020 - De même que la nécessité sociale de la libre
autogestion résulte, pour la vie spirituelle, des
expériences du présent, de même, pour la vie
économique, résulte la nécessité du travail en
association. Dans la vie actuelle, l'économie se
compose de production, circulation et consommation de
marchandises. L'homme en satisfait ses besoins et y
exerce son activité. Chacun il y a ses intérêts
particuliers, et chacun doit fournir la part
d'activité qu’il peut donner. Ce dont un individu a
réellement besoin, lui seul peut le savoir et le
ressentir ; de même il veut de juger ce qu'il doit
produire, selon la compréhension qu'il a des
conditions de vie de l'ensemble. Il n'en a pas
toujours été ainsi et il n'en est pas encore ainsi,
pour l'ensemble, sur toute la terre ; cependant, pour
l'essentiel, il en est ainsi dans la partie
actuellement civilisés de la population du monde.
021 - Les ensembles économiques se sont élargis au
cours de l’évolution de l'humanité. A partir de
l'économie familiale fermée, s'est développée
l'économie urbaine; et à partir de celle-ci,
l'économie nationale. Dans ce qui est nouveau, il y a
encore une part considérable d’ancien ; et dans
l’ancien beaucoup de ce nouveau paraissait déjà comme
des signes avant-coureurs. Mais les destinées de
l'humanité dépendent du fait qu'à l’intérieur de
certains domaines de vie l'influence de l’évolution
caractérisée plus haut est devenue prédominante.
022 - C'est un non-sens de vouloir organiser les
forces de l'économie au sein d'une communauté mondiale
abstraite. Au cours de l'évolution, les économies
particulières ont débouché pour une large part, dans
les économies nationales. Cependant les économies
nationales sont issues de forces autres que celles de
la vie purement économique. On a voulu en faire des
communautés économiques, et c'est ce qui a provoqué le
chaos social de ces derniers temps. La vie économique
aspire à s'édifier elle-même sur ses propres forces,
indépendante des institutions de l'Etat, mais aussi
indépendante de la manière de penser politique. Cette
édification sur un plan purement économique ne peut
avoir lieu que par la formation d'associations qui
grouperont des cercles de consommateurs, de
commerçants et de producteurs. La dimension de telles
associations se réglera d'elle-même, selon les
circonstances de la vie. Des associations trop petites
fonctionneraient de manière trop coûteuse; trop
vastes, elles seraient économiquement incontrôlables.
Selon les besoins de la vie, chaque association
trouvera, dans ses rapports avec les autres, la voie
d'un échange bien réglé. On n'a pas à craindre que
celui qui doit passer sa vie dans de fréquents
changements de domicile se sente gêné par de telles
associations. Il trouvera facilement passage de l'une
à l'autre, pour autant que ce ne soit pas des
organisations de l'Etat, mais des intérêts économiques
qui provoquent le transfert. Dans le cadre d'un réseau
d'institutions de ce genre, on peut penser que des
organismes fonctionneront avec une facilité analogue à
celle du circuit monétaire.
023 - Dans une association, une bonne harmonie peut
régner entre les intérêts grâce â la compétence
professionnelle et à l'objectivité. Ce ne sont pas les
lois qui règlent la production, la circulation et la
consommation des biens, mais les êtres humains, par
leur compréhension directe et par leur intérêt pour
ces opérations. Et, du fait qu'ils vivent au sein de
ces associations, les hommes peuvent en acquérir la
compréhension nécessaire. Du fait aussi que les
intérêts devront se compenser au moyen de contrats,
les biens circuleront selon la valeur qui leur
correspond. De tels accords, conclus selon les points
de vue de l'économie, sont bien autre chose que ceux
que l'on fait, par exemple, dans les syndicats
actuels. Ceux-ci agissent certes dans la vie
économique mais ils n'ont pas été formés selon les
points de vue économiques. Ils sont conçus d'après les
principes qui se sont formés, au cours des temps
nouveaux, à partir de l'application de points de vue
politique et étatique. On y parlemente mais on ne
s'accorde pas d'après des points de vue économiques,
au sujet de ce que l'on doit faire pour l'autre. Dans
les associations ne siégeront pas des "salariés" qui
useront de leur puissance pour exiger, de
l'entrepreneur, des salaires aussi hauts que possible,
mais des "travailleurs" qui agiront de concert avec
les directeurs de la production et les représentants
des consommateurs, pour établir, en réglementant les
prix, une production correspondant à sa contrepartie.
