027 - Ainsi l'organisme social peut se partager en
deux éléments autonomes qui se soutiennent l'un
l'autre, précisément par le fait que chacun à son
autogestion spécifie issue de ces forces
particulières. Un troisième élément devra cependant
vivre selon ses propres forces, entre les deux
précédents : l'organe spécifique de l'Etat, dans
l'organisme social. À travers lui s'exprime tout ce
qui doit dépendre du jugement et du sentiment de
chaque homme ayant atteint sa majorité.
-Dans la vie spirituelle libre, chacun agit
conformément à ses facultés particulières.
-Dans la vie économique, chacun occupe sa place telle
qu'elle est déterminée par ses relations associatives
-Dans la vie politico-juridique, chacun parvient à sa
valeur proprement humaine, pour autant que celle-ci
est indépendante des capacités qui permettent à
l'homme d'agir dans la vie spirituelle libre, et
indépendante de la valeur que confère à sa production
l’économie associative.
028 - Nous montrons dans ce livre comment le travail,
du point de vue de sa durée et de sa nature, est du
ressort de cette vie politico-juridique. Dans cette
vie de l'Etat politico-juridique, chacun est en face
de l'autre, en égal, parce que tout ce qui y est
traité ou géré l'est seulement dans les domaines où
chaque homme est apte à juger également. Dans ce
domaine de l'organisme social, sont réglés les droits
et les devoirs des êtres humains.
(...)
02/12] Comme seconde partie de l'organisme social, il
faut considérer le Droit public, la vie politique
proprement dite. Elle comprend ce que l'on pourrait
désigner comme la vie propre de l'Etat, dans son sens
déjà ancien d'Etat de droit. Alors que la fonction
économique englobe tout ce dont l'homme a besoin, que
ce soit en provenance de la nature ou de de sa propre
production, tout ce qui a à voir avec les
marchandises, leur production et leur consommation,
cette seconde partie ne concerne que ce qui - sur des
fondements purement humains - a rapport aux relations
d'homme à homme. Il est essentiel, pour la
compréhension des membres constituant l'organisme
social, que l'on connaisse la différence entre le
système du Droit public, qui ne peut avoir à faire
qu'avec les rapports d'homme à homme - sur une base
purement humaine - et la vie économique qui n'a à
faire qu'avec la production, la circulation et la
consommation des marchandises. On doit avoir le
sentiment de cette distinction dans la vie même, pour
que découle de ce sentiment la séparation des domaines
du droit et de la vie économique, comme, dans
l'organisme humain naturel, l'activité nerveuse et
sensorielle se distingue de l'activité respiratoire
des poumons, modifiant l'air extérieur.
(...)
C'est donc des consommateurs que les marchandises
reçoivent leur valeur. Et de ce fait, elles se situent
dans l'organisme social d'une tout autre manière que
d'autres valeurs, qui existent pour l'homme du fait de
son appartenance à cet organisme. Que l'on considère
avec impartialité la vie économique, qui embrasse la
production, l'échange et la consommation de
marchandises. On remarquera, et pas seulement d'une
manière contemplative, la différence essentielle qui
existe entre les rapports d'homme à homme, du fait que
l'un produit des marchandises pour l'autre, et ceux
basés sur une relation juridique. Mais l'on passera de
la constatation à l'exigence pratique que, dans
l'organisme social, la vie juridique devrait être
totalement tenue à distance de la vie économique. Les
meilleures impulsions pour les relations juridiques,
qui doivent exister entre les hommes, ne peuvent
résulter immédiatement des activités que les hommes
ont à développer à l'intérieur des organismes servant
à la production et à l'échange des marchandises. Dans
les organismes économiques, l'homme s'adresse à
l'homme, parce que l'un sert les intérêts de l'autre;
fondamentalement différente est la relation d'un homme
à un autre dans la vie juridique.
[02/19] On serait tenté de croire qu'on aurait
suffisamment tenu compte de la nécessité de cette
différenciation exigée par la vie, si les problèmes
juridiques soulevés par des relations entre hommes
étaient réglés à l'intérieur des institutions
économiques. Mais une telle croyance n'a pas ses
racines dans la réalité de la vie. L'homme ne pourra
vivre d'une manière juste la relation juridique qui
doit exister entre lui-même et les autres hommes que
lorsqu'il ne vivra pas l'expérience de cette relation
dans le domaine économique, mais sur un plan qui en
est totalement séparé. C'est pourquoi, dans un
organisme social sain, parallèlement à la vie
économique, et dans l'indépendance, doit s'épanouir
une vie dans laquelle les droits de l'homme envers
l'homme peuvent être établis et mis en application. Or
la vie juridique est celle du domaine politique
proprement dit, de l'Etat. Que les hommes introduisent
les intérêts servant la vie économique dans la
législation et l'administration de l'Etat
constitutionnel, et toute juridiction ne sera plus que
l'expression de ces intérêts économiques. Si l'Etat
constitutionnel participe lui-même à la vie
économique, il perd alors la faculté de régler la vie
juridique. Car ses mesures et ses dispositions devront
servir des besoins humains en marchandises; de ce
fait, elles s'écarteront des impulsions orientées sur
la vie juridique.
[02/20] Un organisme social sain exige comme second
membre, à côté du corps économique, la vie de l'Etat,
politique et indépendante. Dans le corps économique
indépendant, les hommes parviendront, par les forces
mêmes de la vie économique, à des institutions qui
serviront la production et les échanges de la manière
la plus favorable. Dans la sphère de l'Etat politique,
s'instaureront des institutions qui orienteront les
relations réciproques des hommes et des groupements
humains, en conformité avec la conscience juridique de
l'homme.
