Rudolf Steiner - Un opposant à l'antisémitisme et au nationalisme
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Rudolf Steiner - Un opposant à l'antisémitisme et au nationalisme

Gerard Kerkvliet

4/2000

            

Rapport de la Commission "L'Anthroposophie et la question de la race"

Zeist/Driebergen, Pays-Bas, 1er avril 2000: Ce samedi 1er avril 2000, la Commission sur "L'Anthroposophie et la question raciale" a rendu son rapport final au Conseil de la Société Anthroposophique aux Pays-Bas. Dans son rapport final, la Commission réitère les conclusions de son rapport préliminaire de février 1998, à savoir que l'oeuvre de Rudolf Steiner (1861-1925) ne contient ni doctrine raciale, ni déclarations, faites dans le but d'insulter des personnes, ou groupes de personnes, à cause de leur race, et qui pourraient donc être qualifiées de racistes. Selon l'avis de la Commission, l'oeuvre complète de Rudolf Steiner contient effectivement un certain nombre de déclarations qui, d'après les critères actuels, sont de nature discriminatoire et pourraient être ressenties comme telles.

La Commission a examiné et évalué 245 citations au total, extraites des 89 000 pages de l'oeuvre complète de Rudolf Steiner; parmi elles, 145 avaient déjà été mentionnées dans le rapport préliminaire. C'est plus de vingt fois le nombre des déclarations reprises par les médias au sujet de l'Anthroposophie (approximativement une douzaine). Cette grande différence dans le nombre de citations, est déjà le signe que ce débat, qui s'est ouvert sur la question de savoir si l'Anthroposophie renferme du racisme et de la discrimination raciale, a été mené sur la base d'une information grossièrement incomplète. Cette imperfection a abouti à une image faussée - au sens négatif – à la fois des idées de Steiner et de la réputation du Mouvement Anthroposophique en Hollande aujourd'hui.

La Commission conclut que ces seize citations, si elles étaient reprises en public par une personne de sa propre autorité, pourraient représenter une violation de la prohibition de la discrimination raciale reprise dans le Code Criminel des Pays-Bas. L'article approprié dans le Code criminel suit de près l'article 1 de la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Quatre citations supplémentaires ont donc été retenues, qui viennent s'ajouter aux douze identifiées comme discriminatoires dans le rapport préliminaire. Comme cela est rapporté dans l'Autobiographie de Steiner, l'une d'entre elles avait été ressentie, déjà à son époque, comme choquante par une personne juive en relation avec Steiner.

Le Commission considère à nouveau que toute insinuation à propos d'un racisme qui ferait partie inhérente de l'Anthroposophie, ou que Steiner aurait conceptuellement préparé la voie à l'Holocauste, s'est révélée être catégoriquement fausse. En fait, l'investigation menée par la Commission montre qu'au début de l'année 1900, Steiner s'exprimait et écrivait clairement en mettant en garde contre le danger de l'antisémitisme, y compris dans le périodique de l'Association allemande contre l'antisémitisme qui existait à cette époque.

Égalité

La Commission souligne que le concept de Rudolf Steiner sur l'être humain est basé sur l'égalité de tous les individus, et non sur quelque supériorité supposée d'une race sur une autre. L'Anthroposophie est diamétralement opposée au darwinisme social, dans lequel l'idée d'une survie du plus adapté mène à la domination de la race la plus forte. Dans la vision sociale de Steiner, l'idée centrale est un effort cosmopolite vers une seule humanité, sans aucune distinction de races ou de peuples. Dans le rapport final, cet aspect a été traité en détail dans un nouveau chapitre traitant de la conception de Steiner sur le droit international et l'autodétermination des peuples.

