revenu de base et tri-articulation
Institut pour une triarticulation sociale

 

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Une série au sujet du revenu de base                             sommaire - prochain article

 

Johannes Mosmann

 

La dépendance du revenu au travail humain

Le revenu de base : pathologie et effet d’un mouvement social — I

 

Des circonstances, par lesquelles l’être humain se voit astreint à s’orienter sur un « prix », pour le motif, le contenu et l’amplitude de son travail, un prix qu’il peut atteindre sur un « marché du travail », le font descendre en-dessous de sa dignité humaine. La perspective d’un revenu, ou selon le cas la quasi peur absolue de ne pas survivre, définit alors en effet la manière dont il s’insère dans la société. En extorquant le travail au moyen du revenu, la société se prive ainsi d’un travail réellement motivé et sensé. Ces valeurs-là qu’apporterait librement tout être humain, sur la base de ses facultés individuelles, sont soustraites à la communauté. Il s’ensuit que viser un revenu et travailler pour la communauté — cela devrait être deux processus complètement séparés.

 

Cet idéal et des idéaux semblables vivent chez ces êtres humains-là qui s’engagent dans le mouvement pour un revenu de base inconditionnel ou s’y sentent attirés. Ils sont convaincus que l’introduction d’un revenu de base inconditionnel équivaudrait à la réalisation d’un tel idéal ou y contribuerait au moins. Nombre d’entre eux proviennent des milieux chrétiens ou des courants ésotériques. Les défenseurs les plus importants, et aussi les plus puissants promoteurs économiques du mouvement en Allemagne, se déclarent du côté de l’anthroposophie. De grosses institutions anthroposophiques — par exemple la Société anthroposophique en Allemagne, l’alliance des libres écoles Waldorf ou la GSL-Bank — ont récemment souscrit pour la première fois à une campagne pour l’introduction du revenu de base inconditionnel. (1)

 

 

Mais l’introduction d’un tel revenu de base inconditionnel repousserait de fait l’idéal mentionné ci-dessus dans un lointain inatteignable, tout en cimentant le système d’acquisition d’un revenu par le travail. C’est pourquoi ce n’est pas entièrement un hasard que les origines de ce mouvement se trouvent dans le néolibéralisme et que celui-ci trouve ses plus importants soutiens parmi les technocrates et pourvoyeurs du capital-risque de la Silicon Valley — ainsi par exemple, Marc Zuckerberg (Facebook), Jeff Bezos (Amazon), Elon Musk (PayPal, Tesla, Space X) ou bien Sam Altman (Y Combinator). Au cours d’une série d’articles — dont celui-ci est le premier — devrait être montrer la raison pour laquelle un revenu de base inconditionnel est certes impossible, mais qu’en revanche, le fait d’y croire est d’une valeur inestimable pour les intérêts de ces puissances dominantes.

 

Libération du travail ?

Un motif du mouvement pour un revenu de base c’est la « liberté » et le sentiment qui lui est associé d’une « dépendance » dont on veut se libérer. Ce sentiment, comme chaque sentiment, a évidemment sa justification en soi-même et pourtant il n’a aucun sens à tout point de vue. Par exemple, la vie humaine de l’être humain est dépendante du fait qu’il pourvoit son corps de nourriture. S’insurger contre cela peut certes avoir une justification dans la vie de l’âme, mais cela mène à la mort. On doit donc d’abord situer le concept de liberté dans les contextes concrets de la vie, afin de découvrir où il acquiert un réel contenu, c’est-à-dire quelles dépendances pourront absolument être surmontées.

 

 

De la même façon que l’être humain a besoin de nourriture pour vivre, et est ainsi dépendant de la nature, ainsi il y a besoin de travail humain pour préparer la nourriture et ainsi il est de ce point de vue dépendant du travail. Les céréales, la construction d’édifices, de machines — tout ce qui maintien notre corps, chaque marchandise que nous consommons, repose sur du travail humain. Les avocats d’un revenu de base estiment au contraire que des machines nous ôteraient ce travail : « Nous n’aurions plus à faire que ce que les machines ne peuvent pas assumer pour nous. Et ce sont tout de suite toutes les incalculables activités créatives et curatives pour lesquelles une libre spontanéité représente le meilleur préalable à une bonne prestation. » — ainsi pense, par exemple, Philip Kovce, anthroposophe et activiste du revenu de base.(2)  Mais en est-il réellement ainsi ?

