Français
seulement
La connaissance de l’être suprasensible de
l’homme
et la tâche de notre époque
Ulm, 22 juillet 1919
Lorsque
l’homme
considère la nécessité actuelle, la misère
actuelle, il
s’interroge sur les causes et le plus souvent
il recherchera ces
causes dans des circonstances extérieures. Il
regardera d’abord en
arrière, vers ces quatre ou cinq années qui
viennent de s’écouler
et qui furent riches en souffrances. Mais il
deviendra peut-être peu
à peu attentif au fait que ces quatre ou cinq
années, qui furent si
douloureusement traversées, s’étaient
préparées depuis
longtemps, depuis des décennies et même en
effet depuis des siècles
dans l’évolution de l’humanité au temps
modernes, de la même
manière qu’un orage, par exemple, se prépare
dans la chaleur
étouffante d’une journée entière, sans que son
approche soit
remarquée, avant soudain d’éclater. Mais même
ces hommes-là,
qui prennent en compte, en remontant loin en
arrière, les causes
originelles de notre détresse actuelle et de
notre misère dans
cette époque, tourneront plus ou moins les
yeux sur les contextes
extérieurs des choses. Ils penseront de même à
des situations
extérieures, quand il s’agira de sortir de la
confusion et du
chaos de notre époque, ils penseront à des
mesures extérieures et
à des institutions extérieures.
Certes,
pour
l’essentiel, on a raison d’avoir cette manière
de voir.
Dans quelle mesure on a ainsi raison, c’est ce
que j’ai tenté
moi-même d’exprimer dans la conférence sur les
problèmes sociaux
qu’il me fut permis de tenir ici, à Ulm, voici
quelques semaines.
Mais il y a encore un autre aspect à la
manière de considérer ces
choses. Il suffit seulement de devenir
attentif à un phénomène
d’époque très significatif, en rapport à notre
vie humaine
intérieure, à notre vie d’âme humaine
actuelle. Nous
ambitionnons, dans le sens que j’ai justement
indiqué et à bon
droit, une organisation sociale des conditions
extérieurs de vie,
comme celle qui était échue à l’humanité des
derniers trois ou
quatre siècles. Mais n’est-il donc pas
perceptible que nous
aspirions à cette organisation sociale à
partir d’une disposition
de l’âme humaine toute singulière? Ne
remarquons nous donc pas,
qu’au fond, les âmes humaines du présent sont
partout traversées
de pulsions antisociales, d’instincts
antisociaux, avec une
possibilité plus restreinte de se comprendre
mutuellement? Et à
partir de ces états d’âmes anti-sociaux, et
d’autant plus
qu’ils existent, nous devons nous efforcer à,
une organisation
plus sociale des conditions extérieures de la
vie que celles qui ont
apporté, durant les trois ou quatre derniers
siècles, les pulsions
antisociales de notre vie humaine actuelle.
Quand on considère la
question dans cette direction, on découvre
alors comment ces
instincts antisociaux du présent dépendent à
vrai dire du fait que
nous avons perdu la voie qui mène à la nature
essentielle et la
plus intime de l’être humain, celle qu’à la
vérité tout homme
pressent en lui, quand bien même plus ou moins
clairement, ou
simplement par instinct, obscurément: la
nature suprasensible de
l’être humain. Aussi étrange que cela
paraisse, les hommes
aujourd’hui ne savent pas exactement et ne
prennent pas conscience
de ce dont a soif la nature profonde et
obscure de leur âmes.
Celle-ci est altérée d’une connaissance du
noyau suprasensible de
l’essence humaine. Et dans les difficultés que
rencontre
aujourd’hui justement notre époque, pour
progresser dans une
connaissance satisfaisante de ce qui est le
plus profond dans
l’essence de l’homme — dans ces difficultés,
reposent bien
davantage de choses très fondées de ce qui
s’expriment
extérieurement dans la confusion et le chaos,
que les hommes ne
veulent encore l’admettre aujourd’hui.
Beaucoup d’hommes
trouvent à vrai dire que la question, dont je
suis en train de
parler ici, doit trouver sa réponse d’une tout
autre manière que
celle qu’elle trouvera au moyen de ce dont
j’aurai à vous parler
ce soir.
Étant
donné
que j’ai à expliciter cette question du point
de vue de la
science spirituelle d’orientation
anthroposophique, je ne serai pas
en situation de vous la résoudre d’une manière
commode, de cette
manière-là, à laquelle aspirent ardemment
beaucoup d’hommes
d’aujourd’hui et qui est très affectionnée
dans les plus vastes
milieux de l’humanité. Quand on parle
aujourd’hui aux hommes des
montagnes lunaires et de l’art et de la
manière dont on se
renseigne, au moyen d’instruments physiques,
au moyen de mesures
physiques, sur les montagnes lunaires, alors
on croit que
l’appropriation du savoir au sujet des
montagnes lunaires doit être
effectivement bien compliquée. Alors, l’homme
fait un effort sur
lui-même et admet bien que l’on ne puisse pas
progresser si
commodément dans la connaissance, disons, des
montagnes lunaires ou
des satellites de Jupiter ou autres choses
analogues. Mais quand il
s’agit du monde suprasensible, lorsqu’il
s’agit de l’existence
suprasensible de l’être humain lui-même, alors
les plus vastes
milieux se comportent aujourd’hui encore tout
autrement. Alors on
trouve trop difficile d’en parler de la
manière dont j’aurai à
vous en parler aujourd’hui. Alors ces plus
larges milieux disent
même encore: plutôt que ce semblant de
connaissance scientifique,
mieux vaut la confession enfantine ou bien la
croyance enfantine dans
la Bible, pour en arriver à ces mondes
suprasensibles. — On se
prévaut seulement de ce que l’on trouve en
effet plus commode, de
cette simplicité enfantine, de cette
confession de foi ou bien de la
croyance dans la Bible, lorsqu’il s’agit de ce
qui est le plus
élevé, de ce vers quoi l’homme peut aspirer
ardemment sur le
cheminement de son âme, et l’on repousse ce
qui conduit l’homme
sur ce chemin d’une façon qui n’est pas si
facile. Mais les
hommes d’aujourd’hui ne voient pas encore
certaines relations
intérieures qui existent justement entre cette
aspiration ardente à
un cheminement spirituel commode et entre nos
instincts antisociaux
et les difficultés que nous avons à en sortir
de ces pulsions
antisociales. Saisirait-on quels rapports
existent entre ce qui est
dit ainsi aux hommes de la part de certain
côté sans cesse et ce à
quoi ils ont cru: vous pouvez au moyen d’une
foi ingénue et
enfantine rechercher les voies vers les mondes
suprasensibles —,
comprendrait-on quelle connexion existe entre
cette affirmation et
cette foi et entre ce qui se manifeste
aujourd’hui en pulsions
antisociales, alors on apprendrait à penser
autrement, à la vérité,
sur ce que trouvent les plus larges milieux
d’aujourd’hui comme «
cheminement commode dans les mondes
suprasensibles ».
Mais
ce
n’est pas à partir d’une lubie spirituelle
quelconque que la
science de l’esprit indique aujourd’hui un
autre cheminement à
l’homme moderne, mais elle lui montre ce
chemin parce qu’elle
ressent cela comme un engagement vis-à-vis de
ce que sont les
besoins de l’époque, et les tâches de l’époque
pour l’humanité
actuelle. Se reconnaîtrait-elle, cette
humanité actuelle,
rigoureusement au plus profond de son soi,
alors elle se dirait: pour
ce qui est de l’aspiration au suprasensible,
on ne peut plus être
satisfait des anciennes voies. Cela vit
aujourd’hui sous forme de
nostalgie dans de nombreuses âmes et la
science spirituelle
d’orientation anthroposophique veut aller à la
rencontre de cette
nostalgie.
L’être
humain
s’interroge bien aujourd’hui, comme on l’a
dit, plus ou
moins nettement, ou bien plus ou moins
inconsciemment, sur les
relations entre l’âme et le corps; quand il
n’en est pas déjà
carrément arrivé à nier ce qui relève de
l’âme, parce que sans
cesse des doutes se sont élevés en lui au
point d’en être las.
Mais, au fond, que sait-il, l’homme
d’aujourd’hui, de l’âme
et du corps ? Le corps, il l’observe en y
appliquant les sens,
l’intelligence extérieure physique ou bien,
pour ce qu’il ne
peut pas directement apprendre à connaître au
moyen des sens et de
l’intelligence, il se réfugie dans les
sciences naturelles qui
sont censées lui dire, par le truchement de
leurs investigations,
quelles sont les lois, quelle est la nature
intérieure de ce corps
physique humain. D’un autre côté, l’homme
remarque
intérieurement ce qu’il appelle son penser,
son sentir et son
vouloir. Cela fait l’objet pour lui d’une
expérience intérieure.
