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Institut pour une triarticulation sociale
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Collection: 04 - LA VIE ECONOMIQUE ASSOCIATIVE
Sujet: Travail et revenu sont deux choses entièrement séparées l'une de l'autre.
 
Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes GA034 211-215 (1989) 00/00/1905
Traducteur: FG Editeur: SITE

 

Il faut progresser de la simple croyance en la bonté de la nature humaine, qui a abusé Owen, à une véritable connaissance de l'homme. — Toute clarté que pourraient jamais acquérir les hommes sur le fait que des institutions quelconques sont adéquates au but recherché et peuvent être bénéfiques à l'humanité, toute clarté de ce genre ne peut pas conduire à la longue au but que l'on souhaite atteindre. Car cette claire compréhension ne pourra susciter en l'homme l'impulsion de travailler si de l'autre côté se manifestent en lui les pulsions fondées sur l'égoïsme. Cet égoïsme fait tout simplement partie d'emblée de la nature humaine. Et cela conduit à ce qu'il se manifeste dans le sentiment de l'être humain lorsque celui-ci est censé vivre et travailler avec d'autres hommes au sein de la société. Cela entraîne avec une certaine nécessité à ce que dans la pratique la plupart des gens tiendront pour la meilleure institution sociale celle par laquelle "individu peut le mieux satisfaire ses besoins. Ainsi, sous l'influence des sentiments égoïstes, la question sociale prend tout naturellement la forme suivante : quelles dispositions sociales faut-il prendre pour que chacun puisse avoir pour soi le produit de son travail ? Et en particulier à notre époque qui pense de façon matérialiste peu de gens seulement tiennent compte d'un autre présupposé. Que de fois on entend exprimer comme une vérité évidente qu'un ordre social qui veut se fonder sur la bienveillance et la compassion est une absurdité. On tient bien plutôt compte du fait que l'ensemble d'une communauté humaine atteint le maximum de prospérité quand l'individu peut aussi empocher le produit « complet » ou le plus grand possible de son travail.

033 - Or c'est exactement l'inverse que nous enseigne l'occultisme qui est fondé sur une connaissance plus profonde de l'homme et du monde. Il montre précisément que toute la misère humaine est uniquement une conséquence de l'égoïsme et que dans une communauté humaine il est absolument inévitable que doivent apparaître à un moment quelconque la misère, la pauvreté et la détresse si cette communauté repose d'une façon quelconque sur l'égoïsme. Il faut à vrai dire pour percevoir cela des connaissances plus profondes que celles qui naviguent ici et là sous le pavillon de la science sociale. En effet, cette « science sociale » ne tient compte que de l'aspect extérieur de la vie humaine, mais pas des forces situées plus en profondeur. Bien plus, il est même très difficile d'éveiller chez la plupart de nos contemporains ne serait-ce que le sentiment que l'on puisse parler de forces de ce genre situées plus en profondeur. Ils considèrent celui qui s'aventure d'une façon quelconque à leur parler de telles choses comme un rêveur dépourvu de sens pratique. Or il ne saurait être question ici ne serait- ce que de faire l'essai d'exposer une théorie sociale fondée sur des forces situées plus en profondeur. Car pour cela un ouvrage détaillé serait nécessaire. On ne peut faire qu'une chose : on peut indiquer quelles sont les lois véritables du travail en commun entre les hommes et montrer quelles considérations sociales raisonnables en découlent pour celui qui connaît ces lois. Seul peut parvenir à comprendre totalement le problème celui qui acquiert une conception du monde fondée sur l'occultisme. Et c'est bien évidemment à faire connaître une conception du monde de ce genre que travaille cette revue dans son ensemble. On ne peut pas l'attendre d'un unique article sur la « question sociale ». Tout ce que celui-ci peut se donner pour tâche est de jeter une brève lumière sur cette question à partir de l'occultisme. Il se trouvera bien tout de même des personnes susceptibles de reconnaître par leur sentiment la justesse de ce qui va être exposé ici très brièvement et qu'il ne nous est pas possible de développer dans tous les détails.

035 -Eh bien, la loi sociale fondamentale qui est indiquée par l'occultisme est la suivante : « La santé d'une collectivité d'êtres humains travaillant ensemble est d'autant plus grande que l'individu revendique moins pour lui-même les produits de ses actes de travail, c'est-à-dire qu'il abandonne une plus grande part de ces produits à ceux qui travaillent avec lui et que ses besoins sont davantage satisfaits non pas par ses actes de travail, mais par les actes de travail des autres membres de la collectivité. » Toutes les institutions au sein d'une collectivité d'êtres humains qui contreviennent à cette loi doivent à la longue engendrer en un point quelconque la misère et la détresse. Cette loi sociale fondamentale est valable pour la vie sociale avec une exclusivité et une nécessité que l'on retrouve seulement pour quelque loi naturelle que ce soit en ce qui concerne quelque domaine précis que ce soit où s'exercent les effets de la nature. Mais on n'est pas autorisé à croire qu'il suffit de laisser agir cette loi comme une loi morale générale ou de vouloir la transformer en la disposition d'esprit portant chacun à travailler au service de ses contemporains. Non, dans la réalité, la loi ne vit comme elle est censée vivre que si une collectivité d'hommes réussit à créer des institutions telles que jamais personne ne puisse revendiquer pour lui-même les fruits de son propre travail et qu'au contraire ceux-ci profitent aussi intégralement que possible à la collectivité. Lui-même doit en retour être entretenu par le travail de ses semblables. Ce qui importe, c'est donc que travailler pour ses semblables et obtenir un certain revenu soient deux choses totalement séparées l'une de l'autre.

