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Institut pour une triarticulation sociale
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Collection: 01-Questions fondamentales
Sujet: Illustration du principe "Le capital appartient à l'esprit -, le travail à la vie juridique"
 
Les références Rudolf Steiner Oeuvres complètes 305 234-238 (1979) 29/08/1922
Traducteur: Editeur: Triades

 

 

12036 - Et alors il nous faut voir clairement que peu à peu ce qui était à l'origine la théocratie s'éloigne de la vie. Car dans les lieux où vivaient les premiers théocrates, il n'y avait pas de bibliothèques, la science n'était pas logée dans des bibliothèques ; lorsqu'on se préparait en vue de maîtriser une science, on ne s'asseyait pas pour étudier de vieux livres, on vivait avec l'être vivant de l'homme. On
le regardait. On se demandait : qu'y a-t-il à faire là avec cet homme ? La bibliothèque, c'était le monde. On ne regardait pas des livres, mais la physionomie humaine, on tenait compte des âmes humaines, c'est en elles que l'on lisait ; le regard ne plongeait pas dans des livres, on regardait les hommes. C'est dans les bibliothèques qu'a pénétré progressivement notre science ou qu'elle se trouve amassée, séparée de l'homme.
12037 - Nous avons besoin d'une vie spirituelle qui soit à nouveau tout entière dans le monde, nous avons besoin d'une vie spirituelle où les livres soient écrits en étant puisés à la vie, agissent dans la vie et ne soient que des stimulants pour la vie, des moyens et des orientations en vue de la vie. Il nous faut sortir de la bibliothèque. C'est dans la vie spirituelle justement qu'il nous faut pénétrer dans la vie. Et il nous faut avoir une éducation qui ne procède pas selon des règles, mais en fonction des enfants qui sont réellement présents, en fonction de la connaissance de l'homme ; qui ap­prenne à connaître les enfants selon la connaissance de l'homme et qui lise en l'être de l'enfant lui-même ce qui est à faire chaque jour, chaque semaine, chaque année.
12038 - Nous avons besoin d'une vie étatique-juridique dans laquelle l'homme soit en présence de l'homme, où il ne soit émis de jugement qu'en fonction de la compétence justifiée de chacun, comme je le disais déjà, quelle que soit sa profession ou la situation dans laquelle il se trouve. Ce qui fait tous les hommes égaux fait partie de la vie étatique-juridique.
12039 - Qu'est-ce qui pénétrera alors dans la vie spirituelle si elle est conçue comme je viens de le décrire ? Peu à peu, l'administration du capital provenant de la vie économique y pénétrera d'elle- même. On grogne aujourd'hui à propos du capitalisme — on ne peut rien faire contre le capitalisme, on en a besoin, bien sûr. Ce dont il s'agit, ce n'est pas que le capital soit là, que le capitalisme soit là, mais bien des forces sociales qui agissent dans le capital et dans le capitalisme. Le capitalisme est né du don d'invention spirituel de l'humanité. Il est bien issu du spirituel grâce à la division du travail et à la connaissance spirituelle. Dans les Fonde-
ments de l'organisme social, je n'ai dit qu'en matière d'illustration, parce que je ne voulais présenter aucune utopie, comment cet afflux du capital vers l'élément spirituel de l'organisme social pourrait s'effectuer : celui qui a le premier acquis du capital et a de ce fait un capital qui travaille, sa personne étant liée à ce travail du capital, celui-là, comme on le fait aujourd'hui avec les livres qui, au bout de trente ans, tombent dans le domaine public, veille à ce que le capital devienne un bien commun. Je n'ai pas présenté cela comme un point de vue utopique, j'ai dit qu'en faisant circuler le capital de cette façon, on pourrait parvenir, au lieu qu'il soit bloqué de tous côtés, à ce qu'il pénètre dans la circulation sanguine de la vie sociale. Tout ce que j'ai dit ainsi l'a été au titre d'illustration, ce ne sont ni des dogmes, ni des concepts utopiques, je voulais mentionner quelque chose qui peut-être s'accomplira grâce à l'« association ».