 

L’habitation de Kovce, le courant électrique, l’eau courante qu’il consomme, l’élimination de ses déchets, sa chemise, son pantalon, son pain, sa confiture, son smartphone, la rue sur laquelle il marche, le métro, par lequel il circule etc. — tout cela sera mis à sa disposition par un rude travail corporel de millions et millions d’êtres humains dans son environnement immédiat, en Allemagne et dans le monde entier. On ferait donc bien, en tant que « travailleur spirituel » de se rendre une fois clair, à l’aide seulement d’une partie constitutive de son propre revenu réel, sur quoi celui-ci repose. Par exemple, le courant électrique : pour ce courant — et d’ailleurs indépendamment du choix d’un fournisseur— sera brûlé avant tout du charbon [c’est le nucléaire en France, ndtDK] et celui-ci est à son tour extrait en Russie ou en Colombie, en particulier par le consortium suisse mondial « Glencore » dégageant, avec ses 157 000 collaborateurs, un chiffre d’affaire de 170 milliards de Dollar.(3)  Pour l’extraction du charbon, des machines seront nécessaires et le minerai de fer indispensable pour les fabriquer a été extrait dans  les 3 000 mines de fer chinoises et ainsi de suite. Le courant électrique dans l’habitation de Kovce nécessite des lignes de câbles en cuivre, ainsi que des isolants, pour lesquels de nouveau du gaz naturel est utilisé et ainsi de suite. On pourrait développer ainsi toutes les autres choses que Kovce consomme journellement.

Que pourtant l’utopie d’une libération de l’être humain du travail corporel se propage toujours dans des cercles plus larges, est de son côté l’expression d’un effet psychologique de la technique. Car la technique qui relie économiquement les êtres humains les uns avec les autres, les coupe les uns des autres conformément aux perceptions. Avec une division du travail qui progresse, il est littéralement de plus en plus difficile de ne pas perdre les réalités de vue. En particulier de jeunes designers, programmeurs, journalistes et ainsi de suite, tendent à transposer leur monde de vie particulier sur l’économie et à estomper ainsi progressivement le terrain réel des marchandises et prestations consommées quotidiennement par eux. La réflexion sur les réponses et la détresse de notre temps ne doit pourtant pas partir d’utopies, mais bel et bien du terrain des faits.

 

Travail humain et travail de machines

La manière d’argumenter de Kovce & Co. serait toutefois aussi fausse, si le travail humain pouvait être effectivement repris dans sa globalité appréciable par des machines. La représentation que des machines libéreraient l’être humain du travail, repose notamment, dit plus exactement, sur une erreur de logique : sur une confusion des catégories. Le travail d’une machine est un travail physique et en tant que tel, quelque chose de fondamentalement tout autre que le travail humain dans le contexte économique. Là où, par exemple, un robot est actif, l’être humain lui, ne l’est pas ou bien pour le moins il ne l’est pas directement. Pour les domaines dans lesquels l’être humain n’est pas actif, la question du contenu, de l’évaluation et du partage du travail ne se pose pas. Seulement aussi loin que le travail est aussi travail humain, il est une catégorie sociale. Le travail physique, par contre c’est un sujet pour la physique.

 

Que l’on se représente un ménage, dans lequel le concept de travail physique et celui de travail social seraient mélangés : l’homme nettoie la baignoire, aspire la poussière, fait des achats, tandis que la femme est assise sur le divan et lit le journal. À la question de savoir pourquoi elle n’aide donc pas,  elle répond : « en effet, mon travail est repris par l’aspirateur et la machine à laver qui travaillent pour moi, c’est pourquoi je peux faire quelque chose d’autre. Cela me peine que ton travail ne puisse pas encore être fait par des machines, mais quand ce sera à ce stade, tu peux aussi lire le journal. » Ici on remarque aussitôt l’erreur du penser. Que la machine à laver épargne du travail humain, signifie purement et simplement que ce travail n’est plus fait par l’être humain. Sur la relation vis-à-vis de mon semblable, relativement à ce travail-là qui reste nécessairement à faire — après défalcation du travail physique — rien n’est encore dit avec cela. Cela ne se laisse pas dériver du travail physique, mais sera effectué (et d’ailleurs non pas idéalement, mais réellement) parfaitement indépendamment du travail de la machine sur un terrain purement inter-humain par des accords humains. Rapporté à la société, cela signifie que le travail humain que la machine épargne, elle ne l’épargne pas — vue purement au plan physique — justement à des êtres humains particuliers ou groupes d’humains déterminés, mais à l’humanité dans son ensemble. Que cette économie de temps soit ensuite affectée à des êtres humains ou à des groupes humains particuliers, ce n’est plus un processus physique, mais repose sur une convention humaine. C’est là que commence la question sociale.

