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Johannes Kiersch - L’ÉSOTÉRISME INDIVIDUALISÉ DE RUDOLF STEINER AUTREFOIS ET MAINTENANT
À propos du développement de l'Université libre pour la science de l’esprit   retour au sommaire




1. Pour introduction


La pensée et la pratique de recherche de notre culture technico-scientifique a obscurci, depuis pas beaucoup plus de trois cents ans, les connaissances anciennes et l'expérience encore plus ancienne de l'humanité concernant l'existence d'un monde suprasensible - le monde de l' « esprit » dans la langue de l'anthroposophie. Les conditions sensibles-physiques dans lesquelles nous nous déplaçons psychiquement entre la naissance et la mort sont venues au premier plan de notre conscience. Cela change depuis un certain temps. Des contre-mouvements critiques de culture cherchent à faire revivre ce savoir ancien à partir d'une grande variété de motifs et à pénétrer ainsi dans de nouvelles expériences authentiques dans le domaine de la perception suprasensible. Ils recourent en cela diversement à des traditions des cercles culturels extra européens : le bouddhisme tibétain sous la direction de la figure charismatique du Dalaï Lama, les enseignements de la sagesse indienne, le mysticisme de la tradition soufie islamique, la pratique des écoles zen du Japon. Les dérivés popularisés de ces traditions vénérables sont largement répandus dans les médias : Le yoga comme une technique de relaxation, les arts martiaux d'Extrême-Orient, le Feng Shui, les méthodes de guérison alternative des plus diverses sortes, ainsi qu'une multitude de pratiques provenant du spiritisme du dix-neuvième siècle, de la scène de la drogue et des anciennes superstitions. Cependant, même si personne ne l'envisage, cela est désormais associé à une dévaluation généralisée du concept d'ésotérisme. Ce qui était jadis respecté comme une quête spirituelle sérieuse semble être passé dans la sphère des sensations superficielles et du jeu oisif. Pour les gens qui se sentent attachés à la tradition des Lumières européennes et nord-américaines du XVIIIe siècle, tout intérêt pour l'ésotérisme est donc souvent un symptôme d'irrationalité régressive, une fuite dans l'inconscient et donc un rejet des idéaux de l'humanité éclairée, auxquels notre ordre juridique et chaque progrès social sont liés.

 

 

Face à cette situation, pour les élèves de Rudolf Steiner orientés selon l’anthroposophie, il est plus que jamais nécessaire de représenter de manière proactive leurs représentations de l'essence de l'ésotérisme, et de montrer que ces idées sont en pleine harmonie avec les idéaux et les principes de la rationalité moderne, -oui, qu'elles peuvent être comprises comme une formation continue contemporaine de ces idéaux et principes.1 Steiner considérait la manière matérialiste-positiviste prédominante de penser de son époque comme un passage nécessaire dans l’évolution de la conscience de l'humanité. « La froide technique », écrit-il contre le pessimisme culturel rétrograde d'Oswald Spengler, « donne à la pensée humaine une empreinte qui mène à la liberté. Entre les leviers, les roues et les moteurs, vit seulement un esprit mort ; mais dans ce royaume des morts, l'âme humaine libre s'éveille ».2 Sur les chemins d’exercice de l'anthroposophie, s'ouvrent pour l’âme humaine s'éveillant à la liberté, de nouvelles approches du monde de l'« esprit » sans contradiction avec la conscience moderne éclairée. Ces chemins sont différents de nombreux chemins de salut bien intentionnés mais problématiques, qui valent aujourd'hui pour de l'« ésotérisme ».

 

 

L’anthroposophie de Steiner se distingue aussi de l'ésotérisme plus ancien, vers lequel la recherche histoire contemporaine s’est tournée au cours des dernières décennies. Dans le domaine académiques des sciences de l’esprit, l'étude des « sciences secrètes », du mysticisme, des courants hermétiques et similaires de l'histoire humaine n'est plus un tabou. Il est permis d’en débattre au plus tard depuis les enquêtes de Frances Yates sur Giordano Bruno (1964) et l'histoire des Rose-Croix (1972). Depuis 1979, existe à la Sorbonne à Paris une chaire pour « l'histoire des courants ésotériques et mystiques moderne et contemporains en Europe », et depuis 1999, l'Université d'Amsterdam dispose d'une chaire sur « l'histoire de la philosophie hermétique et des courants apparentés ».