[02/21] Le point de vue à partir duquel est placée
l'exigence, caractérisée ici, d'une séparation totale
de l'Etat juridique et du domaine économique, réside
dans la vie humaine véritable. Un tel point de vue ne
peut être accepté par celui qui veut lier la vie
juridique et la vie économique. Les hommes actifs dans
la vie économique ont, bien entendu, le sens du droit;
mais ce n'est qu'à partir du droit, et non pas à
partir d'intérêts économiques, qu'ils pourront
pourvoir dans l'esprit du droit, à la législation et à
l'administration, s'ils ont à en juger dans l'Etat
constitutionnel qui, en tant que tel, n'a aucune part
à la vie économique. Un tel Etat constitutionnel a ses
propres corps législatif et administratif, tous deux
édifiés sur des principes qui sont le résultat de la
conscience juridique des temps présents. Cet Etat sera
édifié sur les impulsions de la conscience humaine que
l'on désigne actuellement par le terme de
«démocratique». Quant au domaine économique, il
fondera, sur des impulsions qui lui sont propres, ses
propres organes législatif et exécutif. Les rapports
nécessaires entre les Directions des corps juridiques
et économiques se feront à peu près comme se font,
actuellement, les rapports entre gouvernements d'Etats
souverains. Grâce à cette différenciation, ce qui
prend forme dans l'un des domaines recevra de l'autre
un effet indispensable. Cet effet est entravé par le
fait que l'un des domaines veut manifester en lui-même
ce qui doit affluer de l'autre.
[02/22] Ce qui, dans la vie économique, est d'un côté
soumis aux conditions naturelles (climat, aspect
géographique de la région, richesse du sol etc ... )
dépend, de l'autre côté, des rapports juridiques que
l'Etat a établis entre les hommes d'affaires ou les
groupes d'affaires. Ainsi sont tracées les limites de
ce que peut et doit englober l'activité de la vie
économique. De même que les prédispositions
naturelles, créées par la nature en dehors du circuit
économique, doivent être acceptées comme des données a
partir desquelles l'homme actif dans la vie économique
peut édifier son économie; de même tout ce qui
détermine dans le domaine économique un rapport
juridique d'homme à homme doit trouver, dans un
organisme social sain, un règlement par l'Etat
constitutionnel; semblable en cela aux ressources
naturelles, cet Etat constitutionnel se déploie comme
quelque chose d'indépendant, vis-à-vis de la vie
économique.
[02/23] Dans cet organisme social, formé jusqu'ici à
travers le devenir historique de l'humanité, et qui
est devenu, par le siècle du machinisme et par la
forme capitaliste moderne, ce qui donne son empreinte
au mouvement social, la vie économique a une emprise
plus grande qu'elle ne devrait dans un organisme
social sain. Actuellement, dans le circuit économique
où ne devrait circuler que la marchandise, la force de
travail humain et les droits circulent aussi. Dans le
corps économique, qui repose sur la division du
travail, on peut, à l'heure actuelle, non seulement
échanger de la marchandise contre de la marchandise
mais, par le même processus économique, échanger de la
marchandise contre du travail, et de la marchandise
contre des droits. (J'appelle «marchandise» toute
chose transformée par le travail de l'homme et qui, là
où on l'a transportée, est mise à la disposition des
consommateurs. Cette acception peut sembler choquante
ou insuffisante à bien des professeurs d'économie
politique; elle peut cependant rendre de bons services
pour la compréhension de ce qui est du ressort de la
vie économique. [* Dans un exposé qui se veut au
service de la vie, il ne peut être question de donner
des définitions qui proviennent d'une théorie, mais
des idées qui donnent une image de ce qui, dans la
réalité, joue un rôle plein de vie. «Marchandise»,
dans le sens précédent, évoque quelque chose dont
l'être humain peut faire l'expérience. Tout autre
concept de «marchandise» exclut ou ajoute quelque
chose, si bien que le concept ne correspond plus au
processus vivant; il ne recouvre plus la réalité.]
Quelqu'un achète un terrain; cet achat doit être
considéré comme un échange: échange du terrain contre
de la marchandise, que représente l'argent. Dans la
vie économique, le terrain lui-même n'agit cependant
pas comme une marchandise. Il s'insère dans
l'organisme social par le droit d'utilisation qu'en a
l'homme. Ce droit est essentiellement différent de la
relation dans laquelle se trouvent le producteur d'une
marchandise, et cette marchandise. Dans cette dernière
relation, se trouve fondé par son essence le principe
qu'elle n'empiète pas sur les rapports d'une tout
autre espèce qui s'établissent d'homme à homme, par le
fait que l'utilisation exclusive d'un terrain revient
à quelqu'un. Le propriétaire entraînera dans un
rapport de dépendance, des hommes qui, afin de
subvenir à leurs besoins, travailleront pour lui sur
ce terrain, ou qui devront y habiter. Par contre, si
l'on échange des deux côtés de la véritable
marchandise, que l'on produit ou que l'on consomme,
aucune dépendance ne s'établit, qui agisse ainsi
d'homme à homme.
