En Angleterre le passage ä une conception industrielle de l'économie nationale s'est produit instinctivement, sans que l'on sût dire comment. Ceci est survenu comme un événement naturel. En Allemagne, au cours du premier tiers du 19e siècle, on en était au Moyen Âge, c'était un état agricole. Mais tandis que les relations économiques extérieures se déroulaient d'une manière que l'on peut qualifier de moyenâgeuse, la pensée humaine s'est alors fondamentalement modifiée. Le sentiment pénétra dans la conscience des hommes que quelque chose de nouveau devait survenir, que ce qui existait ne correspondait plus ä l'époque. Ainsi, la transformation des conditions de l'économie qui s'est produite au cours du deuxième tiers du 19e siècle en Allemagne fut beaucoup plus consciente qu'en Angleterre. Les gens étaient beaucoup plus conscients, en Allemagne, de la façon dont on était arrivé au capitalisme moderne ; en Angleterre on ne s'en était absolument pas aperçu. Vous auriez aujourd'hui une impression curieuse devant les propos des discussions d'alors au sujet de l'entrée du pays dans Père industrielle. Auriez-vous pu lire ces écrits, vous en auriez eu les représentations suivantes : oui, c'est étrange ce que les gens en Allemagne ont pensé I Ils y ont vu une véritable libération de l'homme, on a appelé cela le «libéralisme», la «démocratie», carrément le «salut de l'humanité», les ruptures des anciennes entraves, l'éclatement de la vie corporative et, comme ils le voyaient alors, l'accès de l'individu à la totale liberté à l'intérieur de l'économie. Il serait impos­sible de trouver en Angleterre la moindre théorie économique comme celle de Schmoller, Roscher3 et bien d'autres, qui ont acquis leur conception au cours de l'apogée de l'économie libérale. Ils l'ont fait en pleine conscience, mais un Anglais aurait jugé insipide une telle science de l'économie. «On ne réfléchit pas à ce genre de chose», aurait-il dit. Ainsi, considérez la différence radicale entre les idées suffisamment théoriques d'un Beaconsfield 4 par exemple et celles d'Allemands comme Richter, Lasker ou même Brentano5. En Allemagne on est donc entré en pleine conscience dans la seconde période du siècle.
01007 - Puis survint le dernier tiers du siècle qui fut véritablement une période étatique. C'est d'ailleurs justement au cours de cette période que l'État allemand se consolida par le seul moyen du pouvoir. L'État, en effet, ne se consolida pas par la mise en œuvre des processus imaginés par les idéalistes des années 1848 ou même 1830, mais bien par la pure contrainte. Cet État confisqua progressivement et délibérément la vie économi­que, de façon que sa structure fut infiltrée, à la fin du 19e siècle, par un principe opposé au libéralisme d'avant. Le second tiers du 19e siècle s'était développé totalement selon les idées libérales ; au cours du troisième tiers, tout fut placé sous les points de vue des principes étatiques. Cela conféra à la vie économique allemande son caractère général. Certains éléments de conscience se trouvaient, certes, dans cette évolution.
Toutefois, le glissement vers l'étatisme demeura inconscient.