Lever une ambiguïté ?
Texte
rédigé d'abord à l'attention d'un partenaire d'étude,
mais finalement rendu public.
Cher camarade d'études,
balançant entre poursuivre ma traduction du dernier livre de D. Spitta, plaçant la tri articulation sociale, dans l'apport des leçons de la 1ere classe (dit comme un raccourci.) ou revenir sur ce problème de Constitution de la S.A.G. qui sous-tend forcément aussi celui de ce qui serait correct pour la S.A.F, je tente quand même un petit point sur l'avancement de mes réflexions.
En fait, ton envoi de la "clarification" sur la "triarticulation", bien qu'elle ne comporte rien de neuf pour moi (j'avais déjà eu un topo semblable en privé par mail) avait suscité une petite pique sur l'indécrottable "tri-partiteur".
Et pourtant… y repensant… se lève pour moi un nouveau point de vue… et c'est justement la prise de conscience que ma propre lente formation de "tri-articuleur", m'a en fait permis de ne pas sombrer complètement dans la tendance à tripartir qui est au fond le niveau de base, vite stérile s'il n'est dépassé, de chacun qui ne s'est pas donné les moyens de vraiment approfondir le concept de triarticulation porté par Steiner de la corporéité humaine dans la compréhension de la vie en société. Tout cela reste malheureusement superficiel.
En fait, observant les échanges du 4e congrès sur la constitution, l'hiver dernier au Goetheanum, je me suis en fait rendu compte que j'étais quasiment seul a finalement ne pas vraiment voir un geste de tripartition dans la constitution. En tout cas, à moins céder à cette tentation.
Comment partager ça ?
J'ai tenter jusqu'à présent de le faire en axant sur le constat : RS est dans une logique d'entreprise, qui pour lui est pleinement dans le domaine d'une vie de l'esprit la plus libre possible, mais qui doit forcément composer avec deux autres extérieures (vie de droit et vie de l'économie). En fait, il doit passer d'une logique d'Union (Verein, Vereinigung - ce qu'on appelle en France la vie associative sans buts lucratifs, très strictement encadrée par la loi et favorisée sous conditions par des avantages fiscaux et des subventions) autour d'une personnalité et son enseignement, au déploiement (à terme, sans lui) d'une science de l'esprit dont il a posé les bases.
Mais tripartit-il pour autant dans la constitution ? Il avait toujours repoussé de telles propositions.
En fait non. Il pose seulement 2 réalités (un peu comme quand il parle de coque et de cerneau de noix pour le rapport entre vie de l'esprit et vie de l'économie).
La prise en compte de la reconnaissance spirituelle(-juridique/administrative) de l'initiative de l'école/université (comme entreprise tournée vers la vie de l'esprit donc), est en cela un geste proposé à chaque individu isolément, de manière semblable à ce qu'il préconisa dans les memorandums de 1917 quant à la libération des individus dans la vie publique par le libre regroupement dans trois types de corporations. Première réalité, premier geste.
La deuxième, c'est de confier le pendant de la 1ère dans l'économie, le soutien économique de l'entreprise Université libre, a des jugements collectifs très concrets : ce seront des groupes qui réuniront le montant nécessaire aux purs consommateurs qui en seront les collaborateurs permanents.
Et
c'est tout.
Il y a bien sûr des discussions autour de comment s'établissent les échanges entre groupes ou individus au sujet de ce que fait et propose l'entreprise (ou plus exactement, une subdivision seulement de celle-ci à côte d'une maison d’éditions, d'une clinique, etc…) Comment s'organiserait cette consultation et prise en compte de la vie des groupes constitués dans la subdivision de ou des « sociétés anthroposophiques » ? Est-on là dans des embryons de construction collégiale, démocratique, ou aristocratique, en tout cas de vie de droit, ou bien simplement dans un associatif (au sens de RS cette fois) de la vie de l'économie vis-à-vis de la nécessité de fournir une telle base à une libre vie de l'esprit ?
