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Collection: 09 - Nationalisme et âmes de peuple



Sujet : Recherche après le point commun des religions, loin du Christ.

 

Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes GA185 198-231 (1982) 03/11/1918





Traducteur: Henriette Bideau Editeur: TRIADES

 Résumé : Wilhelm Meister fini par trouver le côté du christianisme correspondant au peuple à l'individuel jusqu'au plus intime de l'âme : l'ambiance de graal. Etre humain comme chez l'arianisme germain lié avec le cosmos et la nature contraint jusque vers l'est : égalité libérale démocratique. Contre ambiance du courant d'Arthur celtique-occidental aristocratique-impérieux : vie en commun humaine appuyée sur des ordres (organisations) influencées spirituellement (peuple de loges). Conduit au déisme des Lumières: Christ comme enseignant du commun à toutes les religions (Tindal, Voltaire, Harnack).

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Par les faits exposés hier, nous avons, dans l'essentiel, indiqué comment ce que nous appelons le peuple du Christ s'est trouvé relégué à l'Est, et comment, en raison d'autres faits, le peuple de l'Eglise proprement dit — on pourrait dire aussi « les peuples de l'Eglise » — s'est développé à partir du centre de l'Europe, mais davantage en direction de l'Ouest. A cette situation fondamentale sont liés divers conflits qui prirent leur extension environ le tournant qui marqua l'entrée dans la cinquième époque post-atlantéenne, et immédiatement après. Du fait que l'impulsion du Christ ne s'est pas maintenue sous la forme d'une efficacité permanente, mais sous celle d'une tradition et d'une interprétation traditionnelle des Ecritures, une unification, une confusion s'est établie entre le christianisme et la papauté, l'Eglise du pape, romaine et organisée en Etat, en ensemble politique ; et d'autres églises aussi se sont constituées, dans le contexte de l'Eglise du pape. Certes, on peut dire que ces autres églises manifestent de grandes différences avec l'Eglise du pape — mais elles ont aussi beaucoup de points communs avec elle, et ce sont là des choses qui présentent pour nous un intérêt. Dans cet éclairage, l'Eglise d'Etat protestante nous apparaît tout au moins plus proche de l'Eglise catholique romaine que par exemple de l'Eglise orthodoxe, de l'Eglise russe, pourtant elle aussi église d'Etat — mais ce ne fut jamais son caractère essentiel. Ce qui est essentiel en cette Eglise russe, c'est la manière dont, à travers le peuple russe, l'impulsion du Christ, poursuivant son action en permanence, s'est affirmée. Nous avons vu également comment s'est constitué le mouvement jésuite, et comment est apparu, en opposition à ce mouvement, ce qu'on peut appeler le goethéanisme.

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Ce goethéanisme, disais-je, s'efforce de promouvoir un courant opposé qui a une certaine ressemblance avec le christianisme russe. Il vise en effet à élever vers les mondes spirituels ce qui se trouve dans le monde physique. Ainsi, malgré ses conditions d'existence dans le monde physique, l'âme s'unit aux impulsions du monde spirituel, lesquelles ne sont pas directement transposées sur le plan de la réalité sensible — c'est ce qui se passe au sein du mouvement jésuite — mais sont seulement portées par les âmes. Goethe n'a pas souvent exprimé ses pensées les plus intimes à ce sujet. Mais si on veut les connaître, il faut revenir à un passage du « Wilhelm Meister » dont j'ai déjà parlé : Wilhelm est conduit au château d'un gentilhomme où, entre autres choses, on lui montre une galerie de tableaux qui représentent l'histoire universelle et, dans le cadre de cette histoire du monde, l'évolution religieuse de l'humanité — Goethe présente ainsi, sous une forme littéraire, une grande idée. Son guide conduit Wilhelm Meister jusqu'à un certain point : l'histoire est montrée jusqu'à la destruction de Jérusalem ; Wilhelm fait alors remarquer ce qui lui paraît manquer : la représentation de la vie, comme il dit, de l'homme divin qui fut actif en Palestine immédiatement avant cette destruction de Jérusalem. Il est alors conduit dans une autre, dans une seconde galerie dans laquelle est montré ce que l'on ne voit pas dans la première, où manque toute la vie, comme il est dit, de l'homme divin, du Christ Jésus. On lui montre alors dans la seconde la vie du Christ Jésus jusqu'à la Cène. Et on lui explique alors ceci : toutes les impulsions religieuses représentées dans la première galerie, et actives jusqu'à la destruction de Jérusalem, concernent l'être humain en tant que membre d'une ethnie, d'un peuple. Ce que l'on voit dans la seconde galerie concerne l'individu seul, c'est l'affaire personnelle de chacun. Cela ne peut être proposé qu'à la personnalité. Ce n'est pas la substance d'une religion commune à tout un peuple, mais celle qui s'adresse à l'être humain en tant que tel.

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Wilhelm remarque alors que dans cette seconde galerie, la vie du Christ Jésus n'est représentée que jusqu'à la Cène ; mais le récit de la Passion, jusqu'à la mort et au-delà, fait défaut. Il est alors conduit dans une troisième galerie tout à fait secrète où figurent les scènes de cette troisième partie. Mais en même temps, on lui fait remarquer que c'est là quelque chose qui touche à l'être le plus intime de l'homme, et que l'on n'a aucunement le droit de la présenter d'une manière profane, aux yeux du monde extérieur, comme on le fait habituellement. Cela doit parler à l'être profond de l'homme.

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On peut toutefois remarquer à bon droit que ce qui était encore valable du temps de Goethe — à savoir que la Passion du Christ n'était pas faite pour tous les yeux —, cela n'est plus valable maintenant. Depuis ce temps, nous avons franchi d'autres étapes de l'évolution. — Mais je voudrais signaler que dans ce passage du « Wilhelm Meister », c'est l'attitude foncière de Goethe à ce sujet qui nous apparaît. Pour Goethe, la chose nous est clairement montrée, l'impulsion du Christ doit être reçue au plus profond de l'âme ; il ne veut pas qu'elle se confonde avec ce qui vient du peuple, ni en tout cas avec les circonstances extérieures, celles du plan physique. Il veut au contraire qu'Un rapport direct s'établisse entre l'âme de chaque être individuellement et l'impulsion du Christ. C'est là une chose extrêmement importante pour la compréhension non seulement de Goethe, mais aussi du goethéanisme. Je vous disais récemment : en face de la culture extérieure, Goethe et le goethéanisme sont en fait isolés ; mais lorsqu'on considère l'évolution en marche, les progrès qu'accomplit dans son lien avec la religion l'être intime de l'homme, on ne peut plus dire cela. Dans cette perspective, la personne de Goethe représente un autre élément qu'elle prolonge. Mais pour bien comprendre comment Goethe est en contraste avec tout ce qui se manifeste dans les Eglises de l'Europe du Centre, il faut considérer une troisième impulsion.

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Cette troisième impulsion se localise davantage à l'Ouest. Donc peuple du Christ, peuple de l'Eglise, et maintenant une troisième impulsion qui anime aussi les peuples d'une certaine façon — on ne peut pas dire qu'elle les inspire, mais qu'elle les anime, les impulse. C'est ainsi, mes chers amis, et il faut dire : ce qui en fait est apparu et a revêtu sa forme la plus extrême dans le mouvement jésuite, dans cette armée du généralissime Jésus-Christ, est profondément enraciné dans la nature même du monde civilisé, que l'on ne peut comprendre si on ne remonte pas bien au-delà dans l'évolution historique de l'humanité, vers quelque chose qui a longtemps continué d'agir par la suite.

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Vous savez certainement par l'histoire des religions que parmi les formes diverses sous lesquelles le christianisme gagna les peuples en cheminant, si l'on peut dire, de l'Est vers l'Ouest, on compte celles de l'arianisme et de l'athanasisme. Les peuplades goths, lombardes ou même franques qui ont pris part à ce qu'on appelle à tort — mais le mot est employé - la migration des peuples, ces peuplades étaient à l'origine des ariens. La différence entre le dogme conçu par Arius et celui que confessait Athanase vous intéresse probablement peu. Mais elle a joué un certain rôle, ce qui nous oblige à y revenir. Cette divergence aboutit à une controverse qui se déroula en particulier à Antioche. Athanase admettait que le Christ est un dieu au même titre que Dieu le Père, et que par conséquent il existe un Dieu-Père, et un Dieu-Christ de même nature et de même essence que lui, et depuis l'éternité. C'est la conception qu'adopta le catholicisme romain. Aujourd'hui encore, il confesse la même foi qu'Athanase. Il faut donc dire qu'à la racine du catholicisme se trouve la foi en un Fils d'éternelle et semblable nature et essence que le Père.