Cette étude a été réalisée sous le mandat de la Société Anthroposophique en Hollande, par une commission présidée par le juriste Dr. Th. A. van Baada. La raison de cette étude fut l'apparition de publications dans les médias sur une prétendue doctrine raciale chez Rudolf Steiner et la crainte que cette doctrine eût pu entraîner des répercussions sur l'enseignement au sein des écoles Waldorf. La question clef était de savoir si Rudolf Steiner enseignait une doctrine raciale, c'est-à-dire, selon les termes de la Commission: "une théorie apparemment scientifique sur la base de laquelle, on suppose que la supériorité d'une race est légitimée au détriment des autres." De plus, le rapport discute la présence éventuelle de citations dans l'oeuvre, signalant une discrimination raciale, et la manière dont on a traité le thème de la race et des peuples pendant des années en pédagogie Waldorf. Le rapport final, qui comprend 720 pages et représente à peu près quatre ans de labeur, prête aussi attention à la question de savoir si l'oeuvre des disciples hollandais de Steiner renferme des éléments de discrimination raciale ou non.

À l'issue de la première phase d'études, la Commission était déjà en mesure de parvenir à une conclusion concernant les questions les plus importantes. Lors d'un événement largement annoncé, le 4 février 1998, la Commission proclama qu'il n'y avait aucun fondement aux accusations selon lesquelles l'oeuvre de Rudolf Steiner renfermerait une doctrine raciale ou des déclarations faites dans l'intention de nuire à la dignité de personnes ou de groupes de peuple, sur la base de leur race.

Quant à la pédagogie Waldorf, la Commission a conclu, en parfait accord avec le jugement antérieur des inspecteurs du Ministère de l'Éducation Hollandais (Onderwijsinspectie), que le racisme n'y existe absolument pas. Cependant, la Commission reconnaît bien l'existence, jusqu'à il y a peu, de stéréotypes coutumiers du thème de l'ethnologie, qui pourraient conduire à une discrimination et qui doivent être empêchés. Comme cela a été antérieurement notifié, les Écoles Waldorf ont pris des mesures contre cet état de fait en 1995 et les ont complétées en 1998 par leur propre code antidiscriminatoire, assorti d'une commission indépendante qui en vérifie la conformité.

Seize citations

Vu que 70 à 100 ans se sont écoulés, la Commission n'était pas capable d'analyser les contenus de l'oeuvre de Steiner vis-à-vis de la législation antidiscriminatoire hollandaise d'une manière directe. Elle a donc posé la question de savoir quel serait le résultat d'une telle analyse si quelqu'un faisait publiquement état de ses citations? Après tout, l'oeuvre rassemblée de Steiner continue de représenter pour beaucoup de gens une source d'études et d'inspiration. C'est la raison pour laquelle la Commission ressentait l'intérêt d'examiner dans leur contexte tous les passages concernant le thème de la race dans l'oeuvre complète de Rudolf Steiner. Le principal objectif de ce processus étant de parvenir à une réponse claire à la question de savoir s'il y avait des citations qui, si quelqu'un les adoptait actuellement comme son propre point de vue, en les enseignant ou autrement en les communicant à d'autres, violeraient la prohibition de la discrimination.

Pour son rapport préliminaire, la Commission a sélectionné 145 citations, dans l'ensemble de l'oeuvre de Steiner, abordant le concept de race et, plus particulièrement, les Noirs et les Indiens américains. Pour le rapport final, 100 autres citations furent ajoutées sur les Blancs, les Juifs et les Asiatiques, portant ainsi le total à 245. Les nouvelles citations sont subdivisées en trois catégories, de la même façon que dans le rapport intérimaire. Le groupe 1 rassemble celles qui, selon l'avis de la Commission, sont de nature discriminatoire, selon le droit hollandais courant. Le contenu, ou la formulation utilisée, est tel qu'un auteur actuel ferait preuve d'une sérieuse discrimination s'il en faisait état ou les publiait comme relevant de sa propre opinion. En le faisant, il commettrait vraisemblablement un acte illégal dans le cadre du Code Criminel des Pays-Bas. Il existe seize citations de cette nature.

La commission a considéré ces citations comme étant soit imprudentes, problématiques ou gravement discriminatoires. La dernière de ces qualifications étant appliquée à la citation selon laquelle en lisant un roman sur les Noirs, une femme enceinte  blanche mettrait au monde un mulâtre. Des quatre citations nouvellement ajoutées à la liste, l'une se rapporte aux Noirs, une autre aux Asiatiques et les deux autres aux Juifs.

