06014 - , je vais vous illustrer
d'un tout autre point de vue le fait qu'il y a des
consommateurs purs dans le processus économique. Nous
pouvons garnir ce cercle-là (dessin 4), qui peut
devenir très riche d'enseignements, de toutes sortes
de propriétés possibles, et la question se posera
pourtant, comment pourrons-nous loger dans ce cercle
chacun des événements du processus économique, car il
est précisément le cycle de notre économie ? Or il y
a, sur le marché un fait qui se produit immédiatement
lors d'une vente ou d'un achat quand je paie comptant.
Que je paie avec de l'argent ou que je pratique le
troc en donnant en échange une marchandise acceptée
par le vendeur, cela n'a aucune importance. Ce qui
importe, c'est avant tout le fait de payer
immédiatement, de payer, tout simplement. Et
maintenant, il nous faut, à cet endroit du dessin 4
passer du regard habituel, trivial, à un regard
conforme à l'économie. Car les différents concepts
interfèrent continuellement les uns dans les autres,
et la vision d'ensemble résulte du jeu réciproque des
différents facteurs. Vous pouvez dire : on pourrait
concevoir que l'usage s'établisse de ne plus payer
comptant. On ne paierait qu'après, disons un mois ou
un délai convenu. Oui, il s'agit de voir que nous
aurions alors un concept totalement faux : en disant
que je reçois aujourd'hui un habit que je ne paie
qu'après un mois. Réellement, je ne paie après un mois
non seulement le prix du costume, mais encore quelque
chose d'autre : je paie ce qui, éventuellement se
serait produit dans l'intervalle, une augmentation ou
une réduction des prix, je paie alors quelque chose
d'immatériel. Le concept du paiement au comptant doit
exister, il l'est d'ailleurs pour les achats
ordinaires. Ainsi un bien devient une marchandise
lorsqu'il est payé immédiatement. C'est notamment le
cas des produits transformés de la nature. Là je paie,
le paiement joue le rôle essentiel. Ce paiement doit
être effectué et je dois ouvrir ma bourse et en sortir
l'argent ; et la valeur est déterminée à ce moment ou
lorsque j'effectue l'échange d'une marchandise contre
une autre. Là on paie. Voilà pour le premier point :
il faut que le paiement soit effectué.
06015 - Le second point est celui
sur lequel j'ai attiré votre attention hier en
mentionnant qu'il joue un rôle semblable au paiement.
C'est le prêt. Il n'interfère en aucune façon avec le
paiement ; c'est un fait tout différent qui pourtant
est là. Lorsqu'on me prête de l'argent je peux
appliquer mon esprit à ce capital. Je deviens
débiteur ; mais je deviens aussi producteur. Là le
prêt joue un rôle très réel dans l'économie. Il doit
être possible, si je suis doué de facultés créatrices,
que je reçoive, d'une provenance quelconque, un
capital en prêt pour mes réalisations. Je dois donc
pouvoir le recevoir et pour cela il doit exister du
capital de prêt. Au paiement on doit donc ajouter le
prêt (dessin 4). Avec cela nous avons deux facteurs
d'une très grande importance dans le processus
économique : le paiement et le prêt.
06016 - Et maintenant, par une
simple déduction, nous pouvons réellement trouver le
troisième facteur, nous devons seulement le vérifier
là, sur le dessin 4 ; à aucun moment vous n'aurez pu
avoir de doute sur ce qu'est ce troisième facteur.
Après les deux premiers qui sont payer et prêter,
voici donner. Payer, prêter et donner, telle est la
trinité de concepts qui doivent entrer dans toute
économie saine. Nous avons une certaine réticence à
considérer le don comme un facteur économique ; mais
si le don n'existait pas, le processus économique ne
pourrait tout simplement pas se poursuivre. Imaginez,
par exemple, ce qu'il adviendrait des enfants si on ne
leur donnait rien ! Nous ne cessons de faire des dons
aux enfants et, dans le processus pensé en son entier
et devant se poursuivre, le don est tout simplement
là. Il est donc parfaitement injustifié de ne pas
intégrer dans le processus économique les valeurs
faisant l'objet de transfert sous la forme de dons.