À ces penser, sentir et vouloir, il rattache
bien des nostalgies,
désirs et espoirs déterminés, il y rattache la
croyance que cette
intériorité, vivant dans le penser, le sentir
et le vouloir, n’a
pas seulement cette signification éphémère
pour le monde, qu’a
la vie du corps physique. Mais la question
surgit alors pour l’homme,
qui engendre de grandes incertitudes, cette
question c’est: quel
est le rapport entre ce que je perçois en mon
âme, en tant que
penser, sentir et vouloir, et ce que je vois
extérieurement, chez
moi et chez les autres, en tant que corps
physique extérieur, dont
les sciences naturelles veulent m’en expliquer
les lois et
l’essence ? Et quand l’homme ne peut pas
lui-même s’informer
sur ce rapport entre la vie de l’âme et celle
du corps, alors il
s’enquiert auprès de ceux qui, sur la base de
certains fondements
scientifiques, en retirent la possibilité de
faire des
investigations plus profondes sur ce rapport.
Et voyez un peu,
l’homme d’aujourd’hui, qui est déjà si prêt à
se laisser
expliquer tout par l’autorité scientifique,
doit alors constater
que dans cette question, peu de choses peuvent
être avancées par
les scientifiques qu’il a pourtant en si haute
estime. Prend-il
quelque chose en main, au sujet de ce que les
chercheurs ont raconté
sur ce domaine, alors en règle général il
trouvera qu’ils disent
autant de choses incertaines sur cette
question que lui-même en
porte en lui. On rencontre toutes les
hypothèses possibles, toutes
les présomptions possibles. Mais ce qui saisit
l’homme, au point
que s’il prend réellement une attitude,
exempte de préjugés, il
pourrait obtenir une impression de la vérité,
cela on le rencontre
peu aujourd’hui. Trouver cela, c’est ce que se
propose comme
tâche la science spirituelle d’orientation
anthroposophique.
Mais
on
ne peut pas avancer non plus sur le même
chemin, sur lequel on
parvient à la science extérieure, sur ce
chemin dont j’ai à vous
parler à présent en tant que science de
l’esprit, en tant que
réelle science de l’esprit. Représentez-vous
donc quelqu’un qui
voudrait vous parler des voies d’investigation
qu’il a empruntées
dans ses recherches sur la nature extérieure,
dans son laboratoire
de chimie ou de physique, ou bien dans son
hôpital. D’un tel
chercheur, qui peut croire à juste titre qu’il
est devenu un
spécialiste dans son domaine, vous entendriez
dire en règle
générale que c’est avec une certaine égalité
d’âme, une
disposition d’âme relativement neutre, qu’il a
progressé dans
sa recherche. Il n’y a pas beaucoup de choses
trépidantes à
découvrir sur les voies de la recherche
actuelle.
À
partir d’un tel sang froid, à partir d’une
telle équanimité
d’âme, celui-la, qui est parvenu à la
connaissance de l’entité
suprasensible de l’homme, ne peut pas vous
raconter quelque chose
de son propre cheminement. S’il doit vous
parler de ce qu’il a dû
traverser pour en arriver à ses connaissances,
alors il devra vous
parler d’efforts remportés sur soi, de combats
intérieurs de
l’âme, d’épuisements difficilement vécus, de
stations réitérée
au bord des abîmes du doute. Il aura à vous
raconter ce qu’il
aura dû surmonter à profusion pour en arriver
à ce qui donne des
éclaircissements sur le noyau véritable de
l’entité humaine
suprasensible. Car on ne parvient d’abord sur
le chemin de
connaissance de l’entité suprasensible de
l’homme, que si l’on
s’acclimate à tout ce que j’ai déjà indiqué:
quand le doute
s’élève au sujet de la question d’une relation
entre le corps
et l’âme, de sorte que l’on ressente, ce qui
peut véritablement
ne provenir que d’une certaine modestie
intellectuelle — alors
que la plupart des hommes d’aujourd’hui n’ont
pas du tout cette
modestie intellectuelle, mais font preuve au
contraire la plus
épouvantable morgue intellectuelle.
Mais
si
l’on s’efforce réellement, avec l’activité
ordinaire du
penser, avec toutes les forces habituelles de
l’âme dont on
dispose sinon dans la vie, d’approcher cette
question de la nature
de l’âme et du corps, alors on remarque peu à
peu que l’on doit
justement être modeste, que l’on ne peut pas
appréhender cette
question au moyen du penser humain ordinaire.
Et l’on parvient peu
à peu au moyen du vécu intérieure, de
l’expérience cognitive
intérieure, jusqu’au point où l’on se dit: Il
en va pour toi
avec ce penser humain et ce sentiment humain
ordinaires, vis-à-vis
du suprasensible, comme il en va pour l’enfant
de cinq ans avec ses
facultés lorsque, disons par exemple, il tient
dans sa main un
volume de poésies lyriques. Cet enfant ne sait
que faire avec ce
volume de poésies lyriques, quant à ce qui
correspond à l’essence
de ce volume de poésies lyriques. Nous devons
d’abord développer
progressivement ses facultés, alors il pourra
commencer à en faire
quelque chose, qui correspond à la nature de
cet ouvrage. Ainsi
doit-on se dire vis-à-vis des facultés du
penser dont on dispose
ordinairement dans la vie, vis-à-vis des
forces cognitives que l’on
a pour cette vie ordinaire: avec elles, tu ne
peux pas connaître
l’être véritable du monde et ta propre
existence; tu te tiens
d’abord face à cet être du monde et face à
cette essence de ta
propre existence, de sorte que tu peux aussi
peu en faire quelque
chose qu’un enfant de cinq ans face à un
ouvrage de poésie
lyrique.
Ce
n’est
que si l’on a développé cette atmosphère dans
son âme,
quand on a fait la conquête en soi de la
modestie naturelle, au
point de se dire: tu ne dois plus en rester à
la façon dont tu peux
penser maintenant, à la façon dont tu ressens
et tu veux maintenant
—, ce n’est qu’alors que l’on se trouve au
point de départ
du cheminement qui mène dans les mondes
suprasensibles. Car celui
qui a à dire quelque chose sur les mondes
suprasensibles, ne doit
pas seulement s’exprimer sur autre chose que
sur les monde sensible
extérieur, mais il doit le dire d’une autre
manière. Mais cela
veut dire: on peut seulement devenir
investigateur de l’esprit que
si l’on prend d’abord soi-même en main ce dont
on dispose pour
la vie quotidienne ordinaire et pour la
science habituelle en tant
que facultés du penser et de la connaissance.
Comme l’enfant est
éduqué par d’autres, comme les facultés de
l’enfant sont
développées par d’autres en lui, l’on doit
prendre soi-même en
main ses facultés intérieures de l’âme, et
d’abord ses
facultés du penser, et les développer plus
loin en partant du point
où le penser se met à vivre de lui-même.
Dans
mon
ouvrage: « Comment acquiert-on les
connaissances des mondes
supérieurs? » j’ai décrit tous les
détails — ces détails
à organiser et coordonner systématiquement,
par lesquels l’homme
peut prendre lui-même en main sa faculté du
penser, par laquelle il
peut développer cette faculté à partir du
point où il se trouve
dans la vie ordinaire et dans la science
ordinaire.
Ce
soir,
à cause de la brièveté du temps qui m’est
imparti, je ne
pourrais que vous en présenter les principes.
Je ne pourrai que vous
indiquer comment on peut développer ce penser,
que l’on prend
soi-même en main, et le faire toujours
progresser. Pour cela, la
condition suivante est nécessaire: lorsqu’on
veut se renseigner
sur la nature extérieure physique de
l’être humain, comme je
l’ai dit précédemment, on s’informe auprès des
sciences
naturelles. Eh bien!, ces sciences naturelles
ne doivent pas être
discréditées. L’investigateur du spirituel
reconnaît pleinement
les grands triomphes des sciences naturelles
aux temps modernes,
comme n’importe quel chercheur scientifique
peut les reconnaître
lui-même. Il reconnaît ces sciences naturelles
comme justifiées et
il est même davantage investigateur de
l’esprit qu’il entend
estimer d’autant plus la valeur et la
signification des sciences
naturelles. Toutefois, et justement pour cette
raison, on doit aussi
dire l’autre aspect des choses: si l’on
s’informe auprès des
sciences naturelles, celles-ci posent d’abord
une limite aux
connaissances. Vous savez parfaitement tous
que précisément ce sont
ces chercheurs prudents et circonspects qui
évoquent de telles
limites aux connaissances. Certains concepts,
certaines
représentations sont placés devant l’être
humain qui interroge
sur l’essence des choses, sur l’énergie, sur
la matière etc..