[02/24] A celui qui pénètre avec impartialité jusqu'à
un tel fait de la vie, il apparaîtra que ce fait doit
trouver son expression dans les institutions d'un
organisme social sain. Aussi longtemps qu'on échange
marchandises contre marchandises dans la vie
économique, leur mise en valeur reste indépendante de
tout rapport juridique entre personnes privées ou
groupes sociaux quelconques. Mais aussitôt que des
marchandises sont échangées contre des droits, le
rapport juridique lui-même est concerné. Ce qui
importe, ce n'est pas l'échange en tant que tel. Cet
échange est l'élément vital indispensable de l'actuel
organisme social, reposant sur une division du
travail; mais il s'agit du fait qu'avec l'échange du
droit contre de la marchandise, le droit lui-même
deviend une marchandise s'il trouve son origine au
sein même de la vie économique. Ceci ne pourra être
évité que si, dans l'organisme social, existent, d'une
part, des institutions qui n'ont pour but que de
promouvoir la circulation des marchandises de la
manière la plus avantageuse; et s'il existe, d'autre
part, des institutions qui régleront les droits
existant dans le commerce entre producteur, commerçant
et consommateur. Ces droits ne se différencient pas du
tout, dans leur essence, des autres droits qui doivent
exister de personne à personne, dans les relations
tout à fait indépendantes d'un échange de
marchandises. Si je cause un dommage à mon prochain,
ou lui suscite un avantage dans une transaction
marchande, cet acte relève de la même sphère sociale
qu'un avantage ou un dommage causé par une action (ou
une omission) qui ne s'exprime pas directement par un
acte d'échange de marchandises.
[02/25] Dans l'attitude de chaque homme individuel
face à la vie, confluent les effets des institutions
juridiques et ceux de l'activité purement économique.
Ils doivent provenir, dans un organisme social sain,
de deux directions différentes. Dans chaque branche de
l'économie, c'est la formation professionnelle et
l'expérience acquise dans cette branche qui peuvent
procurer aux personnalités responsables de ce domaine
les lumières indispensables. Dans le domaine
juridique, ce sont la loi et l'administration qui
réalisent ce que la conscience du droit exigera comme
relations entre individus isolés et entre groupes.
L'organisation économique réunira dans des
coopératives des hommes ayant les mêmes intérêts
professionnels, ou les mêmes intérêts de consommation
ou des besoins de toute autre nature; par des échanges
réciproques, ces hommes mettront sur pied l'ensemble
de l'économie. Cette organisation s'édifiera sur une
base associative et sur les rapports entre
associations. Ces associations ne déploieront qu'une
activité économique. La base sur laquelle elles
travailleront leur viendra de l'organisation
juridique. Si de telles associations économiques
peuvent faire valoir leurs intérêts économiques dans
des organismes représentatifs et administratifs du
secteur économique, alors elles ne développeront pas
le désir de s'ingérer dans la direction législative et
exécutive de l'Etat juridique (par exemple en tant que
fédération des agriculteurs, en tant que parti des
industriels, en tant que démocratie sociale, avec
orientation économique) pour tenter d'y obtenir ce
qu'elles ne peuvent atteindre à l'intérieur de la vie
économique. L'Etat juridique ne participera plus à
aucune branche économique; il pourra alors créer des
institutions qui seront issues de la conscience du
droit des hommes qui le composent. Même si des
personnes exerçant une activité économique siègent
également dans des assemblées de l'Etat - ce qui
d'ailleurs est tout naturel - il n'en pourra résulter,
par le fait de la séparation en vie économique et
juridique, une influence de la vie économique sur la
vie juridique. Une telle influence minerait la santé
de l'organisme social, comme cela peut se faire
lorsque l'organisation de l'Etat gère elle-même des
branches de la vie économique et lorsque, dans cette
organisation, les représentants de la vie économique
décident des lois en fonction des intérêts de cette
vie économique.
[02/26] L'Autriche nous fournit un exemple typique de
fusion des deux sphères juridique et économique, par
la constitution qu'elle s'est donnée vers les années
soixante du siècle dernier; les représentants du
Conseil de l'Empire étaient choisis parmi les quatre
branches de l'économie, c'est-à-dire: l'Association
des grands propriétaires terriens; les Chambres de
Commerce; les villes, centres commerciaux et
industriels; et enfin les Communes rurales. On voit de
toute évidence que l'idée directrice pour constituer
ce Conseil représentatif était que la politique doit
naître d'une représentation complète des intérêts
économiques. Il est certain que si les forces
séparatistes de ses différentes nationalités ont
fortement contribué à la désagrégation de l'Autriche,
il n'est pas moins sûr qu'une juridiction qui aurait
pu développer sa propre activité parallèlement à
l'économie aurait, grâce à la conscience du Droit,
élaboré une structure sociale qui eût permis la
coexistence de ces peuples.
[02/27] Aujourd'hui, l'homme qui s'intéresse à la vie
publique dirige habituellement son attention sur des
choses qui sont, pour cette vie, d'importance
secondaire. Il fait cela parce que ses habitudes de
penser l'amènent à considérer l'organisme social comme
une structure unitaire. Mais on ne peut trouver, pour
une telle structure, un mode de suffrage qui lui
corresponde. Car, dans chaque mode de suffrage, les
intérêts économiques et les impulsions de la vie
juridique doivent se contrarier à l'intérieur du corps
représentatif. Et ce qui résulte de cette perturbation
doit mener à des ébranlements de l'organisme de la
société. Le premier objectif impératif que la vie
publique doit se fixer aujourd'hui est donc de
travailler à établir une séparation radicale entre la
vie économique et l'organisation juridique. En vivant
l'expérience de cette séparation, les organisations
qui se séparent trouveront, de par leurs propres
ressources, les meilleurs modes d'élection de leurs
législateurs et de leurs administrateurs.
Actuellement, dans les décisions qui demandent à être
prises, les questions de mode électoral passent au
second plan, bien qu'elles soient en elles-mêmes d'une
importance fondamentale. Là où existent encore les
anciennes conditions, il s'agira de partir de ces
conditions mêmes pour travailler en vue de la nouvelle
séparation esquissée. Là où l'ancien s'est déjà
désagrégé, ou bien se trouve en voie de désagrégation,
il faudrait que des personnes individuelles ou des
fédérations de personnes prennent l'initiative d'une
formation nouvelle, qui s'oriente dans la direction
indiquée ici. Vouloir, du jour au lendemain, amener
une transformation de la vie publique est reconnu,
même par les socialistes raisonnables, comme
l'emballement déraisonnable de l'esprit exalté. Ces
derniers attendent d'une transformation appropriée,
graduelle, la guérison qu'ils envisagent. Mais,
éclairé par des faits de portée considérable, celui
qui observe sans prévention peut apprendre que les
forces du développement historique de l'humanité
rendent actuellement nécessaire une volonté
raisonnable tendant vers un nouvel ordre social.
