Français
seulement
Ulm, 26 mai 1919
La triple forme de la question sociale
Comme
en
d’autres lieux du Würtemberg et de la Suisse,
je me permettrai
ici aussi de parler sur la question la plus
décisive et la plus
importante, sur la question sociale, et certes
en me rattachant à ce
qui a paru dans l’appel qui a été diffusé en
Allemagne il y a
quelque temps, « Au peuple allemand et
au monde civilisé »
(1). L’appel, qui se présenta pour la Dreigliederung
de l’organisme social, a dû parvenir sous les
yeux de la plupart
d’entre vous. Des exposés plus détaillés de ce
qui ne pourra
naturellement qu’être brièvement indiqué ici,
sont donnés dans
mon ouvrage « Le point essentiel de la
question sociale dans
les nécessités de la vie présente et
future ».
Permettez-moi aujourd’hui de vous esquisser
quelques points de ce
qui doit être dit au sujet de cet appel.
La
question
sociale — cela ressort bien pour chaque âme
humaine qui
fait face aux événements actuels — est ce qui
a résulté sous
une forme toute nouvelle des événements
puissants et bouleversants
de la catastrophe de la guerre mondiale. Bien
sûr, ce qu’on
appelle la question sociale, ou mouvement
social, comme nous
l’évoquons aujourd’hui, est ancien d’un peu
plus d’un
demi-siècle pour le moins. Mais celui qui
envisage ce qui s’annonce
aujourd’hui comme une puissante vague
historique, et compare les
choses entre elles, doit pourtant dire: cette
question sociale a pris
dans notre présent une forme complètement
différente, une
structure vis-à-vis de laquelle personne ne
devrait resté
indifférent.
Combien,
à
d’innombrables reprises, on a entendu cette
parole durant les
quatre ou cinq dernières années: à la base de
cette catastrophe
effrayante de la guerre mondiale, il y a
quelque chose dont les
hommes n’ont jamais fait l’expérience, depuis
qu’existe
principalement ce qu’on appelle l’histoire.
Mais combien peu,
vraiment très peu, évoquent aujourd’hui, là où
cette
catastrophe de la guerre mondiale fait
apparaître une crise, la
nécessité d’un nouvel ordre de la vie et d’une
impulsion toute
nouvelle; celle d’un retournement complet du
penser et d’un
ré-apprentissage complet — quoiqu’à vrai dire
extérieurement
déjà, l’on reconnaisse la nécessité de ce
retournement du
penser et de ce ré-apprentissage. Car les
vieilles idées nous ont
directement menés dans cette épouvantable
catastrophe humaine. De
nouvelles idées, de nouvelles impulsions
doivent donc nous en faire
sortir. Et là où ces impulsions sont à
rechercher, ce que révèle
une observation vraiment pénétrante, c’est ce
qui retentit comme
revendications sociales émanant de toujours
plus de poitrines
humaines et devant lesquelles seul celui qui
dort vis-à-vis de son
époque peut à vrai dire passer en restant
indifférent, en restant
dans l’expectative face aux événements jusqu’à
ce que, pour
ainsi dire, le vieil édifice s’effondre dans
le néant.
Des
questions
sociales, on se les représente aujourd’hui de
façon
réitérée comme des choses extrêmement faciles
à concevoir, par
moments même d’une simplicité extrême. Celui
qui ne part pas de
théories surannées, ni non plus d’exigences
personnelles isolées,
mais d’une expérience réellement élargie au
sujet des nécessités
de la vie du présent et de l’avenir, celui-là
doit voir dans
cette question sociale quelque chose où
confluent de nombreuses
forces, qui se sont soulevées dans l’évolution
de l’humanité
et, on peut déjà dire, d’une certaine façon,
que ces forces sont
allées elles-mêmes au devant de leur
anéantissement. Pour celui
qui domine du regard les conditions de la vie,
la question sociale
lui apparaît sous une structure triple. Elle
lui apparaît
premièrement comme un problème de la vie de
l’esprit,
deuxièmement comme un problème de la vie
juridique, et
troisièmement comme un problème de la vie
économique. Cela étant,
les derniers siècles, et en particulier le
dix-neuvième siècle,
ont amené avec eux le fait que l’on pense
devoir rechercher
presque tout ce qui appartient à la question
sociale dans le seul
domaine économique. Les raisons pour
lesquelles on voit si peu
clairement ce qu’il en est, reposent
précisément sur l’opinion
qu’en trouvant la voie dans le domaine
économique, tout le reste
devrait alors suivre tout naturellement. Il
s’avère déjà
nécessaire que la première partie de ma
considération soit
aujourd’hui consacrée à un domaine de la vie,
dont les gens, pas
plus ceux de gauche que ceux de droite, ne
veulent entendre raison
pour reconnaître qu’il s’agit d’un domaine
social important, à
savoir le domaine de la vie spirituelle.
Les
exigences
que l’on nomme sociales, partent effectivement
de la
grande masse du prolétariat, qui a passé par
un triple chemin de
souffrances jusqu’aux situations présentes,
dont nous voulons
parler ensuite. Et ce prolétariat a été
presque totalement
tourneboulé, rien que dans la vie économique,
par l’arrivée des
techniques nouvelles et du capitalisme
dévastant les âmes, ainsi
que par les conditions culturelles régnantes.
C’est de la vie
économique que sont nées aussi les
revendications du prolétariat.
C’est pourquoi la question sociale du présent,
parce qu’elle
surgit d’abord du prolétariat, a adopté cette
forme économique.
Mais elle n’est pas une simple question
économique. La simple
constatation déjà, que les idées
traditionnelles sont
insuffisantes vis-à-vis des faits qui parlent
aujourd’hui
d’eux-mêmes, peut nous enseigner qu’au sein du
mouvement social
nous n’avons pas seulement affaire à une
question économique et à
une question juridique, mais que nous avons
bien affaire avant toute
chose à une question spirituelle.
Nous
nous
trouvons, pour ce qui est d’une grande partie
du monde
civilisé, loin du fait social qui parle sans
mélange. Les opinions
sociales des partis, des programmes sociaux
des partis, nous les
avons eues, elles ont été proférées,
proclamées. Toutes ces
idées, toutes ces opinions des partis, se
révèlent maintenant, que
l’on se trouve bien en face des faits, comme
tout à fait
insuffisantes. Aujourd’hui, il ne s’agit plus
de poursuivre
d’anciennes opinions de partis, mais
aujourd’hui il s’agit de
se positionner directement, avec un total
sérieux et un parfait sens
de la réalité, bien en face des faits.
Voyons
d’abord
encore une fois la manière dont a évolué la
vie des
hommes à l’époque moderne, cette vie qui s’est
précipitée
ensuite dans cette catastrophe. Nous avons
alors avant toute chose à
jeter une regard sur l’abîme qui apparaît
profond, presque
infranchissable, entre le prolétariat et le
non-prolétariat. Quand
nous regardons la vie culturelle de ce
non-prolétariat, qu’est-ce
qui s’oppose à nous? Bien certainement, cette
vie culturelle a été
copieusement glorifiée comme un énorme progrès
au cours des temps
modernes. On a toujours pu entendre sans cesse
combien dans cette
époque moderne les moyens de circulation ont
emporté les hommes
dans de vastes régions de la Terre, lesquelles
si on les avait
décrites d’une manière prophétique dans des
époques
antérieures, eussent été décriées comme des
utopies. L’idée —
ainsi a-t-on toujours et sans cesse prôné et
loué avec exagération
— vole à la vitesse de l’éclair vers de
lointaines régions et
les océans et ainsi de suite. On ne s’est
jamais lassé de priser
sans cesse le progrès. Mais aujourd’hui, c’est
le moment
d’ajouter à tout cela une autre considération.
Aujourd’hui,
c’est le moment de se demander: sous quelles
conditions ce progrès
est-il né? Il ne pouvait que naître en
s’édifiant sur une
infrastructure reposant sur les plus grandes
masses de l’humanité,
qui elles ne pouvaient pas participer à tout
ce que l’on a tant
loué ainsi de cette culture, et qui était
édifié sur de grandes
masses humaines qui devaient effectuer leur
travail pour qu’existe
cette culture réservée à quelques-uns,
laquelle sous la forme où
elle avait été créée, ne pouvait exister que
parce que ces masses
n’y avaient d’abord aucune part. Eh bien!, ces
vastes masses ont
grandi, elles ont repris leur esprit, et elles
exigent maintenant à
juste titre leur part. Leurs exigences sont en
même temps les
grandes exigences historiques du présent pour
quiconque comprend
réellement son époque. Et quand retentit
aujourd’hui l’appel
vers une socialisation de la vie économique,
alors celui qui
comprend son temps n’y reconnaît pas
simplement les revendications
d’une classe d’hommes, mais en même temps une
exigence
historique de la vie humaine du temps présent.
Un
trait
distinctif des classes humaines dirigeantes,
qui participèrent
à cette culture tant de fois louée et prisée,
c’est qu’elles
ont négligé presque toutes les occasions, au
cours de l’époque
moderne, qu’elles ne se sont pas montrées à la
hauteur de toutes
les occasions de franchir d’une manière
quelconque l’abîme qui
les séparait des masses du prolétariat qui
surgissaient avec des
revendications toujours plus justifiées. C’est
justement dans les
idées qu’on a échoué, dans ces idées qui
auraient dû affluer
dans la vie humaine, dans la vie sociale, pour
permettre de franchir
cet abîme. C’est déjà une particularité de
cette vie
spirituelle moderne, que l’on a tant prisée,
qu’elle soit
devenue de plus en plus étrangère à la vraie
vie réelle.
L’individu poursuit toujours cette vie qui
l’entoure
immédiatement. Pour de larges milieux, ils ne
se retrouvaient plus
dans notre vie spirituelle, dans nos
établissement d’enseignement,
et ainsi de suite. Des exemples du genre, qui
pourraient être
fournis à partir des points de vue les plus
variés, ne se comptent
pas par dizaines, mais par centaines et plus.
Au
début
du siècle, un conseiller du gouvernement, le
conseiller Kolb
(2), a pris son destin en mains d’une
manière singulière. Je
mentionne volontiers ce Kolb, ce
conseiller du gouvernement,
car c’est tout à son honneur cette façon qu’il
a eue de prendre
son destin en main, et parce que je n’ai à ce
propos aucun besoin
de dire d’une quelconque manière quelque chose
de dommageable à
son sujet, ce que je ne fais pas volontiers.
En un clin d’œil,
Kolb a provoqué quelque chose dans sa vie que
peu d’autres
conseillers du gouvernement font. Les autres
se laissent le plus
souvent mettre à le retraite, quand ils ne
veulent plus assurer leur
service; lui, par contre se congédia lui-même,
quitta sa fonction,
émigra en Amérique et s’y fit embaucher comme
travailleur
ordinaire, d’abord dans une brasserie, puis
dans une fabrique de
bicyclettes. À partir des expériences que
traversa ce conseiller du
gouvernement, il rédigea ensuite un livre:
« Travailleur en
Amérique ».
Dans
cet
ouvrage, on tombe sur une phrase remarquable
qui dit à peu près
ceci: « Lorsque autrefois je rencontrai
un homme qui ne
travaillait pas, moi, je disais:
« Pourquoi ce gueux ne
travaille-t-il pas? ». À présent, je suis
autrement informé.
Et à présent, je sais aussi beaucoup d’autres
choses; à présent,
je sais que même la plus horrible activité
dans les bureaux d’étude
fait encore un bon effet. » C’est là un
aveu qui caractérise
profondément les rapports sociaux de l’époque.
Un homme qui est
sorti de notre vie spirituelle, à qui on avait
confié le sort des
hommes pendant de nombreuses années, — pendant
autant d’années
qui furent nécessaires pour produire un
conseiller du gouvernement
—, cet homme ne connaissait en effet rien au
travail humain,
c’est-à-dire, qu’ils ne connaissait rien de la
vie humaine. Il
dut d’abord provoquer lui-même un tournant
dans sa propre
destinée, pour apprendre quelque chose de la
vie, qu’il était
censée gouverner et dans laquelle il devait
être efficace en tant
que membre des classes dirigeantes. Il dut
d’abord, pour savoir à
quoi s’en tenir de cette vie-là, se faire
embaucher comme ouvrier
et il en vint ensuite à de toutes autres
conceptions de la vie.