Ces concepts se modifient de temps en temps,
mais il y a toujours
certaines limites qui se présentent, dont le
chercheur en sciences
naturelles dit: tu ne peux pas franchir ces
limites. Ce chercheur
fait bien, dans son domaine, de s’en tenir à
ses limites.
L’investigateur de l’esprit lui, ne peut pas
en rester là. Mais
il ne doit pas non plus vouloir franchir ces
limites seulement au
moyen de spéculations quelconques, ou bien de
simples imaginations.
En
s’approchant
de ce que le chercheur en sciences naturelles
ne peut
pas reconnaître, de l’endroit où sont plantés
les poteaux
frontières, là commencent pour l’investigateur
de l’esprit les
grands combats intérieurs de l’âme.
L’investigateur de l’esprit
doit lutter intérieurement avec ce que le
chercheur scientifique
pose comme concept limite. Et c’est alors que
ces luttent
produisent une première grande expérience. Il
surmonte ses limites
en luttant dans son expérience intérieure, et
en les surmontant,
une connaissance se lève pour lui par les
expériences qu’il
traverse, qui est importante, fondamentalement
importante, pour tous
ce qui doit conduire à la connaissance de la
nature suprasensible de
l’être humain. En s’adonnant ainsi à ce combat
avec les limites
de la connaissance de la nature, ses yeux se
dessillent sur la
manière particulière dont véritablement
l’entité humaine est
adaptée à la vie. Car l’investigateur du
spirituel doit se poser
la question, à partir de son expérience:
qu’est-ce qui t’empêche
donc de contempler l’intériorité de la nature
purement à la
manière d’un chercheur scientifique? — Il
découvre alors la
chose la plus hautement remarquable, je
dirais, quelque chose à la
fois de bouleversant et de remarquable: si la
nature était
transparente, si bien qu’aucunes limites se
présenteraient à
nous, alors nous ne posséderions pas, nous les
êtres humains entre
la naissance et la mort, une qualité dont nous
avons nécessairement
besoin dans notre existence sociale dans cette
vie. Si l’homme
pouvait regarder à l’intérieur de la nature,
alors il devrait se
priver de la force d’âme de l’amour! Tout ce
que nous appelons
l’amour d’être humain à être humain, tout ce
que nous
désignons comme disposition fraternelle entre
les êtres humains, ce
qui s’enflamme lorsque socialement nous allons
au devant de
l’autre, cela nous ne pourrions en disposer,
si la nature ne nous
plaçait pas des limites pour notre
connaissance scientifique.
C’est
une
vérité que l’on ne peut pas prouver
logiquement. Exactement
comme on peut tout aussi peu prouver
logiquement qu’une baleine
existe ou n’existe pas — on ne peut s’en
convaincre qu’à vue
d’œil —, aussi ne peut-on pas prouver que l’on
dût se priver
de l’amour, si la connaissance de la nature
n’avait pas de
limites. Mais cela résulte comme une
expérience pour celui qui,
intérieurement, lutte réellement pour acquérir
la connaissance du
spirituel. C’est alors que l’on voit quel
Mystère recèle notre
existence humaine. C’est du fait d’un tel
Mystère que l’homme
doit par conséquent payer la connaissance
limitée de la nature en
développant l’amour. Et inversement: il doit
payer sa faculté
d’amour par le fait qu’il n’a d’abord pas une
connaissance
illimitée de la nature.
Mais
cela
nous montre aussi ce qu’a à surmonter celui
qui, à présent,
veut pénétrer réellement dans le monde
spirituel, auquel
appartient l’homme lui-même avec son essence
la plus intime. C’est
l’un des principes fondamentaux, pour s’élever
sur le chemin de
connaissance qui mène à l’être humain
suprasensible et
principalement aussi au monde suprasensible,
que l’on rende sa
faculté d’amour, son dévouement à l’égard de
tous les êtres
de l’univers, encore plus grande qu’on ne le
fait habituellement
entre la naissance et la mort, afin de ne pas
perdre l’amour,
tandis qu’à présent on tente de structurer sa
pensée de plus en
plus afin qu’elle devienne autrement qu’elle
n’est dans la vie
ordinaire. Se rendre beaucoup plus capable
d’aimer qu’on doit
l’être dans la voie sociale ordinaire, telle
est donc la
préparation indispensable pour s’engager sur
le chemin de
connaissance du spirituel. Pour préciser, on
remarque peu à peu
que, dans la totalité et la plénitude de sa
nature humaine, on ne
peut véritablement apprendre à connaître le
monde, tant qu’on
demeure dans le corps physique, que par
l’amour, et par aucune
autre méthode de recherche.
Mais
quand
on veut pénétrer dans le monde spirituel, on
doit en même
temps former soi-même son penser d’une manière
plus élevée
qu’il ne se forme habituellement de lui-même
dans la nature
humaine. On y arrive en s’adonnant à certaines
orientations de
l’âme, à certaines activités intérieures de
l’âme, que l’on
emploie autrement dans la vie
qu’accessoirement, alors qu’à
présent on les utilise tout à fait
systématiquement en s’y
contraignant. Je ne peux vous donner
aujourd’hui qu’un court
extrait de ce que vous trouverez décrit en
détail dans mon ouvrage
« Comment acquiert-on les
connaissances des mondes
supérieurs? », mais je peux pour le
moins vous indiquer
sur quoi repose ce développement supérieur du
penser humain.
Vous
savez
que, quand quelque chose nous excite, d’une
manière
quelconque de l’extérieur, notre attention en
est attirée. Nous
entendons un son, nous ressentons de l’intérêt
pour ce qui se
passe en direction de la provenance de ce son.
Avoir un intérêt
pour quelque chose, tourner son attention vers
quelque chose, ce sont
donc des activités intérieures de l’âme qui
sont en règle
générale stimulées par le monde extérieur à
l’homme. Ce qui
importe, lors de l’engagement sur le chemin de
connaissance
spirituelle, c’est que nous employons
arbitrairement de telles
forces, comme celles qui nous conduisent à
diriger notre attention
sur quelque chose, à avoir de l’intérêt pour
quelque chose, par
exemple, en nous adonnant vraiment longuement
à la méditation d’une
représentation, et en y engageant toute la vie
de notre âme. Dans
le processus habituel et naturel de la vie,
l’attention s’égare,
ou l’intérêt se perd, pour une telle
représentation. Mais quand
on se met à vivre arbitrairement de toute son
âme au sein d’une
telle représentation, en s’y tenant fermement,
de manière à
maintenir son attention depuis l’intérieur,
laquelle menace sans
cesse de s’éteindre; de manière à maintenir
son intérêt pour
une telle représentation, alors qu’il menace
de disparaître à
tout moment, en s’adonnant très longuement à
cette
représentation, — et si l’on fait cela sans
cesse, alors on
renforce le penser: le penser devient quelque
chose de tout différent
de ce qu’il était auparavant. On en vient
alors, de fait, à un
penser qui est pleinement activité de
l’intérieur, mais on doit
aussi s’y efforcer tout comme on doit faire
des efforts pour
effectuer un travail manuel extérieur. On
arrive à un penser, qui
se comporte, par rapport au penser ordinaire,
comme le penser
habituel par rapport au penser d’un enfant de
cinq ans vis-à-vis,
par exemple, d’un recueil de poésies lyriques.
Mais on en vient à
un penser tel que l’on peut en dire: si l’on y
est parvenu, alors
c’est qu’on a dû employer une contention
d’énergie intérieure
qui a réellement épuisé le corporel, lequel
est aussi partie
prenante de cet effort, au point que l’on
ressente une lassitude
équivalente à celle d’un dur labeur physique,
auquel on se serait
livré pendant des années. Apprend-on à
reconnaître que l’on
peut travailler quelque chose à fond au sein
de l’âme au point
qu’une telle contention coûte, selon moi, ce
que coûte de couper
du bois, alors on en arrive à appréhender dans
son âme le penser
vivant, alors que le penser ordinaire ne peut
qu’accompagner les
événements extérieurs, les phénomènes
extérieurs. Pensez-donc
un peu à la manière dont en vérité vous pensez
dans votre vie
ordinaire: vous accomplissez votre travail
dans la vie habituelle, et
votre penser chemine en rêvant, à côté de
cette vie extérieure.