Antoine Faivre a notamment contribué à la logique méthodologique des recherches qui y ont été menées.1 Les recherches sur l'histoire du début de l'ère moderne ont révélé à quel point les aspirations hermétiques sont étroitement liées à l'émergence des « sciences modernes de la nature » ou quelles perpectives extrêmement actuelles elles ouvrent à la théorie scientifique.


Le mouvement culturel des Lumières européennes du XVIIIe siècle, d'une sobriété sans compromis et rationnellement ajusté, avait même son noyau ésotérique dans la forme des ordres franc-maçon. Dans son étude intitulée « Sphère infinie et centre du/de tout » (1937), Dietrich Mahnke donne déjà un bel exemple de la longue tradition d'un motif hermétique à fort impact culturel. Des recherches philosophiques et historiques récentes ont montré à quel point le concept de l'ésotérique représenté par Rudolf Steiner apparaît déjà clairement dans les « enseignements non écrits » de Platon. Il était déjà clair qu'on peut en trouver des traces dans la philosophie classique et romantique allemande. Dans ses remarques sur Goethe, Novalis, Schelling et leurs proches, Steiner y a souvent fait référence. Il devient évident que le flot caché de la tradition ésotériquement fondée a influencé les événements culturels exotériques de la manière la plus diverse. Mais aussi la réaction à cet événement de culture exotérique sur la vie ésotérique est importante. L'historien catholique Gerd-Klaus Kaltenbrunner montre, par exemple, que la figure remarquable de Dionysius Areopagita montre comment, d'une part, chaque flux significatif de l'histoire de l’esprit/intellectuelle a un noyau ésotérique, comment il devient stérile sans ésotérisme, et, d'autre part, comment il devient rigide et stérile sans ésotérisme et comme, d'autre part, chaque ésotérisme a besoin d'un effet exotérique dans la vie culturelle générale, pour ne pas tomber dans une fantaisie délirante. 1

 

Devant ce riche panorama d'histoire de l’esprit, l'ésotérisme anthroposophique de Rudolf Steiner ne semble pas être un phénomène particulier exotique. Cependant, dans sa philosophie et surtout dans son fondement de la psychologie de la connaissance, il se distingue clairement de tous les courants liés à l'histoire de l’esprit. La « Philosophie de la Liberté » de Steiner peut être lue comme une œuvre profondément ésotérique; en même temps, elle se place fortement dans le champ de la discussion scientifique publique.


Il en va de même pour les écrits de Steiner sur Goethe, pour ses exposés fondamentaux sur la psychologie de la connaissance dans sa conférence au Quatrième Congrès international de philosophie à Bologne10 et pour son ouvrage principal sur la théorie de la science, le livre « Von Seelenräätseln / Des énigmes de l’âme » (1917, GA 21). Dans ce contexte, il est aujourd'hui plus facile de mieux comprendre qu'il y a quelques années, comment l'ésotérisme anthroposophique et le concept universitaire qui lui est associé se sont développés historiquement.

 