 

À qui appartient l’esprit ?

L’humanité devra répondre à la question de comment la technique — qui remonte en effet à l’esprit humain — peut se placer dans la société. Et associée à cela, elle devra pénétrer dans la relation concrète entre individu et capital. À qui « appartient » l’esprit, la bonne idée, le rapport conforme aux lois de la nature qui agit dans la machine ? À qui est affecté l’épargne de temps que permet l’esprit humain, au moyen de ses « découvertes » ? Comment est-elle à utiliser, quelles nouvelles branches doivent-elles, le cas échéant, élargir la palette de produit ?    toujours plus d’êtres humains commencent à pressentir la dimension de ce problème lorsqu’ils mettent en question l’affectation du capital à ses propriétaires, la place de marché digital à « Amazon » ou un brevet à tel ou tel consortium. Cette « question du capital » marque le point brûlant de la question sociale. Et c’est seulement dans cette relation, que le concept de liberté a un sens : la dépendance du travail humain du « droit » d’un propriétaire de moyen de production pourra être mise en question, parce qu’elle repose sur une convention humaine. La dépendance du revenu au travail humain ne pourra par contre jamais être remise en question, parce qu’elle est un rapport/pendant nécessaire.

 

 

 

 

Dépendances économique et juridique

Le revenu réel de chaque être humain consiste dans la consommation d’une part de l’ensemble de la production mondiale, ainsi donc un pourcentage de l’alimentation, l’habillement, l’électronique et ainsi de suite. Ce revenu repose sur du travail humain, dit plus exactement, sur le travail commun des êtres humains de par la Terre entière. La condition nécessaire pour mon revenu, est donc du travail humain — notamment le travail d’autres êtres humains —  et inversement. Les machines augmentent l’efficacité de ce travail et poussent à la division mondiale du travail, de sorte que de toujours nouvelles branches de production deviennent possibles, dans lesquelles à nouveau des êtres humains travaillent. Relativement aux dépendances des êtres humains les uns des autres, se pose la question de l’équité. Une réponse là-dessus est seulement possible quand le travail des machines en est défalqué. Pour préciser cela, aussitôt que l’un peut mettre sur le plateau de la balance le travail d’une machine alors que l’autre ne peut mettre sur l’autre plateau que celui de ses propres mains, aussitôt donc le travail humain et le travail machine entrent en concurrence l’un contre l’autre et l’iniquité règne. Or c’est le cas dans l’instant où les outils de la répartition/division du travail, la technologie, les moyens de productions et ainsi de suite seront affectés selon le droit de propriété. De ce fait à cette dépendance purement économique de chaque humain vis-à-vis de l’autre se rajoute une seconde forme de dépendance, à savoir la  dépendance juridique de l’être humain qui travaille vis-à-vis de personnes ou de groupes de personnes déterminés. Il devra donc être distingué la dépendance économique en tant que telle de celle de tout autre sorte, qui sera absolument en premier fabriquée/produite par l’immixtion du droit dans l’économie. Cette dernière occasionne que le travail humain ne sera pas déterminé par le processus économique de division du travail lui-même, mais par les intérêts particuliers de celui qui, sera devenu maintenant « employeur / donneur de travail », c’est à dire possesseur de place de travail.