Cet
exemple,
qui pourrait vraiment être multiplié, ne
renvoie-t-il pas
à ce caractère de notre vie spirituelle, dans
laquelle baignent les
hommes qui gouvernent et qui est devenue si
étrangère à la vie des
grandes masses? Les grandes masses ont
ressenti dans les besoins de
leurs corps et de leurs âmes la manière dont
les classes
dirigeantes mènent cette vie économique. Elles
ont perçu que
quelque chose ne s’accordait pas, que ces
classes dirigeantes
n’avaient pas l’esprit qu’il fallait pour
guider la vie
économique. La question surgit donc
aujourd’hui: comment s’en
arranger autrement?
Et
dans
bien d’autres rapports, on peut encore voir
combien la classe
dirigeante est devenue étrangère au cours du
dernier siècle à ce
qui aurait dû arriver, pour ne pas s’enfoncer
dans la catastrophe.
On parlait assurément avec un sentiment très
sérieux et très
digne, au sein de ces cercles dirigeants, de
toutes sortes de beautés
possibles, de l’amour du prochain de la
fraternité qui doit régner
entre les hommes, de la manière dont l’être
humain devait être
principalement bon, et d’autres choses du même
genre. Mais on
n’avait aucune relation avec la vie réelle. On
recourut tout au
plus une fois à des enquêtes (en
français dans le texte,
ndt). Une telle enquête, depuis
le milieu du
dix-neuvième siècle n’est plus une affaire
aussi insensée.
Celle-là fut réalisée à l’initiative du
gouvernement anglais,
auprès des directeurs d’exploitations
minières. Les hommes qui,
dans leurs habitations bien chauffées,
discouraient sur l’existence
humaine, durent alors apprendre, un jour, à
quel genre de charbon
ils devaient leur bien-être. Ils durent
apprendre, que ce charbon
(a), au sujet duquel ils évoquaient
leur morale progressiste
et leur vie spirituelle qui avançait, est
extrait et remonté dans
des puits de mines, dans lesquels on envoyait
des enfants de neuf,
onze ou treize ans, travailler toute la
journée dès le lever du
Soleil, et qui ne remontaient qu’à la nuit
tombée, de sorte que
ces pauvres enfants ne voyaient presque jamais
la lumière du Soleil.
On peut bien se permettre de parler ainsi sur
le bien-être humain et
sur l’amour du prochain, au sujet du charbon
qui est ainsi mis au
jour. Et l’on pourrait encore raconter
beaucoup de choses
semblables. Et l’on doit s’interroger: à
partir de telles
occasions, des impulsions sont-elles nées dans
les cercles
dirigeants de l’humanité, pour intervenir
réellement dans la vie
sociale? Maintes personnes me rétorqueront: en
effet, beaucoup de
choses se sont améliorées. Mais je dirai
alors: ce qui s’est
amélioré, ne s’est pas amélioré par
l’initiative de la classe
dirigeante, non pas, mais par le combat
difficile de ceux qui ont
souffert dans ces circonstances.
Ce
sont
des choses sur lesquelles il faut bien
aujourd’hui diriger son
regard. On doit regarder aujourd’hui ce que
l’ouvrier, qui trime
du matin au soir, voit tout au plus de
l’extérieur, lorsqu’il
passe devant nos universités, devant nos cours
complémentaires. Il
ne connaît en effet que ce qui se passe dans
les écoles primaires,
et encore seulement ce qu’il peut y apprendre.
Il ne sait pas
comment les objectifs des écoles primaires
sont décidés d’en
haut; il voit seulement que ceux qui peuvent
aujourd’hui diriger la
vie économique ne proviennent pas de ces
établissements. C’est
ici qu’est située la première structure de la
question sociale.
En dépit de tous nos panégyriques au sujet de
notre vie
spirituelle, nous n’avons donc aucune vie de
l’esprit qui soit à
la hauteur des grandes tâches de l’époque.
Jetons
à
présent un regard dans la vie économique. Au
moment où le
mouvement social fit son apparition, on
entendait très fréquemment
du côté des cercles dirigeants, qui voulaient
par ces mots s’en
débarrasser: ils veulent partager ! Mais
qu’en résulte-t-il
de ce partage? C’est que chacun n’en reçoit
que très peu. —
Ensuite cette objection cesse; car d’un côté
cela est très vrai,
mais de l’autre, c’est très sot. Ces derniers
temps elle a
pourtant reparu sans cesse. Mais ce n’est pas
cela qui importe.
Celui qui regarde bien dans la structure
particulière de notre vie
économique, sait que la misère du corps et de
l’âme des grandes
masses des prolétaires a été provoquée par des
raisons de fond
toutes différentes. Il sait qu’une formation
insuffisante de la
vie de l’esprit a fait que l’on n’a pas
compris comment amener
un mouvement, qui a fait sans cesse des
progrès techniques, à une
forme telle que chaque homme pût en retirer
une existence digne.
Certes,
et
à bon droit, on a de multiples fois renvoyé au
fait que le
mouvement social moderne est apparu au travers
de la technique
moderne, par les machines, par le capitalisme,
qui a ravagé les
âmes. On a simplement oublié que tout ce qui a
ainsi surgi, ne
pouvait pas être maîtrisé par la vie de
l’esprit, telle qu’elle
s’était développée de son côté.
Pourquoi
est-ce
arrivé ainsi? En même temps que la machine,
l’industrialisation, le capitalisme, une
aspiration déterminée a
fondu sur l’humanité, pour s’y exprimer d’une
manière telle
que l’on vit soudainement un progrès dans le
fait de laisser
l’État absorber, si possible, toute la vie
spirituelle.
L’étatisation de la vie spirituelle, voilà ce
qui fut considéré
comme un grand progrès. Et aujourd’hui, on
rencontre encore les
plus acrimonieux préjugés, à ce sujet, quand
on oppose quoi que ce
soit contre cette étatisation de la vie
spirituelle. Ceux qui, par
leurs sympathies naturelles, baignent au beau
milieu de cette vie
spirituelle, donnent à entendre, avec un
certain orgueil, que l’on
a beaucoup plus progressé ainsi pour ce qui
est de l’esprit, que
dans l’ancienne et sombre époque du Moyen-Âge.
Eh bien!, bien
sûr!, nous ne voulons pas ici ravoir le
Moyen-Âge! Nous ne voulons
pas reculer, mais avancer. Mais une autre
question doit alors surgir.
On affirme: au Moyen-Âge, la théologie ou
l’Église a placé la
vie spirituelle, en particulier les sciences,
à la traîne.
Aujourd’hui, on doit s’interroger: à la traîne
de quoi met-on
aujourd’hui la vie spirituelle — ou bien même
encore autres
choses? Pour illustrer cela de nouveau, un
exemple, que l’on
pourrait multiplier non pas par cent, mais par
mille. De nouveau, je
dois parler d’un homme que j’estime hautement,
parce que selon ma
conviction, c’était un important investigateur
de la nature (3).
Il était en même temps, secrétaire général
d’une société
savante (4), qui avançait au sommet de
la vie spirituelle
allemande. Dans un de ses discours bien
réussis, il voulut exprimer
que ces érudits allemands, qui avaient le
grand honneur d’être
membres de l’Académie des Sciences de Berlin,
y rattachaient là
leur plus grande fierté. Quand on décrit
quelque chose comme cela,
on devrait à vrai dire renvoyer à un certain
fait historique, qui
n’est pas sans importance. Cette académie
berlinoise avait
toujours été ce qui, pour ainsi dire, pouvait
exprimer
spirituellement l’impulsion du caractère des
Hohenzollern. Un
Hohenzollern du dix-huitième siècle (5)
se trouva en effet
un jour devant la nécessité de placer, à la
tête de son académie
des sciences, un président — je ne suis pas en
train de vous
raconter des histoires, mais bel et bien un
fait historique —, et
il crut honorer au mieux cette académie des
sciences, en lui donnant
comme président..., son bouffon! Mais le grand
savant de la fin du
dix-neuvième affirmait lui que ces grands
érudits de l’Académie
berlinoise s’en font leur plus haute gloire,
d’être précisément
les troupes coloniales des Hohenzollern (6).
On
doit
considérer de telles choses comme un symptôme
d’époque. On
doit voir là-dedans ce que la vie spirituelle
est devenue dans sa
dépendance du pouvoir de l’État et du pouvoir
capitaliste, lequel
est rallié à ce dernier. Car si l’on ne veut
pas partir de
n’importe quel préjugé, mais si l’on veut
concevoir une
impulsion intérieure à partir des nécessités
mêmes de la vie, et
donc à partir de la réalité, alors on devra
s’opposer à tous
les préjugés qui circulent et s’avouer: la vie
spirituelle ne
peut recouvrer sa propre énergie, que si elle
se libère de nouveau
de l’État, et qu’elle s’établit totalement sur
elle-même. Ce
qui vit dans la vie de l’esprit, en
particulier dans l’enseignement
(appelée autrefois significativement en France
instruction
publique, ndt), doit recevoir
son autonomie, depuis le
sommet de la gestion de la vie spirituelle,
jusqu’à l’enseignant
situé au niveau scolaire le plus bas. Dans la
gestion de la vie de
l’esprit rien d’autre ne doit servir de règle
que les énergies
mêmes de cette vie de l’esprit. Ceux qui sont
actifs dans cette
vie de l’esprit, et qui la vivent de
l’intérieur, doivent
d’eux-mêmes constituer la structure qui assure
la gestion autonome
de cette vie de l’esprit et cela sur ses
propres fondements.
C’est
le
premier point de ce qui est appelé ici la Dreigliederung
de
l’organisme social. Une telle vie de l’esprit
pourrait être en
relation avec la vie d’une toute autre manière
que le vie
spirituelle anti-sociale, dans laquelle nous
nous sommes
progressivement retrouvés, et hors de
laquelle, à ce qu’il semble
selon certains, nous n’aurions aucun besoin de
sortir.
Quelqu’un
qui
a une réelle expérience dans ce domaine, peut
bien s’exprimer
justement à son sujet à partir de sa propre
expérience. Je fus
pendant des années (1899-1904, ndt)
enseignant à
l’Université populaire de Berlin (7),
une université
destinée aux travailleurs et créée par Karl
Liebknecht. Je sais
donc comment on dévoile les sources d’une vie
spirituelle sur un
territoire qui n’est plus réservé à une classe
privilégiée et
qui représente une vie de l’esprit luxueuse,
mais en se fondant
sur ce qu’on peut dire à tous les hommes, qui
ont le désir de
conquérir une existence dignement humaine,
pour leur corps et leur
âme. Et je sais encore quelque chose d’autre,
à partir de cette
pratique de vie qui fut la mienne. Je sais
comment les travailleurs
m’ont compris, comment ils m’ont de mieux en
mieux compris, quand
je me suis adressé à eux à partir d’une libre
vie de l’esprit,
celle qui est bien présente là pour tous les
hommes, et pas pour
une classe privilégiée. Parce que les
travailleurs pensaient que
l’on dût participer à ceci ou cela, il y eut
alors aussi des
occasions, lors desquelles j’eus l’opportunité
d’accompagner
les travailleurs dans des musées ou autres
institutions, des lieux
où l’on pouvait voir les témoignages d’une
culture, une culture
qui ne se trouvait pas là pour quelques-uns
seulement et qui n’était
pas une culture populaire, ou une vie
spirituelle populaire. Alors je
vis combien était profond l’abîme qui existait
entre l’esprit
et l’âme et comment ces gens, au fond, ne
pouvaient pas réellement
accepter intérieurement ce qui était né sur le
terrain d’une
culture pour quelques-uns seulement. Il y a là
une erreur, à
laquelle beaucoup s’abandonnent encore
aujourd’hui. On croit
qu’on encourage la formation du peuple,
lorsqu’on jette aux
grandes masses des bribes de ce qui a surgi
dans nos universités,
nos lycées ou autres institutions
d’enseignement de notre culture,
de ce qui est né seulement à partir de
sentiments sociaux de
quelques-uns. Qu’est-ce qu’on n’a pas fait
pour activer une
telle formation populaire! Bibliothèques
populaires, universités
populaires, théâtres populaires et ainsi de
suite. Personne n’est
jamais sorti de l’erreur qui consiste à croire
que l’on pourrait
transposer ce qui est spirituellement né du
milieu sentimental d’une
minorité, se tenant à l’écart, aux grandes
masses populaires.