036 - Ceux qui s'imaginent être des « hommes de la pratique » ne feront que sourire de cet « idéalisme à vous faire dresser les cheveux sur la tête » — l'occultiste n'a pas d'illusions à ce sujet. Et pourtant, la loi ci-dessus est plus pratique que toute autre espèce de loi qui ait jamais été pensée ou réalisée par des « hommes de la pratique ». En effet, celui qui étudie réellement la vie peut trouver que toute communauté humaine qui existe quelque part ou qui a jamais existé a deux sortes d'institutions. L'une de ces sortes correspond à cette loi, l'autre y contredit. En effet, il doit en être ainsi, tout à fait indépendamment de ce que les hommes le veuillent ou non. En effet, toute collectivité se désagrégerait sur le champ si le travail des individus ne venait abonder l'ensemble. Mais l'égoïsme humain s'est aussi de tout temps mis en travers de cette loi. Il a cherché à tirer du travail le plus grand profit possible pour l'individu. Et seul ce qui procède ainsi de l'égoïsme a eu de tout temps pour conséquence la détresse, la pauvreté et la misère. Cela ne signifie donc rien d'autre sinon que doit toujours s'avérer non-pratique la partie des institutions humaines qui est mise sur pied par les « hommes de la pratique » sous la forme que l'on prend en compte son propre égoïsme ou celui d'autrui.

037 - Or il ne peut néanmoins pas seulement s'agir bien sûr que l'on voie le bien-fondé d'une loi telle que celle-ci, mais la véritable pratique commence avec cette question : comment peut-on la faire passer dans la réalité ? Il est clair que cette loi ne dit rien de moins que ceci : le bien de l'humanité est d'autant plus grand que l'égoïsme est plus petit. Pour la faire passer dans la réalité on est donc tributaire de ce que l'on ait affaire à des hommes qui parviennent à sortir de l'égoïsme. Mais c'est tout à fait impossible dans la pratique si la mesure de bien et de mal-être de l'individu est déterminée en fonction de son travail. Celui qui travaille pour lui-même doit peu à peu succomber à l'égoïsme. Seul celui qui travaille entièrement pour les autres peut devenir petit à petit un travailleur non égoïste.

038 - Une condition est nécessaire pour cela. Quand un homme travaille pour un autre il faut qu'il trouve en cet autre la raison d'être de son travail ; et si quelqu'un est censé travailler pour la collectivité, il faut qu'il éprouve et ressente la valeur, l'entité et la signification de cette collectivité. Il ne le peut que si la collectivité est encore tout autre chose qu'une somme plus ou moins vague d'individus. Elle doit être emplie d'un véritable esprit auquel chacun ait part. Elle doit être telle que chacun se dise : elle est juste, et je veux qu'elle soit ainsi. La collectivité doit avoir une mission spirituelle ; et chaque individu doit avoir la volonté de contribuer à ce que cette mission soit remplie. Aucune des idées abstraites et vagues de progrès dont on parle habituellement ne peut constituer une mission de ce genre. Quand elle est seule à régner, un individu travaillera ici, ou un groupe là, sans qu'ils aient la vue d'ensemble sur une utilité de leur travail autre que le fait qu'eux ou les leurs, ou encore peut-être les intérêts auxquels ils sont tout particulièrement attachés y trouvent leur compte. Cet esprit de la collectivité doit être vivant jusque dans le moindre de ses membres.

039 - De tout temps, ce qui était bon n'a prospéré que là où était d'une manière quelconque dans sa plénitude une vie de l'esprit de la collectivité comme celle que nous avons évoquée. Le citoyen d'une ville grecque de l'Antiquité, et même encore celui d'une ville libre du Moyen Âge avait à tout le moins quelque chose comme un sentiment obscur d'un esprit collectif de cette nature. Le fait que, par exemple, les institutions correspondantes n'étaient possibles dans la Grèce antique que parce qu'on avait une armée d'esclaves qui accomplissaient le travail pour les « citoyens libres » et qui y étaient portés non par l'esprit de la collectivité, mais par la contrainte de leurs maîtres ne constitue pas une objection à cette affirmation. Cet exemple peut seulement nous apprendre que la vie de l'homme est soumise à une évolution. Actuellement, l'humanité est précisément arrivée à une étape de celle-ci où une solution de la question sociale comme celle qui prévalait dans la Grèce antique n'est plus possible. Même auprès des Grecs les plus nobles, l'esclavage ne passait pas pour une injustice, mais pour une nécessité de la vie. C'est pourquoi, par exemple, le grand Platon pouvait proposer un idéal de l'État où l'esprit de la collectivité arrive à sa pleine réalisation par le fait que la majorité que constituent les hommes qui travaillent est contrainte au travail par le petit nombre des hommes qui ont la vue d'ensemble. Mais la tâche du temps présent est de placer les hommes dans une situation où chacun accomplit du travail pour la collectivité à partir de sa propre impulsion intérieure.