Résumé : Wilhelm Meister fini par trouver
le côté du christianisme correspondant au peuple à
l'individuel jusqu'au plus intime de l'âme :
l'ambiance de graal. Etre humain comme chez
l'arianisme germain lié avec le cosmos et la nature
contraint jusque vers l'est : égalité libérale
démocratique. Contre ambiance du courant d'Arthur
celtique-occidental aristocratique-impérieux : vie
en commun humaine appuyée sur des ordres
(organisations) influencées spirituellement (peuple
de loges). Conduit au déisme des Lumières: Christ
comme enseignant du commun à toutes les religions
(Tindal, Voltaire, Harnack).
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Par les faits exposés hier,
nous avons, dans l'essentiel, indiqué
comment ce que nous appelons le peuple du
Christ s'est trouvé relégué à l'Est, et
comment, en raison d'autres faits, le peuple
de l'Eglise proprement dit — on pourrait
dire aussi « les peuples de l'Eglise » —
s'est développé à partir du centre de
l'Europe, mais davantage en direction de
l'Ouest. A cette situation fondamentale sont
liés divers conflits qui prirent leur
extension environ le tournant qui marqua
l'entrée dans la cinquième époque
post-atlantéenne, et immédiatement après. Du
fait que l'impulsion du Christ ne s'est pas
maintenue sous la forme d'une efficacité
permanente, mais sous celle d'une tradition
et d'une interprétation traditionnelle des
Ecritures, une unification, une confusion
s'est établie entre le christianisme et la
papauté, l'Eglise du pape, romaine et
organisée en Etat, en ensemble politique ;
et d'autres églises aussi se sont
constituées, dans le contexte de l'Eglise du
pape. Certes, on peut dire que ces autres
églises manifestent de grandes différences
avec l'Eglise du pape — mais elles ont aussi
beaucoup de points communs avec elle, et ce
sont là des choses qui présentent pour nous
un intérêt. Dans cet éclairage, l'Eglise
d'Etat protestante nous apparaît tout au
moins plus proche de l'Eglise catholique
romaine que par exemple de l'Eglise
orthodoxe, de l'Eglise russe, pourtant elle
aussi église d'Etat — mais ce ne fut jamais
son caractère essentiel. Ce qui est
essentiel en cette Eglise russe, c'est la
manière dont, à travers le peuple russe,
l'impulsion du Christ, poursuivant son
action en permanence, s'est affirmée. Nous
avons vu également comment s'est constitué
le mouvement jésuite, et comment est apparu,
en opposition à ce mouvement, ce qu'on peut
appeler le goethéanisme.
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Ce goethéanisme, disais-je,
s'efforce de promouvoir un courant opposé
qui a une certaine ressemblance avec le
christianisme russe. Il vise en effet à
élever vers les mondes spirituels ce qui se
trouve dans le monde physique. Ainsi, malgré
ses conditions d'existence dans le monde
physique, l'âme s'unit aux impulsions du
monde spirituel, lesquelles ne sont pas
directement transposées sur le plan de la
réalité sensible — c'est ce qui se passe au
sein du mouvement jésuite — mais sont
seulement portées par les âmes. Goethe n'a
pas souvent exprimé ses pensées les plus
intimes à ce sujet. Mais si on veut les
connaître, il faut revenir à un passage du «
Wilhelm Meister » dont j'ai déjà parlé :
Wilhelm est conduit au château d'un
gentilhomme où, entre autres choses, on lui
montre une galerie de tableaux qui
représentent l'histoire universelle et, dans
le cadre de cette histoire du monde,
l'évolution religieuse de l'humanité —
Goethe présente ainsi, sous une forme
littéraire, une grande idée. Son guide
conduit Wilhelm Meister jusqu'à un certain
point : l'histoire est montrée jusqu'à la
destruction de Jérusalem ; Wilhelm fait
alors remarquer ce qui lui paraît manquer :
la représentation de la vie, comme il dit,
de l'homme divin qui fut actif en Palestine
immédiatement avant cette destruction de
Jérusalem. Il est alors conduit dans une
autre, dans une seconde galerie dans
laquelle est montré ce que l'on ne voit pas
dans la première, où manque toute la vie,
comme il est dit, de l'homme divin, du
Christ Jésus. On lui montre alors dans la
seconde la vie du Christ Jésus jusqu'à la
Cène. Et on lui explique alors ceci : toutes
les impulsions religieuses représentées dans
la première galerie, et actives jusqu'à la
destruction de Jérusalem, concernent l'être
humain en tant que membre d'une ethnie, d'un
peuple. Ce que l'on voit dans la seconde
galerie concerne l'individu seul, c'est
l'affaire personnelle de chacun. Cela ne
peut être proposé qu'à la personnalité. Ce
n'est pas la substance d'une religion
commune à tout un peuple, mais celle qui
s'adresse à l'être humain en tant que tel.
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Wilhelm remarque alors que
dans cette seconde galerie, la vie du Christ
Jésus n'est représentée que jusqu'à la Cène
; mais le récit de la Passion, jusqu'à la
mort et au-delà, fait défaut. Il est alors
conduit dans une troisième galerie tout à
fait secrète où figurent les scènes de cette
troisième partie. Mais en même temps, on lui
fait remarquer que c'est là quelque chose
qui touche à l'être le plus intime de
l'homme, et que l'on n'a aucunement le droit
de la présenter d'une manière profane, aux
yeux du monde extérieur, comme on le fait
habituellement. Cela doit parler à l'être
profond de l'homme.
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On peut toutefois remarquer à
bon droit que ce qui était encore valable du
temps de Goethe — à savoir que la Passion du
Christ n'était pas faite pour tous les yeux
—, cela n'est plus valable maintenant.
Depuis ce temps, nous avons franchi d'autres
étapes de l'évolution. — Mais je voudrais
signaler que dans ce passage du « Wilhelm
Meister », c'est l'attitude foncière de
Goethe à ce sujet qui nous apparaît. Pour
Goethe, la chose nous est clairement
montrée, l'impulsion du Christ doit être
reçue au plus profond de l'âme ; il ne veut
pas qu'elle se confonde avec ce qui vient du
peuple, ni en tout cas avec les
circonstances extérieures, celles du plan
physique. Il veut au contraire qu'Un rapport
direct s'établisse entre l'âme de chaque
être individuellement et l'impulsion du
Christ. C'est là une chose extrêmement
importante pour la compréhension non
seulement de Goethe, mais aussi du
goethéanisme. Je vous disais récemment : en
face de la culture extérieure, Goethe et le
goethéanisme sont en fait isolés ; mais
lorsqu'on considère l'évolution en marche,
les progrès qu'accomplit dans son lien avec
la religion l'être intime de l'homme, on ne
peut plus dire cela. Dans cette perspective,
la personne de Goethe représente un autre
élément qu'elle prolonge. Mais pour bien
comprendre comment Goethe est en contraste
avec tout ce qui se manifeste dans les
Eglises de l'Europe du Centre, il faut
considérer une troisième impulsion.
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Cette troisième impulsion se
localise davantage à l'Ouest. Donc peuple du
Christ, peuple de l'Eglise, et maintenant
une troisième impulsion qui anime aussi les
peuples d'une certaine façon — on ne peut
pas dire qu'elle les inspire, mais qu'elle
les anime, les impulse. C'est ainsi, mes
chers amis, et il faut dire : ce qui en fait
est apparu et a revêtu sa forme la plus
extrême dans le mouvement jésuite, dans
cette armée du généralissime Jésus-Christ,
est profondément enraciné dans la nature
même du monde civilisé, que l'on ne peut
comprendre si on ne remonte pas bien au-delà
dans l'évolution historique de l'humanité,
vers quelque chose qui a longtemps continué
d'agir par la suite.
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Vous savez certainement par
l'histoire des religions que parmi les
formes diverses sous lesquelles le
christianisme gagna les peuples en
cheminant, si l'on peut dire, de l'Est vers
l'Ouest, on compte celles de l'arianisme et
de l'athanasisme. Les peuplades goths,
lombardes ou même franques qui ont pris part
à ce qu'on appelle à tort — mais le mot est
employé - la migration des peuples, ces
peuplades étaient à l'origine des ariens. La
différence entre le dogme conçu par Arius et
celui que confessait Athanase vous intéresse
probablement peu. Mais elle a joué un
certain rôle, ce qui nous oblige à y
revenir. Cette divergence aboutit à une
controverse qui se déroula en particulier à
Antioche. Athanase admettait que le Christ
est un dieu au même titre que Dieu le Père,
et que par conséquent il existe un
Dieu-Père, et un Dieu-Christ de même nature
et de même essence que lui, et depuis
l'éternité. C'est la conception qu'adopta le
catholicisme romain. Aujourd'hui encore, il
confesse la même foi qu'Athanase. Il faut
donc dire qu'à la racine du catholicisme se
trouve la foi en un Fils d'éternelle et
semblable nature et essence que le Père.