J'insiste particulièrement sur cette catégorie de
transfert — au véritable scandale de beaucoup de
personnes — dans mon ouvrage Éléments
fondamentaux pour la solution du problème
social, à laquelle pourraient appartenir les
moyens de production dont le transfert devrait
s'apparenter à la donation à celui qui est capable de
poursuivre judicieusement leur mise en oeuvre. Il est
bien certain qu'il faudra veiller à ce que ces
donations n'aient pas lieu dans la confusion, mais au
sens de l'économie, il s'agit bien de donations. De
telles donations sont tout à fait indispensables.
06017 - Plus vous y réfléchirez,
plus vous trouverez que la trinité : paiement, prêt et
don est une nécessité économique. Vous vous direz que
si elle n'était pas présente dans chaque cas où le
processus économique est engagé, on aboutirait à une
situation absurde.
06018 - On peut la combattre
momentanément ; mais les connaissances en économie
sont aujourd'hui encore très rudimentaires et,
précisément ceux qui veulent l'enseigner, devraient
l'admettre et réaliser, avant toute chose, que l'on
est peu enclin à envisager le véritable contexte
économique. Je pourrais dire que cela saute aux yeux.
Cela saute tellement aux yeux que vous pouvez
curieusement lire aujourd'hui dans les Basler
Nachrichten une considération sur l'absence
d'intérêt, autant chez les dirigeants que les
particuliers, pour le développement de la pensée en
économie. Je ne crois pas que des sujets qui ne
sautent pas aux yeux aujourd'hui puissent être
précisément discutés dans les Basler Nachrichten
! C'est une évidence. Et il est néanmoins
intéressant qu'on en ait parlé de cette manière ;
l'article est intéressant du fait que pour une fois
l'absolue impuissance en économie se trouve sous le
feu des projecteurs et qu'il y est demandé un
changement et que les gouvernements et les
particuliers devraient enfin commencer à raisonner
autrement. Mais son raisonnement s'arrête là. Quant à
cette autre manière de raisonner, les Basler Nachrichten
n'en soufflent mot. Ce qui est d'ailleurs aussi
très intéressant.
06019 - Or, on peut créer des
perturbations dans le processus économique si l'on ne
met pas en une juste relation les trois éléments de
cette trinité. Il y a aujourd'hui des personnes qui
s'enthousiasment tout particulièrement en faveur d'une
forte taxation des successions, lesquelles sont
évidemment aussi des donations. Ce prélèvement n'a
pas une importance particulière en économie. Il ne
dévalorise en rien l'héritage, dont la valeur V est
décomposée en deux, V1 et V2. Si l'on donne la valeur
V2 à une autre personne, ne laissant que la valeur V1
à l'héritier, cela veut dire que la valeur V intéresse
deux personnes. Il s'agit de savoir si celui qui a
reçu la valeur V2 est aussi capable de gérer celle-ci
que celui qui aurait reçu à la fois les valeurs V2 et
Vl. Chacun pourra décider à son gré si un seul
propriétaire capable exploitera l'ensemble de
l'héritage avec plus de succès ou s'il est préférable
de remettre une partie seulement à l'héritier et
l'autre à l'État avec lequel il doit collaborer.
06020 - De telles choses nous
détournent singulièrement de la pensée économique pure
; car elles sont produites par le ressentir, elles
émanent de sentiments. Il est un fait que l'on envie
les riches héritiers. Il se peut que de tels
sentiments soient fondés, mais on ne peut pas en
parler isolément dans un raisonnement économique. Ce
qui importe c'est le contenu de la pensée économique ;
c'est cette pensée qui doit guider les événements.
Ainsi vous pouvez imaginer un organisme social malade
à la suite d'une interaction inorganique entre le
paiement, le prêt et le don, du fait que l'on s'oppose
à l'un ou à l'autre de ces facteurs, ou qu'on favorise
l'un au détriment de l'autre. Or, ces trois éléments
agissent ensemble quoiqu'on en veuille. Si d'un côté
vous ne faites que supprimer la donation, vous ne
faites que transférer14. Et la question de savoir si
l'on doit transférer une donation n'est pas décisive,
il faut plutôt savoir si le transfert a des effets
favorables ; car choisir si un héritage doit être
recueilli individuellement ou partagé avec l'État est
une question qui doit être d'abord décidée dans le
cadre économique. Il importe de savoir si l'une des
solutions est meilleure que l'autre.
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