Non, l’époque exige une vie spirituelle qui
englobe tout d’une
manière sociale. Mais elle ne peut naître que
si ceux qui sont
censés y prendre part, avec toute la vie de
leurs sentiments et avec
tous leurs fondements sociaux à eux, forment
une unité avec ceux
qui engendrent cette vie de l’esprit. Pour
cela, il faut une
libération de la vie de l’esprit de la
contrainte d’État ou du
capital. Naturellement, dans une brève
conférence, je ne peux pas
tout indiquer — en tout cas pas tout ce qui
est précisé dans mon
ouvrage sur le point crucial de la question
sociale —, ce qu’il y
aurait seulement à dire sur la nécessité de
replacer la vie de
l’esprit, en dehors de l’État et en dehors de
la vie économique,
sur ses propres fondements à elle. Mais c’est
là la première
exigence pour la Dreigliederung de
l’organisme social: une
vie de l’esprit qui se développe à partir
d’elle-même.
On
n’a
pas besoin de redouter une telle vie de
l’esprit. On n’a
pas besoin non plus d’avoir peur, lorsqu’on a
une si mauvaise
opinion des êtres humains et en étant
éventuellement de l’avis
qu’ils retomberaint dans l’ancien état
d’analphabétisme ou
autre choses semblables, au cas où les parents
seraient de nouveau
libres d’envoyer leurs enfants à l’école ou de
les laisser
traîner dans les rues, sans contrainte de la
part de l’État. Non,
le prolétariat précisément saura toujours de
plus en plus ce qu’il
doit à la formation scolaire. Et il ne
laissera pas ses enfants en
dehors de l’école, même s’il n’est plus forcé
d’envoyer
ses enfants à l’école, mais il les y enverra
librement et de son
plein gré. Et en particulier les tenants de
l’école unique n’ont
pas besoin d’avoir peur non plus que l’école
soit détruite par
une libre vie de l’esprit. Il ne pourra rien
naître d’autre que
l’école unitaire, si la libre vie de l’esprit
est favorisée.
Voici
donc
d’abord ce que nous avions à dire sur la
structuration de la
vie spirituelle autonome vis-à-vis de l’État
et de la vie
économique.
Le
second
domaine de la vie que l’on doit considérer si
l’on veut
étudier aujourd’hui la question sociale, c’est
celui la vie
juridique. Les hommes ont développé à son
sujet les opinions les
plus diverses. Mais celui qui se décide à la
considérer et à la
ressentir directement à partir de la réalité,
celui-là se dira:
avancer n’importe quelle définition, n’importe
quelle choses
érudite au sujet du droit, c’est carrément
comme si l’on
voulait donner toutes sortes d’indications
érudites sur la nature
de la couleur bleue et de la couleur rouge.
Sur le bleu et le rouge,
on peut discuter avec tout un chacun qui
dispose d’un oeil sain.
Sur la conscience du droit, sur ce droit qui
revient à tout homme,
parce qu’il est un homme, on peut bien en
discuter avec toute âme
humaine éveillée. Et ce sont bien à des âmes
humaines éveillées,
à des âmes humaines de plus en plus éveillées,
que nous avons à
faire avec le prolétariat moderne.
En
rapport
avec ce fondement juridique de la vie,
l’humanité plus
récente, pour autant qu’elle appartienne aux
classes dirigeantes,
a en tout cas traversé une expérience
remarquable. Ces classes
dirigeantes ne purent, en effet, que répandre
rien d’autre qu’une
certaine démocratie sur la vie. Elles ont
besoin, pour mettre en
scène leurs intérêts capitalistes, d’un
prolétariat adroit,
d’un prolétariat qui entretienne le
perfectionnement de certaines
forces de l’âme. Dans la vie économique
capitaliste moderne, on
n’a plus besoin de l’ancienne vie patriarcale.
Mais il apparaît
à présent quelque chose de très désagréable
pour une telle
démocratie capitaliste unilatérale. À savoir,
que l’âme humaine
a la particularité, quand on développe en elle
des facultés ou des
forces particulières, qu’ensuite d’autres
facultés en
surgissent d’elles-mêmes. Ainsi l’humanité
dirigeante voulut ne
laisser se développer de préférence que ces
forces de l’âme qui
rendent l’ouvrier adroit, pour travailler dans
les usines. Pourtant
il se trouva naturellement que les âmes
sortirent effectivement des
anciens rapports patriarcaux, mais qu’en elles
s’éveilla aussi,
en particulier, cette conscience des droits de
l’homme. Et elles
virent même au sein de l’État moderne ce qui
devait incarner le
droit. Elles s’interrogèrent alors: est-ce là
le sol sur lequel
le droit fleurit réellement? Et que
découvrirent-elles? Au lieu des
droits de l’homme, elles découvrirent des
privilèges de classes
et des préjudices de classes. Et de cela
s’ensuivit ce qu’on
appelle la lutte moderne des classes du
prolétariat, derrière
laquelle ne se dissimule rien de plus ni rien
de moins que la grande
exigence, justifiée, d’une existence dignement
humaine pour tous
les hommes.
Telle
est
donc la seconde forme structurelle de la
question sociale, la
question du droit. Ce qu’elle signifie, on ne
le reconnaît
pourtant pas tant qu’on ne jette pas un regard
sur la troisième
forme structurelle, celle de la question
économique. Au sein de la
vie économique, deux choses se sont déversées
qui n’appartiennent
absolument pas à la vie économique. Ce sont le
capital d’une
part, et de l’autre, l’énergie du travail
humain, alors que ce
qui relève simplement de la vie économique,
c’est ce qui se joue
sur la valeur marchande. Je pense que ces
dernières années, et en
particulier en ce moment, les hommes ont pu
s’informer très
nettement sur le fait que le plus important
dans le mouvement social
prolétarien, c’est le prolétaire lui-même. Au
point où en sont
les choses aujourd’hui, ne peut vraiment plus
juger du prolétariat
celui qui, parce que l’époque déjà l’y incite,
discute sur le
prolétariat à partir de toutes sortes de
représentations acquises
d’avance. Non, ne peut juger de ces choses que
celui dont le destin
l’a amené à penser avec le prolétariat, à
ressentir avec le
prolétariat. On doit soi-même avoir vu comment
pendant des dizaines
d’années, le monde prolétarien se réunissait
dans ces heures de
la soirée, qui pouvaient être arrachées en
luttant après un dur
labeur, pour venir s’instruire sur le
mouvement économique des
temps modernes, sur la signification du
travail, sur celle du
capital, sur le sens de la consommation des
marchandises, et de la
production; on doit avoir vu quel énorme
besoin de formation se
développait chez les prolétaires derrière
cette question
essentielle, tandis que sur l’autre bord de
l’abîme, au milieu
des classes supérieures, les gens
fréquentaient les théâtres, et
s’adonnaient à maintes autres activités qui
les amenaient
parfois, à la rigueur, à poser le regard,
depuis la scène en bas,
sur cette misère prolétarienne. Là se
développait le prolétaire;
il se développait carrément à partir de sa
propre
vie de l’esprit. Et celui qui affirme
aujourd’hui que la question
prolétarienne, c’est une simple question de
pain et de ventre, à
celui-là on doit lui donner déjà la réponse:
c’est déjà bien
dommage d’en être arrivé à ce que la question
prolétarienne fût
devenue une question de pain, et donc de ne
pas avoir pris garde plus
tôt à autre chose, à savoir à l’exigence qui a
surgi chez le
prolétaire, à partir de toutes ses propres
énergies, d’une
existence dignement humaine; l’exigence d’une
existence où le
corps et l’âme n’ont plus besoin de se laisser
dépérir. Car
toutes les exigences du prolétariat sont
finalement sorties de ceci
et pas simplement d’une question de pain ou de
ventre. Mais pendant
que le prolétaire tentait ainsi de parvenir à
connaître par
lui-même, tandis qu’il entrait dans la
connaissance des formes
économiques des temps modernes, la conscience
s’éveilla en lui de
la façon dont, à proprement parler il
s’insérait, lui, en tant
qu’homme, dans cette vie humaine. De son point
de vue, il put
regarder vers la conduite de la vie du côté
des classes
dirigeantes. Alors qu’on lui disait que
l’histoire était un
ordonnancement divin du monde, ou un
ordonnancement moral du monde,
ou bien l’ordonnancement universel des idées,
lui, il ne put que
constater que les classes dirigeantes
s’épanouissaient au sein de
leur ordonnancement du monde de façon à
s’accorder, elles, la
plus-value que, lui, avait produite. Voilà
pourquoi les paroles du
manifeste communiste (8) pénétrèrent
si profondément dans
les âmes prolétariennes et les amenèrent à la
conscience de leur
situation. Malgré tous les progrès des temps
modernes, malgré
toute cette soi-disant liberté nouvelle, le
prolétariat reste
condamné à vendre son énergie de travail sur
le marché du travail
comme une marchandise et à se la laisser
acheter. De cela ressort
l’exigence: les temps sont révolus, lors
desquels l’homme devait
encore vendre une partie de lui-même, ou
devait se laisser vendre
lui même. Son sentiment, qu’il ne pouvait
peut-être pas toujours
exprimer en paroles claires, ramena le
prolétaire en arrière vers
des époques anciennes, vers les époques du
servage. Et il vit
comment de ces époques anciennes, l’achat de
son énergie de
travail avait subsisté. Car ce n’est rien
d’autre que ceci qui
se trouve à la base de la relation salariale.
Alors il se dit: au
marché appartiennent les marchandises. Les
marchandises, on les
apporte au marché, on les vend et on rentre
chez soit avec le
produit de la recette. Moi, je dois vendre mon
énergie de travail à
l’employeur, mais je ne peux pas aller vers
lui et lui dire: comme
tu as acheté ma force de travail pour autant
et autant d’argent,
alors je m’en vais; je dois me livrer
moi-même! — Voyez-vous
cela, en tant qu’homme, on doit aller avec son
énergie de travail.
Voilà ce que ressent le prolétariat comme une
existence
non-dignement humaine.
C’est
alors
que surgit la grande question: que doit-il se
produire pour que
l’énergie du travail ne puisse plus être une
marchandise? Les
hommes d’aujourd’hui, dans la mesure où ils
appartiennent aux
milieux dirigeants, au fond, se font vraiment
très peu d’idées
sur la force du travail. Ces gens-là sortent
leur porte-monnaie et
paient telle ou telle somme apparente
d’argent. Quant à savoir
s’ils réfléchissent sur le fait que, dans
cette somme apparente
qu’ils viennent de donner — qu’ils ont même
peut être remise
en coupons ou chèques —, se trouve
« marchander »
telle ou telle énergie du travail que
revendique le prolétariat,
c’est la grande question. En tout cas, ils ne
se consacrent pas à
des idées assez puissantes pour intervenir
dans la vie sociale.
De
quoi
s’agit-il, c’est justement du fait que
l’énergie du
travail humain ne peut pas être comparée au
prix de n’importe
quelle marchandise ! il s’agit que la
force du travail humain
est quelque chose de tout autre qu’une
marchandise. Cette force
humaine doit sortir du processus économique.
Et elle n’en arrivera
pas autrement à sortir, que si l’on considère
la vie économique
comme un membre de l’organisme social, détaché
de l’organisme
juridique ou d’État proprement dit, de
l’organisme politique.
Cela pourra alors avoir lieu et je voudrais
aussitôt vous illustrer
cela par une comparaison. La vie économique
confine d’un côté
aux fondements naturels. Dans un domaine
économique fermé, on ne
peut pas arbitrairement faire de l’économie
détachée, isolée.