Contraignez donc un peu ce penser, en lisant
un livre difficile,
alors vous remarquerez: justement si le penser
veut être
intérieurement actif, alors il doit se
fatiguer comme dans tout
autre activité. Mais ce qui est développé
ainsi sous forme
d’activité provenant de l’intérieur, cela doit
être sans cesse
activé et mené plus loin avec le penser. Quand
ça l’est, on
remarque qu’avec le penser, il se produit un
grand changement. On
apprend alors à reconnaître quelque chose dont
on avait aucun
soupçon auparavant : on apprend à
reconnaître qu’on vit
intérieurement dans un penser, dont le penser
ordinaire n’est
qu’un reflet miroir, une copie: on apprend à
connaître, dans le
penser qui vit intérieurement, un penser qui
est parfaitement
indépendant de l’outil cérébral, de l’outil
corporel. Aussi
grotesque et paradoxal, peut-être même
extravagant, que cela
paraisse à l’humanité actuelle, l’homme peut,
sur cette voie
que vous trouverez décrite dans l’ouvrage
« Comment
acquérir des connaissances des mondes
supérieurs », en
arriver très exactement à savoir: en pensant,
tu développes
l’activité de l’âme, tu vis à l’extérieur de
ton corps avec
ton penser, tandis que le penser ordinaire
reste lui, relié à
l’instrument du corps, au système nerveux.
Mais on apprend aussi
exactement à reconnaître, combien peu
l’essence intérieure de
l’âme, que l’on saisit dans son penser, est
reliée à
l’instrument du cerveau. Car, en effet, on ne
développe pas
d’abord cette essence intérieure de l’âme,
mais on apprend
seulement à la connaître. Je ne vous parle pas
de quelque chose qui
est nouvellement développé aujourd’hui, mais
de la connaissance
de l’homme suprasensible. On apprend à
reconnaître à quelle
grande erreur s’adonnent les sciences
naturelles modernes et le
point de vue populaire extérieur au sujet du
penser, justement dans
notre époque matérialiste.
Puisque
ce
penser scientifique dit: le cerveau est
l’instrument du penser.
Mais c’est le même genre d’erreur que celle
qui consisterait à
voir dans les empreintes laissées par le
passage d’un véhicule,
ou des pas humains sur la terre ameublie à
travers champ, le produit
du jeu des forces émanant du sol. Cela serait
naturellement une
bêtise. Vous ne pouvez pas voir à partir de la
disposition de la
terre elle-même comment ces sillons se sont
produits. Vous devez
clairement vous représenter qu’une voiture est
passée par là,
que des hommes aussi sont passés par là et y
ont imprimé leurs
pieds. C’est ainsi que vous en arrivez à
l’erreur des sciences
naturelles vis-à-vis de la vie de l’âme, quand
vous en arriver à
connaître réellement le penser indépendant du
corps. Alors vous
apprenez à connaître que ce qui se présente
comme des « sillons
nerveux » dans le cerveau n’a pas de
forces à l’intérieur
du cerveau même, que la vie de l’âme y ferait
naître; mais vous
apprenez à reconnaître que tous ces sillons
nerveux y ont été
enfoncés — comme les sillons et empreintes ont
été enfoncés
dans la terre meuble par les roues des
véhicules et les pas des
hommes —, que ces sillons y ont été ciselés
par l’activité de
l’âme indépendante du corps. Et vous comprenez
à présent aussi
l’erreur qui peut naître dans les sciences
naturelles. Pour tout
ce qui est gravé là, surgissent de telles
empreintes dans le
cerveau; vous pouvez tout suivre; mais cela
n’a jamais pris
naissance à partir du corps, cela a été enfoui
dans le corps.
Mais
ce
n’est pas toujours facile de concevoir cette
essence active.
Pour maintenir, ne serait-ce qu’un bref coup
d’œil dans ce
penser humain indépendant du corporel, on a
précisément besoin de
ce que l’on pourrait appeler de la présence
d’esprit, car un
telle étincelle du spirituel ne persiste guère
longtemps dans notre
vue intuitive habituelle. On peut bien se
préparer d’avance —
vous trouverez les détails de ce dont il
s’agit dans mon ouvrage
« Comment acquiert-on des
connaissances des mondes
supérieurs? » —, en développant
dans la vie ordinaire
déjà ce que l’on peut désigner comme de la
présence d’esprit,
une rapide orientation sur des situations et
la possibilité d’agir
rapidement dans une situation donnée. Si à
présent on élabore et
si l’on structure sans cesse cette qualité,
alors on se prépare à
voir ce qui peut apparaître à partir du
spirituel, du monde
suprasensible, et ce que l’être humain sinon
ne voit pas, parce
qu’au moment même où cela surgit, il ne
parvient pas à engendrer
suffisamment vite la présence d’esprit
nécessaire pour le voir;
parce qu’il n’arrive pas à en avoir une vision
immédiate avant
que cela soit passé. Mais si l’on apprend
réellement de cette
manière à voir à l’intérieur du monde
spirituel, on apprend à
reconnaître ce qui vit là dans l’être humain,
et qui peut être
appréhendé de cette façon par un penser
développé, alors on voit
justement non pas simplement dans la vie
humaine quotidienne et
ordinaire, mais il en résulte ensuite une tout
autre perspective.
On
ne
dispose pas de cette connaissance spirituelle:
au sens ordinaire
du terme, on ne peut pas s’en souvenir. Celui
qui veut vous
raconter quelque chose du monde spirituel,
doit sans cesse se
replacer dans les conditions pour le
contempler. Il ne peut pas faire
simplement de manière telle que cela se
déploie sous la forme d’un
souvenir d’une vision spirituelle antérieure.
Mais si cette
connaissance spirituelle est aussi, je
voudrais dire, comme un rêve
fugace qui sera bientôt oublié, elle contient
cependant en
elle-même un souvenir rempli de signification.
Et à ce point, on
doit dire quelque chose qui doit véritablement
et au plus haut point
toucher tout naturellement les hommes actuels.
Mais cela va très
certainement pourtant les toucher
particulièrement de devoir leur
dire que là-haut, il n’y pas simplement des
petits points
lumineux, mais d’innombrables mondes qui sont
répartis dans le
même espace! Tout aussi peu que les hommes
voulaient sur-le-champ y
croire aussitôt il y a des siècles, mais
qu’ils s’y sont
pourtant habitués au point qu’aujourd’hui cela
leur semble
quelque chose qui va de soi, ce que
l’investigateur du spirituel
propose au moyen de son penser développé comme
étant son
expérience apparaîtra très certainement tout
aussi inhabituel
aujourd’hui, mais cela devra pourtant devenir
une connaissance qui
ira de soi pour la prochain siècle. Et une
tâche de notre époque
sera que les hommes développent une
compréhension pour un tel
élargissement de la connaissance humaine et de
sa vue intuitive
immédiate. Dans l’instant où l’être humain
dispose d’un
penser intérieurement vivant, et qu’il sait
qu’avec ce penser il
est indépendant de son corps, il contemple en
arrière — alors
qu’il ne peut pas avoir de souvenir habituel
en cet instant — la
vie d’âme et d’esprit qu’il a vécue dans un
monde purement
spirituel, avant de s’être uni par la
naissance ou par la
conception au corps humain physique et d’être,
de ce fait,
descendu du monde spirituel dans le monde
sensible. Le regard
s’élargit au-delà de la vie qu’on a menée
depuis sa naissance;
la vie s’élargit au sein de la contemplation
du monde spirituel, à
partir duquel nous sommes descendus ici-bas
dans notre existence
physique.
L’ensemble
de
notre vie sociale humaine acquiert de ce fait
une nouvelle
signification. Dans cette vie sociale, nous
entrons en relation avec
tel ou tel être. Pour l’un nous ressentons
rapidement de la sympathie, pour l’autre, au
contraire, nous ne nous sentons pas
unis si rapidement dans cette même sympathie.
Les rapports les plus
variés naissent à l’égard des autres hommes,
ici, dans cette vie
entre la naissance et la mort. Si l’on apprend
à connaître ainsi
la vie en tant qu’investigateur de l’esprit,
comme je viens juste
de l’indiquer, alors on découvre: ce qui
attire chez l’un, ce
que l’on ressent plus ou moins comme étranger
chez l’autre,
bref, ce qui naît dans les relations avec les
autres hommes, c’est
le résultat de que nous avons vécu avec les
autres âmes dans un
autre monde, avant que nous et eux, soyons
descendus dans l’actuelle
existence physique. Tout ce que nous éprouvons
dans le monde
physique, cela devient pour nous un reflet des
choses vécues dans le
monde spirituel. Ainsi à partir d’un effort de
l’âme humaine
pourra ressusciter dans notre époque la vision
au sein du monde
spirituel à partir de ce monde physique.
