(...); les âmes en sommeil aujourd'hui seraient certes ravies s'il sur­gissait quelque part un peintre tel que Raphaël ou Léonard. Cela se comprend. Mais nous devons avoir le courage de nous dire ceci : celui-là seul a le droit d'admirer Raphaël ou Léonard qui sait qu'aujourd'hui on ne peut ni ne doit plus peindre à leur manière. On peut finalement le dire à l'aide d'une banalité : celui-là seul a le droit d'affirmer toute la portée spirituelle du théorème de Pythagore qui sait qu'il ne s'agit plus de le découvrir aujourd'hui ! Car chaque chose a son temps et doit être comprise en fonction de son temps.
Il faut à notre époque autre chose que ce que proposent certaines personnes qui adhèrent cependant à des mouvements spirituels : il faut savoir que nous sommes actuellement placés devant un renouvellement complet de l'évolution humaine. Il est banal de dire que nous vivons à une époque de transition. C'est le cas de toutes époques. Ce qui importe, c'est de savoir ce qui passe d'une époque à l'autre. Or on dit toujours que la nature, la vie ne font pas de sauts. On se croit très malin lorsqu'on parle d'une « évolution continue ». Pourtant, la nature fait constamment des sauts : de la feuille verte elle fait le sépale, du calice le pétale coloré de la fleur, les étamines, le pistil.
La nature fait sans cesse des sauts. La vie universelle change constamment de direction. Dans la vie de l'être humain, nous voyons qu'au changement de dentition, qu'à la puberté, des condi­tions toutes nouvelles entrent en jeu. Et si l'esprit d'observation des hommes modernes n'était pas si obtus, on reconnaîtrait une troisième étape aux environs de la vingtième année, et d'autres encore dans le cours ultérieur de la vie humaine.
L'histoire elle-même est un organisme où se produisent de ces sauts. Mais on passe devant sans les voir. Les humains n'ont aucune idée du grand saut qui s'est produit entre le XIV' et le xve siècle ou, plus exactement, vers le milieu du xve. Pourtant, ce qui a commencé à ce moment-là va se réaliser au milieu de notre pro­pre siècle. Ce ne sont pas là des élucubrations, c'est un fait qu'on peut mettre au nombre de toutes les vérités exactes : les événements qui causent tant de remous dans l'humanité et qui ont atteint der­nièrement un point culminant tendent vers quelque chose qui se prépare visiblement et qui interviendra dans l'évolution humaine vers le milieu de notre siècle. Telles sont les choses que doit appro­fondir quiconque ne cherche pas seulement à fonder un idéal conçu de façon arbitraire, mais cherche, à l'aide des forces créatrices de l'univers, à mettre en pratique une science spirituelle qui puisse s'unir à la vie.