la théorie de l'économie d'entreprise peut gagner de précieuses suggestions de la science sociale anthroposophique authentique, puisque c'est quad même, conformément à la comprehension de la science de l'école d'Erlangen, sa tâche la plus noble qui est de rendre plus "synthétiquement raisonnables", à la lumière du principe de transsubjectivité, les conditions de l'action économique qui sont privées de justification. 543 543 Cf. Steinmann/Gerum 1978, p. 49. |