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Dans Renatus Ziegler ( 1 )
L'INTUITION ET L'EXPÉRIENCE-JE
Cognition et liberté entre le présent et l'éternité

EDITION HARDENBERG - ÉDITION FREIES GEISTESLEBEN (LIBRE VIE DE L’ESPRIT) - 2006 - Stuttgart


[...] une systématisation d'aspects de la Philosophie de la Liberté. L'auteur entend son livre comme une œuvre scientifique, alors qu'il est lui-même scientifique et philosophe. Le sujet est le penser humain, son rôle, sa nature, en tant que fondement de l'individualisme éthique. Il aborde d'abord la question du jugement individuel, mais aussi celle du « Jugement social », dernier sous-chapitre d'un chapitre intitulé : Responsabilité et communauté. [...] (C.A. 2016)

Il est intéressant de noter, combien, dans les exigences de son registre épistémologique, il reprend et systématise, peut être même sans le savoir directement, mais c'est rassurant, les éléments fondamentaux que R. Steiner expose d'une toute autre façon dans ses conférences de l'automne 1917 (notamment in ga72 et ga73). Il prépare alors le tournant d'application qu'il s'apprête à prendre, en situant (enfin) sa science sociale à celle de l'esprit et de la nature.
Cependant, si R. Ziegler débouche sur la dimension sociale, cela reste, comme souvent, en conclusion, et à partir du point de vue de science de l'esprit. R. Steiner allait déjà plus avant par sa tri-articulation sociale, explorant les distinctions à faire, en matière de jugement social, selon qu'il s'effectue  dans et au sujet d'un des trois domaines de la société. (F.G. 09/2018)

 

12. Responsabilité et communauté

Aperçu et résumé : Le devenir conscient de la connaissance et de l'action libre entièrement orientée sur l’humain individuel, a des conséquences larges pour sa relation au monde, en particulier à ses semblables. Cela prouve que la pensée de liberté développée ici n'a rien à voir avec l'arbitraire, l'égoïsme ou la pure rédemption par soi-même. A chaque coin de la connaissance et de l'action, pour ainsi dire, se montre l'attention attentive au monde et à ses semblables qui réside dans la nature de ces activités tout comme la nécessité de la promotion mutuelle du développement/ de l'évolution individuelle de la connaissance et de la liberté. On ne peut pas en dériver que cela devrait se manifester déjà dans tout processus de connaissance et d'action. Mais il est clair qu’à ces facultés sont inhérentes l'objectif d’amener la chose à un accord harmonieux et se développant du monde et de l'être humain. Cela commence par le principe de la responsabilité individuelle, qui peut être étendu des actes libres aux actes non libres, et se poursuit par la confrontation concrète avec les objectifs d'autres humains en vue de réaliser des communautés sociales en tant qu’expression d'objectifs développés conjointement/en commun, jusqu'à la collaboration fructueuse entre différents individus sur la base de talents et de capacités différenciés. Essentiellement, tout concours à une communauté d'esprits libres se promouvant mutuellement, se rendant fertiles et équilibrantes les unilatéralités et les aberrations conditionnées par l’évolution, qui amène à l'expression à la fois l'évolution individuelle et l'évolution des mondes/de l'univers.

[280]

12.1 Libre responsabilité individuelle

Les actions libres reposent sur la formation indépendante/autonome de motif et une réalisation du contenu du motif accompagnée de la réalisation de l'intuition morale. Une action libre est voulue du début à la fin par le Je qui agit. Il est clair pour l'individu agissant librement que toutes les conséquences d'une telle action se tiennent à lui immédiatement dans un pendant et, en conséquence, sont donc à reconduire à son incitation/instigation. Il se tient libre à l'individu de saisir ou non ces conséquences : il peut participer activement à la recherche de ces conséquences et à une confrontation avec elles, c'est-à-dire assumer sa libre responsabilité individuelle ou ne pas s'en occuper/soucier explicitement. Cependant, il est dans la nature de la liberté d'accueillir les conséquences d’actions passées dans le devenir conscient individuel connaissant et de les faire/rendre ainsi partie constituante de la technique morale d’actions futures.

 Avec cela, la prise en charge de la responsabilité individuelle libre pour les conséquences de l’action propre pourra être saisie comme une conséquence immédiate de l'auto-façonnement de l’humain agissant librement : Pour un tel humain, ce n’est finalement pas une question si il devrait ou non s'occuper des conséquences de son action, mais il s'efforce (NDT : de le faire)/y aspire et le fait parce que cela repose dans la poursuite conséquente de l'impulsion à l'origine voulue par lui-même. Il le fait non pas parce qu'il suit une quelque obligation intérieure ou extérieure à la libre responsabilité individuelle, mais parce que c'est l'expression de sa volonté autonome au façonnement du monde.

Pour les actions non libres, la situation est autre. Ici, en fin de compte, ce n'est pas le noyau de l'individu qui a agi ou qui a formé les motifs de l'action. Ce dernier jugement de « bien » et de « mal » n'est donc pas possible sans plus, puisque le motif sous-jacent qui les initie n'est pas présent sous une forme clairement transparente ou n'est pas du tout connu à la pensée pendant l'action. La véritable responsabilité des actions non libres et de leurs conséquences ne peut donc pas être attribuée à l'essence de l'individu agissant de cette manière, mais doit être attribuée à ces circonstances, ou plus concrètement : à ces entités qui sont entrées dans les objectifs d'action et/ou les forces motrices de cet individu. Ainsi, un individu ne porte aucune responsabilité individuelle directe pour ses actes non libres. (Notez que nous ne parlons ici que de responsabilité individuelle (libre) et non de responsabilité juridique ; voir le premier supplément au chapitre et au chapitre 15.

 On peut parler d’une responsabilité partielle quand une action non libre apparaît comme un aspect partiel, comme une action subordonnée dans le cadre d'une action libre sur-ordonnée, c'est-à-dire quand l'individu n'a pas saisi la possibilité de liberté dans ce cas et a par cela laissé de la place/de l’espace pour des influences d'autres êtres. Toutefois, cette admission partielle d'influences extérieures (voir section 11.4) doit être clairement distinguée des actes d'action non libres, qui se caractérisent par une absence totale de volonté individuelle et pour lesquels cet individu n'a aucune responsabilité individuelle directe libre à porter.