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Arius s'opposa à cette conception. Il était d'avis qu'un Dieu existe qui domine tout, un Dieu-Père, et que le Dieu-Fils, le Christ, fut créé par le Père avant que le temps n'existât — mais fut tout de même créé par lui. Issu du Dieu-Père, il est plus proche que lui des humains, et se fait en quelque sorte le médiateur entre le Dieu-Père planant dans les hauteurs, inaccessible tout d'abord aux forces de la connaissance humaine, et ce que l'être humain trouve en lui-même.

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Si étrange que soit la chose, elle semble n'être tout d'abord qu'une divergence dogmatique. Mais elle ne l'est que pour les hommes d'aujourd'hui. Dans les premiers siècles du christianisme, elle n'était pas réduite à cela. Ce christianisme arien, édifié sur ce que je viens de vous exposer, sur ce rapport entre le Fils et le Père, était une lumière instinctive qui illuminait spontanément ces peuplades : les Goths, les Lombards, tous ceux qui prirent la place des Romains pendant et après la chute de l'Empire. D'instinct, ces hommes étaient des ariens. Wulfila, qui traduisit la Bible, se révèle par cette traduction un véritable arien. C'est ce qu'étaient aussi les Goths, les Lombards qui envahirent l'Italie ; et les Francs ne se convertirent au christianisme que lorsque Clovis l'eut fait lui-même. Ils adoptèrent alors extérieurement quelque chose qui ne convenait pas vraiment à leur être intérieur, car eux aussi étaient auparavant ariens. Extérieurement, ils adoptèrent la foi selon Athanase. Et lorsque le christianisme se fut rangé sous ce drapeau dont le principal partisan était Charlemagne, tout s'adapta à cette foi athanasienne, ce qui permit le rattachement à la papauté. Une grande partie des peuplades barbares : Goths, Lombards, etc., fut anéantie; ce qui n'avait pas spontanément disparu fut pourchassé et exterminé par les athanasiens. L'arianisme subsista sous forme de sectes ; mais en tant que religion populaire et directement agissante, il disparut.

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Il faut ici se poser deux questions. Tout d'abord : qu'est-ce qui distingue l'arianisme de l'athanasisrne ? Et ensuite : pourquoi cet arianisme a-t-il disparu, au moins sous sa forme de phénomène visible et symptomatique dans l'histoire ? Il y a là une évolution extrêmement intéressante.

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Voici ce que l'on peut répondre à la première question : l'arianisme est en quelque sorte le dernier vestige, la dernière des conceptions par lesquelles on s'efforçait de trouver encore un lien entre le monde extérieur, le monde des sens, et le monde spirituel divin. Il fut le dernier surgeon par lequel ceux qui en ressentaient le besoin pouvaient relier l'apparence sensible au spirituel, au divin. On peut dire que dans l'arianisme, l'impulsion christique russe est vivante ; non pas sous sa forme sacrée, cultuelle, mais sous une forme un peu plus abstraite. Elle fut extirpée par les athanasiens précisément parce qu'elle ne devait pas se répandre parmi les peuples d'Europe.

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Lorsqu'on veut comprendre mieux ce qui se passait là, il faut tenir compte de ce qu'était à l'origine l'attitude d'âme des peuplades d'Europe, de celles dont on rapporte qu'elles supplantèrent l'Empire romain, comme on dit — ce qui n'est pas vrai, mais je n'ai pas le temps de rectifier ici ce point d'histoire —, qui ont pénétré sur son territoire, et dont on sait seulement qu'elles ont supplanté l'Empire romain ; cette attitude d'âme de ce qu'on appelle les peuplades germaniques repose en fait à l'origine sur un tout autre fondement. Elles venaient des directions les plus diverses et se mêlèrent en Europe à une population autochtone qu'on qualifie non sans raison de celtique, et dont encore aujourd'hui subsistent certains vestiges dans certaines populations. Aujourd'hui où l'on veut conserver tout ce qui a trait à la nature des peuples, on est en quête du celtisme partout où l'on en trouve — ou bien où l'on s'imagine en avoir trouvé — afin de le conserver sous une forme quelconque. Mais on n'a de l'élément des peuples en Europe une représentation juste que lorsqu'on imagine une culture européenne originelle, première, le celtisme, au sein duquel se développèrent les autres cultures : germanique, romane, anglo-saxonne, etc.

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Sous sa forme originelle, l'élément celte s'est maintenu le plus longtemps dans les Iles Britanniques, et notamment au pays de Galles. C'est là qu'il a conservé le plus longtemps son caractère propre, originel. Une certaine forme de sentiment religieux avait été repoussée vers l'Ests et c'est ainsi que le peuple russe devint le peuple du Christ. De façon analogue, et du fait de certains événements dont vous pouvez trouver mention dans les manuels d'histoire, ou tout au moins dans certains, une certaine impulsion partit de l'Ouest, notamment des Iles Britanniques, et qui était un prolongement du celtisme originel. C'est ce prolongement de l'antique celtisme qui finalement a donné à l'Ouest son empreinte à la structure religieuse, comme l'ont fait d'autres influences que j'ai indiquées pour l'Est et l'Europe du Centre.

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Pour y voir clair dans ces faits, demandons-nous : qu'était donc le peuple celte ? Sur bien des points, les Celtes différaient entre eux, mais ils avaient un trait commun. Ils ne s'intéressaient guère au lien qui existe entre la nature et l'humanité. Dans leur âme, ils se représentaient l'être humain seul, isolé de la nature. Ils avaient de l'intérêt pour tout ce qui est humain, mais aucun pour les liens qui unissent l'homme à la nature, pour l'Homme, être naturel. En Orient, où s'est développée une attitude diamétralement opposée, on ressent profondément et toujours le rapport entre la nature et l'homme ; et celui-ci apparaît comme issu de celle-là. C'est ainsi, je l'ai exposé, que Goethe le voit. Le Celte ne ressentait guère ce lien entre la nature humaine et la nature cosmique. Par contre, il avait un sens assez fort de la vie communautaire — mais une vie en commun réglée par une répartition entre supérieurs qui ordonnaient, et inférieurs qui se laissaient guider. C'était là son élément essentiel : anti-démocratie, structure aristocratique. En Europe, cet élément remonte à l'antiquité celte. A l'époque, elle avait pour caractère essentiel une forme d'organisation basée sur l'aristocratie.

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Cet élément celte aristocratique de la royauté eut, dirai je, une certaine floraison. Le roi, qui est le chef, qui groupe autour de lui ses auxiliaires, etc., cet élément se dégage du celtisme. Et le dernier en quelque sorte de ces chefs, dont les intentions personnelles étaient encore enracinées dans les impulsions originelles, celui qui apparaît le dernier, c'est le roi Arthur avec sa Table ronde au pays de Galles, avec ses douze chevaliers dont il est raconté — ce qu'il ne faut évidemment pas prendre au pied de la lettre — qu'ils eurent à vaincre des monstres, à triompher de démons. Tout cela atteste encore ce que fut le temps du passé, de l'union avec le monde spirituel.

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La manière dont s'est formée cette légende du roi Arthur, tout ce qui s'est groupé autour de lui, montre l'élément celte sous la forme de société monarchique par laquelle il s'est prolongé. Et c'est de là que vint la compréhension pour le commandement, l'organisation, la direction par un souverain.

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Il se passa alors ceci : le Christ tel que le concevait Wulfila, le Christ des Goths, dont on avait un sentiment intense conforme à l'arianisme, c'était un Christ pour tous les humains, pour des hommes qui en un certain sens se sentaient tous égaux, qui ne faisaient entre eux aucune distinction de classe, ne concevaient aucune aristocratie. Il était aussi le dernier fruit efficace du sentiment qu'avait l'Orient d'une communauté de nature entre l'homme sur terre et le Cosmos, entre l'homme et le monde naturel. Tandis que la nature était en quelque sorte exclue de cette structure, de cette organisation monarchique du celtisme.