La Commission recommande d'annoter ces passages, ainsi que ceux du groupe 2, dans l'oeuvre rassemblée de Rudolf Steiner. Ce second groupe consiste en déclarations qui ne sont pas nécessairement discriminatoire en l'an 2000, mais qui sans une interprétation correcte, pourraient facilement créer des malentendus. Elles pourraient également être ressenties comme légèrement discriminatoires, par exemple, à cause du choix des mots, habituels à cette époque-là, ou par l'usage de la terminologie anthroposophique. Dans le rapport provisoire, il y avait 50 citations classifiées de cette façon; le rapport final en contient 67. Le groupe 3 renferme un total de 162 citations qui ne révèlent pas d'aspect discriminatoire et qui n'ont pas besoin d'interprétation.

Changements dans le sens, la signification

Les auteurs et les conférenciers actuels, qui basent leurs propres points de vue  sur les idées de Steiner, habituellement des Anthroposophes, endossent une certaine responsabilité. Ils doivent être conscients du fait que certains termes ou certaines phrases, même s'ils ont été employés par Steiner d'une manière descriptive, possèdent aujourd'hui une charge émotionnelle et peuvent être éprouvées comme discriminatoires. C'est là une responsabilité vis-à-vis des lecteurs et auditeurs actuels, incluant les membres de minorités ethniques.

À cause de l'évolution du langage, beaucoup de mots ont développé une signification différente au cours du temps et il se pourrait que le contenu d'une citation faite par Steiner changeât s'il était répété mot pour mot aujourd'hui. Si un choix donné de termes est simplement répété, le résultat peut placer Steiner sous un jour défavorable. Par exemple, le passage où Steiner disait que les Nègres sont également des êtres humains, répété tel quel par un contemporain, deviendrait une citation gravement discriminatoire. Cependant, dans l'Europe de la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, il n'était pas du tout évident que des peuples ou races non-européens eussent été considérés comme faisant partie de la même humanité que les Européens. Vu à la lumière de sa propre époque, un tel passage témoignait probablement d'une attitude d'émancipation plutôt que de discrimination.

Juifs et sionisme

L'une des catégories d'idées et de citations de Steiner étudiées par la Commission est celle regroupant les affirmations sur les Juifs et le sionisme. Cette partie de l'étude montre Steiner s'opposant à la réunion  des concepts de "race" et "peuple" à celui de "nation". C'est pourquoi il s'opposait à la fondation d'états ethniquement homogènes et se retournait contre le sionisme nationaliste pour raison de principe. Mieux, il soutenait énergiquement l'assimilation des Juifs au sein d'une seule culture européenne, fut-elle différentiée. «Être juif », c'était pour lui une question de religion appartenant à l'individu et à la liberté culturelle, mais non le fondement d'un état-nation.

D'autre part, l'étude fournit une compréhension de la manière dont des déclarations de Steiner sur les Juifs et le sionisme ont contribué à faire naître malentendus et critiques. En 1897, Steiner rédigea un écrit polémique personnel et vif contre le sionisme et ses fondateurs Herzl et Nordau dans le "Magazin für Literatur". Il les accusait d'exagérer la montée de l'antisémitisme de cette époque et de l'utiliser pour leur propres ambitions politiques, tandis qu'au même moment, des pogroms en Russie déclenchaient l'arrivée de flots de réfugiés en Allemagne et en Autriche. Puisqu'en fait, il utilisait cet essai afin de faire valoir sa vision de l'assimilation, abordée aussi dans quelques-uns de ses autres ouvrages, la Commission est d'avis que cet essai ne peut absolument pas être utilisé pour accuser Steiner d'antisémitisme, même si, en ce temps-là, il avait sous-estimé le danger de ce  phénomène. Néanmoins, la Commission conclut que, de nos jours, après le traumatisme de l'Holocauste, l'incapacité de Steiner à reconnaître la force de l'antisémitisme de son temps et la manière dont il a formulé ses vues peuvent être perçues comme hautement discriminatoires. D'où la classification de ce passage dans le groupe 1.