 Le concept d’une responsabilité directe pour des actions non libres et avec cela une sorte de fardeau automatique de l'individu avec une « mauvaise conscience » pour ses actions non libres n'a pas de sens. Les conséquences des actions non libres arrivent en tout cas et impriment le contexte de l'action, la situation d'action des actions [282] futures - aussi l’humain agissant non libre. Cependant, l'individu libre ne doit pas à assumer la responsabilité individuelle pour ses actions non libres et leurs conséquences - mais il peut faire cela en toute liberté, par vue dans la nécessité du traitement individuel de telles actions.

Cependant, la raison pour saisie des conséquences d'actions libres est très différente de la raison d'assumer les conséquences d'actions non libres : Dans le premier cas, cela appartient aux conséquences appropriées/conformes de l'impulsion initiale d'agir. Dans le second cas, cela se produit par une vue dans les conditions du développement/de l’évolution de l’humain sur le chemin de l'absence de liberté à la liberté en passant par la libération. Désormais, les actes non libres ne peuvent plus être évités une fois pour toutes, mais forment tout d'abord une partie constitutive intégrale de l'existence humaine avec ses différents extrêmes et aberrations (voir sections 9.5 et 11.8). Sans cette base, il n'y aurait aucun chemin vers la liberté, il est donc évident que l'on peut volontairement se porter/s'amener à cela et poursuivre les traces laissées dans ce chemin. En même temps, on prend par cela une partie du fardeau de la responsabilité des êtres provoquant/causant des actions non libres sur soi-même, c'est-à-dire qu'on les aide sur le chemin de la « rédemption » des conséquences de leurs actions et facilite leur propre développement/évolution à des êtres œuvrant (de nouveau) harmonieusement à l’entièreté du monde.

 La responsabilité pour les affaires du monde, aussi loin qu'elles sont directement ou indirectement façonnées par la propre personnalité, pourra toujours être étendue à des domaines supplémentaires. Car une fois que la vue/l'intention a mûri que l'on peut prendre la responsabilité de ses propres actions non libres et de leurs conséquences, ainsi peut se présenter la vue que l'on peut aussi le faire pour les actions non libres d'autres humains qui ne sont pas capables ou ne veulent pas le faire. C'est le passage d'une responsabilité libre propre à une co-responsabilité libre et globale aux affaires du monde. Ce n'est pas une étape nécessaire pour son propre développement, pour son propre avancement : elle ne sert que l'avancement, le progrès des autres humains et êtres. Avec cela, on collabore à la transformation du monde entier en termes de participation consciente des individus humains autonomes et de leurs communautés librement formées*.


 12.2 Formation de communauté conforme à la liberté

D'après les remarques précédentes, on aurait pu avoir l'impression que l'action libre serait quelque chose qu'une personne aurait seulement à convenir avec elle-même, qu'on aurait besoin d’aucune autre personne dans le processus de l'action libre. C'est le contraire qui est le cas. L'éventuel malentendu repose sur une réduction de l'action libre à un sous-processus de celle-ci, la formation de volontés ou la fixation d'objectifs au sens étroit. Ici c’est un acte fourni seul par l’individu, l'intuition morale, à travers laquelle un but est formé de manière autonome, c'est-à-dire indépendamment des influences extérieures actives en termes de contenu et d'activité, c'est-à-dire contemplé intuitivement. Évidemment, d'autres êtres humains/de semblables jouent déjà ici un rôle indirect et non négligeable dans le sens d'une stimulation, d'un encouragement et d'un rendre possible/d'une facilitation de la pensée intuitive (voir section 5). Ce vivre-dans et l'expérience de contextes d'action futurs possibles appartient aux processus préparant une intuition morale et sera essentiellement rendue possible, [284] co-soutenu et co-façonné par l'environnement social dans lequel l'individu est ancré et dans lequel il se déploie. Là sera préparé le terrain qui peut permettre une référence contraignante au contexte de l'action dans le cadre d'une action libre (voir la note à la section 11.3 du chapitre 15).

 La formation des motifs par l'intuition morale, c'est-à-dire la première phase de l'action libre, suit la deuxième phase de l'action au moyen d’une dévotion amoureuse continue à la réalité (Section II.1). Dans celle-ci, l'imagination morale et la technique morale (section 11.3) jouent un rôle fondamental. Et ici l'humain entre (de nouveau) nécessairement dans le cercle d'activité de et avec d'autres humains sur la base de sa volonté individuelle. Parce qu'ici il a besoin - en fonction du but et de la situation – de l'explication consciente avec les produits des actions d'autres humains à sa disposition et de la collaboration immédiate avec des individus humains supplémentaires pour la réalisation de ses buts.

 En ce sens, chaque action libre donne lieu à la formation d'une communauté humaine dès le début. De cette façon, il sera également possible pour l'individu qui forme et réalise ses objectifs d'être soucieux de pouvoir servir d'autres humains avec ses actions pour la réalisation de l'action libre. De cette façon, la communauté humaine devient une communauté sociale. Cette vision exige une explication concrète avec le rapport entre les intuitions morales individuelles et les buts et la constitution d'une communauté humaine. C'est le contenu des sections suivantes.

L'intuition morale individuelle est la plus haute autorité morale ; elle est à l'origine des impulsions morales de l'individu libre [285]. En même temps, la source de ces intuitions, le monde des lois, est commun à tous les humains : tous créent du même fond. Le point commun fondamental du monde des lois pour tous les individus pensants se donne de la nature de ces lois, indépendamment de la personnalité d’âme et du Je individuel, telles qu'elles sont vécues sous la forme des contenus (lois, idées) par la pensée intuitive pure (sections 5.4, 8.2 et 8.4). Les contradictions concernant les objectifs individuels d'action de différents humains sous forme d'intuitions morales peuvent être surmontées quand il réussit d'échanger des idées au niveau de la pensée intuitive et de s'accorder sur le rapport des objectifs individuels les uns aux autres et aux objectifs d'une communauté.

 Le problème du rapport des intuitions et les objectifs individuels d'une communauté a donc trois problèmes partiels : (1) l'accessibilité conforme à l'expérience des objectifs d'autres personnes, (2) le rapport des objectifs individuels les uns aux autres et (3) le rapport des objectifs des individus particuliersaux objectifs d’une communauté. Les problèmes partiels (1) et (3) sont traités plus en détail dans les sections 22.3 respectivement 22.4. S'il y a un échange sur les différents objectifs individuels, le problème partiel (2) peut être traité dans le même cadre en utilisant les méthodes du jugement conceptuel formel et du jugement intuitif idéel (Section 8.3). En cela devra être garanti que l'échange des individus concernées sur les contenus respectifs de l'intuition ne se brise pas, sinon cela peut arriver à un jugement qui ne représente pas objectivement tous les côtés.