[02/28] Celui qui ne considère comme «réalisable en
pratique» que ce à quoi il s'est habitué, dans le
cercle étroit de sa vie, taxera d'«irréalisables en
pratique» nos suggestions. S'il ne peut se convertir
et s'il garde de l'influence dans un domaine
quelconque de la vie, son action ne contribuera pas à
la guérison mais à une détérioration plus avancée de
l'organisme social, pareille en cela aux agissements
de ceux qui ont amené l'état de choses actuel.
[02/29] Apparue d'abord dans les classes dirigeantes,
l'aspiration à créer dans notre vie politique une
direction centralisée de certaines branches de
l'Economie (postes, chemins de fer etc.), doit céder à
la tendance opposée: celle de soustraire toute
l'activité économique à la tutelle de l'Etat. Des
penseurs convaincus en leur volonté de se trouver dans
la juste direction d'un organisme social sain tirent,
de l'aspiration de nationalisation préconisée par les
classes jusqu'alors dirigeantes, les conclusions les
plus extrêmes. Ils veulent la socialisation de tous
les moyens de la vie économique, pour autant qu'ils
sont des moyens de production. Une évolution saine
donnera à la vie économique son indépendance et à
l'Etat politique la faculté d'agir, par la
législation, sur le corps économique; cela de manière
telle que l'homme ne ressentira pas son intégration
dans l'organisme social, en contradiction avec sa
conscience du droit.
[02/30] On peut percevoir à quel point les pensées
avancées ici sont fondées dans la vie véritable de
l'humanité, quand on dirige le regard sur le travail
que l'homme accomplit pour l'organisme social, par sa
force physique de travail corporel. Dans la forme
économique capitaliste, ce travail s'est incorporé à
l'organisme social de telle façon que l'employeur
l'achète à l'employé, comme une marchandise. Un
échange s'établit entre argent (représentant de
marchandise) et travail. Mais dans la réalité un tel
échange ne peut s'accomplir; il ne fait que sembler
s'accomplir. [* Dans la vie, il est tout à fait
possible non seulement que des processus soient
expliqués dans un sens erroné mais qu'ils
s'accomplissent dans un sens erroné. Argent et travail
ne sont pas des valeurs échangeables; seuls sont
échangeables argent et produit du travail. Si je donne
de l'argent en échange du travail, je fais alors
quelque chose de faux; je crée un processus illusoire,
car en réalité je ne peux donner de l'argent que pour
le produit d'un travail.]
En réalité, l'employeur reçoit de l'ouvrier des
marchandises qui ne peuvent être produites que si
l'ouvrier donne sa force de travail pour leur
production. De la contre-valeur de ces marchandises,
l'ouvrier reçoit une part; l'employeur reçoit l'autre
part. La production de la marchandise se fait par
l'action conjointe de l'employeur et de l'employé. Ce
n'est que le produit de cette action en commun qui
passe dans le circuit de la vie économique. La
fabrication du produit exige un rapport juridique
entre ouvrier et entrepreneur. Par la nature de
l'économie capitaliste, ce rapport peut cependant être
transformé: être conditionné par la suprématie
économique de l'employeur sur l'ouvrier. Dans un
organisme social sain, il doit être mis en évidence
que le travail ne peut être payé. On ne peut pas,
comme on le fait dans le cas d'une marchandise, lui
attribuer une valeur économique. Ce n'est que la
marchandise produite par le travail qui aura une telle
valeur, en comparaison avec d'autres marchandises. De
quelle façon et dans quelle mesure un homme a à
travailler pour le maintien de l'organisme social,
cela doit être réglé sur la base de ses capacités et
en tenant compte des conditions d'une existence digne
et humaine. Et cela ne peut se faire que si l'Etat
effectue cette régulation en toute indépendance des
organes de gestion de la vie économique.
[02/31] Par une telle réglementation, se créera, pour
la marchandise, une base de valeur comparable à celle
qui est donnée par les conditions de la nature. De
même que la valeur d'une marchandise est donnée par
rapport à une autre en fonction des matières
premières, ainsi la valeur marchande devra-t-elle
devenir dépendante de la nature et de la quantité du
travail qui, selon l'ordre juridique, pourra être mis
en ¦uvre pour la création de cette marchandise. [* Un
tel rapport entre le travail et l'ordre juridique
contraindra les associations actives dans la vie
économique à compter avec ce qui «est du droit» comme
avec une condition préalable. C'est cependant par-là
qu'on arrivera à ce que l'ordre économique dépende de
l'Homme, et non pas l'Homme de l'ordre économique.]
[02/32] La vie économique sera de cette manière
soumise de deux côtés à ces conditions nécessaires: du
côté des ressources naturelles, que l'humanité doit
prendre comme elles lui sont données; et du côté de la
base juridique qui doit être créée, du fond de la
conscience du droit, dans l'Etat politique,
indépendant de la vie économique.
[02/33] Il est évident que par une telle conduite de
l'organisme social le niveau de la prospérité
économique montera ou baissera en fonction du travail
qui sera employé selon les critères de la conscience
du droit. Une telle dépendance de la prospérité
économique est toutefois nécessaire dans un organisme
social sain. Elle seule peut empêcher que l'homme ne
soit utilisé par la vie économique à un point tel
qu'il ne peut plus ressentir son existence comme digne
d'un être humain. Et c'est justement de la présence du
sentiment que l'existence est indigne d'un homme que
proviennent, en vérité, tous les ébranlements de
l'organisme social.