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Arius s'opposa à cette
conception. Il était d'avis qu'un Dieu
existe qui domine tout, un Dieu-Père, et que
le Dieu-Fils, le Christ, fut créé par le
Père avant que le temps n'existât — mais fut
tout de même créé par lui. Issu du
Dieu-Père, il est plus proche que lui des
humains, et se fait en quelque sorte le
médiateur entre le Dieu-Père planant dans
les hauteurs, inaccessible tout d'abord aux
forces de la connaissance humaine, et ce que
l'être humain trouve en lui-même.
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Si étrange que soit la chose,
elle semble n'être tout d'abord qu'une
divergence dogmatique. Mais elle ne l'est
que pour les hommes d'aujourd'hui. Dans les
premiers siècles du christianisme, elle
n'était pas réduite à cela. Ce christianisme
arien, édifié sur ce que je viens de vous
exposer, sur ce rapport entre le Fils et le
Père, était une lumière instinctive qui
illuminait spontanément ces peuplades : les
Goths, les Lombards, tous ceux qui prirent
la place des Romains pendant et après la
chute de l'Empire. D'instinct, ces hommes
étaient des ariens. Wulfila, qui traduisit
la Bible, se révèle par cette traduction un
véritable arien. C'est ce qu'étaient aussi
les Goths, les Lombards qui envahirent
l'Italie ; et les Francs ne se convertirent
au christianisme que lorsque Clovis l'eut
fait lui-même. Ils adoptèrent alors
extérieurement quelque chose qui ne
convenait pas vraiment à leur être
intérieur, car eux aussi étaient auparavant
ariens. Extérieurement, ils adoptèrent la
foi selon Athanase. Et lorsque le
christianisme se fut rangé sous ce drapeau
dont le principal partisan était
Charlemagne, tout s'adapta à cette foi
athanasienne, ce qui permit le rattachement
à la papauté. Une grande partie des
peuplades barbares : Goths, Lombards, etc.,
fut anéantie; ce qui n'avait pas
spontanément disparu fut pourchassé et
exterminé par les athanasiens. L'arianisme
subsista sous forme de sectes ; mais en tant
que religion populaire et directement
agissante, il disparut.
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Il faut ici se poser deux
questions. Tout d'abord : qu'est-ce qui
distingue l'arianisme de l'athanasisrne ? Et
ensuite : pourquoi cet arianisme a-t-il
disparu, au moins sous sa forme de phénomène
visible et symptomatique dans l'histoire ?
Il y a là une évolution extrêmement
intéressante.
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Voici ce que l'on peut
répondre à la première question :
l'arianisme est en quelque sorte le dernier
vestige, la dernière des conceptions par
lesquelles on s'efforçait de trouver encore
un lien entre le monde extérieur, le monde
des sens, et le monde spirituel divin. Il
fut le dernier surgeon par lequel ceux qui
en ressentaient le besoin pouvaient relier
l'apparence sensible au spirituel, au divin.
On peut dire que dans l'arianisme,
l'impulsion christique russe est vivante ;
non pas sous sa forme sacrée, cultuelle,
mais sous une forme un peu plus abstraite.
Elle fut extirpée par les athanasiens
précisément parce qu'elle ne devait pas se
répandre parmi les peuples d'Europe.
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Lorsqu'on veut comprendre
mieux ce qui se passait là, il faut tenir
compte de ce qu'était à l'origine l'attitude
d'âme des peuplades d'Europe, de celles dont
on rapporte qu'elles supplantèrent l'Empire
romain, comme on dit — ce qui n'est pas
vrai, mais je n'ai pas le temps de rectifier
ici ce point d'histoire —, qui ont pénétré
sur son territoire, et dont on sait
seulement qu'elles ont supplanté l'Empire
romain ; cette attitude d'âme de ce qu'on
appelle les peuplades germaniques repose en
fait à l'origine sur un tout autre
fondement. Elles venaient des directions les
plus diverses et se mêlèrent en Europe à une
population autochtone qu'on qualifie non
sans raison de celtique, et dont encore
aujourd'hui subsistent certains vestiges
dans certaines populations. Aujourd'hui où
l'on veut conserver tout ce qui a trait à la
nature des peuples, on est en quête du
celtisme partout où l'on en trouve — ou bien
où l'on s'imagine en avoir trouvé — afin de
le conserver sous une forme quelconque. Mais
on n'a de l'élément des peuples en Europe
une représentation juste que lorsqu'on
imagine une culture européenne originelle,
première, le celtisme, au sein duquel se
développèrent les autres cultures :
germanique, romane, anglo-saxonne, etc.
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Sous sa forme originelle,
l'élément celte s'est maintenu le plus
longtemps dans les Iles Britanniques, et
notamment au pays de Galles. C'est là qu'il
a conservé le plus longtemps son caractère
propre, originel. Une certaine forme de
sentiment religieux avait été repoussée vers
l'Ests et c'est ainsi que le peuple russe
devint le peuple du Christ. De façon
analogue, et du fait de certains événements
dont vous pouvez trouver mention dans les
manuels d'histoire, ou tout au moins dans
certains, une certaine impulsion partit de
l'Ouest, notamment des Iles Britanniques, et
qui était un prolongement du celtisme
originel. C'est ce prolongement de l'antique
celtisme qui finalement a donné à l'Ouest
son empreinte à la structure religieuse,
comme l'ont fait d'autres influences que
j'ai indiquées pour l'Est et l'Europe du
Centre.
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Pour y voir clair dans ces
faits, demandons-nous : qu'était donc le
peuple celte ? Sur bien des points, les
Celtes différaient entre eux, mais ils
avaient un trait commun. Ils ne
s'intéressaient guère au lien qui existe
entre la nature et l'humanité. Dans leur
âme, ils se représentaient l'être humain
seul, isolé de la nature. Ils avaient de
l'intérêt pour tout ce qui est humain, mais
aucun pour les liens qui unissent l'homme à
la nature, pour l'Homme, être naturel. En
Orient, où s'est développée une attitude
diamétralement opposée, on ressent
profondément et toujours le rapport entre la
nature et l'homme ; et celui-ci apparaît
comme issu de celle-là. C'est ainsi, je l'ai
exposé, que Goethe le voit. Le Celte ne
ressentait guère ce lien entre la nature
humaine et la nature cosmique. Par contre,
il avait un sens assez fort de la vie
communautaire — mais une vie en commun
réglée par une répartition entre supérieurs
qui ordonnaient, et inférieurs qui se
laissaient guider. C'était là son élément
essentiel : anti-démocratie, structure
aristocratique. En Europe, cet élément
remonte à l'antiquité celte. A l'époque,
elle avait pour caractère essentiel une
forme d'organisation basée sur
l'aristocratie.
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Cet élément celte
aristocratique de la royauté eut, dirai je,
une certaine floraison. Le roi, qui est le
chef, qui groupe autour de lui ses
auxiliaires, etc., cet élément se dégage du
celtisme. Et le dernier en quelque sorte de
ces chefs, dont les intentions personnelles
étaient encore enracinées dans les
impulsions originelles, celui qui apparaît
le dernier, c'est le roi Arthur avec sa
Table ronde au pays de Galles, avec ses
douze chevaliers dont il est raconté — ce
qu'il ne faut évidemment pas prendre au pied
de la lettre — qu'ils eurent à vaincre des
monstres, à triompher de démons. Tout cela
atteste encore ce que fut le temps du passé,
de l'union avec le monde spirituel.
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La manière dont s'est formée
cette légende du roi Arthur, tout ce qui
s'est groupé autour de lui, montre l'élément
celte sous la forme de société monarchique
par laquelle il s'est prolongé. Et c'est de
là que vint la compréhension pour le
commandement, l'organisation, la direction
par un souverain.
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Il se passa alors ceci : le
Christ tel que le concevait Wulfila, le
Christ des Goths, dont on avait un sentiment
intense conforme à l'arianisme, c'était un
Christ pour tous les humains, pour des
hommes qui en un certain sens se sentaient
tous égaux, qui ne faisaient entre eux
aucune distinction de classe, ne concevaient
aucune aristocratie. Il était aussi le
dernier fruit efficace du sentiment qu'avait
l'Orient d'une communauté de nature entre
l'homme sur terre et le Cosmos, entre
l'homme et le monde naturel. Tandis que la
nature était en quelque sorte exclue de
cette structure, de cette organisation
monarchique du celtisme.