12040 - Mais il peut peut-être arriver tout autre chose. Celui qui pense dans la plénitude de la vie n'énonce pas des dogmes qui doivent être mis en pratique, il compte avec des hommes qui, à l'ensemble dont ils font partie — quand ils sont placés comme il est juste dans l'organisme social —, puisent ce qui, du point de vue social, est conforme aux buts et aux fins. On compte partout avec des hommes et non avec des dogmes. Mais j'ai déjà dû vivre la chose : ce qu'en réalité signifiaient les Fondements n'a pas du tout été discuté. Par contre, les gens ont demandé : comment parviendra- t-on à ce qu'après tant et tant d'années, le capital soit hérité par les plus capables ? — etc. Les hommes ne veulent en fait rien de réel, ils ne veulent que des utopies. Mais c'est justement cela qui parle contre l'ouverture impartiale à une impulsion comme celle qui réside dans la tri-articulation.
12041 - Ainsi verra-t-on, si la vie juridique-étatique peut se manifester de façon juste, qu'elle englobe avant tout le travail de l'homme. Ce travail de l'homme est aujourd'hui tout à fait englobé dans la vie économique. Il n'est pas manié comme une chose déterminée entre les hommes. En 1905 environ, j'ai écrit un article sur la question sociale 31, et j'ai voulu expliquer qu'étant donné notre actuelle
division du travail, celui-ci ne devient qu'une marchandise du fait qu'il circule dans tout le reste de l'organisme. Pour nous-même, notre travail n'a en vérité qu'une valeur apparente. Ce qui a une valeur, c'est seulement ce que les autres font pour nous, tandis que ce que nous faisons doit avoir une valeur pour les autres. C'est ce à quoi la technique est déjà parvenue. Seulement, notre morale n'a pas suivi. Au sein de l'actuel ordre social, on ne peut rien faire techniquement pour soi, pas même un vêtement. Et même si on s'en fait un, il a un prix comparable à celui qu'il aurait aussi, si au sein de l'ordre social global il était fait par un autre. C'est-à-dire que ce qui situe le vêtement dans le domaine économique est universel, est déterminé par la communauté. On se trouve devant une réalité factice lorsqu'on pense que le vêtement fabriqué pour lui-même par le tailleur est meilleur marché. On peut en calculer le prix, il paraît alors meilleur marché. Mais si on le faisait figurer dans un bilan global, on verrait ceci : on ne peut pas davantage modifier ou exclure l'économique en se faisant soi-même un vêtement, qu'on ne peut sortir de sa peau. Le vêtement que l'on a confectionné pour soi-même doit être payé dans sa totalité. Le travail, c'est ce que l'homme fait pour l'homme, et il ne peut pas être évalué en fonction du temps qu'on lui consacre dans l'usine. L'évaluation du travail conduit dans le domaine du droit, du juridique-étatique, au sens le plus éminent.
12042 - Que cela soit non pas anachronique, mais actuel, vous pouvez le voir au fait que partout il est protégé, assuré, etc. Mais ce ne sont pas là des demi-mesures, ce sont des quarts de mesure qui ne peuvent révéler pleinement leur valeur que dans le cadre d'une juste tri-articulation de l'orga­nisme social. Car c'est seulement alors que l'homme se trouvera en face de l'homme et trouvera une juste régulation du travail, quand la dignité humaine parlera à la dignité humaine de ce qui relève de la compétence de tous les hommes.