 

Pilotage du capital et formation du revenu

Le point de vue sous lequel une entreprise apparaît sensée économiquement dans la perspective d’un possesseur de place de travail est un autre que celui sous lequel la valeur économique d’ensemble de l’entreprise devra être jugée. Les partisans d’un revenu de base inconditionnel ressentent cela. Ils se défendent à bon droit d’être obligés par un job-center d’accepter des activité douteuses. Que notamment sous les conditions actuelles juste à cette endroit-là du capital pourra être formé, et donc sera produit un revenu, ne prouve pas seul encore, le caractère sensé d’une activité. Considéré avec une certaine distance temporelle s’avère notamment le fait qu’à un endroit déterminé, du capital pouvait être lié souvent comme une erreur de direction du travail, rapporté à l’évolution économique d’ensemble. Mais cela ne change pourtant rien aux conditions économiques pour ce qu’un revenu soit disponible, mais remet en question la forme actuelle du pilotage du capital. Or, parce qu’ils ne parviennent pas ici à des concepts clairs, les tenants du revenu de base confondent les deux formes de dépendance : en croyant repousser les conditions dictées par les propriétaires du capital, ils nient en vérité les conditions réelles de l’économie —  et tombent par là d’abord complètement sous le pouvoir des propriétaires du capital, comme cela sera encore à montrer.

 

 

 

L’idéal de la liberté et la contrainte au travail

Le mouvement pour un revenu de base étend l’idéal de liberté sur l’économie en tant que telle et joue ainsi ces forces-là en les laissant aux mains de ceux qui ont toujours déjà recherché la liberté dans l’économie. Qu’il n’ait pas encore remarqué l’erreur qui en est à la base, cela repose dans la vertu suggestive des circonstances actuelles : dans le système du travail rémunéré, au moyen duquel les partisans du revenu de bases ont aussi été socialisés, on reçoit (en apparence) de l’argent « pour » son travail, et l’on vit donc d’un « salaire ». Étant donné qu’on est habitués avec cela à penser en concept de salaire, on ne voit pas facilement le fait qu’un revenu ne consiste jamais réellement en « argent », mais toujours en ce qu’on peut acheter avec cet argent : en marchandises. Mais ce revenu réel ne serait pas disponible si la liberté régnait de fait sur le domaine économique. Aussi loin que j’ai en fait un revenu, je vis de ce que d’autres êtres humains ne déterminent pas eux-mêmes leurs mouvements, idées et autres actions, pendant un certain temps par jour mais se sont au contraire laissés déterminer par mes besoins et les nécessités de la vie matérielle qui en dépendent. Si par exemple mon besoin en vêtement doit être satisfait, alors d’autres êtres humains se forcent concrètement à étendre le bras et à exécuter un mouvement de main tout particulier, à adopter une attitude corporelle et autres — en bref à tous ces mouvements, qui sont préposés par le processus de fabrication du produit correspondant. Ce n’est pas seulement le travail en tant que tel qui est décisif pour la disponibilité de la marchandise, mais aussi la répartition, la manière dont de nombreux êtres humains travaillent les uns pour les autres, comme pour les nombreux autres dans les autres branches. Aussi la question du choix d’une profession est effective avec cela — elle ne relève pas, par exemple, de l’humeur d’un quelconque filou — et n’est aucunement libre. La disponibilité de chaque produit que je consomme repose sur des étapes de travail d’un nombre d’être humains exactement déterminés dans une branche déterminée de la vie de l’économie.

 

Dans ce sens, tout revenu repose sur de la contrainte, seulement justement sur une contrainte à laquelle doivent se soumettre d’autres êtres humains. Il serait donc social de porter solidairement la contrainte du travail, afin qu’à côté du travail, il restât suffisamment de temps, à tous les êtres humains pour suivre des impulsions purement humaines. Que par contre, ils cherchent à réaliser l’idéal de liberté sur le domaine de la vie de l’économie, est le signe distinctif des forces anti-sociales.

 

Aussi loin qu’il l’admet absolument, le mouvement pour un revenu de base inconditionnel argumente avec cela que l’être humain voudrait librement se soumettre à cette contrainte et ne devrait pas être motivé par un salaire pour cela. De manière curieuse, il démontre lui-même le contraire en ne se commettant pas du tout lui-même d’abord avec ce travail, mais au contraire en le redéfinissant comme une « activité qui apparaît sensée à soi-même » (4). Un travail est pourtant à l’inverse une activité dont la sorte, le but et l’ampleur ne sont pas déterminés par moi, mais au contraire par un autre être humain.