[02/34] Contre un trop forte baisse du niveau de vie
provenant du juridique, existe une possibilité
d'intervention assez semblable à celle qui permet, de
l'autre côté, d'améliorer les ressources naturelles.
On peut, par des moyens techniques, rendre plus
productif un sol qui l'est peu; si l'on y est incité
par une trop forte baisse de la prospérité, on peut
modifier la quantité de travail et la façon de
travailler. Mais cette modification ne doit pas être
issue, sans intermédiaire, du circuit de la vie
économique. Mais s'effectuer à partir de la
compréhension qui se développe au sein de la vie
juridique, indépendante de la vie économique.
(...)
L'activité de chacun, en ce domaine de la vie de
l'esprit, restera son affaire privée la plus intime;
ce qu'il sera à même de fournir pour l'organisme
social pourra compter sur la rémunération librement
consentie de ceux pour qui le bien de l'esprit est une
nécessité. Celui qui, par un tel mode de
rémunérations, ne peut trouver à l'intérieur de la vie
de l'esprit ce dont il a besoin, devra se diriger vers
le domaine de l'Etat politique ou vers la vie
économique.
[02/41] Des idées relatives à la technique, et
provenant de la vie de l'esprit, affluent vers la vie
économique. Quand bien même elles sont émises
directement par ceux qui appartiennent à l'économie ou
à l'Etat, elles ont leur origine dans la vie de
l'esprit. De là proviennent toutes les idées et les
forces organisatrices qui fécondent la vie économique
et celle de l'Etat. La rétribution, pour cet apport à
ces deux domaines sociaux, pourra se faire de deux
façons: soit par la libre entente de ceux qui sont
dépendants de cet apport; soit en étant réglée par des
droits élaborés dans le domaine de l'Etat politique.
Ce que cet Etat politique exigera lui-même pour se
maintenir en activité sera fourni par le droit fiscal.
Celui-ci se concrétisera par une harmonisation des
exigences de la conscience du droit et des exigences
de la vie économique.
(...)
[03/21] Dans la vie sociale actuelle, la gestion du
capital employé dans la production, et la possession
des moyens de production, donc aussi du capital, sont
très étroitement liées. Cependant ces deux relations
de l'homme au capital ont des effets entièrement
différents à l'intérieur de l'organisme social. Une
gestion adéquate par les facultés individuelles doit
apporter à l'organisme social des biens dont
l'existence intéresse tous les membres de cet
organisme. Quelle que soit la situation où il se
trouve, un homme a intérêt à ce que rien ne se perde
de ce qui se déverse des sources de la nature humaine
dans de telles facultés individuelles, par lesquelles
se concrétisent des biens qui servent la vie humaine
conformément à ses buts. Le développement de ces
facultés ne peut cependant s'ensuivre que si l'homme
qui en est le porteur peut les exercer à partir de
leur propre initiative libre. Sinon la prospérité
humaine sera privée, du moins jusqu'à un certain
degré, de ce qui peut couler de ces sources, en toute
liberté. Le capital est cependant le moyen de pourvoir
à l'efficacité de telles facultés pour de vastes
domaines de la vie sociale. Au sein d'un organisme
social, il doit être de l'intérêt véritable de chacun
que la totalité de possession du capital puisse être
gérée de telle manière que chaque homme doué dans une
direction spécifique ou que des groupements humains
doués pour des choses particulières puissent arriver à
une telle disposition du capital, qui ne ressortisse
que de leur initiative propre. De l'intellectuel au
travailleur artisanal, chaque homme, s'il veut servir
sans préjugé son propre intérêt, doit dire: « Je
voudrais qu'un nombre suffisant de personnes ou de
groupements de personnes capables puissent non
seulement disposer tout à fait librement du capital,
mais qu'ils puissent également accéder à ce capital
par leur propre initiative; car eux seuls sont
capables de juger comment, au moyen du capital, leurs
facultés individuelles peuvent produire, de façon
appropriée, des biens pour l'organisme social ».
[03/22] Dans le cadre de cet ouvrage, il n'est pas
nécessaire d'exposer comment la propriété privée s'est
formée à partir d'autres formes de possession, au
cours de l'évolution humaine, en relation avec
l'activité des facultés humaines individuelles dans
l'organisme social. Jusqu'à présent, au sein de cet
organisme social, une telle propriété s'est développée
sous l'influence de la division du travail. C'est des
conditions actuelles et de leur évolution future,
nécessaire, qu'il doit être discuté ici.
[03/23] Que la propriété privée se soit formée par le
déploiement de la puissance, par la conquête, et ainsi
de suite, peu importe; elle est un résultat
d'activités sociales liées à des facultés humaines
individuelles. Cependant, chez les penseurs
socialistes, l'opinion existe actuellement que son
caractère opprimant ne peut être supprimé qu'avec sa
transformation en propriété collective. On pose ainsi
la question: Comment peut être évitée à l'origine la
formation de la possession privée des moyens de
production, afin que cesse l'oppression de la
population non possédante, qui lui est liée? Qui pose
ainsi la question ne dirige pas son attention sur le
fait que l'organisme social est en devenir, en
constante croissance. Face à cette croissance, on ne
peut demander comment réaliser une structure
instituant de manière durable un état que l'on a
reconnu comme juste. On peut penser ainsi à propos
d'une chose qui, d'un certain point de départ, peut,
pour l'essentiel, continuer d'agir sans changement.
Cela n'est pas valable pour l'organisme social. De par
sa vie, celui-ci modifie constamment ce qui se crée en
lui. On mine ses conditions de vie, si l'on veut lui
donner une forme, présumée la meilleure, dans laquelle
il devrait alors rester.