Avec des moyens techniques, on met le sol en
valeur ou autre. Mais
dans certaines limites, on doit se conformer
aux ressources
naturelles. Pensez à un certain nombre de
grands propriétaires
fonciers — et donc à leur façon aussi des
capitalistes — qui
diraient: si nous voulons en rester à ce
bilan, ou même en obtenir
un meilleur, alors nous devons avoir cent
jours de pluie en été,
entrecoupés de jours ensoleillés et ainsi de
suite; naturellement,
une parfaite bêtise, mais elle attire notre
attention sur le fait
que, d’un côté, on ne peut pas changer les
ressources naturelles;
comme nous ne pouvons pas exiger de la vie
économique, que les
forces de la nature soit préparées de telle ou
telle manière dans
le sol pour le blé. Nous devons nous adapter
aux forces de la
nature, elle se trouvent là, à côté de la vie
économique. D’un
autre côté, la vie économique doit être
limitée par la vie
juridique, c’est-à-dire: tout aussi peu que
les forces de la
nature dépendent de la conjoncture sur le
marché, tout aussi peu
l’énergie du travail humain doit dépendre de
la conjoncture du
marché. Comme une force naturelle, la force du
travail humain doit
être enlevée de la vie économique et placée
sur le terrain du
droit. Si elle est placée ainsi sur le terrain
juridique, alors sur
ce terrain pourra se développer tout ce en
quoi un homme est l’égal
d’un autre, en ne développant que de réels
droits humains, en
développant aussi un droit du travail.
Quantité, forme et temps du
travail y seront donc fixés, avant que le
travailleur intervienne
dans le processus économique. Alors, en tant
qu’homme libre, il se
tiendra en face de celui qui, alors, comme on
le verra tout de suite
après, n’est plus le capitaliste, mais sera
celui qui guide et
gère le travail et donc son collaborateur
spirituel.
On
peut
bien dire d’aussi belles paroles qu’on veuille
sur ce qu’on
appelle le contrat de travail — aussi
longtemps qu’il restera un
contrat de salaire, il ne pourra toujours en
surgir que
l’insatisfaction du travailleur. Ce n’est qu’à
partir du
moment où l’on ne pourra plus conclure de
contrat sur l’énergie
du travail, mais purement et simplement sur la
production commune du
conducteur des travaux et du travailleur
manuel, quand on pourra
purement et simplement conclure un contrat sur
le résultat à
obtenir en commun, qu’il en ressortira une
existence dignement
humaine pour toutes les parties prenantes.
Alors le travailleur fera
face au conducteur de travaux comme à un libre
associé. C’est à
cela qu’aspire au fond le travailleur, même
s’il ne peut pas
s’en faire des représentations tout à fait
aussi claires
aujourd’hui. C’est ce qui repose à la base du
problème
économique véritable du prolétariat, dans
l’exigence économique
proprement dite: libération de l’énergie du
travail du cercle
économique, établissement du droit et de
l’énergie de travail au
sein de la seconde composante de la Dreigliederung
de
l’organisme social, à savoir le terrain
juridique.
Et
sur
ce terrain juridique, il doit encore y avoir
une toute autre
structure nouvelle. C’est la nouvelle
structuration qui plonge les
hommes d’aujourd’hui dans la stupéfaction la
plus totale, je
veux dire la restructuration du capital. Pour
ce qui est de la
propriété privée, les hommes pensent
socialement, pour le moins
jusqu’à un certain degré, et certes sur un
domaine qui leur
semble moindrement difficile, sur le domaine
spirituel. Car dans le
domaine spirituel, n’est-ce pas, ce qui compte
en rapport avec la
propriété, au moins en principe, c’est quelque
chose de social.
Ce que quelqu’un produit, et si ce quelqu’un
est encore un homme
avisé, un homme encore doué de talent —
certes, il apporte ses
aptitudes par sa naissance, mais c’est là une
autre question —,
mais ce que nous produisons de socialement
précieux, spirituellement
aussi, nous le produisons du fait même que
nous nous trouvons au
sein de la société. Il est reconnu dans le
domaine spirituel, au
moins en principe — car ce temps pourrait
encore en être réduit —
un usufruit de ce qui est ainsi produit
spirituellement, qui ne peut
plus continuer à être transmis en héritage, à
partir de la
trentième année qui suit la mort de son auteur
(9). Ce délai
pourrait être réduit, mais il est au moins
reconnu que ce qui
relève de la propriété spirituelle
(« intellectuelle »
en France... ndt) doit tomber dans le
domaine public, et
revenir donc à la propriété de tous, lorsque
l’individu avec ses
aptitudes individuelles n’est plus là pour le
gérer. La propriété
spirituelle ne doit pas, d’une manière
quelconque, revenir à ceux
qui n’ont plus rien à faire ensuite avec cette
création.
Eh
bien
dites-vous que c’est aujourd’hui une exigence
historique,
que la même chose survienne à l’avenir pour le
capital physique!
Dites-vous bien qu’aujourd’hui, lorsqu’on dit
cela aux hommes,
à ceux qui se trouvent aujourd’hui au sein de
l’éducation
capitaliste, imaginez-vous quel genre de
grises mines ils se mettent
à faire! Et pourtant, c’est l’exigence la plus
importante du
présent, que le capital ne soit plus désormais
introduit et mis en
place de la même façon dans la société, que
celle dans laquelle
il se trouve introduit aujourd’hui. Il s’agit
qu’à l’avenir,
chacun, à partir de ces capacités
individuelles, parvienne à la
situation de gérer les moyens de productions
qui existent dans un
domaine déterminé. Et un moyen de production,
en vérité, c’est
le capital. Le travailleur lui-même y a le
plus grand intérêt, à
savoir, disposer d’un bon dirigeant spirituel
en tant que
gestionnaire ou gérant de ce capital; car de
cette façon, on peut
au mieux mettre à profit son travail. Le
capitaliste devient alors
lui, justement, la cinquième roue du carrosse,
il n’est même plus
nécessaire. C’est cela que l’on doit
discerner. Il est donc
nécessaire qu’à l’avenir les moyens de
production soient
rassemblés dans une branche économique donnée,
ou bien pour une
finalité culturelle donnée; mais aussi,
ensuite que les capacités
individuelles de l’homme ou du groupe
d’hommes, qui ont réuni
ces moyens de production, ne justifient plus
leur propriété
personnelle sur ces moyens de production, ces
derniers doivent être
transférés ou remis à d’autres, comme je l’ai
exposé dans mon
ouvrage « Le point essentiel de la
question sociale »,
non pas transférés aux héritiers, mais à
d’autres personnes,
différentes, qui disposent de nouveau de
capacités et d’aptitudes
plus grandes pour gérer ces moyens de
production au profit de la
communauté.
Comme
le
sang circule dans l’organisme humain, ainsi
les moyens de
productions circuleront à l’avenir, et donc le
capital, dans la
communauté de l’organisme social. Comme le
sang ne doit pas
stagner dans un organisme sain, mais irriguer
partout le corps, pour
tout faire fructifier, ainsi le capital à
l’avenir ne doit plus
s’amasser en propriété privée en n’importe
quel point de
l’organisme social. Quand il a rendu service
en un endroit, il vaut
mieux le transférer à ceux qui le gèreront au
mieux en un autre.
Ainsi le capital est-il dépouillé de cette
fonction-là qui,
aujourd’hui, a provoqué les plus grandes
nuisances sociales.
Mais
les
gens parfaitement sensés, qui s’expriment à
partir du point
de vue capitaliste, disent avec raison: toute
économie consiste dans
le fait que des biens existants soient remis,
afin que l’on puisse
obtenir des biens futurs. — C’est parfaitement
exact; mais si
l’on doit aussi observer de cette manière les
règles d’une
saine économie — à savoir que le passé dépose
de bons germes
pour l’économie de l’avenir, afin que
l’économie ne dépérisse
pas — alors le capital doit aussi avoir le
caractère propre des
biens. De nouveau ici les mines s’allongent
tristement, quand on
évoque cette exigence d’avenir. Des biens
réels ont toutefois la
particularité d’être consommés. Par cette
consommation, ils
cheminent comme tout ce qui est vivant. Notre
ordre économique a
utilisé jusqu’à présent le capital de manière
à ce qu’il ne
prenne pas ce chemin-là, ce chemin de la vie.
On a recours au
capital pour l’avoir simplement, et alors ce
capital est arraché
hors de la destinée que suivent tous les
autres biens, qui se
trouvent dans le processus économique. Aristote,
avait déjà
dit (10) que le capital ne devait pas
« mettre bas »,
mais ce capital, non seulement il a fait des
petits, mais les jeunes
qu’il a produits continuent de proliférer à
leur tour, jusqu’à
devenir grands; on peut indiquer le nombre
d’années nécessaires
au doublement du capital, s’il n’est que
laissé à lui-même.
D’autres biens, pour lesquels le capital ne
devrait exister
pourtant que comme représentant, ont la
particularité soit de se
détruire, soit de ne plus pouvoir être
consommés, s’ils ne sont
pas utilisés à temps. On doit donc apposer sur
le capital, pour
autant que c’est un capital financier,
l’attribut qu’il
participe à la destinée de tous les autres
biens. Tandis que notre
vie économique actuelle révère le capital et
compte que ce capital
doublera en un certain temps, une saine vie
économique amènerait,
quant à elle, le simple capital financier à
disparaître dans le
même temps, et à ne plus exister. C’est
aujourd’hui encore
quelque chose d’horrible, quand on dit cela
aux gens qu’après 15
ans, ils ne doivent plus disposer du double du
capital, mais qu’après
un délai équitable, ce qu’est le capital
financier ne doit plus
exister du tout, parce que ce qui est
introduit dans ce capital doit
participer à sa détérioration par l’usage.
Certes, on doit
prendre aussi en considération mainte chose
comme ce qui concerne
l’épargne, etc.
Nous
ne
nous trouvons donc pas aujourd’hui devant de
petits décomptes à
imputer, mais devant de grandes déductions. Et
nous devons avoir le
courage d’en venir à reconnaître ces grandes
déductions.
Autrement l’ordre social, ou pour mieux dire,
le désordre social,
le chaos social fera irruption sur nous. Les
hommes ne se doutent pas
à ce sujet qu’il sont en train de danser sur
un volcan.
C’est
plus
dans leur intérêt de continuer facilement
l’ancien, alors
que l’époque exige d’eux, non seulement de
reprendre entièrement
maintes institutions, mais de repenser
complètement leurs vieux
schémas de penser et de modifier leurs façons
de voir.
Quand
l’énergie
du travail et le capital seront donc retirés
hors du
processus économique, où afflue alors le
capital de la communauté,
et que la force de travail sera remise au
droit de l’homme libre,
alors il n’y aura plus, au sein même du
processus économique, que
la consommation de marchandises, la
circulation des marchandises, et
la production des marchandises. Alors on aura
simplement à faire
avec des valeurs de marchandises. Et, au sein
de ce processus
économique, qui peut à présent être remis à
lui-même, en tant
que membre d’un organisme socialement sain,
pourra naître alors la
conception dont on peut dire: on ne produit
pas simplement pour
produire, mais on produit pour consommer.
Alors naîtront ces
associations coopérantes, qui seront formées à
partir des centres
d’activités, mais, pour préciser, qui seront
formées à partir
des consommateurs et des producteurs ensemble
(b). De ces
associations coopérantes surgira alors ce qui
est remis au hasard du
marché. Ce qui décide aujourd’hui sur le
marché est totalement
soustrait à la pensée humaine au jugement
humain: l’offre et la
demande. À l’avenir, les associations
coopérantes devront décider
de ce qui conditionne à partir du marché, la
formation du prix, la
formation de la valeur marchande des biens.
Rien que de cette
manière, un homme produira autant qu’a de
valeur le produit de
toutes les marchandises dont il a besoin pour
sa consommation,
jusqu’à ce qu’il parvienne à produire une même
quantité de
marchandises. Ce sera là une vie économique
juste. Ce sera une vie
économique dans laquelle le prix d’une sorte
de marchandises ne
surpassera pas d’une manière disproportionnée
les prix des autres
types de marchandises. Aujourd’hui, où la
rétribution est encore
contenue dans le processus économique, et où
le travailleur n’est
pas le compagnon libre de l’administrateur
spirituel du processus,
la chose en est encore au point où au sein du
processus économique,
le travailleur doit lutter d’un côté pour
obtenir une hausse de
sa rétribution, et, de l’autre, il faut à
cause de cela boucher
un trou qu’un autre a apprêté: la rétribution
est plus élevée,
les denrées deviennent plus chères et ainsi de
suite. Cela n’arrive
que dans un processus économique, qui est
corrompu par des rapports
de capital et de rétribution. Dans un
processus économique, dans
lequel les associations coopérantes, les
communautés d’intérêts,
détermineront les valeurs des marchandises, et
certainement pas
selon l’offre et la demande, qui sont remises
au hasard, mais à
partir d’un discernement, du bon sens, que
seulement dans un
processus économique de ce genre, tout homme
peut trouver une
existence dignement humaine. Au fond, c’est à
un tel processus
économique qu’aspirent aujourd’hui ardemment
les masses
prolétaires; c’est la vraie exigence dans la
vie économique.