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Ces deux éléments confluèrent tout d'abord en Europe (je ne puis exposer la chose que dans son principe, sans entrer dans les détails), puis avec un troisième facteur. Dès le premier contact, ce fut l'arianisme qui poussa une pointe. Mais parce qu'il était né d'une conception qui rattachait l'être humain à la nature, il ne fut pas compris de ceux qui se trouvaient sous l'influence des impulsions celtes pures — parmi lesquels aussi des peuplades germaniques, franques, etc. Ceux-là ne comprirent que ce qui était en accord avec leur conception d'une organisation monarchique de la société. C'est ainsi que s'éveilla tout d'abord le besoin — sensible encore dans le vieux poème saxon « Heliand » — de faire du Christ le roi d'une armée, un chef souverain, un seigneur que suivent ses vassaux. Cette interprétation du Christ roi, chef d'armée, est née d'une incapacité à comprendre ce qui venait d'Orient, et du besoin de concevoir ce que l'on doit vénérer sous la forme d'un souverain, d'un roi temporel.

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Le troisième élément venait du Sud, et de l'Empire romain. Celui-ci avait déjà été infecté autrefois par cette mentalité que l'on pourrait qualifier aujourd'hui d'« administrative ». L'Empire romain n'était pas un Etat — un meilleur terme pour le désigner serait : « ensemble analogue à un Etat ». Mais en un certain sens, il était très semblable — bien que son point de départ eût été différent — à ce que devait engendrer l'organisation basée sur le principe de la monarchie. Tout d'abord république, il avait pris la forme d'une organisation impériale, d'un empire analogue aux différents royaumes groupés dans le monde celte, mais avec une coloration germanique.

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La manière dont était conçue et ressentie la vie sociale dans le Sud, dans l'Empire romain, parce qu'elle débouchait sur une structura¬tion extérieure, physique, ne pouvait pas vraiment s'unir à l'impulsion ancienne, instinctive, qui venait de l'Orient, à l'aria¬nisme. Elle exigeait que les choses ne fussent pas proposées à la compréhension, mais décrétées souverainement. Et comme dans un royaume ou dans un empire on gouverne par décrets, la papauté, elle aussi, procéda par décrets. L'enseignement d'Arius pouvait être compris par tous les hommes. Il faisait appel à certains sentiments présents avant tout chez les peuples dont j'ai parlé, mais que tous les hommes portent quelque peu en eux. Dans la foi confessée par Athanase, bien peu de choses parlent à la compréhension intérieure, au sentiment ; elle doit être imposée par voie d'autorité. Pour qu'elle puisse être incorporée à la communauté, au peuple, il fallait en faire une loi, à l'instar des lois séculières. Ainsi en advint-il : cette notion complètement incompréhensible, étrange, de l'identité du Fils avec le Père, dieux tous deux de toute éternité, fut par la suite conçue comme n'ayant pas besoin d'être comprise. Il fallait y croire. C'est une chose que l'on peut décréter. La foi athanasienne peut être imposée par décret. Et du fait qu'elle dépendait directement d'une décision autoritaire, elle put être insérée dans un organisme d'Eglise à caractère politique. L'arianisme s'adressait à l'individu isolé, à l'homme ; on ne pouvait pas l'imposer par l'autorité, on ne pouvait pas non plus l'insérer dans une structure cléricale.

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Ainsi vint confluer ce qui venait du Sud, de l'athanasisme avec sa tendance autoritariste, avec le besoin instinctif d'une organisation dirigée par un souverain que suivaient ses vassaux.

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En Europe du Centre, ces éléments se sont confondus. Mais en Europe occidentale, sur le territoire britannique, et plus tard aussi en Amérique, un certain reste subsista de l'ancien aristocratisme, de cet élément qui donne une structure à la société en introduisant dans la vie sociale le spirituel. En effet, là l'élément spirituel était conçu comme lié à la vie sociale ; c'est ce que nous voyons, dans la légende du roi Arthur, dans le fait que les chevaliers de la Table ronde avaient à triompher de monstres et de démons, etc. Le spirituel ne peut se cultiver que si, au lieu de l'imposer par des décrets, on l'introduit dans le principe de la structure elle-même, si on l'insère naturellement dans l'ensemble. Ainsi, tandis que le peuple de l'Eglise se développait en Europe du Centre, vers l'Ouest, et notamment dans les populations anglophones, il se forma ce que l'on peut appeler — pour trouver une troisième dénomination — le peuple, ou les peuples, des loges : il apparut — ou ils apparurent — là où à l'origine une certaine tendance était présente à former des sociétés, un certain esprit d'organisation. Mais en dernier ressort, une organisation n'a de valeur que si on la crée par des moyens spirituels, sans qu'elle soit remarquée ; sinon il faut l'imposer par décret. C'est ce qui arriva en Europe du Centre. Dans les populations anglophones, la forme qui s'établit fut davantage celle de la souveraineté issue des loges, là où subsistait le celtisme. Le peuple — ou les peuples — des loges porte visiblement en lui ce qui peut non pas organiser l'humanité dans son ensemble, mais lui donner une forme de structure sociale, la répartir en ordres.

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Dans la vie de l'histoire, les choses ne procèdent pas par filiation directe, l'une suivant l'autre ; elles viennent à se recouper. C'est ainsi qu'on observe un fait étrange : en ce qui concerne la manière de se représenter les choses, l'activité de l'âme, ce principe des loges (dont la franc-maçonnerie est une caricature simiesque) est dans sa nature profonde apparenté au mouvement jésuite. Si foncièrement hostile que ce dernier soit aux loges, il lui ressemble énormément quant à la faculté de représentation qu'il cultive. Et à coup sûr, à l'oeuvre grandiose qu'accomplit Ignace de Loyola, un élément celte a contribué qu'il portait dans son sang.

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A l'Est apparut donc le peuple du Christ, ce peuple qu'habite l'impulsion permanente du Christ. L'homme de l'Est voit sa vie tout naturellement liée à ce qui constamment se déverse en son âme : à l'impulsion du Christ. Pour le peuple de l'Eglise des pays du centre de l'Europe, cette impulsion s'est émoussée ou paralysée, du fait qu'elle a été une fois pour toutes localisée au début de notre ère, et qu'ensuite elle a été transmise par la voie des principes, de la tradition fixée par des décrets d'Etat. A l'Ouest, dans le système des loges, l'impulsion du Christ perdit davantage encore de sa force, et fut très compromise. Ces loges issues du celtisme cultivèrent une faculté de représentation dont naquit le déisme, et avec lui ce qu'on appelle l'esprit des lumières. Il est extrêmement intéressant de voir la différence considérable entre l'attitude d'un membre du peuple de l'Eglise en Europe du Centre vis-à-vis de l'impulsion du Christ, et celle d'un citoyen de l'Empire britannique. Mais je vous en prie, n'appliquez pas tout cela à chaque individu isolé, car évidemment l'impulsion de l'Eglise s'est répandue également en Angleterre. Et il faut prendre les choses comme elles sont en réalité : il s'agit ici des gens qui sont liés à ce que j'ai appelé l'impulsion des loges, et qui dans tout l'Occident a envahi la vie des états. C'est elle qui a engendré un rapport différent des êtres avec le Christ.

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On peut demander : mais qu'en est-il de ceux qui appartiennent au peuple du Christ ? — Chacun d'eux sait ceci : lorsque je ressens vraiment ce qui habite mon âme, je trouve l'impulsion du Christ ; elle y est présente, elle continue d'agir. — Le membre du peuple de l'Eglise se dit à peu près — tel saint Augustin, qui à l'âge de la puberté se demandait comment trouver le Christ : « L'Eglise me dit qui est le Christ ; je puis l'apprendre d'elle, car dans sa tradition elle a conservé ce qui, au commencement, a été dit du Christ. » Celui qui appartient au peuple des loges — et vraiment il lui appartient — s'interroge au sujet du Christ de tout autre façon que le peuple du Christ. Il se dit : l'histoire parle d'un Christ qui a existé. Est-ce raisonnable de l'admettre ? Comment la raison peut-elle confirmer ce que fut l'influence du Christ dans l'histoire ? — Cette attitude donna dans l'essentiel la christologie des lumières, celle qui exige que le Christ soit confirmé par la raison.