 [286]

12.3 Expérience et compréhension des objectifs d'autres humains

La vue vécue individuellement dans l'unité du monde des idées est un résultat de l'intuition idéelle : elle est évidente pour une pensée individuelle qui est consciente de la qualité du contenu de la pensée. Elle se donne immédiatement du contexte intrinsèquement nécessaire et étant/existant des concepts et des idées (sections 5.4, 8.2). Cependant, c'est seulement en principe que l'on peut en déduire que tous les humains pratiquant intuition peuvent prendre leurs objectifs de la même sphère. Les objectifs concrets des individus ne peuvent pas être déduits sur cette base. Je connais mes propres objectifs en me basant sur mes propres intuitions. L'expérience du monde, qui n'est pas basée sur mes intuitions individuelles, doit m'enseigner les objectifs des autres, c'est-à-dire que je ne peux les connaître que par l'expérience immédiate. Leur unité concrète avec mes objectifs peut donc être seulement un résultat et non une condition préalable de cette expérience du monde. Il n'y aucune possibilité de dériver cette unité concrète à partir de principes sur-ordonnés, puisqu'il n'y a pas d'objectifs d'action prédéterminés ou de principes contraignants pour un esprit libre. Elle doit être réalisée par une élaboration pensante des expériences individuelles sur et avec d'autres humains.

L’explication avec les objectifs d'autres humains dans le sens d'une évaluation/un jugement principalement épistémique (conforme à la connaissance) de leurs actions (Section 11.7) est un domaine central de la technique morale, qui sert à la formation de communauté des humains entre eux. Elle exige une attention vis-à-vis des expériences de pensées à d'autres humains. Quand une participation impartiale à la vie de pensée d'un autre humain devrait avoir lieu, ainsi ses pensées actuellement communiquées/partagées doivent être réellement vécues, et pas purement être conquises, reconstruites ou pensées sur la base de faits extérieurs et de compte-rendu traditionnels, à partir de sa propre pensée individuelle. Il ne s'agit donc pas avant tout de rendre les expériences à et avec l'autre personne indirectement transparentes à travers la terminologie et les jugements individuels, mais plutôt d'une prise en charge directe et contemplative de la partie pensée de ces expériences elles-mêmes - avant d'entrer dans un processus de réflexion et d'évaluation individuelle de leur contenu.

 La compréhension réelle des objectifs individuels d'une autre individualité libre (jugement épistémique d'une action) est seulement possible quand celle-ci communique ses motivations actuelles et, de plus, ce message est directement limité par lui-même, et ce d'abord sans participation de sa propre pensée et jugement.

Cette vision dévouée aux pensées étrangères est un processus d'observation qui doit précéder le traitement de la pensée de la même manière qu'une perception sensorielle de sa pénétration conceptuelle (voir les notes du chapitre 15).

 Ici se révèle une opposition qui est d'une importance fondamentale pour le rapport entre l'individu et la communauté : pendant que dans la pensée individuelle l'homme se sépare complètement de son environnement extérieur, se retire complètement sur sa vie intérieure active, pour la réception des pensées d'autres êtres humains, une attention dévouée est requise, qui contient toutes les activités délimitantes et aboutit ainsi à une unité concrète avec l'autre être humain concernant la vie de la pensée.

[288]

 On doit se laisser endormir, par les manifestations de l'autre humain, dans ses propres activités de formation de concept et de jugement (et seulement dans celles-ci), afin que sa vie intérieure, en particulier sa vie de pensée, puisse se révéler. Mais pour que cet endormissement partiel ne se transforme pas en un endormissement total, cette dévotion doit être interrompue encore et encore par des phases d'activité individuelle, pour arriver finalement à une oscillation de pendule entre réception dévouée et de formation active de concepts et de jugement.

Si cela réussit d’entrer dans ce processus d'attention dévouée pendant un certain temps, on a l'impression de pouvoir voir directement les pensées d'un autre humain, de pouvoir les suivre sans avoir besoin d'une justification pour le contenu de ces pensées ou d'en demander. Ce qui caractérise le succès de cette entrée est le fait qu'il est souvent difficile de reconstituer rétrospectivement, après la conclusion des communications pensées par un autre humain, ce que l'on a envisagé exactement et avant tout pourquoi on a pu accomplir tout cela « dépourvu de question ». On se pose alors des questions où l'on se demande pourquoi elles ne sont pas déjà apparues en écoutant. Cependant, l'absence de questions pendant l'enregistrement actuel est l'un des signes sûrs d'une dévotion aux observations des pensées d'un autre humain qui ne court pas immédiatement à une compréhension et un jugement individuels des pensées.

 La forme de l'expérience des pensées d'autrui peut être déterminée plus précisément. Comme il s'agit d'observations, cette expérience n'a aucune vie propre. Il s’agit certes d’après le contenu d’expériences du genre de la pensée [289], mais d’après la forme, pas d’une pensée. Le s’apercevoir de telles expériences du genre de la pensée, on le connaît aussi dans le domaine de la pensée propre : aussitôt qu’un contenu de pensée produit activement est disponible comme produit fini, comme pensée, ainsi la pensée y appartenant a perdu son contact immédiat avec le monde des lois et n'a en reste qu'une expérience post-actuelle. Une telle pensée est certes pure d'après son contenu, mais non plus d’après sa forme, puisqu'elle peut maintenant rester présente sans activité individuelle. Elle n'est aussi plus immédiatement pénétrée par une activité individuelle qui lui est propre, mais seulement connue indirectement et familière sur la base de sa provenance actuelle et de son expérience de la nécessité intérieure qui a été présente là. (Dans le sens de la section 10.2, on pourrait appeler de telles pensées des « post-images de pensée »). Mais cela vaut seulement tant que la pensée ne sera pas oubliée, c'est-à-dire tant qu'il n'y a pas d'interruption du devenir conscient, de l'attention entre la pensée actuelle et l'apparition des pensées post-actuelles. Dans l’autre cas, l'originellité/la pureté d'origine et la pureté du contenu de la pensée post-actuelle n'est plus garantie.