Sur
des
domaines particuliers, aujourd’hui déjà, on
voit les choses
plus clairement. Prenez, par exemple, la
question des conseils
d’entreprise (c), qui sont si
défigurés aujourd’hui par
la loi. Si les conseils d’entreprise devaient
devenir ce que
réclame réellement le prolétaire, alors ils ne
devraient pas
pouvoir s’orienter tout simplement à la traîne
de l’État,
exactement comme autrefois cela s’ensuivait
pour la vie
spirituelle, mais ils devraient développer une
activité sociale
réellement profitable. Mais pour cela, il
faudrait placer la vie
économique sur son propre terrain, et pour
cela, il faudrait que
vinssent d’autres types que ces conseils
d’entreprise, il y
faudrait des conseils de transport et de
circulation, et d’autres
conseils encore; et ceux-ci devraient naître
de la vie économique
et former leurs conceptions à partir de leurs
expériences
économiques.
Je
sais
qu’aujourd’hui vraiment beaucoup de gens
disent: il ne règne
absolument pas de formation au sein de la vie
économique, pour en
arriver à ce à quoi on veut en arriver. Ainsi
les gens parlent-ils,
quand ils discutent des idéaux, pour la raison
qu’il n’ont plus
besoin ainsi de mener à bonne fin ce qui est
possible dans la
réalité. Ainsi parlent les gens pour qui
l’idéal, c’est
quelque chose vers quoi on ne doit pas
s’efforcer et de fait ils
n’ont plus besoin alors d’aspirer à faire ce
qui est le plus
immédiat. Celui qui sait que le savoir
d’expérience, qui résulte
de la pratique, a infiniment plus de valeur
que tout ce qui est peut
être apporté d’en haut, celui-là sait aussi
que de tels conseils
d’entreprise ne doivent pas seulement être mis
en place pour des
entreprises particulières, mais ils doivent
aussi être édifiés de
manière interactive entre les entreprises
économiques. Les conseils
d’entreprise doivent relier l’entreprise
particulière avec de
tout autres types d’entreprises, servir
d’intermédiaire à cette
interaction, ils doivent donc se constituer en
conseils d’entreprise,
conseils de transports, conseils de gestion
économiques. Si cela
naît du terrain même de la vie économique,
alors on en arrivera à
ce que ces conseils ne seront plus là pour la
décoration, mais
qu’ils deviendront un facteur humain, qu’ils
deviendront des
structures de la vie économique elle-même.
Mais c’est ce qui est
nécessaire.
Ce
n’est
vraiment pas à partir de n’importe quelle
argutie, ni non
plus à partir de théories nébuleuses, qu’est
sortie ce que
j’appelle la Dreigliederung de
l’organisme social, mais à
partir d’une observation réelle des nécessités
de la vie du
présent et de l’avenir. Et c’est réellement
dommage qu’il se
trouve si peu d’hommes aujourd’hui, qui sont
en état de tourner
leur regard sur cette nécessité de la vie à
partir de la vie
spirituelle à laquelle nous sommes parvenus
jusqu’alors. Les gens
dénigrent aujourd’hui ce qu’est justement la
pratique, en
disant: c’est de l’idéologie, c’est de
l’utopie. Qu’est-ce
qui repose là-dessous? Les uns disent: la
socialisation des moyens
de production est indispensable. C’est aussi
ce que je dis. Mais je
dis aussi: savoir quelle voie emprunter pour
en arriver là, c’est
également indispensable. Je n’ai fait
aujourd’hui qu’esquisser
ce que je veux dire. Nous n’avons pas
aujourd’hui besoin de
simples objectifs, mais aussi des voies et du
courage pour emprunter
ces voies. Beaucoup de gens me disent que ce
que je dis est difficile
à comprendre. — Eh bien! c’est nécessaire en
tout cas de
comprendre ce que je dis, et plus encore,
qu’on veuille mettre plus
en oeuvre que ce qu’on met habituellement en
œuvre aujourd’hui
pour comprendre. Ce qui est nécessaire, c’est
de regarder dans la
vie réelle, et non pas de juger à partir de
n’importe quelle
revendication subjective. Il est nécessaire
aussi que l’on
parvienne à rassembler son courage pour penser
radicalement dans
certaines choses comme l’exige notre époque de
la part de tout
homme éveillé.
À
vrai dire, ces dernières quatre ou cinq années
j’ai éprouvé que
les hommes comprennent des choses que moi je
n’ai pas comprises.
Ils ont même disposé ce genre choses, dont ils
alléguaient la
compréhension quand elles leur venaient de
certains lieux, dans un
joli cadre, afin de pouvoir mieux les
contempler sans cesse. Des
choses qui viennent des grands quartiers
généraux ou autres lieux
semblables, mais il fallait en tout cas
d’abord en ordonner la
compréhension. On ne peut jamais commander la
compréhension de
choses qui doivent être comprises à partir
d’un courage intérieur
dans la vie. Le temps est venu, à présent, où
les hommes ne
doivent plus se laisser commander, mais où il
faut qu’ils soient
en état d’acquérir un réel jugement à partir
des expériences
de la vie, à partir d’une observation sans
préjugé de la vie,
sur ce qu’il est indispensable de faire avant
qu’il ne soit trop
tard.
Mais
on
fait aujourd’hui des expériences étranges. Je
ne raconte pas
volontiers des choses personnelles, mais
aujourd’hui ce sont ces
choses personnelles qui règnent sur la vie. En
avril 1914, lors
d’une petite réunion à Vienne (11) —
et c’est
intentionnellement de Vienne, vous le savez,
la catastrophe de la
guerre est partie d’Autriche — je fus pressé
d’exprimer mon
jugement sur le situation sociale, à l’époque,
pas seulement la
situation sociale du prolétariat, mais aussi
celle de l’Europe
entière. Je donnai alors à entendre que la
question sociale en
Europe tendait à la formation d’une tumeur et
de fait la guerre en
a surgi peu après. — Je fut contraint de
récapituler mon jugement
quelque peu dans les paroles suivantes — en
avril 1914, je vous
prie de retenir ce point —: celui qui
considère profondément nos
rapports sociaux, tels qu’ils se sont
progressivement édifiés, ne
peut en venir qu’à une grande inquiétude sur
la civilisation, car
celui-là voit comment dans la vie sociale
s’est développé un
carcinome, une sorte de maladie cancéreuse,
laquelle doit éclater
d’une manière des plus épouvantables dans le
futur proche.
Ainsi
dus-je
alors signaler dans quoi le capitalisme
mondial poussait les
hommes, dans le plus proche futur. Celui qui
disait cela, à ce
moment-là, passa naturellement pour un
idéaliste dépourvu de sens
pratique, pour un utopiste, un idéologue, car
les praticiens, eux,
parlaient alors tout autrement. Comment
s’exprimaient-ils à
l’époque ces hommes de la pratique sur
l’ensemble de la
situation mondiale? Ils ne parlaient pas de
maladie cancéreuse. Non,
non. Ils parlaient quelque peu comme le
ministre allemand des
affaires étrangères (12), en ce
printemps de 1914,
s’adressant à ses messieurs éclairés du
Parlement allemand —
éclairés, ils l’avaient été, très
certainement, car ils
étaient pourtant compétents —: nous allons au
devant d’un temps
de paix, car la détente générale fait des
progrès réjouissants.
Nous nous trouvons dans les meilleurs rapports
avec la Russie; le
cabinet de Saint Pétersbourg n’écoute rien de
ce que dit la meute
journalistique. Avec l’Angleterre, nous avons
entamé des
négociations qui donnent beaucoup d’espoir et
qui doivent aboutir
effectivement dans un futur immédiat au profit
de la paix mondiale.
La manière dont les deux gouvernements se
situent généralement
fait que les rapports deviennent de plus en
plus intimes. — Ainsi
parlaient ces praticiens qui ne furent point
invectivés comme
idéalistes. Et la détente générale fit de
telle progrès que ce
qui s’ensuivit, nous l’avons tous très
douloureusement éprouvé.
Des sentiments étranges peuvent se faire
valoir, quand on entend
quelque chose comme ça, comme il nous a été
donné d’entendre
récemment à la conférence de la Société des
Nations (13),
où les gens parlèrent sur tout ce dont il est
possible de parler à
partir d’anciennes marottes du penser. C’est
seulement qu’ils
ne parlèrent pas du tout d’une manière
conforme aux faits de ce
qu’est le plus grand mouvement du moment, sur
le mouvement social,
qui est pourtant le seul capable de fonder une
véritable Société
des Nations.
C’est
alors
que l’on obtient, à partir de ces anciennes
marottes du
penser de la part de personnes très
judicieuses, des réponses tout
à fait singulières. Il y a quelque temps à
Bern, un monsieur très
avisé m’a répondu — je ne veux jamais
méconnaître des
personnes pleines de bon sens —: je ne peux
pas me représenter que
quelque chose de particulier ressorte de cette
Dreigliederung,
puisque tout doit néanmoins former une unité.
Le droit ne peut pas
simplement s’ensuivre du terrain politique, et
ainsi de suite. —
Ce qui est nécessaire, c’est justement que sur
le terrain du
droit, le droit se développe, alors la vie
économique disposera
aussi du droit, ensuite la vie spirituelle
aura le droit. Et quand on
dit, que l’unité de l’organisme social est
découpée, moi je
dis: ce n’est pas de cela qu’il s’agit pour
moi! Il ne s’agit
pas de découper la haridelle (d), mais
de la mettre sur ses
quatre pattes. Ce n’est pas de cela qu’il
s’agit, à savoir de
couper en tranches l’organisme social, mais
bien de le poser sur
ces trois jambes saines, sur une vie juridique
saine, sur une vie
économique saine et sur une vie de l’esprit
saine. Alors se
développe déjà l’unité qu’aujourd’hui l’on
vénère comme
une idole en tant qu’État unitaire, mais que
l’on doit aussitôt
abandonner si l’on veut le socialisme.
Voici
plus
d’un siècle, les hommes ont sans cesse parlé
du grand idéal
social de l’humanité, des plus grandes
impulsions sociales:
égalité, liberté, fraternité. Certes, des gens
très avisés du
dix-neuvième siècle ont sans cesse démontré
que ces idéaux ne
sont pas réalisables, parce qu’on ne les a vus
que sous l’hypnose
de l’État unitaire; de là provient la
contradiction. Aujourd’hui,
cependant, c’est le moment de devoir réaliser
ces idéaux, étant
donné que ces trois impulsions de la vie
sociale doivent être
appréhendées. Et elles ne peuvent le devenir
réellement qu’au
sein de la Dreigliederung de
l’organisme social. Dans la vie
spirituelle, qui doit reposer sur son propre
sol, les facultés
individuelles doivent se développer sur le
terrain de la liberté.
Sur le domaine du droit, ce qui doit régner
c’est ce par quoi un
homme est l’égal d’un autre, ce sur quoi en
tant qu’égal de
tout homme devenu majeur, celui-ci peut régler
lui-même, ou par son
représentant, la relation qu’il entretient
avec les autres hommes,
y compris les rapports du travail. Et sur le
terrain de la vie
économique, qui ne peut fleurir que par la
communauté fraternelle,
que ce soit une communauté de consommateurs ou
bien de producteurs
(b).
Dans
la
Dreigliederung de l’organisme social,
régneront la
liberté, l’égalité et la fraternité, parce
qu’elle a trois
composantes: liberté sur le terrain de la vie
spirituelle, égalité
sur le terrain démocratique (e) de la
vie juridique,
fraternité sur le terrain de la vie
économique.