Il
se
peut qu’il y ait encore beaucoup d’hommes de
nos jours, qui ne
peuvent pas se familiariser avec une telle
vision intuitive.
Toutefois sur de tels hommes, on peut avoir
ses opinions. Lorsque
furent construits les premiers chemins de fer
en Allemagne, on
convoqua un collège de médecins et d’autres
savants: ils devaient
décider si l’on devait construire ou non ces
chemins de fer. Ces
messieurs, savants et érudits, avaient jugé (1)
que l’on
ne devait pas les construire car ce moyen de
transport allait nuire à
la santé, et seuls les fous voudraient voyager
en chemin de fer. On
devrait en tout cas élever une haute palissade
en bois, afin que
ceux à proximité desquels la voie de chemin de
fer passait, ne
fussent point victimes de commotion cérébrale.
— Aujourd’hui,
il y a des hommes qui, pour s’exprimer par une
métaphore, croient
que l’on est victime d’une commotion cérébrale
lorsque
l’investigateur du spirituel parle des
connaissances du monde
suprasensible. Mais l’évolution de l’époque
passera au-dessus
de tels préjugés, comme elle a toujours
progressé en dépit de
bien d’autres préjugés.
Ce
que
je vous ai décrit, c’est une façon de passer
de l’autre
côté, dans les mondes supra-physiques qui sont
situés au-dessus du
monde physique. On doit lutter avec les
limites de la connaissance de
la nature. Mais on doit aussi se heurter à une
autre limite, quand
on veut parvenir dans le monde spirituel et
obtenir des connaissances
sur l’essence suprasensible de l’être humain.
Comme aux
frontières de la connaissance extérieure de la
nature, on doit en
arriver aux frontières de la connaissance de
sa propre nature.
De
très
nombreux hommes, qui doutent de pouvoir
trouver un apaisement à
la vie intérieure de leur âme par le
truchement des anciennes
traditions religieuses, se saisissent de la
soi-disant mystique, en
croyant que s’ils s’enfoncent de plus en plus
profondément dans
la vie intérieure de leur âme, celle-ci leur
révélera la nature
humaine. Beaucoup croient que de la mystique
peut sourdre ce qu’est
leur vraie essence humaine. L’investigateur de
l’esprit doit
aussi apprendre à reconnaître cette frontière.
Il doit pouvoir
être mystique, comme il doit développer des
connaissances sur la
nature. Mais il doit tout aussi peu en rester
à la connaissance de
la nature qu’il en restera à la mystique. Il
doit apprendre
comment, par la simple mystique, on en arrive
à rien d’autre
qu’aux illusions sur l’entité humaine
suprasensible et non à
une connaissance réelle de cette entité
humaine suprasensible.
Celui qui est un authentique investigateur de
l’esprit, n’est
vraiment pas quelqu’un qui s’adonne aux
illusions. Il ne
s’abandonne à aucune illusion au sujet de ce
qu’il a reconnu
comme une réalité. C’est pourquoi il ne vise
pas non plus, comme
le mystique ordinaire le fait, à faire monter
de sa propre
intériorité comme par enchantement toutes
sortes d’imaginations.
Non, puisqu’il sait de nouveau une chose: en
affrontant sa propre
intériorité, et en la surmontant consciemment,
il sait que ce que
les mystiques rencontrent alors, au fond,
n’est rien d’autre que
ce qui, depuis leur naissance, a fait un jour
une impression sur
leurs âmes. Ils ne l’ont peut-être accueilli
qu’obscurément,
car ce n’est pas arrivé très clairement à leur
perception, mais
cela leur est néanmoins resté pour compte dans
la mémoire.
La
recherche
scientifique a déjà fait elle-même ici
vraiment de très
belles observations. Je vais brièvement vous
en faire part d’une,
qui a été publiée dans la littérature
scientifique (2),
mais que l’on pourrait multiplier par cent et
par mille. Un homme
de science passe un jour devant la vitrine
d’une librairie. Son
regard tombe sur un ouvrage. Et tandis qu’il
considère le titre de
l’ouvrage, il ne peut s’empêcher de rire.
Pensez-donc un peu,
voilà un scientifique qui éclate de rire alors
qu’il lit le titre
austère d’un ouvrage! Il ne peut pas
s’expliquer pourquoi il
faut qu’il rie. Il ferme alors les yeux parce
qu’il croit qu’il
serait préférable de ne pas être distrait par
des impressions
extérieures. En fermant les yeux, il entend
dans le lointain ce
qu’auparavant, aussi longtemps que son
attention avait été
détournée, ce qu’il n’avait pas entendu
d’abord, à savoir la
musique d’un orgue de Barbarie. Et tandis
qu’il continue sa
recherche, il se révèle à lui que l’orgue de
Barbarie est en
train de jouer une mélodie sur laquelle il
avait dansé autrefois.
Cela n’avait pas fait alors une forte
impression sur lui, la
danseuse l’avait plus intéressé ou bien encore
les pas de danse.
L’impression provoquée par la mélodie fut
alors assez faible,
mais suffisamment forte pourtant, pour
réapparaître dans la suite
de sa vie, au moment où il entendait la même
mélodie de l’orgue
de Barbarie dans le lointain!
De
telles
choses et leur nature, l’investigateur du
spirituel les
connaît très exactement, car il ne s’abandonne
à aucune illusion
à leur sujet. Il sait: quand maint mystique
évoque l’être humain
divin qui vit dans son intériorité, qu’il
éprouve là quelque
chose qui le met en rapport à son Éternel, ce
sont alors les
« notes de l’orgue de Barbarie »: il
a un jour absorbé
quelque chose qui s’est transformé — car des
choses de ce genre
se transforment —, et qui remonte à présent en
tant que
réminiscence. Vous ne trouvez sur le chemin de
la mystique ordinaire
rien d’autre que ce que vous avez un jour reçu
en vous, et vous
pouvez vous adonner aux plus épouvantables
illusions à ce propos,
en voulant être un pur mystique.
C’est
précisément
au-delà de cette limite que l’investigateur du
spirituel doit progresser. On apprend de
nouveau par l’expérience
à connaître ce qui ne se laisse pas prouver
sinon « par la
logique », mais qui est néanmoins une
connaissance dont le
chercheur en esprit fait l’expérience: on
apprend à reconnaître
que par la contemplation intérieure en soi, on
ne peut pas apprendre
à se connaître. Car une force de l’âme humaine
ferait ici de
nouveau défaut, une force que l’on doit avoir
dans la vie
ordinaire, si l’on pouvait ainsi se
« percer à jour »
intérieurement. Pût-on intérieurement
apprendre à se connaître,
l’on ne pourrait plus disposer alors de la
vigueur du souvenir, de
la force de la mémoire, dans la vie ordinaire.
Et que cette force du
souvenir, cette énergie de la mémoire, soit
saine, cela dépend
principalement du fait que la vie de notre âme
est saine. Que notre
mémoire soit perturbée, que notre capacité du
souvenir soit
détruite, que le Je soit détruit, alors
apparaît une terrible
maladie de l’âme. Si bien que nous devons
dire: de même que pour
que l’homme ait l’amour, il doit avoir une
restriction pour lui
dans la connaissance de la nature, ainsi pour
disposer de la mémoire,
il doit être mis dans l’impossibilité d’en
arriver à connaître
par simple contemplation intérieure son
essence humaine supérieure.
Mais
l’on
doit de nouveau ici veiller à ce que cette
capacité du
souvenir s’installe plus fermement dans la
nature humaine que dans
la vie ordinaire, ce qui peut également se
produire au moyen
d’exercices tels que ceux que j’ai décrits
dans l’ouvrage
mentionné. Si chaque soir, on effectue
l’exercice de
récapitulation à rebours des événements de la
journée, en se les
représentant clairement en images, de la
manière conforme à cet
exercice, de façon à avoir un coup d’œil sur
l’ensemble du
vécu de la journée, alors tout ce qui relève
de la mémoire
s’ancre plus fermement dans l’âme autrement
que ce n’est
habituellement le cas. Ensuite on peut tenter
de faire, pour
l’exprimer trivialement, cet exercice-là qui
consiste à prendre
consciemment en main la discipline de ses
habitudes, la pureté de
mœurs de son propre Je. Pensez donc un peu
seulement combien nous
pouvons nous transformer de semaine en
semaine, de mois en mois,
d’année en année, de décennie en décennie!
Regardez donc dans
quelle disposition d’âme vous vous trouvez
aujourd’hui, et
comparez-vous à ce que vous étiez voici dix ou
vingt ans. Vous
verrez que l’être humain que vous êtes a
traversé une évolution.