L'expérience immédiate des pensées d'autres humains conduit à des contenus d'expérience de même nature. Il ne s'agit pas d'un regard direct sur l'atelier actuel de l'image de la pensée étrangère, mais d'un regard sur la présentation finale/terminée des produits « congelés » de la pensée étrangère, qui sont encore purs d’après leur contenu cependant déjà fixés d’après leur forme. Ici aussi, il est décisif d'être présent dans le processus de production de pensées étrangères en tant que produits de la pensée, afin que la forme de l'immédiateté de l'expérience/du vécu et la pureté des produits restent maintenus. Si la pensée étrangère passait en premier à travers l'oubli[290] - que ce soit maintenant chez l'individu pensant lui-même ou chez le vis-à-vis récepteur - sa pureté de contenu et son originalité ne seraient plus garanties. Et avec cela, ne pourrait plus annoncer la vie de pensée actuelle du semblable humain.

Une caractéristique supplémentaire importante (à côté de l'absence de questions) de l'expérience réelle du contenu de la pensée d'autres humains est le fait que cette expérience n'est en aucun cas lié aux observations et aux expériences du Je propre (l’humain qui vit ces pensées étrangères). C'est seulement quand cette condition est remplie et est aussi confirmée dans une éventuelle réflexion ultérieure des observations de sa propre pensée, qu’il y a une réception pure des pensées d'un autre humain sans mélange avec des pensées propres présentes.

Évidemment, cela ne peut et ne doit aussi pas en rester dans l’explication avec la vie de pensée d'un autre humain, de reprendre purement ses pensées. La conviction de leur justesse factuelle (ou défectuosité) peut seulement jaillir de la pensée individuelle. De plus, la fertilité d’un enrichissement par des pensées étrangères s’avère en premier dans la saisie active de ces pensées et leur intégration dans la vie propre de la pensée. Sans le processus précédent de dévotion impartiale aux pensées d'un autre humain, on aurait toutefois seulement à faire à ses propres pensées. Maintenant, aussi les pensées d’autres humains peuvent vraiment être incorporées/élaborées dans ma propre pensée.

 De même que dans les observations de la propre pensée, en particulier dans les pensées, les observations de son propre Je sont incluses (section 6.2), de même dans l'observation actuelle[291] des pensées d'un autre humain, les observations du Je étranger sont incluses. Ici aussi, il faut à la fois une situation d'expérience actuelle, telle qu'elle a été caractérisée ci-dessus pour la perception de la pensée, comme aussi (déjà) une dévotion libre de concept et de jugement au contenu de l'expérience correspondante. Sinon, le Je présent dans l'expérience des pensées étrangères n'est pas remarqué et ce Je purement dégagé ou dérivé d'autres indices.

 Ce qui s'applique à l'observation des propres pensées et du Je propre vaut dans une plus grande mesure pour l'observation des pensées et du Je d’autres humains : Bien que ces observations se produisent d’elles-mêmes, elles n'appartiennent pas tout d’abord aux expériences du monde qui ont été suivies avec beaucoup d'attention. Pour la prise de conscience de ces contenus, le rendre conscient systématique des observations de la propre pensée est une préparation appropriée. Mais de même que pour ce dernier, l'actualité des actes de pensée passés est une condition nécessaire et que la pensée active actuelle crée du matériel pour l'observation de la pensée dans le futur, ainsi doit, pour la réalisation de l'intention de l'observation des pensées et du Je des autres humains aussi, un humain qui pense et s’exprime doit se tenir à disposition soudainement et actuellement, sinon le nécessaire matériel de l'expérience ne se présente pas du tout. Cela fonde la nécessité des conversations actuelles et directes entre individus pensants, qui ne sont transmises par aucun média technique.

[292]

 12.4 Intuitions individuelles et objectifs d'une communauté

Si les conditions préalables à un échange actuel d’humains qui pensent individuellement ont été créées (Section 12.3), ainsi peut être travaillé aux objectifs communs. Puisqu'un esprit libre dans la formation de ses buts ne s’oriente vers rien de plus que des intuitions morales saisies individuellement, les buts d'une communauté d'esprits libres à laquelle il souhaite appartenir ne peuvent être que les conséquences des siennes et les buts des autres individualités de cette communauté. Les impulsions de la volonté des individus doivent être élaborées concrètement en une unité par un travail commun de compréhension et de formation intuitive de concepts et de jugements qui est alors une expression (et non une condition préalable) du travail de ces individus dans la communauté*.

Les buts d'une communauté d'esprits libres sont les conséquences activement élaborées des impulsions des volontés individuelles (intuitions morales) des membres de cette communauté.

Pour le vivre ensemble il est de signification que je puisse accepter les objectifs des autres humains avec une confiance justifiée qu'ils ont été saisis par des impulsions libres - que cela corresponde ou non maintenant à la réalité. La justification de cette confiance réside dans ma propre expérience et ma vue dans le processus de formation libre des objectifs et de l'action ; pour cela je dois donner à mes semblables l'occasion de le faire sans réserve.

 À ce stade, la confiance a un sens approprié, contrairement à la sphère actuelle de la connaissance, où la confiance n'a finalement rien à chercher. La confiance dans les connaissances d’autres humains n'a de sens au mieux qu'en tant qu'état transitoire, comme préparation et stimulation pour la réalisation individuelle de la connaissance. Est à distinguer  de cela une confiance justifiée dans les capacités cognitives d'autres humains, qui est justifié par l'expérience individuelle et la vue dans le processus de connaissance. Cependant, c'est un cas particulier de la confiance justifiée susmentionnée dans la formation autonome d'objectifs et la réalisation d'actions libres, ici d'actes de connaissance, de mes semblables.

En ce qui concerne la sphère de l'action individuelle, je ne peux pas, à proprement parler, juger sur la base de mes propres observations immédiates si la formation de la volonté de mon semblable est ou était libre, ou non. Cela ne peut pas non plus être ma tâche, car cela tombe dans la seule responsabilité de ce semblable. Cela serait seulement possible si les lieux de formation intuitive de la pensée, et pas seulement ses produits, m'étaient accessibles dans l’expérience. Cependant, ce n'est pas le cas (du moins pas pour l'horizon d'expérience actuellement accessible). Je peux cependant assurer la liberté de mes propres impulsions, développer une confiance légitime dans les mêmes intentions de mes semblables et aider à établir un environnement qui facilite et promeut le développement d'impulsions libres à l'action pour mes semblables et moi-même.