Je
n’ai
pu ici vous indiquer que quelques points de
vue tirés de ce
sur quoi il est aujourd’hui indispensable de
réfléchir en ce très
grave moment; la chose la plus indispensable,
sur laquelle il faut
réfléchir si l’on veut contribuer à sortir de
la confusion et du
chaos en mettant sérieusement la main à la
pâte, et non plus
s’enfoncer encore plus profondément dans le
trouble et le chaos.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de penser à des
petits changements,
mais de mobiliser son courage et de s’avouer
franchement
qu’aujourd’hui de grands règlements de compte
sont venus à
échéance. Celui qui, disposant d’une âme
éveillée, peut avoir
réellement une vision immédiate de qui
commence à survenir
aujourd’hui, celui-là doit se dire: nous ne
disposerons bientôt
plus de beaucoup de temps pour réfléchir.
C’est pourquoi il nous
faut prendre de préférence une voie qui peut
être empruntée
chaque jour. Et ce qui peut être commencé
chaque jour c’est ce
qui est donné au travers de la Dreigliederung
de l’organisme
social. Seul celui qui voudra bien faire route
dans cette pratique,
que la catastrophe mondiale nous a apportée,
voudra appeler ce qui
est réellement pratique, un idéalisme qui n’a
pas de chances
d’aboutir.
Si
une
guérison doit survenir dans l’organisme
social, alors il sera
nécessaire que l’on se libère fondamentalement
de cette idolâtrie
superstitieuse de la pratique, qui n’est rien
d’autre que du
brutal égoïsme humain. On devra faire
profession de cet
idéalisme-là, qui n’est pas un idéalisme
unilatéral, mais une
pratique de vie authentique. Celui qui se
pense de bonne foi avec
notre époque, se posera aujourd’hui la
question: comment puis-je
me mettre sur le chemin du remède pour arriver
à contrer les
nuisances sociales? Et il serait à espérer que
de plus en plus
d’hommes s’y missent, avant qu’il ne fût trop
tard. Et il
pourrait très bientôt être trop tard.
Notes :
(1)
« An
der deutsche Volk und die Kulturwelt“
1ère
édition Dornach 1919, paru également en
tracts et dans de nombreux
journaux. Voir aussi à ce sujet „Articles
sur la Dreigliederung
de
l’organisme social et sur la situation du
moment 1915-1921 »,
GA
24,
Dornach 1982, p.428 et suiv..
(2)
Alfred
Kolb :
« Als Arbeiter in Amerika »
(Comme travailleur en
Amérique), 2ème
édition, Berlin 1904.
(3)
« un
important
investigateur de la nature » :
Émile Du Bois-Reymond (1818-1896),
représentant principal de
l’orientation physico-chmique dans la
physiologie. « Discours »
2 vol., Leipzig 1885-1887, 2ème
édition, Leipzig 1912.
(4)
« une
société savante » :
Académie
Prussienne des Sciences, fondée en 1700 à
l’instigation
de Leibnitz par Frédéric Ier.
(5)
« Un
Hohenzollern du dix-huitième siècle » :
Frédéric Guillaume Ier, nomma l’ivrogne
Gundling président de
l’Académie des Sciences pour en honorer la
société.
(6)
« troupes
coloniales des Hohenzollern » :
La citation est librement rapportée.
Littéralement : «
l’Université de Berlin, installée en
vis-à-vis du Palais royal,
est par sa fondation le corps de régiment
spirituel de la Maison des
Hohenzollern. » CItation du recteur
du 3 août 1870.
« Discours » vol.I 2ème
édition, Leipzig 1912, p.418.
(7)
« enseignant
à l’École de formation populaire de
Berlin fondée par
Liebknecht»,
voir Rudolf Steiner « Mon
chemin de vie
(Autobiographie) », GA
28,
Chap. XXVIII.
(8)
« manifeste
communiste » :
Document
fondateur du Socialisme, brochure rédigée
par Marx et
Engels, parue en 1848 à Londres.
(9)
« à
partir de la trentième année qui suit la
mort » :
la protection des droits d’auteur de la
littérature et des arts
plastiques dure aujourd’hui en général 50
ans. Dans l’Allemagne
de l’Ouest, elle fut portée à 70 ans en
1965 par une loi sur le
droit d’auteur.
(10)
« Aristote,
avait
déjà dit » :
De là aussi le nom de
qui signifie aussi bien
« jeune », car le jeune aspire à
être semblable à son éducateur, ainsi
l’intérêt se comporte
vis-à-vis de l’argent. Et cette sorte
d’art du gain est des plus
contre-natures qu’il puisse exister »
« Politique »,
Premier Livre, 10ème
Chap. , 128b, d’après la traduction de
Franz Susemihl.
(11)
« lors
d’une petite réunion à Vienne » :
Conférence du 14 avril 1914 devant les
Membres de la Société
Anthroposophique, dans « Nature
intérieure de l’homme et vie entre la
mort et une nouvelle
naissance »,
GA153,
Dornach 1978, p.174 et suiv..
Littéralement : « On
produit aujourd’hui pour la marché sans
aucun égard en retour sur
la consommation, non pas au sens de ce qui
a été rapporté dans mon
essai «Science de l’esprit et question
sociale », mais on
emmagasine tout ce qui est produit dans
les entrepôts et par
les marchés monétaires et ensuite on
attend de savoir combien en
est vendu. Cette tendance deviendra de
plus en plus forte jusqu’à
ce qu’elle s’anéantisse d’elle même — et
vous en connaîtrez
la raison par ce que j’aurai à vous dire
ensuite. Il en résulte
que cette façon de produire s’introduit
dans la vie sociale, dans
la contexte social des hommes sur la
Terre, exactement de la même
façon q’un cancer s’introduit dans
l’organisme. C’est
exactement le même, une formation
cancéreuse, un cancer culturel,
un carcinome de la culture ! Celui
qui considère la vie
sociale, celui qui la perce
spirituellement à jour, y voit une
formation cancéreuse et partout il voit
surgir de terribles
prédispositions à ces carcinomes sociaux.
C’est la grande
inquiétude au sujet de la culture, qui
s’éveille pour celui qui
perce à jour l’existence. C’est l’élément
redoutable qui
agit en opprimant et qui peut même
ensuite, si l’on pouvait
réprimer tout enthousiasme pour la science
spirituelle, si l’on
pouvait réprimer ce que la parole libre
ouverte peut faire pour la
science spirituelle, amener à hurler pour
ainsi dire, le remède
qu’elle représente, à le crier pour
contrecarrer ce qui est déjà
en train et qui va s’imposer de plus en
plus fortement. »
(12)
«
le
ministre allemand des affaires
étrangères » :
Gottlieb
von Jagow (1863-1935), secrétaire d’État
des Affaires
extérieures 1913-1916.
(13)
« la
conférence de la Société des Nations »,
du 7 au 13 mars 1919 à Berne. Le 11 mars
1919, Rudolf Steiner tint
une conférence publique dans la grande
salle du Conseil de
Berne : «
Les fondements réels d’une Société des
nations dans les forces
économiques, juridiques et spirituelles
des peuples »,
GA
329.
Épilogue
Après
une discussion, dans laquelle
intervinrent principalement des
permanents des partis et des syndicats,
Rudolf Steiner reprit encore
une fois la parole :
«
À vrai dire, j’aurais préféré que du côté des
intervenants,
on eût abordé les choses que j’ai présentées
ici devant eux. On
aurait pu ensuite donner une forme quelque peu
plus féconde à la
discussion. Par conséquent je ne pourrai que
renvoyer et rendre
attentif encore qu’à certaines choses.
Certains
intervenants
ont dit que dans mes considérations, rien de
neuf n’a
été présenté devant eux. Eh bien !, je
connais très
exactement l’évolution du mouvement social. Et
celui qui affirme,
que l’essentiel de ce qui a été aujourd’hui
amené, au travers
des expériences précisément du nouvel ordre de
la situation
sociale, par la catastrophe mondiale, ne soit
pas quelque chose de
nouveau, celui-là doit devenir conscient qu’il
est en train de
dire quelque chose d’absolument inexact. En
réalité, c’est un
tout autre état des choses qui se
présente : les intervenants
n’ont pas entendu ce qui est nouveau. Ils se
sont limités à
entendre une paire de choses, lesquelles,
naturellement parce
qu’elles sont justes, furent avancées en
critique de l’ordre
social usuel. Ils sont habitués, depuis de
nombreuses années, à
entendre tel ou tel mot d’ordre : ça ils
l’ont entendu.
Mais tout ce qui a été dit, entre ces mots
d’ordre, au sujet du
Dreigliederung de l’organisme social,
de ce qui peut être
atteint en socialisation réelle de tout côté,
de cela, les
orateurs qui viennent d’intervenir n’ont rien
entendu. Et c’est
pourquoi ils se sont bien gardés probablement
aussi dans leurs
discussions de parler de ce qu’ils n’ont pas
entendu. Je
comprends cela. Mais je comprends aussi que
naturellement ensuite une
discussion féconde à proprement parler ne
puisse résulter de cette
affaire.
Nous
avons
par exemple entendu un intervenant qui,
carrément comme s’il
n’avait pas vécu ces cinq ou six dernières
années, s’est
étendu sur les vieilles théories, du genre de
celles qui ont été
maintes fois traitées avant cette catastrophe.
Il a bravement remis
en avant toutes les théories de la plus-value
et autres (1),
qui sont très certainement tout à fait justes,
mais qui nous ont
été présentées et représentées d’innombrables
fois. Il a
seulement oublié que nous vivons aujourd’hui
dans une autre
époque, une époque toute différente. Il a
oublié, par exemple,
que des meneurs socialistes, des gens qui ont
du crédit, quelques
mois encore avant la capitulation allemande
ont affirmé : Quand
cette catastrophe mondiale sera passée, alors
le gouvernement
allemand devra se positionner tout autrement
vis-à-vis du
prolétariat qu’auparavant. Les détenteurs
allemands du pouvoir
devront tenir compte du prolétariat d’une
manière toute
différente qu’avant, dans toutes les
négociations
gouvernementales et dans toutes les
dispositions législatives. —
Mais on a dit aussi du côté socialiste :
on devra prendre en
considération les partis socialistes.
Eh
bien !
les choses se sont passées autrement. Les
détenteurs du
pouvoir ont été engloutis dans l’abîme, les
partis étaient là.
Ils se trouvent aujourd’hui devant une tout
autre situation du
monde. Devant ce nouvel état du monde, on ne
devrait pas simplement
ne pas faire attention à de nouvelles idées,
et écouter uniquement
les partis, naturellement parce qu’ils ont
toujours eu du crédit,
aussi longtemps qu’il existe un mouvement
social, mais l’on
devrait acquérir la capacité d’aborder ce qui,
pour le temps
actuel, est de la plus immédiate nécessité.
Sinon nous serons
toujours devant le grand danger, qui était
toujours là au fond dans
l’ancien ordre du monde consacré : quand
quelque chose
arrivait, de ce qui regardait les faits, de ce
qui était donc tiré
de la réalité, on l’interprétait comme de
l’idéologie ;
on expliquait : c’est de la philosophie,
cela n’a rien à
faire avec la réalité et l’on frayait ainsi la
voie à la
réaction. Ce serait la pire des choses, si le
parti socialiste
tombait dans une sorte de torpeur
réactionnaire, s’il n’était
pas capable de progresser avec des faits qui
parlent un langage aussi
éloquent.
Voilà,
c’est
cela qui importe aujourd’hui. Marx a
forgé une
belle parole, après avoir appris à connaître
les marxistes —
cela arrive effectivement à beaucoup de gens
qui s’efforcent
d’apporter quelque chose de nouveau dans le
monde — : pour
ce qui me concerne, je ne suis pas marxiste (2).
— Et Marx a
montré en toute circonstance — je fais
seulement souvenir des
événements de 1870-71 —, la manière dont il a
appris de ces
événements. Il a montré en toute occasion,
qu’il était toujours
en état de progresser avec l’époque. Il
trouverait aujourd’hui
très certainement que l’époque est mûre pour
découvrir dans la
Dreigliederung de l’organisme social
la possibilité d’une
solution réelle à la question sociale.