Rudolf Steiner a été doué dès l'enfance de capacités de perception suprasensibles. Ces capacités ont gagnée un fort approfondissement, comme il s'en souvient lui-même lorsqu’il a commencé à méditer régulièrement au cours de sa trente-sixième année, avant de déménager de Weimar à Berlin. Certes, il avait aussi déjà mené une vie de pratique méditative auparavant, du moins sous la forme d'un recueillement réflexif, déjà seulement lors du travail à ses écrits philosophiques. Mais ce qui se présenta maintenant conduisit beaucoup plus loin. « J'ai reconnu », écrit Rudolf Steiner rétrospectivement dans « Mon parcours de vie », « dans l'expérience de l’âme, l'essence de la méditation et sa signification pour les vue dans le monde spirituel ». Il compare cette découverte à un phénomène de métamorphose de l'évolution du monde animal. « La vie de l'âme atteinte a besoin de méditation, car l'organisme a besoin d'une respiration pulmonaire à un certain stade de son développement ».11 L'étape de développement que chaque être humain expérimente, qui ne prend pas seulement connaissance théoriquement de l'anthroposophie, mais applique à lui-même les exercices dont il est parlé dans les écrits de Rudolf Steiner avec l'intensité nécessaire, a été un événement central aussi sur le chemin intérieur du fondateur de l'anthroposophie. Cette étape importante n'a pas seulement conduit à une perception plus intense du monde physique et sensoriel, tel qu'il est décrit dans le chapitre 22 du livre « Le cours de ma vie », mais en quelques années à l'immense richesse des impressions du domaine du suprasensible-spirituel, qui se manifeste dans les transcriptions fragmentaires obtenues par nous de ses conférences ésotériques après le tournant du siècle et qui connait alors sa structuration conceptuelle fondamentale jusque dans la « science secrète

en esquisse » de 1909,.12

 

 Quiconque veut comprendre les efforts de Rudolf Steiner pour l’édification de l’Université libre de science de l’esprit dans son contexte aussi bien systématique qu'historique, est bien avisé d'examiner de près le processus extraordinaire de subordination conceptuelle d'une grande variété d'impressions de la vision suprasensible,  seulement accessibles pour nous de manière pressentie dont nous avons aujourd'hui comme résultat les écrits de base de l'anthroposophie. En cela nous aident particulièrement les explications de psychologie de la connaissance de Steiner dans son livre « Von Seelenräseln/Des énigmes de l’âme », avec lesquelles il a introduit non seulement son influence publique sur les rapports culturels dans l'année tournant de la guerre en 1917, mais aussi les deux grands courants de son activité spirituelle qui avaient été séparés jusqu'alors, la théosophique-ésotérique et épistémologique-philosophique, qui s'est développée à partir d'une « anthropologie » et d’une « anthroposophie », recherche sensorielle-empirique et suprasensible-spirituelle, croissante « philosophie sur l’être humain » rassemblée. Ici est d’une grande aide – à côté de la psychologie de la représentation dans sa relation à la vision suprasensible, développée dans le chapitre introductif - l'étude de la discrète quatrième annexe de cet écrit : « Une caractéristique importante de la perception spirituelle ». Steiner explique ici à quel point il est important de se rendre clair que seules des perceptions sensorielles peuvent être mémorisées. Les perceptions surpra-sensorielles devront toujours être suscitées à nouveau. Il en résulte des points de vue utiles pour les êtres humains qui veulent suivre les chemins anthroposophiques d’exercice. Steiner écrit en résumant, « c'est tout de suite gagner beaucoup pour un rapport conscient correct de l’âme au monde spirituel, que l’on s’exerce soigneusement pour la connaissance des différences qui apparaissent dans la vie de l'âme avec une certaine finesse :
1) les processus de l'âme qui mènent à une perception spirituelle;
2) les perceptions spirituelles elles-mêmes ; 
3) Les perceptions spirituelles transposées en concepts de la conscience ordinaire »13

 

Qui en s’exerçant rend cette distinction claire devient attentif à une tendance très répandue dans la vie anthroposophique du présent: une tendance à lire les représentations du grand maître d'une manière plus tangible qu'elles ne sont pensées14. On n'a même pas à penser aux représentations populaires répandues sur les êtres et les processus du monde spirituel-supra-sensoriel, qui se réfèrent aux représentations ésotériques originelles de Rudolf Steiner, mais qui ont perdu tout caractère ésotérique et sont devenues un panoptique coloré de la matérialisation inadmissible des faits. Dans sa description du déclin de la culture médiévale au XIVe/XVe siècle, l'historien hollandais Johan Huizinga a déterminé comment les œuvres-images spirituelles et spirituellement perméables du monde chrétien de la foi, ainsi que les formes symboliques de pensée sur lesquelles elles se fondent, se sont excessivement consolidées à la fin de la période de décadence et ont pris un caractère presque mécanistique15.