[03/24] Une des conditions de vie de l'organisme
social, c'est qu'on n'enlève pas, à celui qui par ses
facultés individuelles peut servir l'ensemble, la
possibilité de rendre de tels services résultant de la
libre initiative individuelle. Là où, pour de tels
services, la libre initiative implique la libre
disposition des moyens de production, toute entrave à
cette libre initiative nuirait aux intérêts sociaux
communs. Il n'y a pas lieu de faire état ici de ce qui
est avancé d'ordinaire: que l'entrepreneur a besoin de
la perspective du gain qui est lié à la possession des
moyens de production, pour trouver un attrait à son
activité. Car le mode de pensée dont découle l'opinion
exprimée dans ce livre, qui traite d'une progression
du développement des conditions sociales, doit voir
dans la vie spirituelle, libérée, de la communauté
politique et économique, la possibilité qu'un tel
stimulant peut disparaître. La vie spirituelle libérée
développera nécessairement par elle-même la
compréhension sociale; et cette compréhension aura
pour résultat des stimulants d'une toute autre nature
que celui qui réside dans l'attente d'un avantage
économique. Mais il ne s'agit pas uniquement de savoir
ce qui pousse des hommes à s'attacher à la propriété,
privée, des moyens de production; mais de savoir si la
disposition libre de ces moyens, ou celle contrôlée
par la communauté, correspond aux conditions de vie de
l'organisme social. Or, il ne faut toutefois pas
perdre de vue qu'on ne peut, pour le présent organisme
social, prendre en considération les conditions de vie
que l'on croit observer dans des sociétés humaines
primitives, mais uniquement celles qui correspondent
au stade actuel d'évolution de l'humanité.
[03/25] A ce stade actuel, l'activité fructueuse des
facultés individuelles, au moyen du capital, ne peut
justement pas s'introduire dans le circuit de la vie
économique, sans la libre disposition de ce capital.
Là où l'on veut produire d'une manière fructueuse,
cette disposition doit être possible; non pas du fait
qu'elle peut apporter un avantage à un individu ou à
un groupe d'êtres humains; mais parce qu'elle peut le
mieux servir à tous, quand elle est soutenue, d'une
façon appropriée, par une compréhension sociale.
[03/26] L'homme est lié à ce qu'il produit - seul ou
en communauté - comme il est en quelque sorte lié à
l'habileté des membres de son propre corps. La
suppression de la libre disposition des moyens de
production équivaut à une paralysie de la libre
utilisation de l'habileté des membres corporels.
[03/27] Or la propriété privée n'est rien d'autre que
le moyen de cette libre disposition. Pour l'organisme
social, rien d'autre n'entre en ligne de compte que ce
fait: le propriétaire a le droit de disposer de la
propriété selon sa libre initiative. On voit que dans
la vie sociale sont liées deux choses qui, pour
l'organisme social, sont de signification tout à fait
différente: d'une part, la libre disposition de la
base que représente le capital dans la production
sociale; et d'autre part, le rapport juridique dans
lequel entre vis-à-vis d'autres hommes, celui qui
dispose du capital, du fait que, par suite de son
droit de disposer, les autres hommes sont exclus de la
libre activité déployée grâce à cette base du capital.
[03/28] Ce n'est pas la libre disposition première
qui mène à des dommages sociaux, mais uniquement la
persistance des droits à cette disposition, quand ont
cessé d'exister les conditions qui ont lié d'une
manière judicieuse les facultés humaines individuelles
et cette disposition. Celui qui considère l'organisme
social, en devenir et en croissance, ne pourra mal
comprendre ce qui est esquissé ici. Il recherchera la
possibilité de gérer ce qui d'un côté sert la vie, de
telle manière que cela ne puisse entraîner un dommage
de l'autre côté. Ce qui vit ne peut absolument pas
être organisé de façon fructueuse autrement qu'en
acceptant le fait que, dans son devenir, ce qui s'est
établi conduit également à des inconvénients. Et si
l'on doit soi-même participer à une chose en devenir,
comme l'homme doit le faire dans l'organisme social,
le devoir ne pourra alors consister en l'opposition à
une institution nécessaire, afin d'éviter des
dommages. Car par-là on sape les possibilités de vie
de l'organisme social. Il ne pourra s'agir que
d'intervenir au bon moment, quand ce qui a été
judicieux devient nuisible.
[03/29] La possibilité doit exister, à partir des
facultés individuelles, de disposer librement du
capital; le droit à la propriété, qui lui est lié,
doit pouvoir être modifié à l'instant où la propriété
devient un moyen favorisant l'exercice d'un pouvoir
préjudiciable. A notre époque, nous avons réalisé
partiellement, seulement, pour la propriété
intellectuelle, une institution qui tient compte des
exigences sociales esquissées ici. Peu de temps après
la mort de l'auteur, cette propriété intellectuelle va
à la libre disposition de la collectivité. Ceci est
basé sur une conception conforme à la nature de la vie
humaine communautaire. Si intimement liée que soit la
production spirituelle aux dons individuels de son
auteur, ce bien est en même temps un fruit de la vie
sociale communautaire et doit au bon moment être
transféré à cette dernière. Or il n'en va pas
autrement pour d'autres formes de propriété privée. Ce
n'est qu'avec le concours de la communauté qu'un
individu au service de la collectivité peut produire
grâce à la propriété privée. Ainsi, il n'est pas
possible de conférer le droit à la disposition d'une
propriété, en dehors des intérêts de la collectivité.
Il ne s'agit pas de chercher par quel moyen on peut
supprimer la propriété du capital, mais de trouver
comment cette propriété peut être administrée pour
qu'elle serve au mieux les intérêts de la
collectivité.