Continuellement, on parle de
voies nouvelles, et quand on montre une voie
nouvelle, pour laquelle
sans doute un réel courage est nécessaire,
alors on dit : ce
n’est pas une nouvelle voie qui nous est
montrée ; ce n’est
qu’un objectif qui nous est indiqué. C’est
alors qu’on
voudrait demander : est-ce quelqu’un a
déjà pensé à cette
voie-là qui rend nécessaire qu’intervienne une
sorte de
gouvernement de liquidation ? C’est ce
qui de fait est très
inhabituel pour les gens dans leurs habitudes
de pensée. Les anciens
gouvernements, le gouvernement socialiste
aussi, ne pensent à rien
d’autre, qu’à ce que sera la belle et brave
continuation de ce
qu’était le gouvernement d’avant. Ce dont nous
avons besoin,
c’est que ce gouvernement conserve seulement
l’initiative au
centre, à savoir le contrôle sur les services
de sécurité,
d’hygiène et autres chose du même genre, et
qu’il devienne à
gauche et à droite, un gouvernement de
liquidation : pour
préciser, en abandonnant la vie spirituelle,
de manière que
celle-ci passe à une gestion autonome et en
posant la vie économique
sur ses propres fondements à elle.
Ce
n’est
pas une théorie, ce n’est pas une philosophie,
c’est le
renvoi à ce qui doit être fait. Et pour que
cela soit fait, il y
faut une compréhension de sa nécessité. Il
faut que l’on se
démette de l’ancienne habitude, de vouloir
écouter seulement ce
qui plaît justement à soi, et de ne pas
vouloir écouter ce qui est
inconnu pour soi.
Quand
un
orateur se présente, qui, d’une manière
curieuse, s’empêtre
dans des contradictions pratiques et ne le
remarque même pas, alors
on voit déjà combien il est véritablement
impossible que l’on
puisse trouver une voie pratique. Un orateur
en est aujourd’hui
arrivé à dire : le pouvoir politique réel
repose sur des
fondements économiques. Et ensuite, après
avoir ajouté quelque
chose — bien sûr de ce fait on ne le remarque
plus autant — il a
dit : la première chose c’est de
conquérir le pouvoir
politique pour s’emparer ensuite du pouvoir
économique. — Donc
d’un côté, on déclame : celui qui a le
pouvoir économique
dispose aussi du pouvoir politique. Et tout de
suite après, une
paire de phrases plus loin, on dit : nous
devons d’abord avoir
le pouvoir politique, alors nous obtiendrons
aussi le pouvoir
économique. Avec de tels orateurs, on ne
pourra pas en effet
emprunter des voies pratiques. On ne peut
s’engager sur une voie
pratique que si l’on est en situation de
penser juste, et de ne pas
s’égarer sur les voies du penser.
On
ne
pourra pas aller plus loin en restant figés à
des objections du
genre : le penchant naturel à la
commodité rend nécessaire
que les hommes soient contraints à
l’école unitaire. Tout
ceux qui autrefois étaient les détenteurs du
pouvoir ont avancé
des choses analogues. On a vu des gens au
gouvernement qui vraiment
n’étaient pas plus sensés que ceux qui étaient
gouvernés. Mais
la manière de parler, ils en sont toujours
venus à bout : si
nous ne forçons pas les gens, à faire telle ou
telle chose, alors
il ne font rien spontanément d’eux-mêmes.
C’est
un
phénomène singulier que de voir maintenant ce
genre de choses
apparaître sur le terrain socialiste. Puisque
ce qui serait
justement requis de voir, c’est ce dont il
s’agit en réalité :
la possibilité d’ouvrir l’esprit pour ce qui
est indispensable,
de ne pas rester attachés à des théories
seringuées depuis
longtemps dans les crânes. C’est pourtant ce
qu’on réclame sans
cesse. Quand on dit : on doit conquérir
le pouvoir !, on a
donc en tête une théorie nébuleuse. Car quand
on a conquis le
pouvoir, on doit aussi savoir quoi faire avec
ce pouvoir. Autrement,
on n’avance pas. Conquérez donc le pouvoir —
si, étant en
pouvoir, vous ne savez pas ce que vous devez
faire, alors tout votre
pouvoir, c’est en pure perte. Il s’agit
justement avant
d’en venir au pouvoir, de savoir clairement et
nettement ce qu’on
va faire avec ce pouvoir.
Quand
on
dit d’un côté : après que la Révolution
du 9 novembre
a réussi —, dont on pourrait tout aussi bien
dire, qu’elle a
échoué. Et quand on dit d’un autre côté :
l’étranger
considère la Révolution comme un bluff —, et
c’est même le cas
au fond, parce que le pouvoir a été conquis et
les possesseurs du
pouvoir ne savent pas ce qu’ils doivent en
faire. Quand chacun en
reste bloqué aux vieilles opinions des partis,
alors on peut bien en
appeler à l’unité. Il existe une méthode, pour
exhorter à faire
l’unité, c’est celle de percevoir vraiment où
sont les maux.
C’est de cette manière que l’impulsion de la Dreigliederung
recherche à produire l’unité. C’est simplement
et objectivement
une calomnie que de dire que l’on doit fonder
un nouveau parti ou
une nouvelle secte. C’est là un non-sens. Et
quand la résolution,
suite à d’innombrables réunions aura été
prise, je suis
parfaitement tranquille, que cette résolution
jamais ne satisfera.
Satisferait-elle, alors cela aurait pour
conséquence, que l’on mît
aussitôt à la porte les tenants actuels du
pouvoir. On n’a pas
besoin d’avoir peur que d’une manière
quelconque l’unité
puisse être perturbée. Mais il existe une
autre méthode, pour
détruire l’unité, c’est celle d’en rester
figés à ses
principes et de dire ensuite : si vous ne
me suivez pas, alors
vous n’êtes justement pas unitaire. C’est
aussi une méthode,
pour prêcher l’unité, ce par quoi on veut dire
en vérité :
nous ne pourrons être unis que si vous me
suivez. C’est cela que
mijotent dans leurs têtes aujourd’hui à vrai
dire vraiment
beaucoup de gens.
Comme
déjà
dit, je regrette de ne pouvoir pour cette
raison entrer dans
les détails, car, à la vérité, pas un seul des
orateurs dans la
discussion n’a effleuré les choses qui ont été
présentées dans
ma conférence. On a même dit en guise de
conclusion que j’avais
philosophé. Le genre de philosophie que les
orateurs ont pratiquée
dans la discussion, on peut sans doute appeler
tout cela une
philosophie peu lucrative. Mais quant à savoir
si justement avec ce
genre de philosophie telle que celle qu’a
développée le dernier
intervenant, on en vienne à ce qui peut
vraiment apporter de l’aide,
on en reste pourtant bien dans une énorme
expectative.
Ce
qui
est donné dans cet organisme social triplement
organisé, cela
avait d’abord été donné comme une impulsion (3)
pendant
cette terrible catastrophe de la guerre, au
moment où je croyais que
le temps était mûr. À cette époque, alors que
nous n’avions pas
encore cette monstrueuse paix de Brest-Litovsk
(4), cela
m’apparut comme ce qui était fort juste, si, à
l’opposé de
tout ce qui est vraiment arrivé, en partant de
cette impulsion de la
Dreigliederung, on avait recherché un
équilibre vers l’Est.
Cela personne ne l’a compris. C’est pourquoi
il est arrivé
ensuite ce qui fut déclenché par la paix de
Brest-Litovsk. Il
importe vraiment aujourd’hui que se trouvent
des hommes qui ne
fassent pas comme tous ceux, à qui pendant la
guerre on parla de
cette Dreigliederung de l’organisme
social, à l’époque
naturellement en rapport avec la politique
extérieure.
Dans
les
prochains jours, paraîtra une brochure sur la
responsabilité de
la guerre (5). Le monde apprendra
alors ce qui s’est passé
en réalité dans les derniers jours de juillet
et les premiers jours
d’août 1914 à l’intérieur de l’Allemagne (f).
On
verra alors comment ce grand malheur à fait
irruption du fait que
l’on n’a pas pensé par soi-même, qu’on a
laissé penser
l’autorité, qu’on était contents, quand
l’autorité pensait.
C’est ce qui, jadis, au lieu de mener à une
politique de raison, a
mené à ce que la politique du 26 juillet en
arrive au point zéro
de son évolution. Le monde doit prendre
connaissance de ces choses.
On les fera connaître par les mémoires des
hommes les plus
importants qui, en ces jours de juillet-août
1914, étaient en
fonction. Alors on verra tout ce qu’on a
négligé de ce fait, que
seuls les uns ont pensé à leur façon qui était
celle du pouvoir,
et que les autres, au fond, se sont laissés
dicter leurs
convictions.
Et
nous
avons bien souvent entendu la chose. Après les
profiteurs de
guerre ont suivi les profiteurs de révolution.
Mais une autre
conséquence à encore surgi. Après les grands
parleurs de Guerre
ont suivi les grands parleurs de révolution.
Et les grands parleurs
de révolution à l’égard des grands parleurs de
guerre se
comportent à peu près comme les profiteurs de
révolution à
l’égard des profiteurs de guerre.
Nous
devons
justement nous sortir de ces bavardages. Et
nous devons nous
en sortir de façon telle que nous ne nous
laissions absolument plus
politiquement mener par une quelconque
autorité, qu’elle soit
socialiste, à présent ou émanant d’autres
personnalités. Nous
devons arriver à devenir des hommes capables
de juger. Ces hommes
capables de juger nous ne pouvons pas le
devenir si nous passons
rapidement sur ce qui peut réellement
s’appuyer sur les exigences
du temps.
Je
ne
rentre pas dans le détail de ces choses qui
viennent d’être
avancées et qui ne sont rien d’autre qu’une
dénaturation
absolue de ce que mes considérations ont fait
prévaloir. Que je
veuille surmonter les oppositions avec
bienveillance, ce sont des
calomnies objectives. Je n’ai absolument pas
parlé de surmonter
avec bienveillance les oppositions. J’ai parlé
d’organisations
qui doivent être mises en place. Qu’a donc à
faire l’autonomie
de la vie de l’esprit, de la vie économique,
de la vie juridique
avec la bienveillance ? Cela a à faire
avec la description
objective de ce qui doit advenir.
Je
suis
d’accord avec tous ceux qui disent que l’on
doit d’abord
avoir le pouvoir, mais je suis quant à moi
absolument au clair sur
le fait que celui qui a le pouvoir, doit
savoir en faire quelque
chose. Et si nous voulions foncer seulement et
laisser en arrière
les masses non-éclairées, alors non seulement
nous ferions route
dans des situations semblables, mais en plus
dans des situations bien
pires encore que celles qui existent déjà.
On
peut
trouver philosophiquement n’importe quoi
d’autre et avoir
l’air terriblement pratique, quand on
dit : les Français sont
appauvris, ils ne peuvent pas nous donner de
pain, l’Angleterre est
aussi exténuée par la guerre et ne peut pas
nous donner de pain,
l’Amérique est trop chère pour nous. Mais de
Russie, nous pouvons
avoir du pain ! — Eh bien !, en
attendant les Anglais —
vous pouvez le conjecturer en dépit de tous
les faux rapports —
ont beaucoup plus de pain que les Russes
eux-mêmes. Que nous
eussions à attendre du pain des Russes, c’est
une affirmation, qui
ne s’appuie sur aucun fondement objectif.
Ce
qui
importe, c’est que nous comprenions à présent
réellement la
situation telle qu’elle est. Que nous nous
disions : nous
n’étions pas en situation, de socialiser avec
l’ancienne vie
spirituelle, nous avons besoin d’une nouvelle
vie spirituelle. Mais
celle-ci ne peut être qu’une vie spirituelle
détachée de l’état
de droit. Nous avons besoin d’un terrain, sur
lequel l’énergie
du travail soit soustraite aux luttes. Cela ne
peut être que l’état
de droit autonome. Et nous avons besoin d’un
équilibre des valeurs
marchandes, cela ne peut survenir que sur le
terrain d’une vie
économique autonome. Ce sont là des choses,
que l’on veut
vraiment. Ce sont des choses qui ne sont pas
de pures phrases
révolutionnaires. Ce sont des choses qui
pourtant veulent apporter
vraiment un tout autre état du monde que celui
dans lequel il se
trouve, si on a le courage de les amener.
Je
crois
que lorsque vous aurez suffisamment réfléchi
sur ce qui se
trouve dans la Dreigliederung de
l’organisme social, vous en
conviendrez. Et son introduction est possible
dans un délai
relativement bref. En bien !, quand
existera cet organisme sain,
triplement organisé, alors nos circonstances
deviendront vraiment
révolutionnaires. Quand le monde se convertira
à cette introduction
de l’organisme social triplement organisé,
alors nous n’aurons
plus besoin de « tonner » la
révolution mondiale, car
celle-ci s’accomplira alors d’une manière
objective. Le tonnerre
qui annonce cela, l’invitation à la tempête,
cela ne fait rien.