[Qu'on veuille voir là, par projection d'une tripartition, voire d'une triarticulation, un espace médian, voire rythmique - (ce que d'ailleurs Steiner exclu en matière de science sociale)- par analogie à la corporéité humaine est justement ce qui ne me semble pas adéquat. En tout cas dans un premier temps. Que puisse s'imaginer là une sorte d'espace intermédiaire librement habitable, ne peut devenir sain que s'il était vraiment acquis qu'il doit bien s'agir de libre vie de l'esprit seulement.]
Car alors surgit en réalité encore une autre question : sur quoi se créent ces groupes, au delà de la simple reconnaissance de la conception du monde anthroposophique, (de faire corps parmi d'autres dans la vie publique de l'entité politique où on se trouve, voire peut-être dans celle "mondiale"aussi), et de l'outil de son élaboration plus avant dans le futur ?
Il est parlé de groupe de lieu, et de groupe sur champ concret (Sachlichenfeld ? si je me souviens bien.)
Des groupes sur champs concrets font bien entendu penser aux corporations par profession des memorandums (attention peut être à ne pas confondre avec celles qui furent abolies par la Révolution française et qui jouaient plutôt un rôle dans l'ancienne économie "naturelle" - pas celle moderne de division du travail, mondiale). Comme aussi un peu (seulement) aux sections spécialisées de l'Université, bien que là, peut-être devrait-il plus s'agir de "disciplines"(plus dans la connaissance que dans la technique - ce que dit en passant, on a encore du mal a pratiquer, surtout quand on s'imagine pouvoir le faire en amateur sur simple slogan/mot d'ordre interne au mouvement).
Les groupes par lieu me restent plus mystérieux, en tout cas plus ambigus de par l'histoire… il y avait bien sûr dans la vie spirituelle religieuse ancienne les regroupements paroissiaux, dans la vie théosophique et ensuite anthroposophique, les "branches"… en gros des regroupements de conception du monde partagée des habitants d'un espace géographique le permettant sans trop de difficultés (Tout cela change évidemment en fonction des moyens de déplacement et de communication).
Seulement voilà, une autre réalité ne s'est-elle pas immiscée entre-temps ? Déjà en 1923 lorsque justement des groupes existant de fait ont été appelés à se former, ou se constituer en sociétés de droit, et du coup par pays. Mais donc aussi de fait plutôt "pays" dans le domaine juridique, du droit territorial, plus uniquement qualitativement géographique. Autre chose, plus purement de vie de l'esprit, aurait été s'il s'était agi de se regrouper par "genius locci"(esprit du lieu). Ce lien au sol et aux élémentaux si important pour Steiner, et pour l'émancipation des individus, mais oublié aujourd'hui au profit d'une vision universelle, voire mondialiste de l'humain devenu abstrait, plus ou moins hors sol ?
Toujours est-il que RS soutient et participe à certaines de ces créations juridiques. Tout en se montrant très libéral quand aux formes pouvant être choisies. Mais en général un modèle circulera.
Tout cela mériterait une étude approfondie.
Toujours est-il qu'au Congrès de Noël, RS annonce : p!utôt une société "générale", voir "commune" qu'inter-nationale. S'agit-il d'une volte-face ou bien corrige-t-il quelque chose qui s'est finalement installé indépendamment de lui ?
Toujours est-il aussi, que cent ans après, du point de vue de la S.A.G, avec une connotation de base fortement administrative, il n'y a quasiment pas de groupes sur champs concret, et les groupes de lieux sont devenus des groupes de pays voir nationaux, et les "branches ", à mes yeux, véritables groupes de lieux, priées de passer par un tel intermédiaire. De facto ne sont véritablement reconnus habilités à présenter et signer des admissions, que des responsables de pays, plutôt en correspondance ou décalque, dans la vie de l'esprit, d’entités politiques de la vie de droit ! Il y a bien entendu de par le monde, des anthroposophes qui se regroupent et se font connaître autrement. Mais ce sont des exceptions. Et puis il y a tous ceux qui ont mis des contenus de l'Université dans leur pratique quotidienne, mais ne se reconnaissent plus ou pas comme partie prenante et soutenante. Et on entend parfois des trésoriers pleurer après eux. Rêver même d’un petit impôt anthroposophique !