La sphère de formations de  buts de différents individus est à distinguer de la sphère de réalisation de ces buts dans des actions concrètes intervenant dans la réalité. Les compromis et les concessions n'ont pas leur place dans la première sphère. Ici, chaque individu doit trouver radicalement et sans réserve ses propres impulsions et fonder ses actions sans loucher à gauche et à droite, comment le font les autres ou comme ils veulent en tous cas le dicter/prescrire. Mais dès que l'on entre dans la sphère de la réalisation avec l'utilisation de l'imagination morale et de la technique morale, il est temps de s'adapter aux conditions données du monde tout en maintenant des objectifs individuels et, si nécessaire, d’entreprendre des compromis, des alignements, des ajustements, des réductions, etc.

 La formation d'une communauté d'esprits libres comme résultat de la connexion concrète des objectifs vécus individuellement des participants à cette communauté donne aussi lieu à la possibilité d'une responsabilité étendue, d'une co-responsabilité libre pour les conséquences des actions d'autres individus appartenant à la communauté. Ma propre action est inséparables des actions des autres individus de cette communauté à travers le processus de construction de la communauté par rapport aux objectifs communs - les actions de cette communauté sont le résultat des actions de tous les participants de cette communauté. Ainsi, en tant qu’humain libre, je suis dans une situation similaire en ce qui concerne les conséquences des actions de cette communauté comme en ce qui concerne les conséquences de mes propres actions : je suis conjointement responsable de la première, je suis moi-même responsable de la seconde. Bien entendu, il n'y a pas non plus d'obligation à assumer cette responsabilité étendue. Cependant, c'est dans la continuation appropriée de la libre responsabilité individuelle (section I2.1), aussi la responsabilité étendue, d'assumer librement la co-responsabilité des conséquences des actions d'une communauté concrète d'esprits libres, à laquelle on se vit activement comme appartenant, et de les intégrer dans les actions futures avec l'aide de la technologie morale. De là peut grandir une communauté libre de responsabilité sur la base d'une communauté d'esprits libres. (Dans le deuxième supplément au chapitre 12 sur « Formation de communauté idéelle et réelle » [295] au chapitre 15 sera encore attiré l'attention sur les aspects d’une construction communautaire qui vont au-delà).

Jusqu'à présent, l'évaluation épistémique de l'action (libre) était au premier plan, puisqu'il s'agissait des objectifs d'une communauté sociale. Bien entendu, le seul fait d'examiner les objectifs ne rend justice ni à la personne en particulier, ni à la communauté sociale en général. Ici aussi, l'évaluation/le jugement moral et esthétique (section 11.7) doivent entrer dans leurs droits, afin qu' avec entre/vienne un examen/une explication et une appréciation globale des individus et de leurs actions. De plus, ces instruments de jugement sont nécessaires pour rendre justice à la fois à la constitution, à ce qui est devenu et est encore à devenir, et aux objectifs orientés vers l'avenir d'une communauté sociale dans son ensemble. C'est la tâche du jugement social (section 12.6).


 12.5 Les talents individuels et la compensation sociale par la collaboration

Dans cette section et la section suivante, deux autres conséquences sociales doivent être tirées des activités individuelles de connaissance et d'action*. D'un côté, les capacités et les talents différents des humains pour les différentes composantes du processus de la connaissance et de la liberté suggèrent que la collaboration peut promouvoir la réalisation des objectifs individuels et le développement d'une communauté sociale. De l'autre côté, la coexistence de personnes à différents stades de libération et de liberté (section 11.9) rend nécessaire la création de conditions [296] pour promouvoir le développement de la liberté (section 12.6).

 Différents talents se montrent déjà en termes de connaissance et d'action en général. Tandis qu'un humain est plus enclin à reconnaître l'expérience donnée et sa pénétration conceptuelle, un autre humain tire sa satisfaction de la compréhension active du monde. Les deux capacités se complètent et se conditionnent l'une l'autre : l'humain agissant a besoin de l’humain qui connaît pour ancrer son action dans les conditions actuelles du monde d'une manière appropriée à la connaissance, et l’humain qui connaît a besoin de l’humain qui agit pour mettre en œuvre ses objectifs pour le façonnement et la poursuite de l'évolution du monde.

 Ce qui se montre ici à grande échelle dans le rapport entre la connaissance et l'action se reflète en petit à l’intérieur du processus de connaissance d'un côté et à l’intérieur du processus d'action d'un autre côté. Dans le cadre de la connaissance, maints humains se montrent plus douées pour des esquisses d'idées, pour l'établissement de théories ou de modèles de pensée (fantaisie épistémique), et d'autres plus pour l'observation attentive, la saisie dévotionnelle de la richesse de l'expérience et/ou l'expérimentation habile (technique épistémique). La production de jugements appropriés en matière de connaissances a besoin des deux capacités, de sorte que pour l’obtention du meilleur résultat possible tout comme la compensation des unilatéralités (section 9.5), une coopération d'humains doués différemment est indispensable. A partir de la compréhension de la nature de la connaissance et des différences conditionnées par le développement de l’être humain individuel, on peut se décider à la coopération à l'impulsion d'équilibre, ce qui permet de surmonter les oppositions et, en même temps, de les rendre fructueuses. En tant qu'instrument de médiation, la fantaisie peut fournir des services précieux [297] : d'une part, en tant que fantaisie épistémique exacte, elle individualise les esquisses d'idées de haut vol en conséquences concrètes vérifiables basées sur l'expérience du monde et rend ainsi des idées et théories complètes/englobantes fructueuses pour les connaissances actuelles. D'autre part, en tant que fantaisie épistémique naïve, elle est capable de trouver de multiples points de vue ordonnés afin de s'orienter provisoirement dans la richesse des détails des expériences accumulées et de les conduire à une activité fructueuse de connaissance.

 Il ne s'agit pas de perspectives conçues pour un avenir lointain, mais des vues qui peuvent être mises en pratique à tout moment pour la connaissance quotidienne. Il faudrait fermer les yeux sur les faits si l'on ne voulait pas prendre note des capacités ouvertes et parfois très divergentes des individus. C'est à la fois un défi pour la connaissance de soi comme de l'évaluation d’autres humains. Maintes tensions sociales se laisseraient atténuer si les diverses possibilités individuelles étaient utilisées de manière plus appropriée et si les humains étaient principalement déployés et respectés là où leurs capacités pourraient contribuer à l’accord global d'une communauté.