Or, cela ne peut se faire en parlementant dans des
assemblées. On devrait bien y prendre :garde. Qui donc
travaillerait si des hommes en grand nombre devaient
passer leur temps en débats sur le travail? C'est dans
des conventions d'homme à homme, d'association à
association, que tout s'accomplit parallèlement au
travail. Pour cela il suffit que l'accord corresponde
à l'entendement des travailleurs et aux intérêts des
consommateurs.
024 - Il ne s'agit pas là d'une utopie. Car il n'est
nullement dit qu'une chose doit être réglé comme ceci
ou comme cela. Mais il est seulement indiqué comment
les hommes réglerons eux-même les choses, s'ils
veulent agir au sein de communautés correspondant a
leur entendement et leurs intérêts.
025 - Que de telles associations se fondent, la
nature humaine s'y emploie d'un côté, car la nature
crée les besoins, pour autant que l'intervention de
l'Etat ne l'empêche pas. D'autre part, la vie
spirituelle libre peut s'en charger aussi car elle
apporte la compréhension qui doit agir dans la
communauté.. Une pensée qui se fonde sur l'expérience
doit reconnaître que de telles associations peuvent se
former à chaque instant, et qu'elles n'ont rien
d'utopique. Rien ne fait obstacle à leur formation, si
ce n'est la volonté de l'homme actuel d'organiser, de
l'extérieur, la vie économique; en ce sens que pour
lui la pensée d'organisation est devenue une
obsession. A cette forme d'organisation dirigée qui,
de l'extérieur, veut grouper les hommes en vue de la
production, s'oppose celle qui est basée sur la libre
association.
Dans le cadre de l'association, un être humain se lie
à un autre et l'ordonnance de l'ensemble prend forme
grâce à la raison de chaque individu Il est permis,
bien entendu, de demander à quoi peut servir
l'association de celui qui a des biens, avec celui qui
n'en a pas. Il peut en effet paraître préférable que
toute production et toute consommation soient réglées
"équitablement" de l’extérieur. Mais une telle
réglementation entrave la force productrice libre de
l'individu et prive la vie économique de l'apport de
ce qui ne peut résulter que de cette force créatrice.
Malgré tous les préjugés, que l'on tente seulement une
fois, même l'association de ceux qui n'ont rien, avec
ce qui possèdent.
Si le facteur économique seul intervient, à
l'exclusion de tout autre force, le possédant devra
nécessairement fournir une contre prestation
équivalent au travail de celui qui n'a rien. Lorsque
aujourd’hui on parle de ces chose, ce n'est plus avec
le bon sens de l'expérience, c'est avec un état
d'esprit qui a sa source non dans des intérêts
économiques, mais, entre autres, dans des intérêts de
classe.. Cet état d'esprit s'est en effet développé
parce qu'au moment où justement la vie économique se
compliquait de plus en plus, on ne pouvait plus la
suivre avec des idées purement économiques ; la vie
spirituelle privé de liberté y faisait obstacle. Ceux
qui sont engagés dans la vie économique vivent dans la
routine ; ils ne voient pas clairement les forces
organisatrices sous-jacentes qui agissent dans
l’économie ; ils travaillent sans avoir une
compréhension de l'ensemble de la vie humaine. Dans
les associations, l'un apprendra de l'autre ce qu'il
doit nécessairement connaître; ainsi prendra forme une
expérience en corrélation avec ce qui est
économiquement possible; car les hommes qui ont,
chacun en son domaine, de la compréhension et de
l'expérience, ensemble confronteront leur jugement.
026 - De même que dans la vie spirituelle libre, ne
sont agissantes que les forces mêmes qui résident en
cette vie spirituelle, de même, dans un système
économique associatif, n'ont cours, exclusivement, que
les valeurs économiques qui se forment par les
associations. Ce que l'individu est tenu de faire dans
la vie économique résulte pour lui des rapports
vivants qu'il entretient avec ceux a qui il est
économiquement associé. C'est ainsi qu'il exercera,
sur l'économie générale, exactement autant d'influence
qui en a par son travail. Nous expliquerons aussi,
dans cet ouvrage, comment ceux qui ne sont pas
capables de produire s'intègrent à la vie économique.
Une vie économique créée uniquement par ses propres
forces peut protéger les faibles contre les forts.
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