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Pour comprendre ce que nous devons considérer maintenant, il faut voir clairement qu'en tout temps, on peut parvenir à Dieu sans être animé par l'impulsion du Christ. Il suffit que l'on soit, en un point quelconque de son être, mal conformé — et l'athée est un homme dont le physique est malade en un point quelconque — et l'on peut parvenir à la notion de Dieu, admettre l'existence de Dieu par des démarches spéculatives, ou par la voie mystique. La foi des lumières est l'élément déiste fondamental. On y parvient tout droit, à cette foi des lumières qui admet l'existence d'un Dieu.

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Mais pour ceux qui sont les héritiers du peuple des loges, il faut en outre justifier par la raison l'existence du Christ à côté de Dieu. On peut ici choisir parmi les personnalités caractéristiques de cette attitude. Herbert Cherbury, par exemple, qui mourut en 1648, l'année du Traité de Westphalie. Il s'efforça de justifier par la raison l'impulsion du Christ. Un véritable membre du peuple du Christ ne peut absolument pas imaginer comment raisonner à propos de l'impulsion du Christ. Il aurait la même impression que si quelqu'un exigeait de lui qu'il justifie par le raisonnement la présence de sa tête sur ses épaules. On possède une tête — et on possède de même l'impulsion du Christ. Tandis que les gens comme Cherbury interrogent : est-il conforme à la raison d'admettre à côté d'un Dieu, à la notion duquel conduit la pensée éclairée, l'existence d'un Christ ?

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Il faut d'abord étudier raisonnablement les conceptions humaines pour se convaincre que leur attitude est justifiée.

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Bien entendu, tous les membres du peuple des loges ne procèdent pas ainsi. Les philosophes élaborent des concepts qu'ils expriment ; mais les autres ne pensent pas autant ; ils ont cependant cette attitude de par leurs instincts, par ce qu'ils ressentent, par les conclusions qu'ils tirent inconsciemment, tous ceux-là qui d'une façon ou d'une autre sont en rapport avec l'impulsion des loges. Ainsi l'homme dont je viens de parler se disait tout d'abord : considérons toutes les religions et ce qu'elles ont de commun. — C'est là un procédé, un truc de la philosophie des lumières : on ne peut pas parvenir soi-même à l'esprit, tout au moins en ce qui concerne l'impulsion du Christ, mais seulement à la notion abstraite d'un Dieu. Alors on demande : est-il naturel pour l'homme d'avoir découvert ceci ou cela ? — Cherbury, qui avait beaucoup voyagé, chercha tout d'abord à s'informer de ce que les religions avaient en commun.

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Il trouva en effet beaucoup de points communs. Et il tenta de condenser en cinq propositions ce qu'il avait ainsi rassemblé. Ces cinq thèses ont une grande importance, et nous allons les regarder de près.

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La première dit : il existe un Dieu. Comme les différents peuples appartenant aux religions les plus différentes ont tous admis l'existence d'un Dieu, il trouve qu'il est conforme à la nature d'admettre qu'il existe un Dieu.

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Deuxièmement : le dieu exige d'être vénéré — nouveau trait commun à toutes les religions.

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Troisièmement : cette vénération doit être faite de vertu et de piété.

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Quatrièmement : les péchés doivent entraîner le remords et l'expiation.

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Cinquièmement : il est dans l'au-delà une justice qui récompense et qui punit.

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Vous le voyez, on ne trouve là-dedans rien de l'impulsion du Christ. On y trouve tout ce à quoi l'on parvient lorsqu'on s'appuie sur l'impulsion religieuse émanant des loges. Et c'est cette manière de voir qui se développa à l'époque des lumières. Les auteurs comme Hobbes, Locke et d'autres cherchent constamment à s'interroger : il existe une tradition qui parle du Christ, disent-ils. Est-il raisonnable d'admettre son existence ? — Et finalement, ils en viennent à dire : ce que disent les Evangiles, ce que la tradition transmet au sujet du Christ concorde avec les principes essentiels qui, au fond, sont communs à toutes les religions. On a donc l'impression que ce Christ rassemble dans sa personne ce que toutes les religions ont en commun ; il aurait existé une personnalité emplie de Dieu (ce qu'on se représente plus ou moins bien) et qui a enseigné ce qu'il y avait de meilleur dans toutes les religions. — Voilà ce que finalement on trouva conforme à la raison. Un auteur qui vécut de 1657 à 1753, Tindal, a écrit un livre intitulé : « Le christianisme est aussi vieux que la Création ». C'est un ouvrage très important pour qui veut vraiment connaître l'esprit des lumières, qui fut par la suite délayé par le voltairisme par exemple. Tindal voulait montrer qu'au fond, tous les humains, les meilleurs d'entre eux, ont toujours été des chrétiens, et que le Christ a rassemblé ce que les religions avaient de meilleur.

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Ainsi le Christ est-il rabaissé : on en fait un professeur, et quel que soit le nom qu'on lui donne : Messie, ou Maître, ou ce que vous voudrez, il n'est plus qu'un enseignant. Le fait de sa nature n'importe plus, mais bien qu'il soit là, qu'il donne un enseignement rassemblant ce que les religions du reste de l'humanité ont de plus précieux et de commun.

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Cette conception que je viens d'exposer peut revêtir les nuances les plus différentes ; mais la coloration fondamentale subsiste : le Christ est un enseignant. Si nous voulons considérer les interpréta¬tions typiques ainsi établies par le peuple du Christ, par le peuple de l'Eglise et par le peuple des loges — types qui ont connu les variantes les plus diverses —, si nous voulons saisir la vraie réalité derrière l'apparence, nous pouvons dire que pour le peuple du Christ, Christ est l'esprit, et qu'il n'a donc rien à voir avec une institution quelconque sur le plan physique. Seul est réel le mystère de sa présence dans une forme humaine. Pour le peuple de l'Eglise : le Christ est roi, conception qui peut revêtir des nuances variées. C'est celle du peuple des loges à l'origine, mais avec le temps elle se modifie et devient : le Christ est l'enseignant.

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Voyez-vous, il faut bien saisir ces nuances créées par la conscience européenne. Car elles sont vivantes, non seulement dans les âmes individuelles, mais dans ce qui s'est développé à la cinquième époque post-atlantéenne et qui a modelé les formes sociales. Ce sont là les nuances principales revêtues par l'impulsion du Christ. On pourrait dire encore bien des choses là-dessus. Le temps dont je dispose m'oblige à seulement les esquisser.

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Revenons maintenant aux trois formes d'évolution dont nous parlions précédemment : l'humanité tout entière vit maintenant dans l'âme de sensibilité — correspondant à l'âge de vingt-huit à vingt et un ans. L'individu, l'homme isolé, lui, développe au cours de la cinquième époque post-atlantéenne l'âme de conscience. Enfin, une troisième évolution se déroule également, qui concerne les âmes des peuples. Vous avez d'une part les phénomènes historiques et l'action qu'ils exercent, et d'autre part les âmes des peuples avec leurs religions différemment nuancées. Les trois nuances qui naissent sous cette double influence : Christ est l'esprit — pour le peuple du Christ —, Christ est le roi — pour le peuple de l'Eglise —, Christ est l'enseignant — pour les peuples des loges —, sont en relation avec la répartition en peuples, c'est-à-dire rattachées à la troisième évolu¬tion.

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Dans la réalité extérieure, les choses interfèrent toujours, évidemment. Un représentant tout à fait pur du peuple des loges, du déisme des lumières, est par exemple le Berlinois Harnack — beaucoup plus pur que ceux que l'on trouve de l'autre côté de la Manche. Dans la vie moderne, les choses sont très entremêlées. Mais si l'on veut bien comprendre ce qui se passe et remonter à l'origine des choses, il ne faut pas en rester aux éléments extérieurs. Il faut voir clairement que la troisième évolution est liée à l'ethnie, au peuple.