12043 - Alors vous direz : oui, il n'y aura pas assez de travail si ce travail est déterminé de cette façon dans l'Etat démocratique. Oui, c'est là l'un des points où le social conduit vers ce qui est l'histoire générale, l'ensemble de l'évolution de l'humanité. La vie écono‑
mique n'a pas le droit de déterminer le travail. Il faut qu'elle soit enserrée entre la nature d'une part, et le travail fixé par 1'Etat d'autre part. Pas plus qu'un Comité ne peut déterminer maintenant combien l'année 1923 doit avoir de jours de pluie pour que l'on puisse organiser les choses comme il faut en 1923, et tout comme il faut accepter ce que donne la nature et compter avec comme étant une donnée, on devra, avec l'organisme économique autonome, compter avec ce qui est une donnée, avec la quantité de travail qui se présente au sein de l'organisme étatique-juridique. Je ne puis mentionner cela que comme une caractéristique générale.
12044 - Dans l'élément économique de l'organisme social se trouveront les « associations » au sein desquelles les consommateurs, les producteurs et les commerçants, de la même façon, en puisant aux expériences qu'ils font dans la vie, formuleront un jugement associatif — non pas un jugement individuel, qui n'a aucune signification. On ne peut y parvenir aujourd'hui quand on ne fait que suivre du regard les minces débuts qui sont là. Qu'ils existent, cela prouve que dans l'humanité il y a une intention inconsciente de procéder ainsi. On fonde des coopératives, des syndicats, toutes sortes de communautés. Certes, cela montre que l'impulsion est là. Mais si vous fondez aujourd'hui une coopérative en marge de l'ordre social par ailleurs, il faut que celle-ci, ou bien s'insère dans cet ordre social, pratique les mêmes prix, apporte la marchandise sur le marché selon les usages, ou bien périsse. Ce dont il s'agit dans la tri-articulation de l'organisme social, ce n'est pas la création de réalités à partir d'une pensée unique, mais l'appréhension de ce qui est réel ; les institutions qui sont là actuellement, celles qui consomment, qui produisent, le chef d'entreprise, ce qui existe en dehors de toute nouvelle fondation, c'est ce qui doit être groupé en « associations ». On ne devrait nullement demander : comment fonder de nouvelles « associations » ? — mais : comment ras­semble-t-on en « associations » les groupements économiques, les institutions économiques existants ? Alors une chose avant tout naîtra comme il le faut au sein de ces « associations » de l'expé­rience économique, et de là peut effectivement émaner un ordre
social — comme naît de l'organisme humain sain la santé de l'homme dans la vie —, une circulation économique : argent de production, argent de prêt et argent de don, donation. Il n'y a pas d'organisme social en l'absence de ces trois éléments. On peut bien aujourd'hui fulminer autant qu'on veut contre les donations, les dons, il faut qu'ils soient là. Les hommes s'illusionnent seulement sur ce point. Ils se disent : oui, dans un organisme social sain, il n'y a pas de dons. Mais ils paient leurs impôts, ce qui ne constitue qu'une voie détournée ; car c'est là que se trouvent les dons que nous faisons aux écoles, etc., ce sont les dons.
12045 - Mais les hommes devraient avoir un ordre social tel qu'ils voient toujours comment les choses cheminent, et ne s'abusent pas. Lorsqu'ils dégageront progressivement la vie sociale de ce qui, à présent, englobe tout confondu, ils verront, comme ils voient maintenant le sang circuler dans l'organisme humain sain, l'argent circuler sous la forme d'argent de production, d'argent de prêt, d'argent de don. Et ils verront comment est lié à l'homme d'une part dans l'argent du commerce, de circulation, de production et d'achat, l'argent qui est investi, afin que par la voie du prêt producteur d'intérêts il retourne à la production, et d'autre part l'argent de don qui doit affluer vers ce qui est la vie spirituelle libre.
12046 - Les hommes ne peuvent participer à l'activité sociale que si chacun voit dans l'« association » libre : c'est ainsi que circule la vie — alors la santé pénètre dans l'organisme social. Devant cette idée de la tri-articulation, toute pensée abstraite est exclue. Il n'y a là que la pensée vivante.