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Ces deux éléments confluèrent
tout d'abord en Europe (je ne puis exposer
la chose que dans son principe, sans entrer
dans les détails), puis avec un troisième
facteur. Dès le premier contact, ce fut
l'arianisme qui poussa une pointe. Mais
parce qu'il était né d'une conception qui
rattachait l'être humain à la nature, il ne
fut pas compris de ceux qui se trouvaient
sous l'influence des impulsions celtes pures
— parmi lesquels aussi des peuplades
germaniques, franques, etc. Ceux-là ne
comprirent que ce qui était en accord avec
leur conception d'une organisation
monarchique de la société. C'est ainsi que
s'éveilla tout d'abord le besoin — sensible
encore dans le vieux poème saxon « Heliand »
— de faire du Christ le roi d'une armée, un
chef souverain, un seigneur que suivent ses
vassaux. Cette interprétation du Christ roi,
chef d'armée, est née d'une incapacité à
comprendre ce qui venait d'Orient, et du
besoin de concevoir ce que l'on doit vénérer
sous la forme d'un souverain, d'un roi
temporel.
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Le troisième élément venait
du Sud, et de l'Empire romain. Celui-ci
avait déjà été infecté autrefois par cette
mentalité que l'on pourrait qualifier
aujourd'hui d'« administrative ». L'Empire
romain n'était pas un Etat — un meilleur
terme pour le désigner serait : « ensemble
analogue à un Etat ». Mais en un certain
sens, il était très semblable — bien que son
point de départ eût été différent — à ce que
devait engendrer l'organisation basée sur le
principe de la monarchie. Tout d'abord
république, il avait pris la forme d'une
organisation impériale, d'un empire analogue
aux différents royaumes groupés dans le
monde celte, mais avec une coloration
germanique.
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19
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La manière dont était conçue
et ressentie la vie sociale dans le Sud,
dans l'Empire romain, parce qu'elle
débouchait sur une structura¬tion
extérieure, physique, ne pouvait pas
vraiment s'unir à l'impulsion ancienne,
instinctive, qui venait de l'Orient, à
l'aria¬nisme. Elle exigeait que les choses
ne fussent pas proposées à la compréhension,
mais décrétées souverainement. Et comme dans
un royaume ou dans un empire on gouverne par
décrets, la papauté, elle aussi, procéda par
décrets. L'enseignement d'Arius pouvait être
compris par tous les hommes. Il faisait
appel à certains sentiments présents avant
tout chez les peuples dont j'ai parlé, mais
que tous les hommes portent quelque peu en
eux. Dans la foi confessée par Athanase,
bien peu de choses parlent à la
compréhension intérieure, au sentiment ;
elle doit être imposée par voie d'autorité.
Pour qu'elle puisse être incorporée à la
communauté, au peuple, il fallait en faire
une loi, à l'instar des lois séculières.
Ainsi en advint-il : cette notion
complètement incompréhensible, étrange, de
l'identité du Fils avec le Père, dieux tous
deux de toute éternité, fut par la suite
conçue comme n'ayant pas besoin d'être
comprise. Il fallait y croire. C'est une
chose que l'on peut décréter. La foi
athanasienne peut être imposée par décret.
Et du fait qu'elle dépendait directement
d'une décision autoritaire, elle put être
insérée dans un organisme d'Eglise à
caractère politique. L'arianisme s'adressait
à l'individu isolé, à l'homme ; on ne
pouvait pas l'imposer par l'autorité, on ne
pouvait pas non plus l'insérer dans une
structure cléricale.
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20
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Ainsi vint confluer ce qui
venait du Sud, de l'athanasisme avec sa
tendance autoritariste, avec le besoin
instinctif d'une organisation dirigée par un
souverain que suivaient ses vassaux.
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En Europe du Centre, ces
éléments se sont confondus. Mais en Europe
occidentale, sur le territoire britannique,
et plus tard aussi en Amérique, un certain
reste subsista de l'ancien aristocratisme,
de cet élément qui donne une structure à la
société en introduisant dans la vie sociale
le spirituel. En effet, là l'élément
spirituel était conçu comme lié à la vie
sociale ; c'est ce que nous voyons, dans la
légende du roi Arthur, dans le fait que les
chevaliers de la Table ronde avaient à
triompher de monstres et de démons, etc. Le
spirituel ne peut se cultiver que si, au
lieu de l'imposer par des décrets, on
l'introduit dans le principe de la structure
elle-même, si on l'insère naturellement dans
l'ensemble. Ainsi, tandis que le peuple de
l'Eglise se développait en Europe du Centre,
vers l'Ouest, et notamment dans les
populations anglophones, il se forma ce que
l'on peut appeler — pour trouver une
troisième dénomination — le peuple, ou les
peuples, des loges : il apparut — ou ils
apparurent — là où à l'origine une certaine
tendance était présente à former des
sociétés, un certain esprit d'organisation.
Mais en dernier ressort, une organisation
n'a de valeur que si on la crée par des
moyens spirituels, sans qu'elle soit
remarquée ; sinon il faut l'imposer par
décret. C'est ce qui arriva en Europe du
Centre. Dans les populations anglophones, la
forme qui s'établit fut davantage celle de
la souveraineté issue des loges, là où
subsistait le celtisme. Le peuple — ou les
peuples — des loges porte visiblement en lui
ce qui peut non pas organiser l'humanité
dans son ensemble, mais lui donner une forme
de structure sociale, la répartir en ordres.
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22
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Dans la vie de l'histoire,
les choses ne procèdent pas par filiation
directe, l'une suivant l'autre ; elles
viennent à se recouper. C'est ainsi qu'on
observe un fait étrange : en ce qui concerne
la manière de se représenter les choses,
l'activité de l'âme, ce principe des loges
(dont la franc-maçonnerie est une caricature
simiesque) est dans sa nature profonde
apparenté au mouvement jésuite. Si
foncièrement hostile que ce dernier soit aux
loges, il lui ressemble énormément quant à
la faculté de représentation qu'il cultive.
Et à coup sûr, à l'oeuvre grandiose
qu'accomplit Ignace de Loyola, un élément
celte a contribué qu'il portait dans son
sang.
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23
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A l'Est apparut donc le
peuple du Christ, ce peuple qu'habite
l'impulsion permanente du Christ. L'homme de
l'Est voit sa vie tout naturellement liée à
ce qui constamment se déverse en son âme : à
l'impulsion du Christ. Pour le peuple de
l'Eglise des pays du centre de l'Europe,
cette impulsion s'est émoussée ou paralysée,
du fait qu'elle a été une fois pour toutes
localisée au début de notre ère, et
qu'ensuite elle a été transmise par la voie
des principes, de la tradition fixée par des
décrets d'Etat. A l'Ouest, dans le système
des loges, l'impulsion du Christ perdit
davantage encore de sa force, et fut très
compromise. Ces loges issues du celtisme
cultivèrent une faculté de représentation
dont naquit le déisme, et avec lui ce qu'on
appelle l'esprit des lumières. Il est
extrêmement intéressant de voir la
différence considérable entre l'attitude
d'un membre du peuple de l'Eglise en Europe
du Centre vis-à-vis de l'impulsion du
Christ, et celle d'un citoyen de l'Empire
britannique. Mais je vous en prie,
n'appliquez pas tout cela à chaque individu
isolé, car évidemment l'impulsion de
l'Eglise s'est répandue également en
Angleterre. Et il faut prendre les choses
comme elles sont en réalité : il s'agit ici
des gens qui sont liés à ce que j'ai appelé
l'impulsion des loges, et qui dans tout
l'Occident a envahi la vie des états. C'est
elle qui a engendré un rapport différent des
êtres avec le Christ.
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24
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On peut demander : mais qu'en
est-il de ceux qui appartiennent au peuple
du Christ ? — Chacun d'eux sait ceci :
lorsque je ressens vraiment ce qui habite
mon âme, je trouve l'impulsion du Christ ;
elle y est présente, elle continue d'agir. —
Le membre du peuple de l'Eglise se dit à peu
près — tel saint Augustin, qui à l'âge de la
puberté se demandait comment trouver le
Christ : « L'Eglise me dit qui est le Christ
; je puis l'apprendre d'elle, car dans sa
tradition elle a conservé ce qui, au
commencement, a été dit du Christ. » Celui
qui appartient au peuple des loges — et
vraiment il lui appartient — s'interroge au
sujet du Christ de tout autre façon que le
peuple du Christ. Il se dit : l'histoire
parle d'un Christ qui a existé. Est-ce
raisonnable de l'admettre ? Comment la
raison peut-elle confirmer ce que fut
l'influence du Christ dans l'histoire ? —
Cette attitude donna dans l'essentiel la
christologie des lumières, celle qui exige
que le Christ soit confirmé par la raison.