C'est aussi vrai pour un passage se trouvant dans un article du jeune Rudolf Steiner (il avait 27 ans) sur la place des Juifs dans l'histoire mondiale. Dans une critique de livre, en 1888, Steiner discutait du principe de ségrégation et des Juifs en tant que société isolée et fermée au sein de l'Europe, comme élément d'une argumentation plus large dans laquelle il soulignait l'influence favorable exercée par le Judaïsme sur la culture européenne. La phrase, dans laquelle il parlait du Judaïsme "ayant survécu à lui-même" est la suivante: "Le Judaïsme en tant que tel a longtemps survécu à lui-même et n'a plus de place légitime dans la vie moderne des peuples; le fait qu'il ait néanmoins réussi à se survivre est une aberration dans l'histoire du monde dont il a à assumer les conséquences."
À la consternation de Steiner, son propre patron – l'homme aux enfants duquel il donnait des cours à cette époque – perçut cet article comme offensant à l'égard des Juifs. Pour cette raison, la Commission considère comme correct le fait que le biographe de Steiner, Christophe Lindenberg, ait qualifié cet incident de "déraillement" ("Jumping off the track" ou "Entgleisung"). La Commission elle-même conclut que la phrase en question est en fait une formulation "excessivement tranchante" qui exprime réellement une position assimilatrice. La Commission écrit: « Ces jours-ci, dans l'ère qui a suivi l'Holocauste, cette formulation ne peut évidemment plus être employée légitimement. La Commission considère ces termes, s'ils étaient utilisés aujourd'hui, comme fortement discriminatoires à l'égard des Juifs ».

Sous-estimation de l'antisémitisme à l'origine

À la fin du 19ème siècle, Rudolf Steiner était un opposant plein d'enthousiasme aux projets qu'avait formulés Théodore Herzl de donner une structure conceptuelle politique au sionisme. Plus tard, il développa cette opposition dans le cadre d'une critique cohérente de la fondation d'états sur la base du droit à l'autodétermination des peuples. De manière différente, comme le souligne la Commission, Steiner et son contemporain Herzl, tous deux jeunes intellectuels, partageaient des vues virtuellement identiques à maints égards. Tous deux appuyaient l'émancipation des Juifs, tous deux manquaient de considérer l'antisémitisme de la fin du 19ème comme dangereux, et tous deux furent choqués par l'affaire Dreyfus et convaincus de son innocence (correctement à ce qui a été prouvé par la suite).

La nouvelle documentation du rapport final montre que, bien que Steiner ait, au départ, gravement sous-estimé la vigueur de l'antisémitisme, il révisa son opinion autour de l'année 1900. À partir de 1901, il s'opposa sans équivoque à ce dernier, de la même manière qu'il proféra de sérieuses mises en garde contre la montée du nationalisme tout au long du reste de sa vie. Dans les années après 1900, alors que Steiner faisait partie d'un cercle d'artistes et d'intellectuels réunis autour de l'écrivain juif , récemment décédé, Jacobowski, il reconnut vraiment le danger de l'antisémitisme.

Dans une publication de cette époque, il admet ne pas s'être attendu à la persistance des sentiments antisémites parmi les étudiants et la bourgeoisie. Il pensait que de tels sentiments seraient progressivement perçus comme injustifiés et qu'ils devaient être dépassés. Cependant, sous  l'influence du politicien radical, Georg von Schönerer, ils ne se révélaient rien moins que des vestiges d'un passé révolu. De manière répétitive et sans équivoque, Steiner prit position contre l'antisémitisme, comme dans cette série d'articles intitulés: "Antisémitisme honteux" dans le bulletin du Verein zur Abwehr des Antisemitismus (Association contre l'antisémitisme).

Entre temps, il en était venu à considérer l'antisémitisme comme "un danger à la fois pour les Juifs et les non-Juifs"; "C'était une maladie culturelle" venant d'une attitude à laquelle on ne pouvait jamais assez s'opposer. Il est symptomatique du rejet constant de l'antisémitisme chez Steiner qu'en 1919, il avait déjà identifié le tristement célèbre "Protocoles des Sages de Sion" comme un faux accompagné d'intentions antisémites. Ce n'est qu'il y a deux ans que le journal britannique TheTimes en a apporté les preuves irréfutables. Il affirmait déjà constamment son opinion que l'époque de la diaspora juive était terminée et que le peuple juif, tout comme n'importe quel autre peuple, devait fusionner dans une nouvelle culture au sein de laquelle la haine raciale n'avait pas de place.

