Personne ne s'avise encore à l'heure qu'il est que la vie de l'esprit ne peut incorporer comme il convient sa réalité au corps social qu'à condition d'être émancipée de toute autre forme de vie, d'être à elle-même son propre support, de pouvoir se donner elle-même son propre mandat, sa propre structure. Alors qu'on s'est évertué de plus en plus ces derniers temps à nationaliser le système scolaire, il appartient précisément aux forces de progrès de l'homme moderne d'opérer une volte-face complète dans ce domaine. Qu'on se le dise une bonne fois : si le plus humble des maîtres n'est pas dans la dépendance de l'état, si au contraire il sait se faire sa place dans une vie de l'esprit librement organisée, s'il sait se faire sa place dans un organisme culturel, comme il peut alors intégrer à l'unité du corps social ce qu'il est en mesure de donner, tout
autrement que si l'état exige de lui ce qu'il doit faire ou ne pas faire, ce qu'il doit apporter à un petit d'homme !b0
01035 - Ceux qui jugent de ces questions croient peut-être, pour avoir fait plus d'une mauvaise expérience, que l'on prend certaines précautions en mettant en place les gens qui ont par exemple la charge du sa­voir dont tant de choses dépendent. Mais le savoir et l'enseignement qu'il dispense sont libres. Ce sont là des règles que l'on trouve dans les états les plus di­vers. Et il ne fait pas de doute que bien des gens croient qu'il en est ainsi. Quand on connaît vraiment la question, on sait que ces abus n'interviennent pas seulement dans la nomination des préposés à la vie de l'esprit, pas seulement dans le domaine administratif, mais bien dans le travail lui-même. La libre vie de l'esprit, dont la réalité spécifique peut prendre sa place avec force dans le corps social sain, il faut aussi qu'elle puisse se développer librement, indépendamment de la vie politique et de la vie économique, et reposer sur ses bases propres.
01036 - Je connais les objections que l'on peut soulever à peu de frais : quand l'école ne sera plus sous contrôle de l'état, quand tout un chacun pourra envoyer ses enfants à l'école parce qu'il brûle de cultiver la vie de l'esprit, nous retournerons à l'analphabétisme. Ceux qui parlent ainsi s'inspirent de sentiments d'antan dans un contexte moderne. Nous aurons tôt fait de voir que le contrôle moderne a des effets bien différents de ce qu'imaginent ces hommes avec leurs sentiments d'un autre âge.