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25
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Pour comprendre ce que nous
devons considérer maintenant, il faut voir
clairement qu'en tout temps, on peut
parvenir à Dieu sans être animé par
l'impulsion du Christ. Il suffit que l'on
soit, en un point quelconque de son être,
mal conformé — et l'athée est un homme dont
le physique est malade en un point
quelconque — et l'on peut parvenir à la
notion de Dieu, admettre l'existence de Dieu
par des démarches spéculatives, ou par la
voie mystique. La foi des lumières est
l'élément déiste fondamental. On y parvient
tout droit, à cette foi des lumières qui
admet l'existence d'un Dieu.
|
26
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Mais pour ceux qui sont les
héritiers du peuple des loges, il faut en
outre justifier par la raison l'existence du
Christ à côté de Dieu. On peut ici choisir
parmi les personnalités caractéristiques de
cette attitude. Herbert Cherbury, par
exemple, qui mourut en 1648, l'année du
Traité de Westphalie. Il s'efforça de
justifier par la raison l'impulsion du
Christ. Un véritable membre du peuple du
Christ ne peut absolument pas imaginer
comment raisonner à propos de l'impulsion du
Christ. Il aurait la même impression que si
quelqu'un exigeait de lui qu'il justifie par
le raisonnement la présence de sa tête sur
ses épaules. On possède une tête — et on
possède de même l'impulsion du Christ.
Tandis que les gens comme Cherbury
interrogent : est-il conforme à la raison
d'admettre à côté d'un Dieu, à la notion
duquel conduit la pensée éclairée,
l'existence d'un Christ ?
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27
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Il faut d'abord étudier
raisonnablement les conceptions humaines
pour se convaincre que leur attitude est
justifiée.
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28
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Bien entendu, tous les
membres du peuple des loges ne procèdent pas
ainsi. Les philosophes élaborent des
concepts qu'ils expriment ; mais les autres
ne pensent pas autant ; ils ont cependant
cette attitude de par leurs instincts, par
ce qu'ils ressentent, par les conclusions
qu'ils tirent inconsciemment, tous ceux-là
qui d'une façon ou d'une autre sont en
rapport avec l'impulsion des loges. Ainsi
l'homme dont je viens de parler se disait
tout d'abord : considérons toutes les
religions et ce qu'elles ont de commun. —
C'est là un procédé, un truc de la
philosophie des lumières : on ne peut pas
parvenir soi-même à l'esprit, tout au moins
en ce qui concerne l'impulsion du Christ,
mais seulement à la notion abstraite d'un
Dieu. Alors on demande : est-il naturel pour
l'homme d'avoir découvert ceci ou cela ? —
Cherbury, qui avait beaucoup voyagé, chercha
tout d'abord à s'informer de ce que les
religions avaient en commun.
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29
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Il trouva en effet beaucoup
de points communs. Et il tenta de condenser
en cinq propositions ce qu'il avait ainsi
rassemblé. Ces cinq thèses ont une grande
importance, et nous allons les regarder de
près.
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La première dit : il existe
un Dieu. Comme les différents peuples
appartenant aux religions les plus
différentes ont tous admis l'existence d'un
Dieu, il trouve qu'il est conforme à la
nature d'admettre qu'il existe un Dieu.
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31
|
Deuxièmement : le dieu exige
d'être vénéré — nouveau trait commun à
toutes les religions.
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32
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Troisièmement : cette
vénération doit être faite de vertu et de
piété.
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33
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Quatrièmement : les péchés
doivent entraîner le remords et l'expiation.
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34
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Cinquièmement : il est dans
l'au-delà une justice qui récompense et qui
punit.
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35
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Vous le voyez, on ne trouve
là-dedans rien de l'impulsion du Christ. On
y trouve tout ce à quoi l'on parvient
lorsqu'on s'appuie sur l'impulsion
religieuse émanant des loges. Et c'est cette
manière de voir qui se développa à l'époque
des lumières. Les auteurs comme Hobbes,
Locke et d'autres cherchent constamment à
s'interroger : il existe une tradition qui
parle du Christ, disent-ils. Est-il
raisonnable d'admettre son existence ? — Et
finalement, ils en viennent à dire : ce que
disent les Evangiles, ce que la tradition
transmet au sujet du Christ concorde avec
les principes essentiels qui, au fond, sont
communs à toutes les religions. On a donc
l'impression que ce Christ rassemble dans sa
personne ce que toutes les religions ont en
commun ; il aurait existé une personnalité
emplie de Dieu (ce qu'on se représente plus
ou moins bien) et qui a enseigné ce qu'il y
avait de meilleur dans toutes les religions.
— Voilà ce que finalement on trouva conforme
à la raison. Un auteur qui vécut de 1657 à
1753, Tindal, a écrit un livre intitulé : «
Le christianisme est aussi vieux que la
Création ». C'est un ouvrage très important
pour qui veut vraiment connaître l'esprit
des lumières, qui fut par la suite délayé
par le voltairisme par exemple. Tindal
voulait montrer qu'au fond, tous les
humains, les meilleurs d'entre eux, ont
toujours été des chrétiens, et que le Christ
a rassemblé ce que les religions avaient de
meilleur.
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36
|
Ainsi le Christ est-il
rabaissé : on en fait un professeur, et quel
que soit le nom qu'on lui donne : Messie, ou
Maître, ou ce que vous voudrez, il n'est
plus qu'un enseignant. Le fait de sa nature
n'importe plus, mais bien qu'il soit là,
qu'il donne un enseignement rassemblant ce
que les religions du reste de l'humanité ont
de plus précieux et de commun.
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37
|
Cette conception que je viens
d'exposer peut revêtir les nuances les plus
différentes ; mais la coloration
fondamentale subsiste : le Christ est un
enseignant. Si nous voulons considérer les
interpréta¬tions typiques ainsi établies par
le peuple du Christ, par le peuple de
l'Eglise et par le peuple des loges — types
qui ont connu les variantes les plus
diverses —, si nous voulons saisir la vraie
réalité derrière l'apparence, nous pouvons
dire que pour le peuple du Christ, Christ
est l'esprit, et qu'il n'a donc rien à voir
avec une institution quelconque sur le plan
physique. Seul est réel le mystère de sa
présence dans une forme humaine. Pour le
peuple de l'Eglise : le Christ est roi,
conception qui peut revêtir des nuances
variées. C'est celle du peuple des loges à
l'origine, mais avec le temps elle se
modifie et devient : le Christ est
l'enseignant.
|
38
|
Voyez-vous, il faut bien
saisir ces nuances créées par la conscience
européenne. Car elles sont vivantes, non
seulement dans les âmes individuelles, mais
dans ce qui s'est développé à la cinquième
époque post-atlantéenne et qui a modelé les
formes sociales. Ce sont là les nuances
principales revêtues par l'impulsion du
Christ. On pourrait dire encore bien des
choses là-dessus. Le temps dont je dispose
m'oblige à seulement les esquisser.
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39
|
Revenons maintenant aux trois
formes d'évolution dont nous parlions
précédemment : l'humanité tout entière vit
maintenant dans l'âme de sensibilité —
correspondant à l'âge de vingt-huit à vingt
et un ans. L'individu, l'homme isolé, lui,
développe au cours de la cinquième époque
post-atlantéenne l'âme de conscience. Enfin,
une troisième évolution se déroule
également, qui concerne les âmes des
peuples. Vous avez d'une part les phénomènes
historiques et l'action qu'ils exercent, et
d'autre part les âmes des peuples avec leurs
religions différemment nuancées. Les trois
nuances qui naissent sous cette double
influence : Christ est l'esprit — pour le
peuple du Christ —, Christ est le roi — pour
le peuple de l'Eglise —, Christ est
l'enseignant — pour les peuples des loges —,
sont en relation avec la répartition en
peuples, c'est-à-dire rattachées à la
troisième évolu¬tion.
|
40
|
Dans la réalité extérieure,
les choses interfèrent toujours, évidemment.
Un représentant tout à fait pur du peuple
des loges, du déisme des lumières, est par
exemple le Berlinois Harnack — beaucoup plus
pur que ceux que l'on trouve de l'autre côté
de la Manche. Dans la vie moderne, les
choses sont très entremêlées. Mais si l'on
veut bien comprendre ce qui se passe et
remonter à l'origine des choses, il ne faut
pas en rester aux éléments extérieurs. Il
faut voir clairement que la troisième
évolution est liée à l'ethnie, au peuple.
|
41
|
Mais en raison de l'existence
des autres courants d'évolution se produit
une réaction, un assaut de l'âme de
conscience dressée contre ce qui vient du
peuple, et cette réaction se manifeste sur
les points les plus différents. Elle donne
l'assaut à partir de plusieurs centres. Et
l'une de ces vagues d'assaut, c'est
précisément le goethéanisme. En fait, il n'a
rien à voir avec ce que je viens de décrire,
et d'autre part, considéré sous tel ou tel
aspect, il a beaucoup à voir avec tout cela.