Égalité raciale

La Commission regrette que dans le débat sur le racisme, la conception sociale de Rudolf Steiner soit toujours oubliée. Selon Steiner, la fin du 19ème siècle a marqué le commencement d'une nouvelle ère. L'une des caractéristiques parmi les plus importantes de cette nouvelle ère, c'est l'élément cosmopolite, l'effort pour surmonter les tendances nationalistes et la discrimination raciale. C'est en partie pour cette raison, et également en réaction à la Première Guerre mondiale, que Steiner s'est activement consacré au développement d'une nouvelle vision de la société qu'il a désignée comme la "triple organisation sociale". Un point clef de cette conception sociale, c'est l'insistance que Steiner place dans la liberté de chaque individu, qui doit continuellement se débarrasser des anciennes formes de liens qui le rattachent au groupe (quel qu'il soit, N.D.T.).

Steiner voulait examiner les différences entre les races et, tout spécialement, les peuples, dans l'objectif de promouvoir une meilleure compréhension mutuelle. Concernant les races, il pensait que les différences raciales ne sont plus du tout d'époque. Dans sa participation aux débats qui ont suivi la Première Guerre mondiale sur l'organisation de la société, Steiner n'argumentait pas seulement en faveur de la diversité culturelle, mais aussi pour l'égalité de tous les peuples et les races, élevée au rang de principe universel. Il fit cela à une époque où l'égalité devant la loi n'allait pas de soi, même encore parmi les peuples blancs. En fait, la Conférence de la Paix à Versailles, après la Première Guerre mondiale, a rejeté la proposition d'inclure le principe de l'égalité des races dans l'Alliance de la Société des Nations.

Steiner s'opposait catégoriquement à toute tentative visant à unir les concepts de "races" et de "peuples" à celui de "nation". Dans ses critiques adressées au président Woodrow Wilson, et s'agissant aussi du concept d'autodétermination des peuples, Steiner lançait de sévères avertissements contre la montée du nationalisme. Il est remarquable, commente la Commission, que l'opposition de Steiner à la fusion des concepts de race et de nation n'ait jamais été introduite dans le débat public.

Steiner a argumenté à de multiples reprises contre Wilson, précisant que ce genre de droits à l'autodétermination mènerait à la xénophobie et à l'essor de nations ethniquement homogènes (par purification ethnique, N.D.T.). De plus, disait Steiner, Wilson n'a pas remarqué le fait que la question de ce qui constitue un "peuple" finirait inévitablement par tomber dans la sphère politique. Cela signifie que la question de savoir qui appartient à un certain peuple peut être soumise aux caprices de politiciens orientés sur le nationalisme, avec les affreuses conséquences potentielles que cela peut entraîner. Chaque fois que quelqu'un tente de répondre à la question de l'appartenance à une ethnie – et tout spécialement en recherchant qui n'en fait pas partie – cela dissimule le danger de l'aspiration à la "pureté du sang". Dans sa critique à l'égard de Wilson, Steiner a utilisé comme exemples les conflits ethniques dans la Yougoslavie nouvellement constituée d'alors.

La Commission affirme aussi qu'un autre facteur n'a pas été pris en compte dans les récents débats sur le racisme dans l'Anthroposophie. C'est le fait que dans sa substance même, l'Anthroposophie ne peut absolument pas être raciste. Elle n'inclut absolument aucune théorie de mutation ou de sélection concernant les races humaines. La question de savoir quelle race est "plus forte" ou "supérieure" est donc sans rapport. D'autre part, l'Anthroposophie inclut une idée de la réincarnation qui tient compte de la possibilité, détenue par le noyau spirituel et moral de l'entité humaine, de se réincarner dans différents corps (féminin/masculin, blanc/noir, etc.) dans le cours des siècles. Il n'y a donc pas d'objection contre le mélange des races, et on encourage au sein de l'Anthroposophie les échanges culturels parmi les différents peuples.