 Il en va de même pour le processus d'action. Objectivement, l'intuition morale et la technique morale se confrontent ici. Celles-ci aussi seront traitées par les individus des plus différentes manières. Certains ont une mine d'idées sur tout ce qu’on pourrait faire, tandis que d'autres peuvent voir immédiatement à partir de leurs connaissances et de leurs compétences pratiques si et comment quelque chose peut être mis en œuvre et comment ne pas l'être. La richesse des idées, d'une part, reste infertile si elle ne peut être mise en œuvre conformément au monde, et les compétences pratiques, d'autre part, restent désorientées si elles ne peuvent être utilisées au service de perspectives globales. Ici aussi, il est judicieux d'équilibrer l'unilatéralité respective (section 11.8) à la fois en faveur d'une augmentation de l'expressivité individuelle comme aussi en vue d'un développement ultérieur de la communauté sociale. C'est à nouveau la vue dans la nature de l'action et du se développer de l'être humain individuel qui peut conduire à saisir l'impulsion de l'équilibre et à veiller à une compensation fructueuse des opposés/oppositions individuelles. Ici, la fantaisie peut aussi jouer un rôle de médiation fructueux dans sa double fonction de faculté d'individualiser et de concrétiser des contextes généraux d'idées et comme instrument de flexibilisation et d'assouplissement de capacités et de perspectives étroitement définies.


 12.6 Formation de communauté d’humains libres, majeurs et dignes

Différentes capacités sont le plus souvent aussi liées avec différentes possibilités pour la réalisation de l'action libre. Dans une communauté d’humains, on aura donc rarement affaire à une communauté exclusive d'esprits libres au sens idéal du terme. Comme expliqué à la section 11.4, il s'agit d'une question de confiance légitime dans la liberté de l'autre personne de supposer qu'elle agit librement ou du moins qu'elle pourrait et voudrait agir librement. Mais on ne peut pas en rester là, parce que chaque individu agissant de son propre chemin de développement sait qu'il existe des conditions qui favorisent la libération et l'autonomie de la pensée et de l'action [299] et au moins celles qui l'inhibent. On sait aussi très bien par expérience qu'une grande variété de suggestions était nécessaire pour considérer comme nécessaire le développement d'une pensée proche de la pensée pure, pour reconnaître la pensée pure dans sa portée, pour la développer et la cultiver davantage.

 Tout cela suggère que de telles conditions devraient aussi être intégrées dans la formation des communautés sociales, afin que la liberté d'action des autres êtres humains soit non seulement attendue avec confiance, mais aussi directement et indirectement encouragée/promue. Dans toute décision socialement ou pédagogiquement pertinente, il faut se demander si cela favorise le développement d'un individu libre, ou si le développement vers la liberté n'en est pas affecté (donc pourquoi le tout ?), ou même s'il sera inhibé ou rendu impossible ? Cette attitude de base a des conséquences profondes sur la conception concrète des contextes sociaux et pédagogiques, qui ne peuvent être traités ici.

Sur la base des relations entre la liberté, la maturité et la dignité présentées à la section 11.9, le rapport des humains à différents stades de développement pourra encore être différenciée plus largement au sein d'une communauté*.

 La structure de base des rapports de deux humains ou plus est le rapport de liberté, c'est-à-dire le rapport de deux humains ou plus qui sont capables de liberté et de liberté actuelle, qui transforment leurs objectifs individuels respectifs en objectifs communs dans un échange symétrique (sections I2.2, I2.3 et I2.4). La connaissance et l'évaluation des capacités individuelles respectives sont l’objet de la technique morale à travers laquelle, avec l'imagination/la fantaisie morale, la compatibilité des objectifs individuels et communs d'action avec la situation concrète est examinée et une solution est élaborée. D'une part, la connaissance précise des alternatives d'action concrètes, de leurs avantages, risques et influences respectifs sur la situation d'action joue un rôle central, d'autre part, la clarification approfondie des objectifs de vie individuels sur-ordonnés – le façonnement de la vie en général, le développement/l’évolution individuelle ainsi que la fréquentation générale de la situation d'action - du point de vue de toutes les personnes impliquées.

 Pour l'examen supplémentaire des individus impliqués dans un tel rapport, dans une telle communauté à l'égard d'une coopération, il faut supposer qu'il s'agit d'un rapport temporaire qui peut durer plusieurs semaines ou même plusieurs années. Et en fonction de la situation de vie et du contexte général de développement/d'évolution, un humain se trouve pendant (des parties de) ce temps dans un état de liberté, de maturité ou de dignité. (Notez que : Lorsque nous parlons ici du contexte/état de maturité ou du contexte/état de dignité, nous entendons le « pur » état de maturité, à l'exclusion de la liberté, ou respectivement le « pur » état de dignité, à l'exclusion de la maturité et de la liberté).

 Tout d'abord, il peut arriver que chez tous les humains de la communauté considérée il s’agisse des personnes majeures (ou de personnes qui se rencontrent seulement intentionnellement sur l’étendue de la maturité/majorité). Il en résulte un rapport de partenariat dans lequel toutes les parties dans le respect des possibilités d'autodétermination des partenaires - dans le sens de la sauvegarde de la liberté de choix - n'ont aucune influence sur les voies et les contenus de décision.

Les relations interpersonnelles supplémentaires se laissent diviser en deux groupes principaux [301]. Pour des raisons de simplicité, on suppose d'abord qu'il n'y a qu'une communauté de deux personnes. Dans le rapport de maturité, un des humains est dans l'état de maturité (ou sera intentionnellement traitée comme étant dans cet état) et l'autre dans l'état de liberté. On suppose que les deux partenaires veulent discuter ensemble de la situation du moment et des prochaines étapes. A côté de la coopération concrète, l’humain majeur a besoin d'une suggestion concrète et d'attention en ce qui concerne son développement ultérieur de la liberté de choix à la faculté de liberté. En ce qui concerne les objectifs sur-ordonnés, l’humain majeur est ici celui qui est guidé, mais sur la base d'une confrontation intensive avec l'autre humain ; l’humain libre porte la responsabilité éthique principale pour les décisions, l'autre a la confiance (naïve) en ses facultés et soins au service de la coopération voulue.