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Mais en raison de l'existence des autres courants d'évolution se produit une réaction, un assaut de l'âme de conscience dressée contre ce qui vient du peuple, et cette réaction se manifeste sur les points les plus différents. Elle donne l'assaut à partir de plusieurs centres. Et l'une de ces vagues d'assaut, c'est précisément le goethéanisme. En fait, il n'a rien à voir avec ce que je viens de décrire, et d'autre part, considéré sous tel ou tel aspect, il a beaucoup à voir avec tout cela. De bonne heure, un courant parallèle à celui du roi Arthur s'est développé : le courant du Graal, en parfait contraste avec lui. Celui qui veut parvenir au Temple du Graal doit parcourir les chemins les plus difficiles pendant soixante lieues ; le Temple est si bien caché qu'on ne peut rien savoir du lieu où il se trouve aussi longtemps qu'on ne pose aucune question — bref, toute cette atmosphère est celle qui caractérise la recherche du lien entre le noyau le plus intime de l'âme humaine, là où s'éveille l'âme de conscience, et les mondes spirituels. Il y a là un effort conscient de rattacher le monde sensible au monde spirituel — ce qui est l'aspiration instinctive du peuple du Christ. Parmi les étranges influences réciproques des impulsions religieuses en Europe, nous avons une impulsion qui, aujourd'hui encore, vit instinctivement, en germe, non développée, dans le peuple du Christ (Voir dessin : rouge) ; les esprits qui, comme Solovieff, deviennent des philosophes, s'ouvrent tout naturellement à cette impulsion.

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La structure ethnique et ethnographique de l'Europe du Centre ne la prédispose pas à s'ouvrir de la même manière spontanée ; il faut que la volonté intervienne. On a ainsi une intervention du courant du Graal qui se répand dans toute l'Europe — on a comme une inflexion du tourbillon (dessin : rouge, en bas) —, courant du Graal qui n'est pas lié au peuple. Or, Goethe portait en lui — bien que dans ses forces les moins conscientes — cette atmosphère du Graal. Et dans ce sens, il n'est pas isolé, il se rattache à ce qui a précédé. Il n'a rien à voir avec Luther ni avec les mystiques allemands ; il n'a reçu d'eux que ce qu'en prend tout homme cultivé. Mais il est amené à distinguer trois degrés dans le rapport de l'être humain avec la religion : le premier est dépendant du peuple, le second est réservé au sage, à l'individu (c'est celui de la seconde galerie), et enfin le troisième touche au plus intime de l'être et enclôt le mystère de la mort et de la résurrection. Ce qui l'amène ainsi à vouloir élever vers les hauteurs spirituelles la piété agissant dans le monde sensible, c'est l'atmosphère du Graal. Et si paradoxale que paraisse cette affirmation, mes chers amis, c'est en Russie que règne l'atmosphère du Graal. Le rôle qu'à l'avenir jouera la Russie pendant la sixième époque post-atlantéenne, ce rôle repose sur l'invincible atmosphère du Graal présente en Russie. C'est ce qu'il faut envisager lorsqu'on étudie l'un des aspects.

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Mais considérons un autre aspect, nous avons alors l'impulsion du Christ envisagée dans la perspective du bon sens, de la raison. C'est la forme qui s'est répandue sous l'action des loges et de leurs ramifications, de leurs prolongements. Sur le dessin, elle est figurée en vert. C'est ce qui a revêtu par la suite une forme politisée, l'ultime produit du courant du roi Arthur. L'impulsion du Christ au sein du peuple russe s'est prolongée par le Graal et pénètre de ses rayons tous les humains de bonne volonté en Occident. L'autre courant pénètre aussi tous les humains du peuple de l'Eglise et prend la coloration particulière du mouvement jésuite. Que les Jésuites soient les ennemis déclarés de ce qui vient des loges importe peu. Car on peut devenir l'ennemi déclaré d'un courant dont on a reçu l'empreinte. Non seulement — et la chose est historiquement avérée — les Jésuites se sont introduits dans toutes les loges, et des Jésuites de haut grade sont en rapport avec de hauts dignitaires des loges, mais en outre, les deux courants, bien qu'implantés chez des peuples différents, ont une racine commune, bien que l'un ait donné naissance à la papauté, et l'autre à la liberté, au bon sens, à l'esprit des lumières. Ce qui précède vous donne une sorte de tableau de ce que je peux appeler les effets de l'évolution de l'âme de conscience. Je vous avais décrit précédemment les trois formes, allant d'Est en Ouest, qui sont en liaison avec l'élément du peuple, de l'ethnie. Si la chose a pris à l'Ouest la forme de l'esprit des lumières, c'est parce qu'en chaque être humain s'accomplit l'évolution de l'âme de conscience.

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Puis nous avons un troisième courant, celui par lequel l'humanité tout entière rajeunit et se trouve maintenant à l'âge de l'âme de sensibilité.

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Il passe à travers toute l'humanité. Lorsque nous décrivons le premier courant, le courant ethnique, là où naissent les religions des peuples : religion du Christ, religion d'Eglise, religion des loges, nous sommes dans la perspective de l'évolution des peuples, que je répartis ainsi d'ordinaire : peuples italiens = âme de sensibilité, peuple français = âme d'entendement, etc. Lorsque nous décrivons le développement de l'âme de conscience en chaque individu depuis le début de la cinquième époque post-atlantéenne, nous avons éminemment ce qui va vers l'élément religieux. Mais à partir de là se produit aussi la collaboration avec ce qui est l'évolution en tous les humains : celle de l'âme de sensibilité, qui se déroule parallèlement et est beaucoup moins consciente que l'évolution de l'âme de conscience.

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Regardez comment un homme comme Goethe — bien que par des impulsions souvent subconscientes — se donne très consciem¬ment à lui-même son orientation religieuse, et vous découvrirez comment agit l'âme de conscience. Mais à côté de celle-ci, un autre élément règne au sein de l'humanité moderne, un élément qui vit très fortement par les instincts, par des impulsions inconscientes, et est intimement rattaché à l'âme de sensibilité, stade actuel de l'évolution de l'humanité dans son ensemble. C'est le socialisme, qui est au début de son évolution. Certes, les élans initiaux sont toujours donnés par l'âme de conscience ; mais le socialisme, c'est la mission de la cinquième époque post-atlantéenne jusqu'au quatrième millénaire où il trouvera son achèvement, et ceci parce que l'humanité collectivement se trouve à l'âge de l'âme de sensibilité, entre la vingt-huitième et la vingt et unième années. Le socialisme n'est pas l'affaire d'un parti, bien qu'il existe de nombreux partis au sein de la société, des corps sociaux. Le socialisme est né d'une nécessité inscrite dans l'évolution de la cinquième époque post¬atlantéenne. Et lorsque cette cinquième époque aura pris fin, dans l'essentiel et pour le monde civilisé les instincts du socialisme seront enracinés dans les êtres humains.

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Outre ces courants actifs pendant cette cinquième époque post-atlantéenne, une autre chose encore est à l'oeuvre dans les profondeurs du subconscient : la tendance à établir pour l'humanité terrestre tout entière une structure sociale juste d'ici le quatrième millénaire. Si l'on se place à un point de vue très profond, il ne faut pas s'étonner de voir le socialisme provoquer tant de remous, dont certains peuvent être très dangereux ; il faut penser que les impulsions qui l'animent viennent de profondeurs inconscientes. Tout cela bouillonne et s'agite vigoureusement, et le moment est encore bien éloigné où le socialisme prendra la bonne voie. Tout bouillonne — mais non dans les âmes : dans la nature humaine, et dans les tempéraments avant tout. Et pour expliquer ces remous dans les tempéraments humains, on trouve des théories. Celles-ci ne sont pas les expressions de réalités profondes comme nous les avons dans la Science spirituelle. Bakounisme, marxisme, lassallisme, tout cela n'est que masque, apparence, ornement de surface sous lesquels on dissimule la réalité : car les réalités, on ne les voit qu'en plongeant le regard vers les profondeurs de l'évolution humaine, comme nous nous efforçons de le faire dans cette étude.