Examen des critiques

En plus de traiter considérablement du concept de race dans l'oeuvre de Rudolf Steiner, la Commission porte aussi une large attention à la manière dont ce concept a été abordé dans les discussions entre Anthroposophes et non-Anthroposophes ces dernières années. À ce propos, un certain nombre de publications critiques sur le sujet ont été examinées, ainsi que toutes les  remarques qu'a pu faire le Conseil de la Société Anthroposophique en Hollande qui aurait pu, ou qui aurait même semblé refléter des aperçus incorrects. L'une des productions médiatiques examinées fut l'épisode de la série appelée "Racisme avec Charisme" (1996) du programme de radio "Le bénéfice du doute" retransmis par la Fondation Humaniste de Radiodiffusion (Omroep Stichting). Des passages d'une interview du vice-président à l'époque de la Société Anthroposophique hollandaise, C. Wiechert, diffusés dans ce programme, représentaient le motif originel de l'étude en cours.

Dans son examen des deux publications critiques, la Commission  réfute les accusations dans la mesure où celles-ci se réfèrent à une doctrine raciale, au racisme, et à l'Anthroposophie en tant qu'idéologie apparentée au national-socialisme. De telles allégations, déclare la Commission, sont constamment basées sur un exposé incomplet et inexact des idées de Rudolf Steiner. Il est caractéristique que le concept de race apparaît à 245 reprises, au moins, dans l'oeuvre complète de Rudolf Steiner, alors que ces émissions n'ont référencé qu'à peine une douzaine de citations – et en les prenant souvent en dehors de leur contexte – pour étayer leurs jugements et conclure que  l'Anthroposophie serait censée être raciste. Et il est parfaitement inexact de dire que Rudolf Steiner a été un partisan de l'espèce de darwinisme social mentionné plus tôt.

Dans cette partie, la Commission traite en détail les critiques portées à l'égard de l'Anthroposophie comme étant apparentée à l'idéologie du national-socialisme, ainsi que de son absence de prise de position contre les nazis dans les années trente. Concernant la première critique, la Commission note qu'il n'y a pas de relation inhérente entre l'Anthroposophie et toutes les idéologies basées sur le racisme ou l'antisémitisme. Les idées de Rudolf Steiner exposant que les différences raciales n'ont aucune importance pour l'avenir, et que le préjudice racial, tout comme le nationalisme, doit être surmonté, sont diamétralement opposées au type d'idéologie "du sang et du sol" des nazis. Ces différences sont clairement démontrées par le fait que la Société Anthroposophique a été interdite en 1935.

Outre ce point fondamental, la Commission reconnaît cependant l'éventualité de critique justifiées concernant certaines relations historiques entre quelques Anthroposophes et nazis. Comme cela ressort d'un étude récente de l'historien Uwe Werner (L'Anthroposophie à l'époque du national-socialisme, 1999), de telle relations ont bien existé. Selon la Commission, l'histoire montre que l'appartenance à la Société Anthroposophique n'offre pas la garantie que quelqu'un agisse toujours en s'opposant énergique contre le racisme et les idées fascistes. D'autre part, des Anthroposophes ont aussi pris part à la résistance, ce que la Commission souligne plutôt simplement comme un fait, et non comme une excuse.

À ce propos, la Commission rappelle à ses lecteurs le fait que, si la Société Anthroposophique fut interdite en 1935, il y eut effectivement des Anthroposophes parmi ceux qui firent des compromis avec les nazis, tels que, par exemple, la confirmation officielle par le Comité directeur de la Société Anthroposophique Générale de l'origine "aryenne" de Rudolf Steiner. La Commission reconnaît la critique selon laquelle l'Anthroposophie n'a pas résisté de manière énergique au nazisme. En effet, le Comité directeur de la Société Anthroposophique Générale n'a pas élevé de résistance contre ce régime, un fait qui "naturellement est des plus regrettables". La Commission déclare que plus d'investigations sont requises sur ce sujet, et que tout cela devrait être une incitation à la vigilance vis-à-vis de toutes formes d'idées racistes et fascistes, également à notre époque.

Pas de défense véritable

Comme exemple évident d'un exposé incomplet des idées de Rudolf Steiner, la Commission mentionne la manière dont les citations étaient utilisées dans le programme radiodiffusé cité plus haut. À l'aide d'un mélange de citations incomplètes, grièvement mal interprétées, voire inexistantes, la suggestion a été faite que Rudolf Steiner aurait justifié l'extermination des Indiens d'Amérique sur la base d'une prétendue "nécessité cosmique". Le fait que ces termes et idées lui aient été faussement attribués est prouvé par nombre de citations dans lesquelles Steiner condamne énergiquement l'extermination des Indiens par l'homme blanc. Ces dernières citations n'ont pas été signalées dans le programme en question.