Mais l’être évolue inconsciemment, c’est la
vie qui le
développe.
De
même
que l’on peut procéder consciemment à
rehausser l’activité
du penser, comme je l’ai décrit, ainsi peut-on
procéder à une
éducation autonome consciente en remarquant
sans cesse: tu as mal
fait ceci ou cela, tu dois apprendre de la
vie. Ainsi peut-on prendre
en main le développement de sa volonté, comme
on avait pris en main
celui de son activité du penser. Le fait-on,
alors se développe de
nouveau quelque chose, qui illumine pour ainsi
dire une volonté
autrement obscure, dans laquelle on baigne
dans la vie ordinaire: on
ressent tout ce qui émane de sa volonté comme
imprégné d’idées.
On est pour ainsi dire le spectateur de son
propre vouloir et de son
agir. Y parvient-on, d’une manière si
saisissable, saisissable à
la fois par l’esprit et l’âme, à être ainsi le
spectateur de
son propre vouloir et de son propre agir, ce
que l’on reçoit là
comme faculté supérieure du vouloir, coïncide
avec ce qui s’est
développé antérieurement sous le forme d’une
activité du
penser. Et à présent surgit une autre
faculté : à présent,
on découvre dans sa propre essence humaine,
quelque chose qui
apparaît ainsi à soi indépendant de toute
activité corporelle, au
point que l’on sache: ce que tu portes ainsi
en toi, tu l’emportes
au-delà par la mort dans le monde spirituel.
Par la culture du
vouloir, on apprend à connaître la vie
spirituelle que l’homme
traverse après la mort, tout comme par la
culture du penser on
apprend à connaître la vie spirituelle que
l’homme a connu avant
la naissance ou avant la conception. Vous
voyez que l’investigation
de l’esprit ne peut pas parler de la nature
suprasensible de l’être
humain d’une manière ordinaire, mais elle doit
raconter la manière
dont on réalise l’expérience de ce que l’on
peut contempler de
la vie qui se trouve avant la naissance et
après la mort.
En
pénétrant
ainsi dans le monde, dans la propre entité
humaine, la
vie sociale vient de nouveau à notre rencontre
en prenant une autre
configuration. On observe comment on fait
l’expérience de ceci ou
de cela ensemble avec les autres hommes,
comment on entre en rapport
avec d’autres hommes, comment on établit des
liens d’amitié
avec eux, ou bien encore qu’on se lie avec eux
par d’autres
circonstances et puis on se sépare de nouveau.
On apprend à
reconnaître que tout ce qui se joue ainsi dans
le monde physique
sensible, n’est que le commencement de quelque
chose qui va
continuer de se développer en franchissant le
porche de la mort. Les
relations entre les âmes, qui se nouent ainsi
d’être humain à
être humain, trouvent leur continuation,
lorsque l’homme franchit
le porche de la mort. La vie qui s’intègre à
la mort, devient une
réalité parfaitement concrète dans le fait de
savoir que ces êtres
humains avec lesquelles nous nous savons liés,
au moyen de relations
établies ici dans la vie sensible,
continuerons à se sentir reliés
à nous au-delà de la mort.
Ce
sont
là des choses qui ne peuvent qu’apparaître
étranges aux
hommes d’aujourd’hui, mais qui doivent être
dominées à partir
des tâches qui incombent à notre époque de
culture. Qu’elles le
deviennent et alors il surgira encore quelque
chose de tout autre
devant les hommes. Alors l’homme reconnaîtra
sous un éclairage
tout différent ce qu’il appelle aujourd’hui
l’évolution de
l’humanité dans son ensemble, ce qu’il désigne
aujourd’hui
sous le terme d’histoire. Que l’on développe
de telles facultés,
comme celles dont j’ai parlé, alors on
considèrera autrement
aussi l’élément historique au sein de
l’humanité, autrement
que ce qui se présente comme cette fable
convenue [Célèbre
parole de Napoléon, qui fut très
« compétent » en la
matière, ici en français dans le texte. ndt]
qu’on appelle
histoire, aujourd’hui, et qui devra devenir à
l’avenir quelque
chose de tout différent. Je vais vous en
donner un exemple, qui
illustrera la fin de mon exposé, pour vous
montrer comment l’être
humain du futur doit pénétrer lui-même
l’évolution historique
de l’humanité.
On
ne
le remarque pas habituellement, mais il s’est
produit un grand
tournant qui s’est amorcé pour l’évolution de
l’humanité à
un certain moment historique des temps
modernes. Ce fut au milieu du
quinzième siècle. On dit si habituellement que
la nature ne fait
pas de sauts évolutifs. C’est là une parole
sentencieuse que tout
le monde croit en général, quoiqu’elle soit
fausse. La nature
fait sans arrêt des sauts. Considérez donc un
peu l’évolution
d’une plante, la manière dont elle évolue en
progressant de la
feuille à la fleur, aux étamines et au pistil,
et développe
finalement son fruit. Et un tel saut, que
personne ne remarque, parce
qu’on observe l’histoire si superficiellement,
s’est bien
produit au milieu du quinzième siècle. La
vision élargie de l’être
humain surmonte cela, de la même façon qu’elle
surmonte les
événements entre la naissance et la mort, et
elle surmonte aussi ce
qui ne se présente que dans l’histoire
extérieure, dans les faits
extérieurs seulement, et elle perçoit alors
l’esprit à l’œuvre
dans l’histoire. Et c’est ainsi qu’il se
révèle à cette vue
intuitive élargie que depuis le milieu du
quinzième siècle, une
autre époque a remplacé la précédente, qui
avait commencé au
huitième siècle avant le Christ et s’était
achevée au milieu du
quinzième siècle. Dans cette époque, qui dura
du huitième siècle
avant le Christ jusqu’au quinzième siècle de
notre chronologie,
s’inscrit la merveilleuse culture grecque dans
toute sa beauté, ce
qui se présenta ensuite comme culture romaine
et les répercussions
de la grécité et de la romanité. Et depuis le
milieu du quinzième
siècle, nous avons, comme je vais le
caractériser tout de suite
après, notre époque de culture actuelle avec
l’humanité des
temps modernes.
En
quoi
se distinguent ces deux cultures? Elles se
distinguent par
quelque chose que l’homme du temps présent ne
veut pas encore voir
ni reconnaître. Avant le quinzième siècle,
jusqu’au huitième
siècle avant la naissance du Christ, l’être
humain était
susceptible de développement d’une manière
toute différente. Je
peux vous expliquer cela de la manière
suivante. Pensez donc un peu
à l’état où l’homme se trouve dans les années
qui précèdent
le changement de dentition qu’il traverse vers
les sept ans, et à
comment l’époque forme dans sa vie! Vous
pouvez relire à ce sujet
pour de plus amples détails le petit ouvrage
« L’éducation
de l’enfant du point de vue de la science de
l’esprit »
(3). Vous verrez ce que signifie, pour
un observateur de la
nature humaine qui y regarde de plus près, ce
que l’enfant
traverse à vrai dire en réalité avec ce
changement de dentition.
Il existe là un parallèle entre le
développement extérieur de la
vie et le développement intérieur de l’âme.
Ensuite, on observe
de nouveau un second point de développement,
au moment de la
quatorzième ou quinzième année. Le parallèle
entre corps et
esprit est alors moins net, mais il persiste
pour l’humanité
actuelle environ jusqu’à la vingt-septième
année. À la
vingt-septième année, on cesse de ressentir
fortement cette
connexion entre l’évolution psycho-spirituelle
et celle
corporelle. Cette curiosité selon laquelle
l’homme achève ainsi
dans sa vingt-septième année le développement
de sa corporéité,
n’est apparue dans l’histoire qu’à partir du
milieu du
quinzième siècle. Dans les temps antérieurs,
il en allait
autrement. Ce qui peut être reconnu ici au
moyen de l’investigation
de l’esprit est une vérité évolutive d’une
importance infinie.
À l’époque grecque, à l’époque romaine, l’être
humain se
trouvait dans son évolution d’une manière
telle que jusqu’à
sa trente-troisième année, jusqu’à sa
trente-cinquième année,
il disposait encore du parallèle existant
entre ses évolutions
corporelle et pyscho-spirituelle. Le Grec
développait ce genre de
propriétés, même si ce n’était pas avec une
telle force, telles
que celles du changement de dentition et de la
maturité sexuelle,
jusqu’au sein de sa trente-troisième année.