De bonne heure, un courant parallèle à celui
du roi Arthur s'est développé : le courant
du Graal, en parfait contraste avec lui.
Celui qui veut parvenir au Temple du Graal
doit parcourir les chemins les plus
difficiles pendant soixante lieues ; le
Temple est si bien caché qu'on ne peut rien
savoir du lieu où il se trouve aussi
longtemps qu'on ne pose aucune question —
bref, toute cette atmosphère est celle qui
caractérise la recherche du lien entre le
noyau le plus intime de l'âme humaine, là où
s'éveille l'âme de conscience, et les mondes
spirituels. Il y a là un effort conscient de
rattacher le monde sensible au monde
spirituel — ce qui est l'aspiration
instinctive du peuple du Christ. Parmi les
étranges influences réciproques des
impulsions religieuses en Europe, nous avons
une impulsion qui, aujourd'hui encore, vit
instinctivement, en germe, non développée,
dans le peuple du Christ (Voir dessin :
rouge) ; les esprits qui, comme Solovieff,
deviennent des philosophes, s'ouvrent tout
naturellement à cette impulsion.
|
42
|
La structure ethnique et
ethnographique de l'Europe du Centre ne la
prédispose pas à s'ouvrir de la même manière
spontanée ; il faut que la volonté
intervienne. On a ainsi une intervention du
courant du Graal qui se répand dans toute
l'Europe — on a comme une inflexion du
tourbillon (dessin : rouge, en bas) —,
courant du Graal qui n'est pas lié au
peuple. Or, Goethe portait en lui — bien que
dans ses forces les moins conscientes —
cette atmosphère du Graal. Et dans ce sens,
il n'est pas isolé, il se rattache à ce qui
a précédé. Il n'a rien à voir avec Luther ni
avec les mystiques allemands ; il n'a reçu
d'eux que ce qu'en prend tout homme cultivé.
Mais il est amené à distinguer trois degrés
dans le rapport de l'être humain avec la
religion : le premier est dépendant du
peuple, le second est réservé au sage, à
l'individu (c'est celui de la seconde
galerie), et enfin le troisième touche au
plus intime de l'être et enclôt le mystère
de la mort et de la résurrection. Ce qui
l'amène ainsi à vouloir élever vers les
hauteurs spirituelles la piété agissant dans
le monde sensible, c'est l'atmosphère du
Graal. Et si paradoxale que paraisse cette
affirmation, mes chers amis, c'est en Russie
que règne l'atmosphère du Graal. Le rôle
qu'à l'avenir jouera la Russie pendant la
sixième époque post-atlantéenne, ce rôle
repose sur l'invincible atmosphère du Graal
présente en Russie. C'est ce qu'il faut
envisager lorsqu'on étudie l'un des aspects.
|
43
|
Mais considérons un autre
aspect, nous avons alors l'impulsion du
Christ envisagée dans la perspective du bon
sens, de la raison. C'est la forme qui s'est
répandue sous l'action des loges et de leurs
ramifications, de leurs prolongements. Sur
le dessin, elle est figurée en vert. C'est
ce qui a revêtu par la suite une forme
politisée, l'ultime produit du courant du
roi Arthur. L'impulsion du Christ au sein du
peuple russe s'est prolongée par le Graal et
pénètre de ses rayons tous les humains de
bonne volonté en Occident. L'autre courant
pénètre aussi tous les humains du peuple de
l'Eglise et prend la coloration particulière
du mouvement jésuite. Que les Jésuites
soient les ennemis déclarés de ce qui vient
des loges importe peu. Car on peut devenir
l'ennemi déclaré d'un courant dont on a reçu
l'empreinte. Non seulement — et la chose est
historiquement avérée — les Jésuites se sont
introduits dans toutes les loges, et des
Jésuites de haut grade sont en rapport avec
de hauts dignitaires des loges, mais en
outre, les deux courants, bien qu'implantés
chez des peuples différents, ont une racine
commune, bien que l'un ait donné naissance à
la papauté, et l'autre à la liberté, au bon
sens, à l'esprit des lumières. Ce qui
précède vous donne une sorte de tableau de
ce que je peux appeler les effets de
l'évolution de l'âme de conscience. Je vous
avais décrit précédemment les trois formes,
allant d'Est en Ouest, qui sont en liaison
avec l'élément du peuple, de l'ethnie. Si la
chose a pris à l'Ouest la forme de l'esprit
des lumières, c'est parce qu'en chaque être
humain s'accomplit l'évolution de l'âme de
conscience.
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44
|
Puis nous avons un troisième
courant, celui par lequel l'humanité tout
entière rajeunit et se trouve maintenant à
l'âge de l'âme de sensibilité.
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45
|
Il passe à travers toute
l'humanité. Lorsque nous décrivons le
premier courant, le courant ethnique, là où
naissent les religions des peuples :
religion du Christ, religion d'Eglise,
religion des loges, nous sommes dans la
perspective de l'évolution des peuples, que
je répartis ainsi d'ordinaire : peuples
italiens = âme de sensibilité, peuple
français = âme d'entendement, etc. Lorsque
nous décrivons le développement de l'âme de
conscience en chaque individu depuis le
début de la cinquième époque
post-atlantéenne, nous avons éminemment ce
qui va vers l'élément religieux. Mais à
partir de là se produit aussi la
collaboration avec ce qui est l'évolution en
tous les humains : celle de l'âme de
sensibilité, qui se déroule parallèlement et
est beaucoup moins consciente que
l'évolution de l'âme de conscience.
|
46
|
Regardez comment un homme
comme Goethe — bien que par des impulsions
souvent subconscientes — se donne très
consciem¬ment à lui-même son orientation
religieuse, et vous découvrirez comment agit
l'âme de conscience. Mais à côté de
celle-ci, un autre élément règne au sein de
l'humanité moderne, un élément qui vit très
fortement par les instincts, par des
impulsions inconscientes, et est intimement
rattaché à l'âme de sensibilité, stade
actuel de l'évolution de l'humanité dans son
ensemble. C'est le socialisme, qui est au
début de son évolution. Certes, les élans
initiaux sont toujours donnés par l'âme de
conscience ; mais le socialisme, c'est la
mission de la cinquième époque
post-atlantéenne jusqu'au quatrième
millénaire où il trouvera son achèvement, et
ceci parce que l'humanité collectivement se
trouve à l'âge de l'âme de sensibilité,
entre la vingt-huitième et la vingt et
unième années. Le socialisme n'est pas
l'affaire d'un parti, bien qu'il existe de
nombreux partis au sein de la société, des
corps sociaux. Le socialisme est né d'une
nécessité inscrite dans l'évolution de la
cinquième époque post¬atlantéenne. Et
lorsque cette cinquième époque aura pris
fin, dans l'essentiel et pour le monde
civilisé les instincts du socialisme seront
enracinés dans les êtres humains.
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47
|
Outre ces courants actifs
pendant cette cinquième époque
post-atlantéenne, une autre chose encore est
à l'oeuvre dans les profondeurs du
subconscient : la tendance à établir pour
l'humanité terrestre tout entière une
structure sociale juste d'ici le quatrième
millénaire. Si l'on se place à un point de
vue très profond, il ne faut pas s'étonner
de voir le socialisme provoquer tant de
remous, dont certains peuvent être très
dangereux ; il faut penser que les
impulsions qui l'animent viennent de
profondeurs inconscientes. Tout cela
bouillonne et s'agite vigoureusement, et le
moment est encore bien éloigné où le
socialisme prendra la bonne voie. Tout
bouillonne — mais non dans les âmes : dans
la nature humaine, et dans les tempéraments
avant tout. Et pour expliquer ces remous
dans les tempéraments humains, on trouve des
théories. Celles-ci ne sont pas les
expressions de réalités profondes comme nous
les avons dans la Science spirituelle.