Toujours au sujet de ce programme, la commission pense que le Vice-président de cette époque a manqué une occasion importante, dans sa défense de Steiner contre les accusations de racisme, de retirer ou de compenser une allusion qu'il a faite sur la vitalité des footballeurs noirs. La Commission caractérise cette allusion comme " notablement imprudente". "Elle en a conclu qu'il souhaitait exprimer quelque chose de positif, et même si les termes qu'il a employés n'impliquent pas de discrimination dans le sens du droit, il en a quand même fait "un choix malheureux."
La Commission critique aussi le créateur du programme "Racisme avec charisme". Selon elle, les contributions critiques dans l'émission étaient basées sur la notion préconçue que les citations de Steiner étaient très désagréables; que le respect des Anthroposophes à l'égard de Steiner était sectaire; et que le mouvement anthroposophique et les écoles Waldorf devaient désavouer les citations en question. À cause de l'emploi injustifié du terme de racisme et du placement de cette interview dans le contexte du sectarisme et sous le jour d'une justification de génocide (des Indiens d'Amérique), la Commission a l'impression que le Vice-président fut traité de manière "incorrecte".

Dans un sens plus général, la Commission critique la manière dont le mouvement anthroposophique s'est occupé des allégations de racismes. Le fait est avéré que de 1986 à 1996 approximativement, outre le précédent vice-président, il y avait eu trois autres Anthroposophes qui avaient été accusés de faits graves et aucun d'entre eux n'avait élevé de défense véritable. À cause de cela, commente la Commission, le débat public n'a exposé qu'un côté de l'affaire: celui de l'accusation. Elle a aussi relevé que même le Conseil de la Société Anthroposophique en Hollande n'a mis en oeuvre aucune stratégie coordonnée pour se défendre contre les allégations avancées. En conséquence, la Commission a le sentiment que ces accusations ont probablement eu un effet d'autant plus "nuisible" que ce n'eût été le cas, si on avait procédé à une défense énergique contre elles.

"Indignation sélective"

En conclusion, la Commission souligne de nouveau qu'il n'est presque jamais arrivé en Hollande que des publications, aussi anciennes que celles de Rudolf Steiner, aient fait l'objet d'un examen aussi strict que celui dont elle fait état dans son rapport. Le nombre de pages examinées comportant des citations qu'on peut ressentir comme discriminatoires de nos jours, représente moins de 0,05% de l'ensemble des 89 000 pages de la totalité des oeuvres de Rudolf Steiner. L'Anthroposophie et le darwinisme social sont diamétralement opposés l'une à l'autre. Les insinuations d'un racisme inhérent à l'Anthroposophie, ou arguant que Rudolf Steiner aurait  conceptuellement aidé à préparer la voie de l'Holocauste se sont révélées catégoriquement fausses. La Commission a la nette impression que, comparé aux autres auteurs du 19ème siècle et ceux précédents la Seconde Guerre mondiale au 20ème, tels que Hegel ou Albert Schweitzer, Rudolf Steiner est devenu la victime d'une "indignation sélective".

Résumé de presse de la Commission néerlandaise sur
"L'Anthroposophie et la question de la race" - 
(Traduit de l'anglais par Daniel Kmiécik)

C'est là un bref résumé des 720 pages du rapport de la Commission "L'Anthroposophie et la question de la race". Il est exclusivement réalisé à l'attention des médias. Les personnes qui désirent l'étudier plus scientifiquement sont priées de se reporter au rapport original publié par la Société Anthroposophique en Hollande. Le rapport original peut être commandé en adressant la somme de 85 $US à la Société Anthroposophique des Pays-Bas, Boslaan 15, N-3701 CH Zeist, Pays-Bas, Compte chèque postal n°9716. Mél pour informations complémentaires: secretariaat@antrop-ver.nl

Captur par MemoWeb  partir de http://www.triarticulation.org/essays/2000-04-001.html  le 16/10/2011