[03/30] Ce moyen peut être trouvé dans l'organisme
social triarticulé. Les hommes réunis dans l'organisme
social agissent en tant que collectivité à travers
l'Etat politique. L'exercice des facultés
individuelles appartient à l'organisation spirituelle.
[03/31] A celui qui a de la compréhension pour le
sens des réalités et qui ne se laisse pas dominer par
des opinions subjectives, des théories, des désirs,
etc..., tout ce qui a trait à l'organisme social
démontre la nécessité de la triarticulation de cet
organisme; ainsi en est-il tout particulièrement de la
question du rapport entre les facultés humaines
individuelles et le capital employé dans la vie
économique d'une part, et la propriété de ce capital
d'autre part. Aussi longtemps que les facultés
individuelles restent liées avec le capital de telle
manière que son administration représente un service
pour l'ensemble de l'organisme social, l'Etat
politique n'aura pas à empêcher la formation et
l'administration de la propriété, privée, des
capitaux. L'Etat restera organe juridique vis-à-vis de
la propriété privée; il ne la prendra jamais en sa
possession, mais interviendra pour qu'elle parvienne
au bon moment à la disposition d'une personne, ou d'un
groupe de personnes, qui peut à nouveau développer
avec la propriété un rapport dépendant des conditions
individuelles. Ainsi, on pourra servir l'organisme
social à partir de deux points tout à fait différents.
A partir de la base démocratique de l'Etat juridique,
concernant ce qui touche tous les hommes de la même
manière, on veillera que le droit à la propriété
privée ne se transforme pas, avec le temps, en une
situation injuste. Par le fait que cet Etat
n'administre pas lui-même la propriété privée, mais
assure sa transmission aux facultés humaines
individuelles, ces dernières déploieront leurs forces
fécondes en faveur de l'ensemble de l'organisme
social. Les droits à la propriété, ou la disposition
de ces droits, pourront, à travers une telle
organisation, rester dans le domaine personnel aussi
longtemps que cela paraîtra justifié. On peut imaginer
qu'à des époques différentes, les représentants au
sein de l'Etat politique établiront des lois tout à
fait différentes sur le transfert de la propriété,
d'une personne ou d'un groupe de personnes, à
d'autres. A notre époque où, dans de larges cercles,
s'est développée une grande méfiance à l'égard de
toute propriété privée, on pense à un transfert
radical de la propriété du domaine privé au domaine
collectif. Si l'on allait assez loin dans cette voie,
on verrait comment on interrompt par-là les
possibilités de vie de l'organisme social. Instruit
par l'expérience, on choisirait plus tard un autre
chemin. Cependant, il serait sans aucun doute
préférable de recourir, dès à présent, à des
institutions qui - telles que nous les avons
esquissées ici - amèneraient la guérison de
l'organisme social. Aussi longtemps qu'une personne,
par elle seule ou en liaison avec un groupe de
personnes, poursuit l'activité productrice pour
laquelle elle disposait du capital, on devra lui
maintenir le droit de disposer de l'accroissement du
capital, résultant du bénéfice réalisé par
l'entreprise sur le capital de départ, si ce bénéfice
est employé pour l'expansion de l'entreprise de
production. Dès le moment où cette personne cesse
d'administrer la production, ce capital doit être
transmis à une autre personne ou à un groupe de
personnes, pour la mise en oeuvre d'une production
semblable ou différente, pouvant servir l'organisme
social. Le capital résultant de l'activité de
l'entreprise de production, et qui n'est pas utilisé à
son expansion, doit également, dès son apparition,
prendre le même chemin. La propriété privée de la
personnalité qui dirige l'entreprise ne doit
comprendre que ce qu'elle reçoit sur la base des
prétentions qu'elle a cru pouvoir faire valoir, lors
de la prise en charge de l'entreprise de production,
du fait de ses facultés individuelles; lesquelles
prétentions paraissent justifiées par le fait qu'elle
a reçu ce capital en raison de la confiance qu'on lui
avait témoignée, en considération de ses facultés. Si
le capital a été augmenté par l'activité de cette
personnalité, une part de cette augmentation passera
dans sa propriété privée; cette part sera calculée sur
la base des gains antérieurs et proportionnellement à
l'augmentation du capital; cela dans l'esprit d'un
intérêt. Le capital de départ d'une entreprise de
production sera transféré, ainsi que toutes les
obligations contractées, à un nouvel administrateur,
ou retournera aux propriétaires primitifs, selon la
volonté de ces derniers, si le premier administrateur
ne peut ou ne veut plus s'occuper de l'entreprise.
[03/32] Dans une telle disposition, on a affaire à un
transfert de droits. Il revient à l'Etat politique de
trouver les dispositions juridiques selon lesquelles
de tels transferts doivent avoir lieu. L'Etat
politique aura également à veiller à l'exécution de
ces transferts et à en diriger le déroulement. On peut
s'imaginer que, dans le détail, les décisions qui
règlent un tel transfert juridique seront reconnues
pour justes de manière très différente, selon la
conscience qu'on aura du droit. Une conception
semblable à celle qui est exposée ici, et qui veut
être conforme à la réalité, ne cherchera seulement
qu'à indiquer la direction dans laquelle la
réglementation doit aller. Si l'on suit avec
compréhension cette direction, on saura trouver, dans
chaque cas concret, la solution appropriée. Ce sera à
partir des conditions particulières que devra être
trouvé, pour la pratique de la vie, ce qui, en
conformité avec l'esprit de la chose, est juste. Plus
une façon de penser est conforme à la réalité, moins
elle voudra fixer, à partir d'exigences préétablies,
des lois et des règles pour des cas isolés. D'un autre
côté, en raison d'une façon de penser conforme à la
réalité, ceci ou cela s'imposera nécessairement. Le
résultat en est que l'Etat politique ne devra jamais,
par son administration des transferts de droits,
s'octroyer la disposition d'un capital. Il veillera
seulement que le transfert se fasse à une personne ou
à un groupe pour lesquels le transfert paraît
justifié, en raison de leurs facultés individuelles. A
partir de cette hypothèse, et de prime abord,
prévaudra d'une manière tout à fait générale la
disposition suivante: celui qui devra procéder pour
les raisons décrites à une telle transmission de
capital, pourra décider librement du choix de son
successeur dans la mise en valeur du capital. Il
pourra choisir une personne ou un groupe de personnes;
ou il pourra également transférer le droit de
disposition à une institution de l'organisme
spirituel. Car celui qui, grâce à ses facultés
individuelles, aura rendu par son administration de
judicieux services à l'organisme social aura également
qualité pour juger avec tout le sens social
indispensable d'une utilisation ultérieure de ce
capital. Prendre en considération ce jugement sera
plus utile à l'organisme social que d'y renoncer et de
laisser s'en occuper des personnes qui ne sont pas
directement liées à l'affaire.