Au contraire, ce qui fait quelque chose c’est
que nous trouvions
des germes d’idées qui puissent se développer
en fruits sociaux
réels.
Aujourd’hui
nous
n’avons vraiment aucun besoin que l’on bavarde
beaucoup,
mais nous avons besoin de nous comprendre sur
ce qui doit se
produire. Ce n’est pas avec des idéologies,
des utopies ou des
philosophies, que nous avons à faire dans
l’organisme social
triplement organisé, mais à quelque chose qui
peut être fait,
qui est un plan pour faire réellement, non pas
la description d’un
état futur, mais un plan de travail. Pour
faire une maison, il faut
un plan, de même on a besoin d’un plan de
réorganisation sociale.
Ne nous mènerons pas à cela ceux qui réduisent
les choses, qu’ils
soient socialistes ou tout autres gens, mais
seulement ceux qui sont
enclins à aller réellement vers l’avant. Je
crains que ceux qui
ont entendu aujourd’hui « rien de neuf,
mais que du vieux »,
ne nous sortent pas du chaos, mais qu’au
contraire ils nous
enfoncent encore plus dedans.
Nous
voulons
aujourd’hui prendre avec sérieux la réception
de ce qui
est si inhabituel, si nouveau, au point qu’on
ne l’entende même
pas quand on le dit, mais qu’on retrouve ses
propres phrases. De
nouvelles habitudes de penser sont aujourd’hui
nécessaires, un
renversement du penser est nécessaire.
L’humanité doit en appeler
à de nouvelles habitudes du penser à de
nouvelles orientations du
penser, avant qu’il ne soit trop tard. Et je
le dis encore une
fois : si l’humanité n’a pas ce courage
intérieur, alors
il pourrait être rapidement trop tard.
Notes :
(1)
« les
théories de la plus-value » :
voir Karl Marx, « Le Capital —
critique de l’économie
politique » Vol.1, Hambourg 1867,
Vols 2 & 3 édités par
Friedrich Engels, Hambourg 1865 et
1895 ; « Théories sur
la plus-value » édité par la
succession de Karl Kautsky, 4
vol. 1904.
(2)
« pour
ce qui me concerne, je ne suis pas
marxiste » :
voir
aussi la lettre de Friedrich Engels à
Conrad Schmidt, Londres,
5 août 1890 : « La conception
matérialiste de
l’histoire a au jour d’aujourd’hui une
foule [amis fatals] qui
lui sert d’échappatoire pour ne
pas étudier
l’histoire. Parfaitement comme disait Marx
des « marxistes »
français de ces soixante-dix dernières
années : tout ce que
je sais, c’est que je ne suis pas
marxiste. » Marx-Engels,
lettres choisies, Zurich 1934, p.371 et
suiv..
(3)
« avait
d’abord
été donné comme une impulsion » :
Voir le « Memorandum » que
Rudolf Steiner, en juillet
1917, à la demande des comtes Otto
Lerchenfeld et Ludwig
Polzer-Hoditz avait écrit à l’intention
des hommes d’état
allemands et autrichiens. Paru dans
« Essais sur le
Dreigliederung,
à l’endroit cité précédemment, p.339 et
suiv..
(4)
« cette
monstrueuse paix de Brest-Litovsk » :
le 3 mars 1918, la délégation soviétique
signa sous protestation
le traité de paix au quartier général de
l’Oberkommandos
Est
par lequel la Russie renonçait à la
Courlande, la Livonie,
l’Esthonie, la Lituanie et la Pologne, et
qui autorisait les
troupes allemandes à occuper la Russie
Blanche jusqu’à la
conclusion d’un traité de paix, la Russie
ayant à évacuer la
Finlande et l’Ukraine, à rendre les
territoires arméniens conquis
sur les Turcs en 1878 et à accepter une
dette pour dommage de
guerre de 6 milliards de mark-or. Par le
Traité de Versailles, la
paix de Brest-Litovsk fut déclarée
invalide.
(5)
« brochure
sur
la responsabilité de la guerre » :
Considérations et souvenirs du major
général H.v. Moltke sur les
événements de juillet 1914 à novembre
1914, édités par
« l’Alliance pour le Dreigliederung
de l’organisme social » avec une
préface, ayant reçu
l’accord de Madame Eliza von Moltke, de
Rudolf Steiner ; »
— Le document ne fut pas publié. Trois ans
après, seulement, les
mémoires de Moltke parurent avec d’autres
documents, mais sans
l’introduction de Rudolf Steiner, dans le
Major Général Helmuth
von Moltke « Souvenirs, lettres,
documents 1877-1916 »,
Stuttgart 1922. Voir à ce sujet
« Essais sur le
Dreigliederung,
à l’endroit cité précédemment, p.386 et
suiv..
Notes
du traducteur (D.K.):
(a)
Il
se peut qu’il se glisse ici un jeu de mot
de la part de Rudolf
Steiner pour marquer, justement, la
stupidité de la situation. En
effet, le terme utilisé ici est, die
Kohle =
charbon, d’où dérive le verbe kohlen
=
charbonner et carboniser..., mais à
l’époque, il pouvait aussi
signifier « bavarder, dire des
niaiseries, faire du
galimatias »; dans ce cas, ce verbe
vient du substantif der
Kohl,
« le chou », qui a donné aussi kohlkopf
« tête de chou » au sujet d’une
personne idiote. Une
telle interprétation n’engage que moi,
bien sûr!
(b)
Il faudrait naturellement leur adjoindre
les « détaillants »,
qui assurent des services mieux définis
dans leurs activités de nos
jours qu’à l’époque, à cause, du
conditionnement et de la
distribution, en général des marchandises.
Par
ailleurs, le lecteur français sait bien
sûr maintenant que le mot
employé par Rudolf Steiner pour désigner
ces « associations
coopérantes » n’est pas du tout
équivalent à notre bon
vieil archétype de l’association
culturelle loi 1901 en France, ou
ASBL en Belgique! Pour Steiner, il
s’agissait d’associations
économiquement engagées et socialement
actives.
(c)
« (...) La République de Weimar —
dans les années du moins
où elle a semblé ce consolider — a été
favorable aux ouvriers.
Leur condition s’améliore, avec une
tendance au nivellement par le
haut. Les salaires augmentent d’une façon
constante jusqu’en
1931. La journée de huit heures est
accordée en 1919 et, sous
l’effet de la crise économique, on
s’orientait vers la semaine
de quarante heures lorsque la démission du
chancelier Brüning (mai
1932), amena l’abandon du projet. Aux
assurances sociales des
années quatre-vingt s’ajoute, en 1927,
l’assurance-chômage.
Cette amélioration est due à deux
facteurs. D’une part, la
Constitution de Weimar, en reconnaissant
les syndicats, en leur
accordant le droit de traiter avec les
employeurs sur un pied
d’égalité, avait prévu toute une
hiérarchie de conseils
ouvriers. Seuls
ceux d’entreprise (Betriebsräte)
ont été organisés par une loi de 1920. S’ils
ne participent guère à l’organisation et à
la gestion de la
production (ce que Steiner suggère
précisément qu’ils fassent
ici, ndt),
ils ont cependant un rôle non négligeable
dans la surveillance des
conventions collectives, et des arrêtés de
conciliation. D’autre
part, sous l’action de dirigeants comme
Fritz Tarnow et Theodor
Leipart, les syndicats libres,
c’est-à-dire socialistes,
s’efforcent de « socialiser le
capitalisme », sans pour
autant recourir aux mesures de
socialisation. Fort de 4 millions et
demi de membres, environ (parmi lesquels
il faut compter les
travailleurs agricoles, les fonctionnaires
et les employés), ils
inspirent la plupart des mesures sociales
prises pendant ces années.
Les
conseils d’entreprise sont, en fait, le
prolongement des syndicats.
Ceux-ci créent des banques ouvrières et,
sans qu’il y ait de
subordination, travaillent en liaison avec
les coopératives de
consommation. Après deux périodes
difficiles où augmente le
chômage (1920, 1924-25); l’essor de
l’économie allemande ne
peut manquer d’avoir sur la condition
ouvrière des répercussions
favorables. Mais la crise économique
mondiale de 1929, ne tarde pas
à se faire sentir dans le domaine de
l’emploi. (...)
(Encyclopaedia
Universalis,
1,
p.924, soulignements uniquement du
traducteur).
(d)
Der
Gaul (ër)
= rosse, canasson, carcan, haridelle,
vieux cheval, terme assez
familier.
(e)
(...)
Gleichheit auf dem demokratischen
Boden des Rechtsleben (...),
donc Rudolf Steiner a bel et bien prononcé
le mot « démocratique »
qui ne reçoit guère d’échos dans la troupe
de ceux qui se
proclament pourtant actuellement ses
adeptes... Il est utile, à ce
propos, de se renseigner sur le
fonctionnement actuel de la Société
Anthroposophique Universelle, qui est bien
une communauté sur le
plan spirituel, — où est donc censée
régner également la
liberté d’initiative, — elle est, bien
entendu, gérée
légalement par le code civil suisse, qui
doit donc respecter la
démocratie au niveau associatif suisse,
puisque localisée en
Suisse, pays socialement exemplaire et à
la pointe en matière de
démocratie. Qu’on se le dise!
(f)
Ce recueil de témoignage n’a finalement
pas paru, ou plus
exactement
sa parution n’a pu avoir lieu.
Voici
un témoignage de Thomas Meyer, sûrement le
meilleur connaisseur de
ce moment historique crucial où fut
vraiment entreprise une
recherche sur la vérité au sujet des
causes du déclenchement de la
guerre 1914-18:
« Un
autre événement, qui est solidement
relié à Stuttgart et qui est
en relation avec les choses insensées
mentionnées ici ou là, m’est
revenu à la conscience :
l’empêchement de la publication qui
était prête des notes de Moltke, qui
nous étaient bien connues et
qui décrivaient le déclenchement de la
guerre de l’été 1914.
Ces notes montraient avec quel égarement
pensèrent et agirent
l’empereur et le premier ministre à la
veille de la première
Guerre mondiale. Ils auraient dû
absolument empêcher, et cela au
bon moment, au début de l’année 1919
lorsqu’il fut porté à la
connaissance du monde, que l’on y
inscrivît à Versailles les
paragraphes sur la seule culpabilité qui
furent si fatals à
l’Allemagne et à l’Autriche. La totalité
du Reich allemand a
énormément profité, à la manière d’un
parasite, de ces
paragraphes. Par l’impatience de Moltke
( !) un premier
exemplaire du petit document (sur les
notes de Moltke, ndt)
parvint en de mauvaises mains. La
direction centrale de l’armée de
terre protesta — dépêcha un homme à
Stuttgart, auprès du maître
lui-même, pour juguler la diffusion de
cet écrit tout juste sorti
des presses. Cinq heures durant, Fiona,
le maître s’entretint avec
l’officier dans une salle de l’ancienne
école. « L’honneur »
allemand ne permettait pas, de couvrir
publiquement de ridicule
l’empereur de cette manière, comme le
font de fait ces notes de
Moltke. « L’honneur » allemand
triompha ainsi sur la
raison humaine ! Le maître se tut
et se résigna. Qu’aurait-il
dû entreprendre d’autre ? S’il
avait diffusé l’écrit,
la direction centrale de l’armée de
terre aurait « battu
publiquement en brèche » la
brochure ! À Versailles, il
y aurait eu un ricanement de mépris — au
sujet de d’une telle
« union » sur la cause de la
question de la
responsabilité de la guerre !
Devant l’histoire du monde :
un naufrage de l’esprit allemand,
qui n’a pas besoin
« d’honneur » mais de vérité… »
(Harold
Freeman dans une lettre adressée depuis
Stuttgart à sa fiancée
Fiona restée aux USA, le dimanche 22
février 1999. Passage tiré du
« roman » de Thomas Meyer L’inviolable
pacte,
traduit en français, à paraître, le
« maître » dont
il s’agit ici est précisément Rudolf
Steiner.)
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