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Tout ce qui se passe actuellement dans le monde extérieur, ce ne sont aussi que les préparatifs tumultueux de quelque chose qui en dernier ressort est aux aguets, on peut vraiment dire : non pas dans les âmes, mais dans les tempéraments. Vous êtes tous socialistes, et vous ignorez souvent à quel point vous l'êtes, parce que c'est votre être tout à fait inconscient qui l'est. Mais c'est en étant informé d'un fait de cè genre que l'on abandonne cette recherche confuse et ridicule de la connaissance de soi, cette tendance à regarder en soi-même, et qui ne trouve — je ne vous décrirai pas quel irréel caput mortuum, quelle abstraction. L'être humain est une créature complexe. Pour apprendre à la connaître, il faut connaître le monde tout entier.

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Considérez dans cette perspective l'humanité et l'évolution qu'elle a suivie au cours de la cinquième époque post-atlantéenne. Dites-vous à vous-même : nous avons à l'Est le peuple du Christ avec son impulsion essentielle : Christ est esprit. Il est dans la nature de ce peuple d'apporter au monde comme par une puissance instinctive, élémentaire, par une nécessité de l'histoire, quelque chose qui n'a pu prendre qu'une forme préparatoire dans le reste de l'Europe. Au peuple russe en tant que tel est dévolue la mission de cultiver la réalité essentielle du Graal, d'en faire un système religieux d'ici la sixième époque post-atlantéenne, afin qu'elle puisse devenir un ferment de culture pour la terre entière. Rien de surprenant, lorsque cette impulsion se croise avec les autres, à ce que celles-ci revêtent des formes étranges.

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Ces autres impulsions, quelles sont-elles ? Pour l'une : le Christ est roi — pour l'autre : le Christ est l'enseignant. On peut à peine aller jusque-là, car « Christ est l'enseignant », c'est ce que ne comprend pas en fait l'âme, le coeur russe, comme je le disais déjà. Elle ne comprend pas que l'on puisse enseigner le christianisme, qu'on n'en ait pas l'expérience directe en soi-même. Mais l'autre conception : « Christ est roi », le peuple russe ne l'a-t-il pas adoptée en profondeur ? Et sur ce point, nous voyons confluer deux choses qui, dans le monde, n'ont jamais eu d'affinité entre elles : l'impulsion « Christ est esprit » entre en contact avec le tsarisme,caricature orientale du principe qui veut instaurer sur le terrain de la religion une souveraineté terrestre. « Christ est roi et le tsar est son représentant » : voici donc couplés cet élément occidental qui s'exprime par le tsarisme, et quelque chose qui n'a absolument rien à voir avec et qui, à travers l'âme du peuple russe, vit dans la sensibilité russe !

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Ce qui est caractéristique, c'est que dans la réalité physique, extérieure, les choses qui au fond ont le moins à voir les unes avec les autres doivent précisément se mêler, se confronter. Tsarisme et russisme ont toujours été profondément étrangers l'un à l'autre, n'ont aucun lien entre eux. Qui comprend bien la nature russe, et sa religiosité en particulier, trouvera toute naturelle l'attitude qui devait aboutir à éliminer le tsarisme au moment nécessaire. Songez toutefois que cette conception : « Christ est esprit », est enclose au plus profond de l'être, qu'elle est en rapport avec la forme la plus noble de la culture de l'âme de conscience, et que, tandis que le socialisme engendre des remous, elle entre en contact avec ce qui vit dans l'âme de sensibilité. Rien de surprenant alors à ce fait que dans cette partie orientale de l'Europe, le socialisme en expansion prenne des formes absolument incompréhensibles : un entremêlement inorganique de la culture de l'âme de conscience avec celle de l'âme de sensibilité.

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Beaucoup de choses qui se passent dans le monde extérieur vous apparaîtront claires et compréhensibles si vous portez votre regard sur ces liaisons internes. C'est une nécessité pour l'humanité actuelle et son évolution à venir qu'elle ne néglige pas, par indolence et par paresse, ce qui appartient à sa nature : à savoir de comprendre les rapports, les liaisons au sein desquelles nous nous trouvons maintenant. On n'a pas voulu les comprendre, on ne les a pas compris. C'est ainsi qu'est né le chaos, l'effroyable catastrophe dans lesquels se trouvent maintenant l'Europe et aussi l'Amérique. Nous ne trouverons pas d'issue à cette situation de catastrophe aussi longtemps que les humains n'inclineront pas à se comprendre tels qu'ils sont, et tels qu'ils sont dans le cadre de l'évolution actuelle, de l'époque présente. Voilà ce dont il faut se rendre compte.

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C'est pourquoi il m'importe tellement que le mouvement anthroposophique, tel que je le conçois, soit vraiment relié à la connaissance des grandes impulsions d'évolution dans l'humanité, et à ce que l'époque exige maintenant, immédiatement, des humains. C'est certes une grande douleur que de voir combien l'époque incline peu à comprendre et à envisager la conception du monde anthroposophique, de ce point de vue précisément.

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Pour compléter dans la perspective de points de vue généraux ce que je vous disais précédemment à propos de « La Philosophie de la Liberté », je vous dirai ceci : vous comprendrez que le courant du socialisme qui apparaît actuellement est un phénomène entièrement fondé dans la nature humaine, et qui prendra de plus en plus d'extension. Les réactions qui se dressent contre lui sont, pour celui qui pénètre la nature des choses, quelque chose d'effroyable. Pour qui comprend vraiment ce qui se passe, le socialisme qui se répand par toute la terre — même sous une forme tumultueuse, même dans une sourde agitation —, cet élément international est porteur d'avenir; et l'établissement de tant d'états nationaux, de tout petits états, est contraire au cheminement de l'évolution. « A chaque nation doit correspondre un état » : ces mots dressent un effrayant obstacle sur le chemin de l'évolution à la cinquième époque post-atlantéenne. Et naturellement, on ignore complètement où cela peut mener ; mais on le dit ! C'est un principe qui, en même temps, est entièrement imprégné des forces passées de l'impulsion du roi Arthur, celle de l'organisation extérieure. Son contraire est l'aspiration que représente le Graal, intimement apparentée aux principes goethéens, fondée dans tous les domaines — celui de la morale, celui de la science — sur l'individu, sur la personne. Ce courant considère avant tout l'individu en voie d'évolution, et non pas des groupes qui aujourd'hui n'ont plus de signification, et que l'élément socialiste international doit faire disparaître de ce monde, parce que c'est dans le sens de l'évolution.

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C'est aussi pour cette raison qu'il faut dire : le goethéanisrne avec son individualisme (comment cet individualisme est fondé dans la conception goethéenne du monde, vous pouvez le lire dans « Goethe et sa conception du monde »), cet individualisme qui atteint son apogée avec la philosophie de la liberté, est aussi ce qui doit nécessairement conduire vers le socialisme en formation. On peut ainsi reconnaître l'existence de deux pôles : celui de l'individualisme et celui du socialisme, vers lesquels tend l'humanité durant cette cinquième époque post-atlantéenne. Mais il faut comprendre vraiment de quoi il s'agit. Et pour bien comprendre, il faut acquérir la notion de ce qui doit venir se joindre au socialisme pour qu'il progresse dans le sens de notre évolution. Les actuels socialistes n'ont aucune idée de ce à quoi doit se lier nécessairement le socialisme, qui n'arrivera à un certain achèvement qu'au cours du troisième millénaire. Il faut avant tout qu'il se développe en liaison avec une juste faculté de sentir ce qu'est l'être humain dans sa totalité : corps, âme et esprit. Les différentes nuances qu'il peut revêtir, les différentes impulsions religieuses liées aux ethnies les apporteront ; elles donneront ainsi leur contribution à une compré¬hension de l'homme tripartite : corps, âme et esprit. L'Orient et le peuple russe feront en sorte que l'esprit soit compris ; l'Ouest, que le corps soit compris ; et le Centre travaillera à ce que l'âme soit comprise. Bien entendu, tous ces efforts se mêleront. Ne procédons pas par schémas et par catégories... Au sein de toute cette oeuvre doit se développer d'abord le principe réel, la véritable impulsion du socialisme.