 Dans le rapport de dignité, l'un des partenaires se trouve dans un état de dignité (ou sera intentionnellement traité comme tel) et l'autre est dans un état de liberté ou de maturité. L’humain digne ne peut ou ne veut pas, pour quelque raison que ce soit, faire face consciemment et avec compétence à la situation, soit seule, soit avec l'autre personne dans le cadre de la coopération souhaitée. Son état ne lui permet ni de comprendre ni d'accéder immédiatement à sa liberté de choix ou à sa faculté de liberté. Ici, un rôle particulier revient à jouer à l'homme libre : il peut se décider à guider l'humain digne à travers la situation et les développements de la vie qui s'y rattachent et être toujours soucieux de faire en sorte que l'état de maturité et de liberté puisse (de nouveau) se produire ; en outre, il peut porter le souci que ce sera effectivement le cas par des exigences appropriées.

 En résumé, cela se traduit par ce qui suit : Le rapport de liberté forme la structure de base de la relation entre l'humain et l'humain. Dans le rapport de maturité, un des humains prend direction dans la confrontation/l’explication intensive avec l'autre. Dans le rapport de dignité, l’un des humains dépend entièrement de la direction de l'autre. La préservation de la dignité et de la maturité d’un semblable consiste à prendre soin et à inciter au développement de la faculté de liberté de celui-ci. Le respect de ces conditions et leurs possibilités de développement/évolution forment la base éthique du rapport d’humain à humain et sont donc des conditions éthiques préalables à toute formation de communauté humaine sur la base de l'individualisme éthique.

 De la structure de base de la relation entre deux ou plusieurs humains d'une communauté dans le sens d'un rapport de liberté (sections 12..2, I2.3 et I2.4), mais aussi dans le sens d'un rapport de partenariat, découle directement que le consentement conscient à participer d'un individu à cette communauté ne peut pas être la seule affaire de cet humain, mais devra être exécuté conjointement dans la même mesure par toutes les autres personnes impliquées. En vertu de cette prémisse, toutes les personnes concernées/impliquées sont, au moins en principe, en mesure d'évaluer/de juger l'exhaustivité/l’intégralité, la pertinence et la liberté individuelle de l'accord conscient de cette personne. La représentation ou le consentement de tiers est impossible : la décision de participer à un rapport de liberté ou de partenariat n'est pas défendable [303] ou négociable par des personnes non impliquées. En ce sens, il s'agit d'une communauté d’humain libres et responsables par elles-mêmes respectivement majeures, pour la participation à une communauté de responsabilité (Section 12.4). De cette perspective, l'option toujours disponible d'annulation de la participation à une telle communauté est certes une composante nécessaire de chaque consentement à la collaboration dans une communauté, mais pas un critère suffisant pour le volontariat de la décision de participer. Car la décision a été prise avec la pleine participation active et le dévouement aux tâches envisagées par la Communauté, il est individuellement contraignant/contractuel/liant. Une résiliation vient donc seulement en question que s'il y a des raisons sérieuses pour un tel pas en dehors de la libre communauté de responsabilité.

La chose à un autre aspect pour le rapport de maturité. D'abord et avant tout, ce sont les humains qui agissent librement qui doivent veiller à ce que des humains majeurs soient correctement introduites dans la communauté. En raison d'éventuelles différences de compétences professionnelles et d'autonomie de décision, les individus libres doivent veiller à ce que les participants majeurs ne soient pas traités avec condescendance, c'est-à-dire qu'ils ne seront pas influencés dans leurs décisions (sauvegarde de la liberté de choix). Nous pouvons parler ici d'une communauté d’humains dont les membres se comprennent et se respectent mutuellement, une communauté sur la base de la compréhension et du respect mutuels.

Dans le cas du rapport de dignité, les participants dignes à une communauté ne sont pas en mesure de chercher ou de recevoir les informations pertinentes pour participer eux-mêmes à la communauté et de prendre une décision indépendante. Ici, les individus libres et/ou majeurs peuvent explorer la volonté possible de ces humains, en première ligne sur la base des déclarations écrites des humains concernés, par le biais de conversations avec des représentants légaux et des parents (dans le cas de petits enfants ou de personnes atteintes d'une maladie mentale grave) tout comme en accord avec leur expérience dans la fréquentation de ces humains et de leur connaissance générale des humains. Au centre du rapport de dignité se tient la préservation de la dignité par des humains majeurs et/ou libres. Toutefois, cette tâche pourra également être assumée par des tiers en représentation ; en conséquence, la représentation du consentement par des tiers est aussi possible et adaptée à la situation. En ce sens, le consentement de personnes dignes n'est ni pleinement conscient ni éthiquement contraignant. Par conséquent, dans un tel cas, il s'agit d'un consentement non conscient, indirect et formel, bref d'un accord non liant. Dans ce pendant, on peut parler d'une communauté formelle d’accord ou de consentement.

 Dans l'évaluation/le jugement de la façon du rapport d’humain à humain dans une communauté, il faut faire une distinction entre les aspects ontologiques, épistémologiques et intentionnels. Sous l’aspect ontologique, l’essence de ce rapport doit être clarifiée dans le cadre du consentement conscient, qui a eu lieu plus haut dans cette section ; de l’aspect épistémologique, devra être clarifié si les personnes concernées sont réellement libres, purement majeures ou purement dignes dans la situation donnée ; et sous le troisième, l'aspect intentionnel, devra être précisé si ces humains veulent être traitées purement comme majeurs ou purement comme dignes ou si les humains majeurs et libres peuvent ou veulent seulement les traiter comme majeurs ou [305] dignes – indépendamment de l'état dans lequel ces personnes se trouvent réellement. En d'autres termes, un humain en soi majeur ou libre peut, par exemple, se laisser traiter ou être traité par un autre humain, comme si il était purement digne, donc ni majeur ni libre.

 Si, au lieu de rapports de liberté ou de partenariat, la relation de majorité ou de dignité se produit dans l'accord conscient de participer à une communauté, des principes éthiques (normes) spécifiques peuvent être utilisés/attirées, de sorte que la différence de compétence et d'autonomie des personnes libres et majeures par rapport aux personnes (purement) dignes n'a pas d'effet négatif sur ces derniers. Ici, par exemple, les principes éthiques suivants sont pris en considération : la protection de la liberté de choix ou la protection de l'autodétermination (majorité, dignité), l'évitement du mal et l’assistance. La protection de la liberté de choix implique notamment que la décision de participer à une communauté peut être annulée à tout moment et sans indication de motifs. Du point de vue de la liberté de choix, cette possibilité illimitée de résiliation à ne pas justifier est un critère suffisant pour le caractère volontaire/le volontariat de la participation.