Cela constituait
cette merveilleuse harmonie entre la vie de
l’âme et celle du
corps chez les Grecs. C’est là le progrès que
révèle l’histoire
de l’humanité, à savoir que nous disposons
toujours moins
d’années de jeunesse, que nous disposons de
moins en moins de ce
qui nous émancipait de la corporéité dans nos
jeunes années. Mais
cela conditionne aussi une toute autre
situation du psycho-spirituel
par rapport à l’essence universelle chez
l’être humain. Dans ce
long espace de temps qui va du huitième siècle
avant le Christ
jusqu’au quinzième siècle, l’être humain
développa plutôt
une intelligence instinctive, une vie
affective instinctive. Tout ce
qui vivait dans ce laps de temps fut imprégné
de cette vie
instinctive d’intelligence et du cœur. Mais
depuis le milieu du
quinzième siècle, l’être humain développe une
vie
d’intelligence plus consciente et une vie
affective plus consciente
et avec cela, la prétention de se positionner
sur la libre
personnalité. Cette exigence de la nature
humaine, à se placer sur
la libre personnalité, ne se développe dans
l’histoire que depuis
le milieu du quinzième siècle.
Par
là
est explicable aussi la manière dont les
grands événements
dans l’évolution de l’humanité échoient
différemment suivant
qu’ils se produisent dans l’une ou l’autre
époque. Dans
l’époque qui précéda la nôtre, dans laquelle
l’homme
demeurait susceptible d’évoluer corporellement
jusqu’au sein de
sa trente-troisième année, dans le premier
tiers de cette époque,
eut lieu le plus grand événement de
l’évolution terrestre, cet
événement qui donne véritablement seulement
tout son sens à
l’évolution de la Terre, l’événement du
Mystère du Golgotha,
l’avènement fondateur du Christianisme. Dans
ce premier tiers de
l’époque gréco-latine, se joue ce qui est
comme le point
événementiel central de toute l’évolution
terrestre de
l’humanité. La façon dont en ce temps-là il
s’inséra dans
cette évolution, ne pouvait être comprise que
naïvement par
l’humanité de cette époque où existaient les
forces instinctives
de l’intelligence et celles affectives. À
partir de ces forces
instinctives, dans ce laps de temps, les êtres
humains purent se
positionner d’une manière juste vis-à-vis de
ce grand événement,
parce qu’ils n’étaient pas encore conscients
et se comportaient
encore naïvement, avec candeur. Ils se sont
dit: il ne se produit
pas là simplement quelque chose qui est
provoqué par les hommes,
c’est quelque chose de supra-humain qui a fait
là irruption dans
l’évolution terrestre. Le Christ, l’essence
supra-humaine, s’est
lié au corps de Jésus de Nazareth. Ce qui est
arrivé au Golgotha,
selon son fait physique, n’est que
l’expression extérieure de
quelque chose de suprasensible, qui s’est joué
dans l’évolution
de la Terre.
Dans
cette
époque-là, on put donc appréhender cela
instinctivement. Il
en est devenu autrement depuis le milieu du
quinzième siècle.
Depuis ce milieu du quinzième siècle,
l’intelligence instinctive,
la vie affective instinctive, s’est
métamorphosée en
compréhension consciente, en forces du cœur
conscientes. Cela donna
la possibilité d’édifier les sciences de la
nature jusqu’au
degré le plus élevé auquel elles sont
arrivées, mais aussi
l’évolution industrielle extérieure, et aussi
le matérialisme de
l’époque, qui devait être là un complément
pour placer la libre
personnalité au faîte de l’évolution. Mais on
doit de nouveau
venir à bout de ce matérialisme en recherchant
d’une manière
nouvelle, comme je vous l’ai décrite
aujourd’hui, le cheminement
dans le monde spirituel. Le siècle est devenu
matérialiste dans
l’époque où s’est développée l’âme consciente
de l’homme
à partir de sa précédente âme instinctive. En
plus du
matérialisme extérieur, le matérialisme
théologique y a fait
également son apparition. Réfléchissez donc
une peu à la manière
dont, au sein de vastes milieux, la théologie
elle-même, la vue
intuitive religieuse, a été saisie par le
matérialisme, la manière
dont l’être humain de l’époque de l’âme de
conscience devint
incapable de reconnaître dans l’événement du
Golgotha un
avènement suprasensible, en point d’en venir
toujours plus à
dégringoler dans la matérialité; comment il
devint finalement si
fier de ne plus voir dans le Christ l’entité
suprasensible, qui
est descendue pour élire domicile dans le
corps d’un homme, mais
de ne plus voir seulement que « l’homme
simple de Nazareth »
[qui donna le « brave type de
Nazareth » pour le
journalisme moderne, ndt], qui est
certes quelque peu plus
grand que les autres hommes, mais reste
pourtant un homme simple.
Qu’à présent dans le Mystère du Golgotha, dans
la mort et la
Résurrection du Christ, se tienne devant nous
le plus grand fait de
l’évolution du monde et de l’humanité, cela ne
s’est toujours
pas épanoui jusqu’à présent dans l’époque
matérialiste. La
religion elle-même devint matérialiste. La
simple confession de foi
n’est pas en état d’arrêter cette
matérialisation de la
religion. Celle-ci ne peut être arrêtée que
par la connaissance
consciente de l’esprit, au sujet de laquelle
je vous ai entretenus
aujourd’hui. Elle sera de nouveau rehaussée
par la connaissance,
que chez ce Jésus de Nazareth vécut un être
supra-terrestre, un
être supra-sensible, qui s’est uni depuis ce
temps-là avec
l’évolution de l’humanité. Le Mystère du
Golgotha sera de
nouveau replacé à l’horizon des vues
intuitives humaines par la
science spirituelle d’orientation
anthroposophique; mais à
présent, il reste placé d’une manière telle
qu’il est
suspendu, destitué dans sa fonction, par la
sécheresse de cœur des
confessions particulières.
Ce
qui
se développera en tant que vue spirituelle
intuitive de l’être
humain suprasensible, telle que je l’ai
exposée ici aujourd’hui,
cela vivra en tout homme sur toute la Terre
sans distinction de race
ou de peuple. De là, le chemin vers le Mystère
du Golgotha sera
également retrouvé et tous les hommes sur
toute la Terre
apprendront à se comprendre et à se concevoir
dans cet événement
du Christ. On s’exalte à notre époque — on
fait cela si
facilement — au sujet de cette soi-disant
Société des Nations; on
s’engoue de cette Société des Nations d’une
manière utopique,
comme elle a pris naissance dans la tête de Woodrow
Wilson,
qui pense de façon si abstraite. Rien ne
pourra naître de cette
manière. Il faut des fondements de réalité, et
ceux-ci doivent
s’épanouir au plus profond des âmes humaines.
C’est la tâche
de l’époque actuelle. Ce n’est que dans cette
capacité d’âme,
qui mène à la connaissance de l’homme
suprasensible et qui unit
les hommes de toute la Terre, ce n’est que par
une telle
connaissance, qui peut avoir une vue intuitive
de l’événement du
Christ comme un événement suprasensible, ce
n’est que dans une
telle impulsion qui agit sur tous les peuples,
qui agit au travers
des peuples au-delà de toutes les frontières,
que se trouve la
force réelle pour une vraie Société des
Nations à venir sur toute
la Terre. C’est ainsi que le christianisme
doit enfoncer ces
racines dans la culture humaine.
Cela
vous
montre l’autre aspect de ce que j’ai dû dire
ici dans la
conférence précédente. Cela vous montre cet
aspect qui correspond
à la vie intérieure de l’âme humaine, cet
aspect enflammera de
nouveau chez l’être humain des impulsions
sociales, quand cette
vie intérieure le comblera. Pour l’acceptation
de cette science de
l’esprit, on n’a besoin d’aucune croyance en
l’autorité,
comme pour l’acceptation des autres sciences,
de ce qui est
apporté, disons, des observatoires sur
l’astronomie, de la
médecine sur la disposition de la nature
humaine physique. Cela doit
être accepté d’autorité, si l’on ne veut pas
devenir par
soi-même astronome ou médecin. Ce que vous dit
cependant
l’investigateur du spirituel, vous n’avez pas
besoin d’y croire
d’autorité. Vous n’avez pas besoin non plus
d’être un
investigateur de l’esprit, comme vous n’avez
pas besoin d’être
peintre pour découvrir la beauté d’une
tableau. Vous pouvez
accueillir la science de l’esprit avec votre
saine intelligence
humaine, sans être vous-mêmes investigateurs
du spirituel, si vous
vous débarrassez seulement des préjugés qui se
sont développés à
partir de la conception matérialiste actuelle.