La même chose ne s'applique-t-elle pas à bien des égards aux formes contemporaines d'expression de l'anthroposophie? Maintes d'entre elles sont aujourd'hui très éloignées de la réalité vivante de l'expérience spirituelle, comme elle nous parle par exemple à partir des dessins de tableau de Rudolf Steiner : structures germinatives, colorées et ouvertes dont nous ne nous sentons à aucun endroit figés dogmatiquement, mais plutôt stimulé pour observer, penser plus loin, réfléchir et faire des recherches. Comme pour les structures linguistiques mantriques créées par Steiner, ses drames-mystères et les nombreux passages spirituels de son œuvre de conférence, il s’agit de « représentations limites », au sens du livre « Des énigmes de l’âme », domaine de l’expression spirituelle, duquel nous sommes mis au défi de laisser derrière nous toutes les images et les pensées qui sont liées à nos sens. Dans cette optique, nous devrions rester conscients de la validité limitée de toutes les déclarations sur des faits ésotériques à l'origine, qui sont fixées dans la terminologie liée au sens. Tout ce nous avons aujourd'hui devant nous d’explications sur le « monde spirituel » sous forme écrite, souvent renforcé en plus par l’impression ou par des média électroniques, du leg de Steiner, sont, au sens du livre « Von Seelenräätseln » (« Des énigmes de l’âme »),  - « des perceptions spirituelles traduites en concepts de la conscience ordinaire », pas ces perceptions elles-mêmes.

En même temps, les heures d'enseignement de l’université libre par une science de l’esprit peuvent être comprises comme des tentatives d'attirer l'attention des auditeurs sur « les processus de l'âme qui conduisent à une perception spirituelle ». Rien de plus. En aucun cas les textes enregistrés ne transmettent en tant que tels la réalité de l'expérience suprasensible-spirituelle.



1 Röschert 1997.

2 GA 36 (1961), P. 85.

3 Résumé Dietz 2008: Hanegraaff 2006 et Goodrick-Clarke 2008 donnent un aperçu détaillé de l'état actuel desrecherches.

4 Faivre/Zimmermann 1979, Vickers 1984, Neugebauer-Wölk 1999.
5 Liedtke 1996.

6 Neugebauer-Wölk 1999, Simonis 2002, Assmann 2010.

7 Dans « Histoire générale de l'humain » de Rudolf Steiner, ce motif apparaît dans ladixième conférence comme une image de méditation sur la relation de la tête humaine à la « sphère » infiniment lointaine de l'univers, dans le « Coursde pédagogie curative » comme méditation centrale du cercle-point. Pour sa signification ésotérique dans l'œuvre de Rudolf Steiner, voir Wiesberger 1997,pp. 325 et suivantes.

8 Szlezâk 1993, Schefet 2001.

9 Kaltenbrunner 1996, p. 438 et suivantes.

  10 Fondements psychologiques et position épistémologique de l'anthroposophie (GA 35,1965,5.111-144).

11 GA 28 (2000), 5,323.

  12 Daniel Hartmann a décrit en détail les efforts incessants de Steiner pourclarifier les aspects linguistiques et conceptuels des résultats de ses recherches spirituelles en utilisant l'exemple du livre « Theosophie »(Steiner 2004, préface et épilogue). Fondamentale au problème de l'expression linguistique des perceptions psychiques en 2001 et Sam 2004.
  13 GA 21 (1976), VOIR 143.

14 Cf. les remarques de Rudolf Steiner dans la neuvième classe sur les attentes déçuesde nombreuses personnes concernant l'expérience du monde spirituel (GA 270/1, p. 169). Pour de plus amples renseignements, veuillez également vous reporter àjanvier 2001, p. 21.

15 Huizinga 1975, chapitre XV, p. 285 et suiv.