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Mais en quoi consiste-t-elle en réalité ? En ce que les humains parviennent vraiment à réaliser au sein de la structure sociale extérieure la fraternité, au sens le plus large du terme. Bien entendu, la véritable fraternité n'a rien à voir avec l'égalité. Prenez seulement le terme dans son sens le plus étroit, au sein de la famille : un frère a sept ans, l'autre vient au monde. Il ne peut naturellement pas être question d'égalité. Il faut d'abord que soit bien comprise cette notion de la fraternité. Ce qui est à réaliser sur le plan physique, c'est que soient remplacés les systèmes d'états par des organisations englobant toute la terre, et qui soient imprégnées de fraternité. Par contre, tout ce qui est organisation extérieure, Etat et tout ce qui ressemble à un Etat, doit être séparé de ce qui concerne l'église, la religion, qui doivent devenir une affaire de l'âme, et se développer librement dans les âmes vivant côte à côte. Une liberté de pensée absolue en ce qui concerne les choses de la religion doit aller de pair avec l'évolution du socialisme.

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C'est ce que la forme actuelle du socialisme : la social-démocratie, exprime aujourd'hui — disons, en gros, par cette formule : la religion est une affaire privée. Mais elle s'y conforme en fait à peu près comme le taureau furieux réalise la fraternité en se jetant sur quelqu'un. Et elle ne la comprend absolument pas : car le socialisme est lui-même, sous sa forme actuelle, une religion, il travaille dans un esprit sectaire, et avec une profonde intolérance. Il faut que, tandis que le socialisme évolue, la vie religieuse fleurisse réellement, et se fonde sur la liberté dans ce monde des âmes qui oeuvrent sur terre en commun.

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Voyez comment les choses ont travaillé considérablement à mettre obstacle à l'évolution. Mais il faut que tout d'abord soit mis obstacle à l'évolution pour qu'ensuite, pendant un certain temps, on puisse travailler dans le sens de l'évolution. Ensuite viendra encore un contre-courant, etc. Je vous l'ai exposé précédemment à propos des principes généraux dans l'histoire : tout est là pour finalement mourir. Quel obstacle à ce cheminement parallèle de la liberté de pensée en matière de religion avec la fraternité dans la vie sociale que la dépendance de celle-ci d'un organisme d'Etat ! La vie religieuse ne doit en aucun cas être liée à l'organisation de l'Etat ; pour que le socialisme puisse régner, il faut qu'elle anime les âmes d'êtres humains vivant ensemble ; mais elle doit être complètement indépendante de toute organisation extérieure. Que de fautes n'ont pas été commises dans ce domaine ! « Christ est esprit »... et à côté l'effroyable organisation cléricale du tsarisme. — « Christ est roi » : attelage parfait de la papauté avec les convictions religieuses ! Et non seulement l'Eglise catholique et romaine s'est elle-même constituée en Etat, en corps politique, mais elle a aussi trouvé le moyen, au cours des derniers siècles notamment et grâce au mouvement jésuite, de s'insinuer dans les autres états et de les marquer de son organisation.

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Comment en effet s'est développé le luthéranisme ? Certes, Luther a pour point de départ une certaine impulsion — que j'ai déjà exposée ici — et c'est un esprit qui tourne l'un de ses visages vers la quatrième époque post-atlantéenne, et l'autre vers la cinquième, ce en quoi il est animé d'une impulsion conforme à notre temps. Luther apparaît donc — et que se passe-t-il alors ? Alors on voit s'unir ce qu'il a voulu réaliser dans le domaine religieux avec les intérêts des princes allemands. C'est un prince qui est fait épiscope, membre d'un synode, etc. Ainsi se trouvent couplés des éléments qui ne devraient jamais l'être. Ou encore, le principe d'Etat qui domine toute l'organisation extérieure est complètement imprégné du principe religieux catholique ; ce fut le cas en Autriche, dans cette Autriche maintenant en perdition, et en fait, ce naufrage a pour cause cette collusion. Sous d'autres égides — sous celle du goethéanisme en particulier — il eût été fort possible de mettre de l'ordre en Autriche.

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De l'autre côté, à l'Ouest, dans la population anglophone, partout l'esprit des loges imprègne les princes. C'est là un phénomène caractéristique : l'organisation qui préside à la vie de l'Etat ne peut absolument pas être comprise en dehors de cette imprégnation par l'esprit des loges — et la France et l'Italie en sont entièrement infectées —, pas plus qu'on ne peut comprendre l'Europe du Centre si l'on ne voit pas qu'elle est pénétrée par le mouvement jésuite ou par autre chose. Tout cela constitue les fautes graves qui ont été commises et mettent obstacle au développement du socialisme.

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Ce développement doit aller de pair avec un autre élément dans le domaine de la vie spirituelle : à savoir l'émancipation de toute aspiration vers l'esprit, qui doit être indépendante de l'organisation d'Etat. Ce qui est nécessaire, c'est que soit libérée de son encasernement la science et tout ce qui lui est rattaché. Ces casernes de la science répandues de par le monde, et que l'on nomme universités, sont parmi les choses qui entravent le plus l'évolution de la cinquième époque post-atlantéenne. Car comme la liberté doit régner dans le domaine de la religion, dans celui de la connaissance il faut que tous soient pairs et égaux, que chacun ait part au progrès de l'humanité. Si le mouvement du socialisme doit se développer sainement, il faut absolument supprimer privilèges, patentes, monopoles dans tous les secteurs de la connaissance. Mais comme nous sommes encore très loin de ce que je veux dire par ces mots, il n'est sans doute pas nécessaire que je vous montre en un point quelconque comment on pourrait faire sortir la science des casernes, et comment chaque être humain pourrait participer à l'évolution. Car cela ne peut se faire qu'en liaison étroite avec des impulsions de portée profonde qui se développeront dans l'éducation, et même dans ce qui régit le comportement des humains vis-à-vis d'autrui. Il arrivera alors ceci, c'est que tous les monopoles, les privilèges, les patentes qui règlent la possession des connaissances spirituelles disparaîtront ; seule subsistera la possibilité pour tout être humain de réaliser dans toutes les directions, dans tous les domaines, le spirituel qui vit en lui, et de lui donner une expression correspondant à la force avec laquelle il vit en lui. Aujourd'hui, on tend de plus en plus à monopoliser par exemple la médecine au bénéfice des universités ; et dans les domaines les plus différents, on veut aussi organiser toutes choses. Il n'est pas nécessaire alors de parler en détail de l'égalité spirituelle. Car nous en sommes encore très éloignés, naturellement, et la plupart peuvent attendre leur prochaine incarnation pour accéder à la compréhension complète de ce qui est à dire sur ce troisième point. Bien sûr, on peut partout commencer à travailler.

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Tout ce que l'on peut faire, c'est d'avoir présentes à l'esprit, pour prendre part à l'humanité moderne et aux temps actuels, les impulsions qui sont à l'eeuvre — en particulier le socialisme et ce qui doit aller de pair avec lui : la liberté de la pensée religieuse, l'égalité dans le domaine de la connaissance. La connaissance doit devenir égale pour tous, dans le sens du proverbe qui dit que tous sont égaux devant la mort ; car elle conduit elle aussi vers les mondes suprasensibles, où la mort nous introduit. On ne peut pas monopoliser la connaissance ni la soumettre à patente, pas plus qu'on ne peut le faire pour la mort. Le faire, c'est produire non pas des êtres qui portent la connaissance, mais ceux qui sont devenus ce qu'on appelle aujourd'hui les porteurs de la connaissance. Bien entendu, ces paroles ne visent nullement des individus isolés. Elles s'en prennent à ce qui a de notre temps une importance : aux formes sociales à notre époque. Notre époque en effet, qui fut le cadre de vie d'une bourgeoisie décadente, a montré combien toute rébellion contre ce qui entrave l'évolution est inefficace. La papauté va à contre-sens de l'évolution. Lorsque les Vieux-Catholiques, dans les années 70, se rebellèrent contre le dogme de l'infaillibilité, ce couronnement du monarchisme papal, on leur fit la vie très dure, on la leur fait aujourd'hui encore ; tandis qu'ils auraient pu rendre de bons services dans le travail d'opposition à la papauté monarchique.

