[04/01] La tri-articulation interne de l’organisme
social sain conduira à des relations internationales
elles aussi tri-articulées. Chacun des trois domaines
aura sa relation indépendante avec le domaine
correspondant des autres organismes sociaux. Entre les
pays s’établiront des relations économiques qui ne
seront pas directement influencées par les relations
entre les États politiques. [* Celui qui objecte que
les relations juridiques et économiques forment en
fait un tout et qu’elles ne peuvent être séparées les
unes des autres, passe à côté de ce que nous entendons
par articulation sociale. Dans l’ensemble des échanges
commerciaux, les deux sortes de relations agissent
bien entendu comme un tout. Mais décider des droits en
fonction des nécessités économiques n’est pas la même
chose que d’en décider en fonction de sentiments de
justice élémentaires et de seulement ensuite laisser
interagir ce qui en est résulté avec les échanges
économiques.]
Et, réciproquement, les relations des États politiques
se développeront, dans une certaine mesure, totalement
indépendamment des relations économiques. De par cette
indépendance au niveau de leur genèse, ces différentes
sortes de relations pourront se contrebalancer en cas
de conflit. Des liens d’intérêt se noueront entre les
différents organismes sociaux qui feront apparaître
les frontières territoriales comme étant sans
relevance pour la communauté humaine. Les
organisations spirituelles des différents pays
pourront avoir entre elles des relations qui résultent
uniquement de la vie spirituelle commune de
l’humanité. La vie spirituelle, indépendante de l’État
et ne reposant que sur elle-même, sera à l'origine
d’une nouvelle situation, dont il ne peut être
question aussi longtemps que la reconnaissance des
productions spirituelles dépend de l’État et non de
l’organisation du spirituel. À cet égard, il n’y a pas
de différence entre les productions de la science,
dont l'internationalité est évidente, et celles
d’autres domaines de l’esprit. Un de ces domaines de
l’esprit est par exemple la langue propre à un peuple,
et tout ce qui a directement trait à la langue. La
conscience propre à un peuple relève aussi de ce
domaine. Les habitants d’un territoire linguistique
éviteraient nombre de conflits avec ceux d’un autre
s’ils renonçaient à se servir de l'organisation de
l’État ou de la puissance économique pour faire valoir
leur culture. Lorsque la culture d’un peuple a,
comparée à une autre, une plus forte capacité
d'expansion et de fécondité spirituelle, son expansion
est justifiée et peut s’accomplir d’une manière
pacifique, si elle est exclusivement confiée aux
institutions qui dépendent des organismes spirituels.
[04/02] Actuellement, la plus vive opposition à la
tri-articulation de l'organisme social vient encore
des groupements humains qui se sont développés à
partir de la communauté de langue et de culture
ethnique. Cette opposition devra se plier devant le
but que l’ensemble de l’humanité va devoir se fixer,
d’une manière de plus en plus consciente, pour
répondre aux nécessités du temps présent. Cette
humanité ressentira que chacune de ses parties
constituantes n’accède à une vie véritablement digne
de l’homme que lorsqu’elle se relie de manière
énergique à toutes les autres parties. Les groupements
ethniques et autres impulsions d’ordre naturel, sont
historiquement à l’origine des communautés juridiques
et économiques actuelles. Mais les forces par
lesquelles les ethnies évoluent, ont, pour se
déployer, besoin d'une interaction qui ne soit pas
entravée par les relations que les États politiques et
les coopératives économiques développent entre eux. Ce
sera le cas lorsque les communautés ethniques
réaliseront la tri-articulation interne de leurs
organismes sociaux, de telle manière que chacun des
trois systèmes puisse développer ses propres relations
indépendantes avec d’autres organismes.
[04/03] Entre peuples, états et corps économiques se
forment alors des relations d’ordre multiple qui
relient chaque partie de l’humanité à d’autres
parties, de telle manière que chacune ressente
intérieurement la vie des autres, dans ses propres
intérêts. Une Société des Nations prend naissance dans
de telles impulsions fondamentales qui l’ancrent dans
la réalité. Il ne sera pas nécessaire de la
« mettre en place » d’un point de vue
uniquement juridique.
[* Celui qui y voit en cela une « utopie »
ne voit pas qu’en vérité la réalité tend vers des
institutions qu’il tient pour utopiques, et que la
dégradation de cette même réalité provient justement
du fait que ces institutions font défaut.]
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