[03/33] Un règlement de ce genre interviendra pour
des capitaux d'une certaine importance, acquis par une
personne ou un groupe de personnes, grâce à des moyens
de production (auxquels appartiennent également les
biens-fonds) et qui ne deviennent pas propriété privée
sur la base de prétentions préalables, relatives à
l'application des facultés individuelles.
[03/34] Les acquisitions de cette dernière sorte,
ainsi que l'épargne, qui résultent des prestations du
travail personnel, resteront propriété personnelle de
l'acquéreur jusqu'à sa mort, ou pour ses héritiers
jusqu'à une certaine date. Jusqu'à cette date, un
intérêt résultant de la conscience juridique, et dont
le taux sera fixé par l'Etat politique, devra être
accordé par celui qui bénéficiera de ces économies
pour la création de moyens de production. Dans un
ordre social qui repose sur les bases décrites ici,
une séparation complète peut être opérée entre des
revenus réalisés sur la base d'un travail accompli
grâce à des moyens de production, et des éléments de
fortune, acquis sur la base du travail personnel
(physique ou intellectuel). Cette séparation répond à
la conscience juridique et aux intérêts de la
collectivité sociale. Ce que quelqu'un économise et
met à la disposition d'une entreprise de production
sert les intérêts collectifs. Cela seulement rend
possible la direction de la production par les
facultés individuelles humaines. L'accroissement du
capital grâce aux moyens de production, après
déduction des intérêts légaux, est dû à l'intervention
de tout l'organisme social. Aussi cet accroissement
doit-il lui revenir de la manière indiquée. L'Etat
politique n'aura à fixer que les prescriptions pour
que le transfert des capitaux dont il est question se
fasse de la façon indiquée; mais il ne lui appartient
pas de décider vers quelle production matérielle ou
spirituelle un capital, transféré ou économisé, devra
être mis à disposition. Cela conduirait à une tyrannie
de l'Etat sur la production spirituelle et matérielle.
C'est par les facultés individuelles que celle-ci
cependant est dirigée de la façon la meilleure pour
l'organisme social. Toutefois celui qui ne veut pas
choisir à qui il doit transférer ce capital qu'il a
constitué est libre de confier à une institution de
l'organisme spirituel le droit de disposition sur ce
capital.
[03/35] De même, une fortune acquise par épargne ira,
ainsi que les intérêts produits, après la mort de
l'acquéreur ou un certain temps après - et cela selon
les dernières volontés et le choix de l'acquéreur, à
une personne ou à un groupe de personnes productives
spirituellement ou matériellement; fortune et intérêts
iront uniquement a de telles personnes et non pas à
des gens non productifs pour lesquels la fortune
équivaudrait à une rente. Dans ce cas également, si
une personne (ou un groupe de personnes) ne peut être
choisie immédiatement, le transfert du droit de
disposition à une institution de l'organisme spirituel
pourra être envisagé. Ce n'est que dans le cas où
quelqu'un ne prend aucune disposition que l'Etat
juridique se substituera à l'acquéreur et prendra des
dispositions par l'intermédiaire de l'organisation
spirituelle.
[03/36] Au sein d'une organisation sociale réglée de
cette manière, il est tenu compte en même temps de
l'initiative libre de chaque homme ainsi que des
intérêts de la collectivité; de ces intérêts, il est
en effet pleinement tenu compte justement par le fait
que l'initiative individuelle est mise au service de
la collectivité. Par une telle disposition, celui qui
doit confier son travail à la direction d'un autre
homme pourra savoir que le produit du travail en
commun, avec le dirigeant, sera, de la manière la plus
avantageuse, fécond pour l'organisme social; par
conséquent aussi pour le travailleur lui-même.
L'organisme social auquel il est pensé ici saura créer
des relations correspondant aux sentiments sains de
l'homme entre, d'une part, le droit de disposition
réglé par la conscience du droit sur le capital, qui a
pris forme dans les moyens de production et sur la
faculté de travail humaine, et, d'autre part, les prix
des produits réalisés grâce à ce capital et au travail
humain. D'aucuns trouveront peut-être des
imperfections dans cet exposé. Qu'à cela ne tienne. A
une façon de penser conforme à la réalité, il
n'importe pas de donner une fois pour toutes des
«programmes» parfaits; mais il importe d'indiquer la
direction dans laquelle il faut travailler d'une
manière pratique. Par des indications particulières,
telles que les précédentes, il ne s'agit au fond que
d'expliciter au moyen d'un exemple la direction
indiquée. Un tel exemple peut être amélioré. Si cela
se fait dans la direction indiquée, alors un but
fécond peut être atteint.
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