Dans le cas de la France, cela donne une vie de l'esprit tendant fortement a se centraliser, et entre autres, à ce que même des sommes initialement destinées à l’Université, n'y arrivent que dans la mesure où le groupe du moment, auquel a été laissé la gestion du pays tout entier, en trouve la disponibilité occasionnelle, sans trop entamer ses propres projets.
Quand on connaît le projet social clairement autogestionnaire de RS, on peut se demander si le nombre relativement faible de membres et le peu de rayonnement en France n'y trouverait pas une explication supplémentaire à d'autres handicaps de culture. Car particulièrement en France, distinguer entre libre vie de l'esprit, et vie de l'esprit sur un mode juridico-politique relève de la gageure. Pour beaucoup la question n'existe même pas.
Et pourtant, plus ou moins selon les entités politiques, cela peut avoir une importance cruciale sur ce qui se cultive de vie de l'esprit (que l'on pense par ex. au catholicisme romain, à l'évangélisme nord-americain ou au laïcisme droit de l'hommiste universaliste, etc., et essaye d'imaginer une vie de l'esprit de pur exercice de facultés appliqué à des acquisitions de connaissances et exemptes de ces dynamiques politico-économiques ou économico-politiques indues, et surtout de l'habitus mêlé correspondant.)
C'est du moins ce que me laisse entrevoir ce long travail sur la structuration, consciemment tri-articulée ou non, de la structure sociale d’ensemble.
Voila, cher camarade d'études.
Pour l'instant...
François Germani, Quatzenheim, version 02, le 07 octobre 2025
P. S.
:
la présente tentative suppose donc un minimum d'éveil de
la part du lecteur. Surtout un début de capacité à
se distancier de sa culture "nationale", en
l’occurrence française, telle qu'inculquée par
l'Éducation Nationale puis véhiculée par presque toutes
les institutions aussitôt qu'elles adoptent des statuts
types sans pouvoir véritablement les passer au crible de
leur impulsion ou projet "spirituel". Éveil à ce
que l'enseignement de tri-articulation sociale permet,
ou devrait permettre, jusque dans les rapports
inter-individuels comme dans les pratiques
institutionnelles selon qu'on est ensemble dans ou pour
une vie de l'esprit ou celle de droit ou encore
celle économique, les deux dernières en
conscience de l'esprit cependant.
En tout cas dès qu'on sort des rapports de clan
héréditaires ou non, ou autres copinages qui
représentent encore trop la conscience généralement
disponible. On pourrait aussi parler de rapports plutôt
de liberté, ou plutôt d'égalité ou encore de
"fraternité". Les laisser se mêler à
notre insu n’est aujourd’hui plus
possible. Le
rapport
à ces trois idéaux, reste cependant encore passablement
intellectuel et abstrait pour la plupart. Ils sont donc
plus objets d'émotions que de véritables savoir-faire.
En nous invitant à réfléchir aux différences de rapports
construit au moyen de contrats, ou d'autres en rapport à
des lois, et puis enfin à ceux qui devraient
principalement reposer sur des conseils ponctuels, une
mobile reconnaissance d'autorité, sujet par sujet, RS
tente de nous aider à descendre dans la vie quotidienne
afin de pouvoir transformer peu à peu le cours de
l'histoire,... prendre enfin le si nécessaire relais des
dieux.
Celui
qui voudrait faire des pas supplémentaires sur ce chemin
peut se rapporter, entre autres, mais principalement
pour le seul francophone, au livre de Sylvain
Coiplet : "Questions fondamentales de triarticulation
sociale" (https://www.triarticulation.fr/Institut/FG/01.htm)
où il rassemble les principaux passages de Steiner sur
le sujet. L'antroposophie peut alors passer du quant à
soi philosophique ou des quelques champs de réalisations
codifiés, voire certifiables, à une pratique de la vie
en tous domaines.