Bakounisme, marxisme, lassallisme, tout cela
n'est que masque, apparence, ornement de
surface sous lesquels on dissimule la
réalité : car les réalités, on ne les voit
qu'en plongeant le regard vers les
profondeurs de l'évolution humaine, comme
nous nous efforçons de le faire dans cette
étude.
|
48
|
Tout ce qui se passe
actuellement dans le monde extérieur, ce ne
sont aussi que les préparatifs tumultueux de
quelque chose qui en dernier ressort est aux
aguets, on peut vraiment dire : non pas dans
les âmes, mais dans les tempéraments. Vous
êtes tous socialistes, et vous ignorez
souvent à quel point vous l'êtes, parce que
c'est votre être tout à fait inconscient qui
l'est. Mais c'est en étant informé d'un fait
de cè genre que l'on abandonne cette
recherche confuse et ridicule de la
connaissance de soi, cette tendance à
regarder en soi-même, et qui ne trouve — je
ne vous décrirai pas quel irréel caput
mortuum, quelle abstraction. L'être humain
est une créature complexe. Pour apprendre à
la connaître, il faut connaître le monde
tout entier.
|
49
|
Considérez dans cette
perspective l'humanité et l'évolution
qu'elle a suivie au cours de la cinquième
époque post-atlantéenne. Dites-vous à
vous-même : nous avons à l'Est le peuple du
Christ avec son impulsion essentielle :
Christ est esprit. Il est dans la nature de
ce peuple d'apporter au monde comme par une
puissance instinctive, élémentaire, par une
nécessité de l'histoire, quelque chose qui
n'a pu prendre qu'une forme préparatoire
dans le reste de l'Europe. Au peuple russe
en tant que tel est dévolue la mission de
cultiver la réalité essentielle du Graal,
d'en faire un système religieux d'ici la
sixième époque post-atlantéenne, afin
qu'elle puisse devenir un ferment de culture
pour la terre entière. Rien de surprenant,
lorsque cette impulsion se croise avec les
autres, à ce que celles-ci revêtent des
formes étranges.
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50
|
Ces autres impulsions,
quelles sont-elles ? Pour l'une : le Christ
est roi — pour l'autre : le Christ est
l'enseignant. On peut à peine aller
jusque-là, car « Christ est l'enseignant »,
c'est ce que ne comprend pas en fait l'âme,
le coeur russe, comme je le disais déjà.
Elle ne comprend pas que l'on puisse
enseigner le christianisme, qu'on n'en ait
pas l'expérience directe en soi-même. Mais
l'autre conception : « Christ est roi », le
peuple russe ne l'a-t-il pas adoptée en
profondeur ? Et sur ce point, nous voyons
confluer deux choses qui, dans le monde,
n'ont jamais eu d'affinité entre elles :
l'impulsion « Christ est esprit » entre en
contact avec le tsarisme,caricature
orientale du principe qui veut instaurer sur
le terrain de la religion une souveraineté
terrestre. « Christ est roi et le tsar est
son représentant » : voici donc couplés cet
élément occidental qui s'exprime par le
tsarisme, et quelque chose qui n'a
absolument rien à voir avec et qui, à
travers l'âme du peuple russe, vit dans la
sensibilité russe !
|
51
|
Ce qui est caractéristique,
c'est que dans la réalité physique,
extérieure, les choses qui au fond ont le
moins à voir les unes avec les autres
doivent précisément se mêler, se confronter.
Tsarisme et russisme ont toujours été
profondément étrangers l'un à l'autre, n'ont
aucun lien entre eux. Qui comprend bien la
nature russe, et sa religiosité en
particulier, trouvera toute naturelle
l'attitude qui devait aboutir à éliminer le
tsarisme au moment nécessaire. Songez
toutefois que cette conception : « Christ
est esprit », est enclose au plus profond de
l'être, qu'elle est en rapport avec la forme
la plus noble de la culture de l'âme de
conscience, et que, tandis que le socialisme
engendre des remous, elle entre en contact
avec ce qui vit dans l'âme de sensibilité.
Rien de surprenant alors à ce fait que dans
cette partie orientale de l'Europe, le
socialisme en expansion prenne des formes
absolument incompréhensibles : un
entremêlement inorganique de la culture de
l'âme de conscience avec celle de l'âme de
sensibilité.
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52
|
Beaucoup de choses qui se
passent dans le monde extérieur vous
apparaîtront claires et compréhensibles si
vous portez votre regard sur ces liaisons
internes. C'est une nécessité pour
l'humanité actuelle et son évolution à venir
qu'elle ne néglige pas, par indolence et par
paresse, ce qui appartient à sa nature : à
savoir de comprendre les rapports, les
liaisons au sein desquelles nous nous
trouvons maintenant. On n'a pas voulu les
comprendre, on ne les a pas compris. C'est
ainsi qu'est né le chaos, l'effroyable
catastrophe dans lesquels se trouvent
maintenant l'Europe et aussi l'Amérique.
Nous ne trouverons pas d'issue à cette
situation de catastrophe aussi longtemps que
les humains n'inclineront pas à se
comprendre tels qu'ils sont, et tels qu'ils
sont dans le cadre de l'évolution actuelle,
de l'époque présente. Voilà ce dont il faut
se rendre compte.
|
53
|
C'est pourquoi il m'importe
tellement que le mouvement anthroposophique,
tel que je le conçois, soit vraiment relié à
la connaissance des grandes impulsions
d'évolution dans l'humanité, et à ce que
l'époque exige maintenant, immédiatement,
des humains. C'est certes une grande douleur
que de voir combien l'époque incline peu à
comprendre et à envisager la conception du
monde anthroposophique, de ce point de vue
précisément.
|
54
|
Pour compléter dans la
perspective de points de vue généraux ce que
je vous disais précédemment à propos de « La
Philosophie de la Liberté », je vous dirai
ceci : vous comprendrez que le courant du
socialisme qui apparaît actuellement est un
phénomène entièrement fondé dans la nature
humaine, et qui prendra de plus en plus
d'extension. Les réactions qui se dressent
contre lui sont, pour celui qui pénètre la
nature des choses, quelque chose
d'effroyable. Pour qui comprend vraiment ce
qui se passe, le socialisme qui se répand
par toute la terre — même sous une forme
tumultueuse, même dans une sourde agitation
—, cet élément international est porteur
d'avenir; et l'établissement de tant d'états
nationaux, de tout petits états, est
contraire au cheminement de l'évolution. « A
chaque nation doit correspondre un état » :
ces mots dressent un effrayant obstacle sur
le chemin de l'évolution à la cinquième
époque post-atlantéenne. Et naturellement,
on ignore complètement où cela peut mener ;
mais on le dit ! C'est un principe qui, en
même temps, est entièrement imprégné des
forces passées de l'impulsion du roi Arthur,
celle de l'organisation extérieure. Son
contraire est l'aspiration que représente le
Graal, intimement apparentée aux principes
goethéens, fondée dans tous les domaines —
celui de la morale, celui de la science —
sur l'individu, sur la personne. Ce courant
considère avant tout l'individu en voie
d'évolution, et non pas des groupes qui
aujourd'hui n'ont plus de signification, et
que l'élément socialiste international doit
faire disparaître de ce monde, parce que
c'est dans le sens de l'évolution.
|
55
|
C'est aussi pour cette raison
qu'il faut dire : le goethéanisrne avec son
individualisme (comment cet individualisme
est fondé dans la conception goethéenne du
monde, vous pouvez le lire dans « Goethe et
sa conception du monde »), cet
individualisme qui atteint son apogée avec
la philosophie de la liberté, est aussi ce
qui doit nécessairement conduire vers le
socialisme en formation. On peut ainsi
reconnaître l'existence de deux pôles :
celui de l'individualisme et celui du
socialisme, vers lesquels tend l'humanité
durant cette cinquième époque
post-atlantéenne. Mais il faut comprendre
vraiment de quoi il s'agit. Et pour bien
comprendre, il faut acquérir la notion de ce
qui doit venir se joindre au socialisme pour
qu'il progresse dans le sens de notre
évolution. Les actuels socialistes n'ont
aucune idée de ce à quoi doit se lier
nécessairement le socialisme, qui n'arrivera
à un certain achèvement qu'au cours du
troisième millénaire. Il faut avant tout
qu'il se développe en liaison avec une juste
faculté de sentir ce qu'est l'être humain
dans sa totalité : corps, âme et esprit. Les
différentes nuances qu'il peut revêtir, les
différentes impulsions religieuses liées aux
ethnies les apporteront ; elles donneront
ainsi leur contribution à une compré¬hension
de l'homme tripartite : corps, âme et
esprit. L'Orient et le peuple russe feront
en sorte que l'esprit soit compris ;
l'Ouest, que le corps soit compris ; et le
Centre travaillera à ce que l'âme soit
comprise. Bien entendu, tous ces efforts se
mêleront. Ne procédons pas par schémas et
par catégories... Au sein de toute cette
oeuvre doit se développer d'abord le
principe réel, la véritable impulsion du
socialisme.
|
56
|
Mais en quoi consiste-t-elle
en réalité ? En ce que les humains
parviennent vraiment à réaliser au sein de
la structure sociale extérieure la
fraternité, au sens le plus large du terme.