 12.7 Jugement social

Le jugement de connaissance développé à la section 9.2 est radicalement fait sur mesure pour la connaissance individuelle. En ce sens, il n'y a pas de connaissance actuelle dont le  dernière raison ne soit pas fondée exclusivement sur la vue individuelle. La connaissance sous cette forme stricte ne s'applique qu'aux processus qui sont momentanément achevés, qui ne sont plus en voie de devenir [306] ou d’apparaître, de passer ou de disparaître. Ce n'est que lorsqu'ils sont arrivés à une fin temporaire de leur apparition qu'ils sont réellement disponibles pour l'expérience et peuvent être reconnus sur cette base dans leurs lois actuelles. De ce qui devient, en règle générale, il y a trop peu de choses que l'on peut expérimenter, pas encore ou plus assez que l'on peut saisir et comprendre, qui est en outre en constante évolution, pour offrir un point de départ suffisant pour connaître le champ d'expérience correspondant. Pour satisfaire à de telles situations, il faut prendre en compte d'autres facteurs qui transposent à l'individu connaissant en état d'élever ces formes de développement ou d'apparition non directement accessibles dans la conscience.

Cette situation est particulièrement vraie pour la fréquentation des communautés sociales actuelles (section 11.2.). Tout d’abord, on peut s'orienter sur les objectifs des autres membres particuliers d'une telle communauté seulement par une connaissance directe, une discussion directe avec eux. Pour l'évaluation épistémique, morale et esthétique (section 11.7) des actions de ses semblables, il faut créer, à l'heure actuelle, une approche expérimentable, et ces êtres humains doivent aussi être prêts à amener leurs objectifs à l’expression actuelle. D'autre part, on peut seulement s'engager soi-même fructueusement dans une telle communauté et se déplacer là-dedans que si l'on est disposé à communiquer ses propres préoccupations et engagements explicitement et actuellement aux membres individuels de cette communauté, afin qu'ils soient en mesure de faire une évaluation épistémique, morale et esthétique appropriée de la propre contribution individuelle (voir sections I1.2, I2..3 et I2..4).

[307]

 Par l'interaction de plusieurs individus apparaît une forme d'organisation supérieure, qui s'exprime dans la constitution d'une telle communauté, c'est-à-dire dans les lois/la légité de ce qui est devenu jusqu'à présent et de ce qui est encore à venir. L'une des tâches globales de la technique morale est d'élaborer les structures de base de communautés sociales et les prendre en compte dans le cas concret.

  Pour des raisons à la fois pragmatiques et fondamentales, il est maintenant impossible pour un individu d'arriver à un jugement approprié sur la constitution, c'est-à-dire sur ce qui est devenu jusqu'à présent et ce qui reste à venir, ainsi que sur les objectifs d'une communauté sociale. Car d'une part, il existe de nombreux obstacles de nature personnelle et pratique à l'échange individuel entre tous les individus. D'autre part, la communauté sociale est en constante transformation en raison du développement individuel des capacités et des métamorphoses des objectifs des individus. Pour des raisons appropriées, un inventaire actuel de la constitution et des objectifs d'une telle communauté doit être lui-même un acte social, c'est-à-dire un échange commun et actualisé des individus concernés.

 Le processus commun de prise de conscience sur la forme (constitution) et des objectifs globaux d'une communauté sociale résultant des objectifs individuels de ses membres devrait être appelé jugement social. Le caractère social prierait donc aussi bien la forme que le contenu du jugement social. Il sera atteint dans l’actuel accord commun et concerne le social, le commun d’une communauté.* Les instruments du jugement social [308] sont l'évaluation épistémique, morale et esthétique des actions humaines (Section 11.7).

 Le jugement social en tant qu'instrument approprié du devenir conscient/de la prise de conscience de la constitution et des objectifs d'une communauté sociale est l'expression du devenir de cette communauté comme conséquence du devenir des membres individuels de cette communauté.

La nécessité d'un jugement social ne repose pas dans une éventuelle insuffisance temporaire de l'individu humain, elle n’est aussi aucune admission de l'existence des limites fondamentales de la connaissance de l’humain. Ce n'est en premier que par un dépérissement ou un assèchement des impulsions individuelles de développement et/ou par l’abandon de la poursuite des objectifs individuels pour les objectifs de la communauté tout comme par la cessation des processus de formation du jugement social que cette communauté vient à un dépérissement. Ainsi, la communauté devient un pur fait historique et elle est alors reconnaissable sur une base individuelle seulement.

En particulier, une communauté sociale cesse d'être une telle communauté lorsque des membres individuels ou des groupes de membres de celle-ci comme bon leur semble/à leur propre discrétion, en contournant le processus commun de formation d'objectifs et le jugement social, viennent à l’opinion de pouvoir représenter l'ensemble de la communauté, c'est-à-dire pouvoir exprimer et représenter seuls sa constitution et ses objectifs.

[309]


( 1 ) Renatus Ziegler, né à Bâle en 1955, y fréquente l'école Rudolf Steiner. Etudes de mathématiques et de physique théorique à l'ETH Zurich. Doctorat en 1985 en mécanique géométrique de l'Université de Kassel. Deux années de recherche et d'enseignement dans des universités aux Etats-Unis, puis à la section Mathématiques-Astronomie de l'Ecole de Science de l'esprit au Goetheanum, Dornach (Suisse). Depuis 2001 assistant scientifique à l'Association pour la recherche sur le cancer, Arlesheim (Suisse) dans le domaine de la méthodologie des études cliniques dans le domaine de la médecine complémentaire. Il enseigne les mathématiques, la logique, les sciences cognitives, l'individualisme éthique et les fondements philosophiques de l'anthroposophie dans divers séminaires.

( 1 ) Renatus Ziegler, né à Bâle en 1955, y fréquente l'école Rudolf Steiner. Études de mathématiques et de physique théorique à l'ETH Zurich. Doctorat en 1985 en mécanique géométrique de l'Université de Kassel. Deux années de recherche et d'enseignement dans des universités aux Etats-Unis, puis à la section Mathématiques-Astronomie de l'École de Science de l'esprit au Goetheanum, Dornach (Suisse). Depuis 2001 assistant scientifique à l'Association pour la recherche sur le cancer, Arlesheim (Suisse) dans le domaine de la méthodologie des études cliniques dans le domaine de la médecine complémentaire. Il enseigne les mathématiques, la logique, les sciences cognitives, l'individualisme éthique et les fondements philosophiques de l'anthroposophie dans divers séminaires.