Si les membres de ce mouvement parlaient de la manière dont ils aimeraient devenir des collaborateurs efficients d’une société industrielle fondée sur un revenu de base inconditionnel, comment par exemples, en injectant un mélange de gaz « au cœur » d’une fonderie d’aluminium pour des moteurs d’Audi de Porsche et autres, en cuisant de la couenne de porc dans de gigantesques chaudrons d’acier inoxydable pour fabriquer de la gélatine pharmaceutique, ou en désirant se ruiner le dos dans la réfection des routes, on pourrait alors désigner ce mouvement comme un mouvement « social ». Mais de fait ce « mouvement » explique à chaque mot qu’il prononce qu’il n’a aucun pressentiment d’où proviennent ces marchandises qu’il voudrait volontiers consommer « sans condition » et par surcroît, sans réfléchir le moins du monde à prendre part au travail indispensable pour cela.

 

Travail spirituel et revenu de base

Que l’on se souvienne de l’entrée en scène — digne d’être pensée dans ce contexte — de Ralph Boes en 2012 dans l’émission de l’ARD « Maischberger  » (5) et à d’autres occasions. Boes se réfère au système Hartz IV [voir sur Wikipedia, la réglementation du chômage de longue durée dans le cadre de l’Agenda 2010 en Allemagne, ndt] et croit qu’il aurait un droit sur le libre exercice de son activité de « travailleur spirituel ». Étant donné pourtant qu’il ne rencontre pas de reconnaissance pour cette activité, qui puisse lui permettre un revenu, il exige que l’état lui paye un revenu de base. Ralph Boes oublie alors de voir, à l’occasion, les sensibilités sociales des êtres humains qui travaillent, la manière dont elles réagissent lors de chacune de ces entrées en scène à lui, à savoir : « Comment ! Moi, je me casse le dos chaque jour pour produire les choses que toi tu consommes ensuite et toi tu veux définir toi-même ce que tu fais, dans le même temps où moi je me crève le c… pour toi ? T’es donc complètement maboul mon gars ! » (6) Là où se trouve la différence entre son propre travail et ce que monsieur Boes veut redéfinir comme « travail » c’est tout de suite carrément clair pour le « simple » travailleur de ses mains ; car ce que ces humains produisent est consommé par Ralph Boes. Sur ce qu’il peut produire lui, à l’inverse, ils n’ont aucune sorte d’intérêt. Ce que Ralph Boes croit avoir à dire ne leur importe donc pas du tout, mais au contraire, c’est ce qu’il dit effectivement — et fait — qui leur importe. Et de fait, il laisse d’autres êtres humains travailler pour lui, pendant que dans le même temps, de son côté, il ne fait rien pour eux et ne veut rien faire. Il se peut que l’on condamne l’agressivité avec laquelle par la suite Ralph Boes fut couvert d’opprobre en étant traité de « parasite ». Mais vue purement concrètement, la manière de vivre qu’il donne à voir et à entendre en comparaison avec quelque chose dans le monde extérieur, coïncide exactement, elle, avec le concept de parasite/pique-assiette.


Cela ne change pas non plus si l’on souhaitait laisser faire à tous la même chose que ce que l’on désire faire pour son propre travail spirituel. L’égoïsme élargi au groupe, c’est toujours de l’égoïsme. Le fait concret existe toujours : ce que monsieur Boes tient lui-même pour son travail spirituel, c’est son affaire privée ! Toute l’affaire acquerrait ensuite seulement une note sociale s’il ne demandait pas une reconnaissance à l’état, mais directement aux êtres humains auxquels il voudrait faire profiter de son travail spirituel. Alors il existerait aussi une possibilité que ceux-ci ne voulussent rien lui donner pour son travail spirituel. Monsieur Boes se retrouverait donc ainsi contraint, par nécessité cette fois, à faire quelque chose dont ses semblables ont besoin, plutôt que son travail spirituel. Mais cela signifie aussi qu’il devrait ainsi commencer à penser socialement.