Bien entendu, la véritable fraternité n'a
rien à voir avec l'égalité. Prenez seulement
le terme dans son sens le plus étroit, au
sein de la famille : un frère a sept ans,
l'autre vient au monde. Il ne peut
naturellement pas être question d'égalité.
Il faut d'abord que soit bien comprise cette
notion de la fraternité. Ce qui est à
réaliser sur le plan physique, c'est que
soient remplacés les systèmes d'états par
des organisations englobant toute la terre,
et qui soient imprégnées de fraternité. Par
contre, tout ce qui est organisation
extérieure, Etat et tout ce qui ressemble à
un Etat, doit être séparé de ce qui concerne
l'église, la religion, qui doivent devenir
une affaire de l'âme, et se développer
librement dans les âmes vivant côte à côte.
Une liberté de pensée absolue en ce qui
concerne les choses de la religion doit
aller de pair avec l'évolution du
socialisme.
|
57
|
C'est ce que la forme
actuelle du socialisme : la
social-démocratie, exprime aujourd'hui —
disons, en gros, par cette formule : la
religion est une affaire privée. Mais elle
s'y conforme en fait à peu près comme le
taureau furieux réalise la fraternité en se
jetant sur quelqu'un. Et elle ne la comprend
absolument pas : car le socialisme est
lui-même, sous sa forme actuelle, une
religion, il travaille dans un esprit
sectaire, et avec une profonde intolérance.
Il faut que, tandis que le socialisme
évolue, la vie religieuse fleurisse
réellement, et se fonde sur la liberté dans
ce monde des âmes qui oeuvrent sur terre en
commun.
|
58
|
Voyez comment les choses ont
travaillé considérablement à mettre obstacle
à l'évolution. Mais il faut que tout d'abord
soit mis obstacle à l'évolution pour
qu'ensuite, pendant un certain temps, on
puisse travailler dans le sens de
l'évolution. Ensuite viendra encore un
contre-courant, etc. Je vous l'ai exposé
précédemment à propos des principes généraux
dans l'histoire : tout est là pour
finalement mourir. Quel obstacle à ce
cheminement parallèle de la liberté de
pensée en matière de religion avec la
fraternité dans la vie sociale que la
dépendance de celle-ci d'un organisme d'Etat
! La vie religieuse ne doit en aucun cas
être liée à l'organisation de l'Etat ; pour
que le socialisme puisse régner, il faut
qu'elle anime les âmes d'êtres humains
vivant ensemble ; mais elle doit être
complètement indépendante de toute
organisation extérieure. Que de fautes n'ont
pas été commises dans ce domaine ! « Christ
est esprit »... et à côté l'effroyable
organisation cléricale du tsarisme. — «
Christ est roi » : attelage parfait de la
papauté avec les convictions religieuses !
Et non seulement l'Eglise catholique et
romaine s'est elle-même constituée en Etat,
en corps politique, mais elle a aussi trouvé
le moyen, au cours des derniers siècles
notamment et grâce au mouvement jésuite, de
s'insinuer dans les autres états et de les
marquer de son organisation.
|
59
|
Comment en effet s'est
développé le luthéranisme ? Certes, Luther a
pour point de départ une certaine impulsion
— que j'ai déjà exposée ici — et c'est un
esprit qui tourne l'un de ses visages vers
la quatrième époque post-atlantéenne, et
l'autre vers la cinquième, ce en quoi il est
animé d'une impulsion conforme à notre
temps. Luther apparaît donc — et que se
passe-t-il alors ? Alors on voit s'unir ce
qu'il a voulu réaliser dans le domaine
religieux avec les intérêts des princes
allemands. C'est un prince qui est fait
épiscope, membre d'un synode, etc. Ainsi se
trouvent couplés des éléments qui ne
devraient jamais l'être. Ou encore, le
principe d'Etat qui domine toute
l'organisation extérieure est complètement
imprégné du principe religieux catholique ;
ce fut le cas en Autriche, dans cette
Autriche maintenant en perdition, et en
fait, ce naufrage a pour cause cette
collusion. Sous d'autres égides — sous celle
du goethéanisme en particulier — il eût été
fort possible de mettre de l'ordre en
Autriche.
|
60
|
De l'autre côté, à l'Ouest,
dans la population anglophone, partout
l'esprit des loges imprègne les princes.
C'est là un phénomène caractéristique :
l'organisation qui préside à la vie de
l'Etat ne peut absolument pas être comprise
en dehors de cette imprégnation par l'esprit
des loges — et la France et l'Italie en sont
entièrement infectées —, pas plus qu'on ne
peut comprendre l'Europe du Centre si l'on
ne voit pas qu'elle est pénétrée par le
mouvement jésuite ou par autre chose. Tout
cela constitue les fautes graves qui ont été
commises et mettent obstacle au
développement du socialisme.
|
61
|
Ce développement doit aller
de pair avec un autre élément dans le
domaine de la vie spirituelle : à savoir
l'émancipation de toute aspiration vers
l'esprit, qui doit être indépendante de
l'organisation d'Etat. Ce qui est
nécessaire, c'est que soit libérée de son
encasernement la science et tout ce qui lui
est rattaché. Ces casernes de la science
répandues de par le monde, et que l'on nomme
universités, sont parmi les choses qui
entravent le plus l'évolution de la
cinquième époque post-atlantéenne. Car comme
la liberté doit régner dans le domaine de la
religion, dans celui de la connaissance il
faut que tous soient pairs et égaux, que
chacun ait part au progrès de l'humanité. Si
le mouvement du socialisme doit se
développer sainement, il faut absolument
supprimer privilèges, patentes, monopoles
dans tous les secteurs de la connaissance.
Mais comme nous sommes encore très loin de
ce que je veux dire par ces mots, il n'est
sans doute pas nécessaire que je vous montre
en un point quelconque comment on pourrait
faire sortir la science des casernes, et
comment chaque être humain pourrait
participer à l'évolution. Car cela ne peut
se faire qu'en liaison étroite avec des
impulsions de portée profonde qui se
développeront dans l'éducation, et même dans
ce qui régit le comportement des humains
vis-à-vis d'autrui. Il arrivera alors ceci,
c'est que tous les monopoles, les
privilèges, les patentes qui règlent la
possession des connaissances spirituelles
disparaîtront ; seule subsistera la
possibilité pour tout être humain de
réaliser dans toutes les directions, dans
tous les domaines, le spirituel qui vit en
lui, et de lui donner une expression
correspondant à la force avec laquelle il
vit en lui. Aujourd'hui, on tend de plus en
plus à monopoliser par exemple la médecine
au bénéfice des universités ; et dans les
domaines les plus différents, on veut aussi
organiser toutes choses. Il n'est pas
nécessaire alors de parler en détail de
l'égalité spirituelle. Car nous en sommes
encore très éloignés, naturellement, et la
plupart peuvent attendre leur prochaine
incarnation pour accéder à la compréhension
complète de ce qui est à dire sur ce
troisième point. Bien sûr, on peut partout
commencer à travailler.
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62
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Tout ce que l'on peut faire,
c'est d'avoir présentes à l'esprit, pour
prendre part à l'humanité moderne et aux
temps actuels, les impulsions qui sont à
l'eeuvre — en particulier le socialisme et
ce qui doit aller de pair avec lui : la
liberté de la pensée religieuse, l'égalité
dans le domaine de la connaissance. La
connaissance doit devenir égale pour tous,
dans le sens du proverbe qui dit que tous
sont égaux devant la mort ; car elle conduit
elle aussi vers les mondes suprasensibles,
où la mort nous introduit. On ne peut pas
monopoliser la connaissance ni la soumettre
à patente, pas plus qu'on ne peut le faire
pour la mort. Le faire, c'est produire non
pas des êtres qui portent la connaissance,
mais ceux qui sont devenus ce qu'on appelle
aujourd'hui les porteurs de la connaissance.
Bien entendu, ces paroles ne visent
nullement des individus isolés. Elles s'en
prennent à ce qui a de notre temps une
importance : aux formes sociales à notre
époque. Notre époque en effet, qui fut le
cadre de vie d'une bourgeoisie décadente, a
montré combien toute rébellion contre ce qui
entrave l'évolution est inefficace. La
papauté va à contre-sens de l'évolution.
Lorsque les Vieux-Catholiques, dans les
années 70, se rebellèrent contre le dogme de
l'infaillibilité, ce couronnement du
monarchisme papal, on leur fit la vie très
dure, on la leur fait aujourd'hui encore ;
tandis qu'ils auraient pu rendre de bons
services dans le travail d'opposition à la
papauté monarchique.