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En vous remémorant ce que j'ai exposé, vous trouverez qu'actuellement, sur le plan physique, quelque chose est présent qui appartient aux âmes, qui relève de l'homme-esprit ; tandis que c'est la fraternité achevée en elle-même qui veut se manifester sur le plan physique. Quelque chose s'est manifesté sur le plan physique et l'a organisé, qui ne doit pas s'y trouver directement, mais seulement par l'intermédiaire des âmes des hommes qui vivent sur ce plan physique. Là, les religions par exemple doivent former des communautés d'âmes, et n'être en rien emprises dans une organisation extérieure. Les écoles devraient être organisées tout autrement, et surtout ne pas être écoles d'Etat. Tout doit être déterminé par la liberté de la pensée, par l'individualité. Du fait que dans la réalité les choses viennent à se confondre, il arrive alors que le socialisme par exemple manifeste souvent le contraire de son principe tel que je vous l'ai exposé. Il se comporte alors en tyran, il est avide de pouvoir, il voudrait prendre tout en mains. Intérieure¬ment, il est en réalité l'adversaire du prince illégal de ce monde, lequel apparaît quand on enserre extérieurement l'impulsion du Christ ou le spirituel dans une organisation d'Etat, quand on ne laisse pas régner dans l'organisation extérieure la simple fraternité.

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Vous le voyez, lorsqu'on effleure des questions très importantes, essentielles, actuelles, on aborde bien des choses qui sont désa¬gréables pour l'humanité d'aujourd'hui. Mais il est nécessaire que ces choses soient vues et comprises en profondeur. C'est seulement en y voyant clair que l'on peut sortir de la situation actuelle de catastrophe, je dois le répéter constamment. C'est seulement ainsi que l'on pourra travailler à la véritable évolution de l'humanité : en acquérant la connaissance des impulsions que l'on peut déceler en procédant comme nous l'avons fait.

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Lorsqu'il y a huit jours je vous ai parlé de « La Philosophie de la Liberté », j'ai essayé de vous montrer comment, par mon activité, je suis arrivé en réalité à me faire mettre à la porte partout. Vous vous rappelez certainement comment cela s'est passé dans différents domaines. Et je peux bien le dire : je puis aussi me considérer comme mis à la porte avec le goethéanisme partout où, au cours des dernières années si pénibles, j'ai voulu attirer l'attention sur lui. Le goethéanisme ne consiste vraiment pas à parler de Goethe — c'est aussi du goethéanisme que de se poser cette question : que faut-il faire de plus fécond, en quelque endroit que ce soit, maintenant que tous les peuples de la terre se combattent ? — Mais là aussi je me suis partout vu mis à la porte. En disant cela, je ne me laisse pas aller au pessimisme, je connais trop bien ce qui constitue le Karma. Je ne le dis pas non plus parce que je ferais demain encore la même chose que j'ai faite hier si l'occasion s'en offrait. Mais il me faut dire, parce que cela est nécessaire pour faire connaître à l'humanité certaines choses ; parce que l'humanité ne pourra trouver par elle-même les impulsions qui conviennent à l'époque actuelle que si elle porte le regard sur la réalité.

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Faut-il donc que les humains ne parviennent jamais, en vivifiant ce qui habite leur coeur et leur âme au plus profond, à trouver le chemin de la lumière ? Faut-il qu'ils y soient amenés par une contrainte extérieure ? Faut-il que d'abord tout s'effondre pour que les hommes commencent à penser ? Ne devrait-on pas poser cette question chaque jour ? Je n'exige pas que chacun fasse ceci ou cela — car je sais très bien qu'à l'heure présente on ne peut faire que bien peu... Ce qui est nécessaire, c'est qu'on acquière la claire compréhension des choses, qu'on cesse d'en juger à faux et sans se donner de peine, qu'on regarde les choses comme elles sont en réalité.

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Une remarque que j'ai lue ce matin m'a fait une étrange impression. Je lisais dans la « Gazette de Francfort », donc dans un journal allemand, une étude d'un homme que j'ai bien connu il y a dix-huit ou vingt ans, et avec lequel j'ai parlé de bien des choses. Je lisais donc une chronique de lui dans la « Gazette de Francfort ». Il est poète et dramaturge, ses drames ont été représentés. Il s'appelle Paul Ernst, et autrefois nous nous connaissions bien. Je lisais aujourd'hui un petit article sur le courage moral, dans lequel il y a une phrase — oui, c'est très bien que quelqu'un écrive aujourd'hui une telle phrase, mais on se demande toujours : fallait-il que fonde sur nous ce qui s'est passé pour qu'une phrase comme celle-là soit écrite ? — Un Allemand authentique, un Allemand très cultivé écrit donc : « On a toujours prétendu chez nous que l'on hait les Allemands. Je voudrais bien savoir », dit-il, « qui dans le monde a vraiment haï l'esprit allemand. » Et alors, la mémoire lui revient : « Dans les dernières années, ce sont les Allemands qui ont le plus haï l'esprit allemand ! »

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Et surtout, une véritable haine intérieure se dresse contre le goethéanisme. Je ne dis pas cela pour critiquer quoi que ce soit, et encore moins pour dire quelque chose de beau qui soit une concession faite à Wilson par exemple. Quelle impression doulou¬reuse, lorsque les choses ne se font que sous la contrainte des faits, alors qu'elles seraient si bénéfiques si elles étaient le fruit de la liberté! Il faudrait qu'aujourd'hui des pensées libres donnent naissance à ce qui est l'objet de la liberté. Je le répète toujours : si je parle ainsi, ce n'est pas pour répandre le pessimisme, mais pour parler à vos âmes, à vos coeurs, pour que vous puissiez à votre tour parler à d'autres âmes, à d'autres coeurs, et y éveiller la compréhen-sion des choses — et par là le jugement ! Car ce qui a le plus souffert ces derniers temps, c'est le jugement qui partout se laisse aveugler par la soumission à l'autorité. Que le monde est donc heureux — de par toute la terre — d'avoir à vénérer comme une idole un maître d'école ! Ce n'est pas là vertu ou défaut national — c'est une chose répandue de par le monde, et qu'il faut combattre par l'effort de chacun à se former une base de jugement. Mais on ne forme pas son jugement en laissant tomber de haut constamment — pardonnez- moi ces mots durs — des jugements. On a besoin de volonté pour entrer dans la réalité. Les hommes qui aujourd'hui sont souvent aux postes de direction, sont — je l'ai déjà dit ici dans un autre contexte — l'élite des plus mauvais, amenés par les circonstances. C'est cela qu'il faut bien voir. Ce qui importe, ce n'est pas de se cramponner à des slogans : démocratie, socialisme, etc. — ce qui importe, c'est de voir la réalité derrière les mots.

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C'est cela qui parfois submerge l'âme et déborde des lèvres à notre époque, où l'on voit si nettement que les quelques êtres qui se sentent aujourd'hui amenés à s'éveiller ne le font que sous la contrainte, n'y viennent que par la contrainte. Voilà ce qui nous dit : ce qui importe, c'est le jugement, la vue claire des choses. Mais on n'y voit clair dans l'évolution des peuples que lorsqu'on embrasse du regard des enchaînements profonds. Il faut alors avoir le courage de se dire : toute science des peuples et tout ce qui participe à l'organisation sociale sans connaître ces choses, est sans compétence. Il faut avoir ce courage, et c'est de ce courage-là que j'ai voulu parler une fois. J'ai parlé bien longuement aujourd'hui, mais il me paraissait important de montrer les impulsions européennes pro¬fondes qui sont directement liées aux impulsions du temps présent.

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Vous savez qu'aujourd'hui, on ne peut jamais dire du jour au lendemain à quel endroit on sera, et que l'on peut aujourd'hui être contraint à s'en aller ici ou là. Mais quelle que soit la marche des choses — peut-être parlerons-nous ensemble encore longtemps, peut-être seulement peu de temps —, même si je devais partir rapidement, la dernière conférence en tout cas que je fais ici ne sera pas celle d'aujourd'hui. Je verrai à faire en sorte que je puisse vous parler encore ici.