La vie sociale est justement essentiellement plus compliquée que veut bien le faire croire le mouvement pour le revenu de base. Il peut apparaître juste que, dans les circonstances données, des êtres humains utilisent le système Hartz IV pour se tourner vers des activités spirituelles. De plus le travail spirituel de monsieur Boes pourra en particulier encore à peine être considéré comme assez élevé.(7) Pourtant les circonstances ne se laissent pas changer du fait que la manière d’agir personnelle conditionnée par la situation et élevée en principe social, apparaît moralement juste. Entre la réaction individuelle sur les circonstances et un changement de celles-ci, il y a quelques pas qui ne peuvent pas être franchis d’un seul bond, comme on le montrera dans cette série d’articles à venir.

 

Le tragique du mouvement pour un revenu de base c’est que ses adeptes font véritablement peser sur l’âme la dépendance des possesseurs de place de travail,— tandis que leur impulsion de liberté se fraye un chemin irréfléchi —ils suppriment nonobstant le seul et unique moyen par lequel ils pourraient s’en libérer. Car la dépendance juridique vis-à-vis des possesseurs/détenteurs de places de travail peut seulement être surmontée par l’acceptation et la saisie de la dépendance économique. Avec cela l’orientation du regard d’un mouvement social est caractérisée au véritable sens du mot. Ce mouvement devrait aspirer par conséquent à ce que le travail soit réorienté sur un besoin réel. Et dans le but de cette réorientation du travail au besoin, il devrait remettre en cause les actuelles conditions de propriétés. Au lieu d’un droit de consommation, il devrait parler d’un droit de collaboration et se solidariser avec ceux qui travaillent, en ce qu’ils leur donnent un coup de main.

Die Drei 1-2/2018.

(Traduction Daniel Kmiecik revue par FG - accès à l'original en allemand)

 

 

(1) Comparer „Avenir social maintenant! Appel pour la transformation de l’économie et de la société - http://blog.triarticulation.org/2017/10/centenaire-de-lidee-de-tri-articulation.html

(2) Philip Kovce : « Juste seulement comme droit fondamental » (« Gerecht nur als Grundrecht ») - – www. neues-deutschland.de/artikel/1068180.bedingungloses-grundeinkommen-gerecht-nur-als-grundrecht. html

(3) Comp. https://fr.wikipedia.org/wiki/Glencore

(4) Comp. Göetz Werner : « Le revenu de base rend possible de percevoir une activité correspondant au sens personnel de la vie » - http://unternimmdiezukunft.de/index.php?id=56; Daniel Häni & Philip Kovce : «  Le travail est ce que je veux faire. Le travail est le domaine sur lequel je veux me développer. Le travail est ce qui me donne force et sens. » - « Qu’est-ce qui manque, quand tout est là ? » (Zurich 2015) ; Ralph Boes : «  Chaque activité est à regarder comme travail dans le sens pleinement humain qui lui donne forme ainsi qu’au monde et le porte plus loin – indépendamment de ce qu’il permet une rémunération ou non. » - http://grundrechte-brandbrief.de/Prozesse/3-KLage-erste-100%25-Sankton/2017-01-11-RB-to-SG-Anlage-1.pdf

(5) L’émission se trouve sous https://www.youtube.com/watch?v=jwG74qu01x0

(6) Résumé selon le sens des commentaires des lecteurs sur différents articles sur l’émission.

(7) Ralph Boes a, comme personne auparavant, combattu le système Hartz IV, en ce que, par exemple, il a rendu attentif le public, par une grève de la faim, sur la pratique des sanctions méprisantes pour le genre humain. - http://www.taz.de/!5222487/. D’autant plus tragique est le rattachement avec l’utopie du revenu de base. Aussi le recours constitutionnel poussé par lui relativement à la pratique des sanctions, aurait, par exemple, absolument eu de la chance, si avait été couplé à la reconnaissance conforme à la constitution un nouveau « concept fondamental du travail » : « Comme travail dans le sens pleinement humain est à regarder chaque activité, qui donne forme et porte plus loin le monde et lui-même – indépendamment de ce qu’il se déroule intérieurement ou extérieurement et indépendamment de ce qu’il permet une acquisition d’argent ou non. » - http://grundrechte-brandbrief.de/Meldungen/2015-01-30-Abhandlung-zum-Arbeitsbegriff.htm