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En vous remémorant ce que
j'ai exposé, vous trouverez qu'actuellement,
sur le plan physique, quelque chose est
présent qui appartient aux âmes, qui relève
de l'homme-esprit ; tandis que c'est la
fraternité achevée en elle-même qui veut se
manifester sur le plan physique. Quelque
chose s'est manifesté sur le plan physique
et l'a organisé, qui ne doit pas s'y trouver
directement, mais seulement par
l'intermédiaire des âmes des hommes qui
vivent sur ce plan physique. Là, les
religions par exemple doivent former des
communautés d'âmes, et n'être en rien
emprises dans une organisation extérieure.
Les écoles devraient être organisées tout
autrement, et surtout ne pas être écoles
d'Etat. Tout doit être déterminé par la
liberté de la pensée, par l'individualité.
Du fait que dans la réalité les choses
viennent à se confondre, il arrive alors que
le socialisme par exemple manifeste souvent
le contraire de son principe tel que je vous
l'ai exposé. Il se comporte alors en tyran,
il est avide de pouvoir, il voudrait prendre
tout en mains. Intérieure¬ment, il est en
réalité l'adversaire du prince illégal de ce
monde, lequel apparaît quand on enserre
extérieurement l'impulsion du Christ ou le
spirituel dans une organisation d'Etat,
quand on ne laisse pas régner dans
l'organisation extérieure la simple
fraternité.
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Vous le voyez, lorsqu'on
effleure des questions très importantes,
essentielles, actuelles, on aborde bien des
choses qui sont désa¬gréables pour
l'humanité d'aujourd'hui. Mais il est
nécessaire que ces choses soient vues et
comprises en profondeur. C'est seulement en
y voyant clair que l'on peut sortir de la
situation actuelle de catastrophe, je dois
le répéter constamment. C'est seulement
ainsi que l'on pourra travailler à la
véritable évolution de l'humanité : en
acquérant la connaissance des impulsions que
l'on peut déceler en procédant comme nous
l'avons fait.
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Lorsqu'il y a huit jours je
vous ai parlé de « La Philosophie de la
Liberté », j'ai essayé de vous montrer
comment, par mon activité, je suis arrivé en
réalité à me faire mettre à la porte
partout. Vous vous rappelez certainement
comment cela s'est passé dans différents
domaines. Et je peux bien le dire : je puis
aussi me considérer comme mis à la porte
avec le goethéanisme partout où, au cours
des dernières années si pénibles, j'ai voulu
attirer l'attention sur lui. Le goethéanisme
ne consiste vraiment pas à parler de Goethe
— c'est aussi du goethéanisme que de se
poser cette question : que faut-il faire de
plus fécond, en quelque endroit que ce soit,
maintenant que tous les peuples de la terre
se combattent ? — Mais là aussi je me suis
partout vu mis à la porte. En disant cela,
je ne me laisse pas aller au pessimisme, je
connais trop bien ce qui constitue le Karma.
Je ne le dis pas non plus parce que je
ferais demain encore la même chose que j'ai
faite hier si l'occasion s'en offrait. Mais
il me faut dire, parce que cela est
nécessaire pour faire connaître à l'humanité
certaines choses ; parce que l'humanité ne
pourra trouver par elle-même les impulsions
qui conviennent à l'époque actuelle que si
elle porte le regard sur la réalité.
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Faut-il donc que les humains
ne parviennent jamais, en vivifiant ce qui
habite leur coeur et leur âme au plus
profond, à trouver le chemin de la lumière ?
Faut-il qu'ils y soient amenés par une
contrainte extérieure ? Faut-il que d'abord
tout s'effondre pour que les hommes
commencent à penser ? Ne devrait-on pas
poser cette question chaque jour ? Je
n'exige pas que chacun fasse ceci ou cela —
car je sais très bien qu'à l'heure présente
on ne peut faire que bien peu... Ce qui est
nécessaire, c'est qu'on acquière la claire
compréhension des choses, qu'on cesse d'en
juger à faux et sans se donner de peine,
qu'on regarde les choses comme elles sont en
réalité.
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Une remarque que j'ai lue ce
matin m'a fait une étrange impression. Je
lisais dans la « Gazette de Francfort »,
donc dans un journal allemand, une étude
d'un homme que j'ai bien connu il y a
dix-huit ou vingt ans, et avec lequel j'ai
parlé de bien des choses. Je lisais donc une
chronique de lui dans la « Gazette de
Francfort ». Il est poète et dramaturge, ses
drames ont été représentés. Il s'appelle
Paul Ernst, et autrefois nous nous
connaissions bien. Je lisais aujourd'hui un
petit article sur le courage moral, dans
lequel il y a une phrase — oui, c'est très
bien que quelqu'un écrive aujourd'hui une
telle phrase, mais on se demande toujours :
fallait-il que fonde sur nous ce qui s'est
passé pour qu'une phrase comme celle-là soit
écrite ? — Un Allemand authentique, un
Allemand très cultivé écrit donc : « On a
toujours prétendu chez nous que l'on hait
les Allemands. Je voudrais bien savoir »,
dit-il, « qui dans le monde a vraiment haï
l'esprit allemand. » Et alors, la mémoire
lui revient : « Dans les dernières années,
ce sont les Allemands qui ont le plus haï
l'esprit allemand ! »
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Et surtout, une véritable
haine intérieure se dresse contre le
goethéanisme. Je ne dis pas cela pour
critiquer quoi que ce soit, et encore moins
pour dire quelque chose de beau qui soit une
concession faite à Wilson par exemple.
Quelle impression doulou¬reuse, lorsque les
choses ne se font que sous la contrainte des
faits, alors qu'elles seraient si bénéfiques
si elles étaient le fruit de la liberté! Il
faudrait qu'aujourd'hui des pensées libres
donnent naissance à ce qui est l'objet de la
liberté. Je le répète toujours : si je parle
ainsi, ce n'est pas pour répandre le
pessimisme, mais pour parler à vos âmes, à
vos coeurs, pour que vous puissiez à votre
tour parler à d'autres âmes, à d'autres
coeurs, et y éveiller la compréhen-sion des
choses — et par là le jugement ! Car ce qui
a le plus souffert ces derniers temps, c'est
le jugement qui partout se laisse aveugler
par la soumission à l'autorité. Que le monde
est donc heureux — de par toute la terre —
d'avoir à vénérer comme une idole un maître
d'école ! Ce n'est pas là vertu ou défaut
national — c'est une chose répandue de par
le monde, et qu'il faut combattre par
l'effort de chacun à se former une base de
jugement. Mais on ne forme pas son jugement
en laissant tomber de haut constamment —
pardonnez- moi ces mots durs — des
jugements. On a besoin de volonté pour
entrer dans la réalité. Les hommes qui
aujourd'hui sont souvent aux postes de
direction, sont — je l'ai déjà dit ici dans
un autre contexte — l'élite des plus
mauvais, amenés par les circonstances. C'est
cela qu'il faut bien voir. Ce qui importe,
ce n'est pas de se cramponner à des slogans
: démocratie, socialisme, etc. — ce qui
importe, c'est de voir la réalité derrière
les mots.
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C'est cela qui parfois
submerge l'âme et déborde des lèvres à notre
époque, où l'on voit si nettement que les
quelques êtres qui se sentent aujourd'hui
amenés à s'éveiller ne le font que sous la
contrainte, n'y viennent que par la
contrainte. Voilà ce qui nous dit : ce qui
importe, c'est le jugement, la vue claire
des choses. Mais on n'y voit clair dans
l'évolution des peuples que lorsqu'on
embrasse du regard des enchaînements
profonds. Il faut alors avoir le courage de
se dire : toute science des peuples et tout
ce qui participe à l'organisation sociale
sans connaître ces choses, est sans
compétence. Il faut avoir ce courage, et
c'est de ce courage-là que j'ai voulu parler
une fois. J'ai parlé bien longuement
aujourd'hui, mais il me paraissait important
de montrer les impulsions européennes
pro¬fondes qui sont directement liées aux
impulsions du temps présent.
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Vous savez qu'aujourd'hui, on
ne peut jamais dire du jour au lendemain à
quel endroit on sera, et que l'on peut
aujourd'hui être contraint à s'en aller ici
ou là. Mais quelle que soit la marche des
choses — peut-être parlerons-nous ensemble
encore longtemps, peut-être seulement peu de
temps —, même si je devais partir
rapidement, la dernière conférence en tout
cas que je fais ici ne sera pas celle
d'aujourd'hui. Je verrai à faire en sorte
que je puisse vous parler encore ici.
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