Parce que tout ce qui
relève de la science de l’esprit existe sous
forme de
prédispositions fondamentales à l’âme humaine,
on peut donc le
comprendre sans foi dans l’autorité. Et cette
compréhension,
cette confiance innée dans les révélations de
la science de
l’esprit, c’est quelque chose qui doit vivre
dans la tâches de
notre époque. Alors cette époque connaîtra un
renouveau. Alors le
ferment sera donné à ce qui sous forme
d’institutions extérieure
dans cette époque jouera le rôle correspondant
à une
ré-édification.
Car
que
voyons-nous en cherchant à comprendre aussi
justement que
possible la nature des temps actuels? Je
voudrais dire que nous
voyons deux voies, l’une va vers la gauche,
l’autre vers la
droite. L’une nous donne la possibilité d’en
rester à ces
représentations qu’ont produites les simples
sciences naturelles,
et à partir de cette manière de voir amenée
par les sciences
naturelles, de passer aux opinions sociales;
et donc de partir de la
croyance que l’on pourrait avec les mêmes
capacités idéelles,
par lesquelles on appréhende la nature,
appréhender aussi la vie
sociale. Karl Marx et Friedrich
Engels ont fait cela,
Lénine et Trotzki ont fait
cela. C’est pourquoi ils
s’engagent sur leur chemin. Mais les hommes
d’aujourd’hui ne
discernent pas encore que les sciences
naturelles se trouvent d’un
côté et que leurs conséquences ultimes
s’expriment, de l’autre
côté, dans le chaos social, dans le déclin
social. La croyance
terrible, qui veut à présent anéantir toute
culture réelle à
l’Est de l’Europe, cette épouvantable croyance
de Lénine et de
Trotzki, elle résulte de l’autre croyance que
l’on doit
emprunter les cheminements des sciences
naturelles également dans la
vie sociale. Qu’est-il donc arrivé sous
l’influence de cette
nouvelle croyance matérialiste et
scientifique? Il est arrivé que
toute notre vie spirituelle a été mécanisée.
Mais du fait que
notre vie de l’esprit ne s’est plus élevée aux
idées sur
l’être humain suprasensible, qu’elle s’est
mécanisée sous
l’effet des représentations extérieures
mécanistes des sciences
naturelles, de ce fait même, les âmes elles,
se sont dans le même
temps végétalisées, à la manière d’une plante,
elles ont été
rendues indolentes. Ainsi voyons-nous qu’outre
l’esprit mécanisé,
nous avons une âme végétalisée dans la vie
culturelle moderne.
Mais si l’âme n’est plus traversée par
l’enthousiasme
enflammant de l’esprit, si l’esprit n’est plus
illuminé par la
connaissance suprasensible, alors ce sont les
qualités animales qui
se développent dans le corps et qui
aujourd’hui veulent vivre dans
les instincts antisociaux et qui veulent
devenir, à l’Est de
l’Europe les fossoyeurs de la civilisation.
Alors se développent
sous le prétexte de vouloir être socialiste,
le plus
tout-antisocial qui soit; alors la vie
corporelle s’animalise, à
côté de l’esprit mécanisé et le l’âme
végétalisée. Les
instincts et les pulsions les plus sauvages
surgissent sous forme de
revendications historiques [la soi-disant
« dictature du
prolétariat », par exemple, qui finit en
goulag! ndt].
C’est le chemin qui part vers la gauche.
L’autre
chemin
qui part vers la droite, c’est celui qui se
trouve dans la
vue intuitive de l’être humain suprasensible,
du monde
suprasensible, qui contemple aussi l’évolution
de l’homme dans
une lumière suprasensible, qui accède et
s’élève à l’esprit
réel libre.
À
partir des idées, avec lesquelles je voulus
dépeindre la
progression humaine vers la liberté dans mon
ouvrage « La
Philosophie de la Liberté », je
voulus poser les bases à
ce que peut éprouver l’être humain dans la
conscience d’une
liberté intérieure réelle en concevant la vie
spirituelle. Seul
l’esprit, qui imprègne l’homme, peut vraiment
être libre. Cet
autre esprit qui ne fait qu’imprégner la
nature et qui voudrait
modeler toute vie sociale selon les nouvelles
formes des sciences
naturelles, devient mécaniquement non-libre.
Et l’âme, qui n’est
imprégnée que par cet esprit-ci, cette âme
dort comme dort la
plante. Cette autre âme qui est traversée de
l’enthousiasme du
vouloir, qui pulse dans la connaissance de
l’esprit de la nature
humaine, cette âme s’avance dans la vie
sociale, elle va au devant
des autres hommes dans la vie sociale, elle
apprend à apprécier
l’homme suprasensible qui vit chez les autres
hommes. Elle apprend
à contempler le divin dans l’archétype de tout
être humain. Elle
apprend à ressentir l’élément social vis-à-vis
de tout homme.
Elle apprend comment, en rapport à cette âme
la plus intime, tous
les hommes sont égaux, ici, sur la Terre. Et
dans cette âme
enflammée et réchauffée par l’esprit,
l’égalité peut se
développer sur le chemin qui part vers la
droite. Et que les corps
soient inondés et spiritualisés de cette
conscience suprasensible,
qu’ils soient chaleureusement enthousiasmés,
qu’ils soient
ennoblis par ce que l’âme accueille ainsi en
elle, en étant
éveillée par l’esprit, en ne restant pas
végétalisée, alors
les corps ne seront pas non plus animalisés;
alors les corps
deviennent tels qu’ils développent ce que l’on
peut appeler au
sens le plus large du terme l’amour
authentique. Alors, l’être
humain sait qu’il s’est introduit dans un
corps terrestre en tant
qu’entité suprasensible, qu’il s’est glissé
dans ce corps
pour développer l’amour dans ce corps, pour
développer l’amour
jusqu’à l’esprit. Alors il sait que dans les
corps terrestres
doit régner la fraternité, sinon dans
l’humanité
non-fraternelle, l’individu ne peut pas être
un être humain
complet et parfait.
Ainsi
la
poursuite de l’ancienne voie nous mène-t-elle
vers la
mécanisation de l’esprit, vers la
végétalisation de l’âme,
vers l’animalisation des corps. Ainsi la voie
qui doit être
indiquée par la science de l’esprit nous
conduit-elle aux vraies
vertus sociales, mais aux vertus sociales qui
sont éclairées par
l’esprit, celles qui sont réchauffées par
l’âme; celles qui
sont réalisées par des corps humains ennoblis.
Ainsi
la
connaissance de l’essence suprasensible de
l’être humain nous
amène-t-elle à fonder sur la Terre, dans une
belle et nouvelle
édification de l’avenir: la liberté dans la
vie de l’esprit.
L’homme imprégné par l’esprit sera un homme
libre. L’égalité
dans la vie de l’âme enthousiasmée par
l’esprit: l’âme qui
accueille l’esprit en elle concevra l’autre
âme qui vient à sa
rencontre dans la vie sociale, comme son
égale, elle la concevra et
la traitera vraiment comme au sein d’un grand
Mystère. Et le corps
ennobli, le corps ennobli par l’esprit et
l’âme, il sera le
pratiquant du plus vrai, du plus authentique
amour humain, de la
vraie fraternité. Ainsi l’ordonnancement
social pourra réussir
dans la liberté, l’égalité et la fraternité
par la juste
conception du corps, de l’âme et de l’esprit.
Notes :
(1)
« Ces
messieurs, savants et érudits, avaient
jugé »,
voir R. Hagen, « Le premier Chemin de
fer allemand »,
1885, p ;45.
(2)
« a
été publiée dans la littérature
scientifique »,
voir Louise Waldstein, « Le Je
inconscient et sa relation à la
santé et à l’éducation », Wiesbaden
1908. Voir Rudolf
Steiner « L’élément éternel dans
l’âme humaine.
Immortalité et Liberté », GA
67,
Dornach 1962, p.291 et suiv..
(3)
« L’éducation
de
l’enfant du point de vue de la science
de l’esprit » Rudolf
Steiner,
dans Luzifer-Gnosis.
Recueil d’essais 1903-1908, GA
34,
unique édition Dornach 1985.
(4)
« Woodrow
Wilson »
1856-1924, Professeur de Droit et de
Sciences politiques à
Princeton, 1913-1921, Président des États
Unis d’Amérique, qui
mena la guerre à partir de 1917 contre le
Reich
allemand, peut après avoir été réélu comme
« Président de
la paix ». Dans le dernier des 14
points de son message du 8
janvier 1918, il proposa l’institution de
la Société des Nations.
Selon un projet anglo-américain, la
constitution de la Société des
Nations fut décidée à la Conférence de la
Paix de 1919 à Paris,
et sous la pression de Wilson, acceptée
dans les traités de paix
séparés. Le souhait de l’Allemagne d’en
devenir membre en
compagnie des puissances victorieuses, fut
rejeté.
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