On parle certes de «Liberté de la science et de
l'enseignement». Mais on considère comme allant de soi
que l'État politique administre «la liberté de la
science et de l'enseignement». On ne développe pas le
sentiment qui permettrait de s'apercevoir que l'État,
par ce fait, rend la vie spirituelle dépendante de ses
besoins politiques. On pense que l'État crée des
postes d'enseignement et que ceux qui y sont nommés
peuvent y développer une activité spirituelle libre.
Lorsqu'on s'habitue à une telle opinion, on ne
remarque pas à quel point le contenu de la vie
spirituelle est étroitement lié à l'être le plus
intime de l'homme dans lequel il s'épanouit; on ne
remarque pas que ce développement ne peut être libre
que lorsqu'il n'est inséré dans l'organisme social par
aucune autre impulsion que celle qui vient de la vie
spirituelle elle-même. La fusion avec la vie de
l'État, au cours des derniers siècles, a marqué de son
empreinte non seulement l'administration de la science
et la partie de la vie de l'esprit qui lui est liée,
mais le contenu lui-même. Les conceptions
mathématiques et physiques ne peuvent certes être
influencées directement par l'Etat. Mais que l'on
pense à l'histoire et aux autres sciences de
civilisation. Ne sont-elles pas devenues un reflet de
ce qui a résulté du rapport de leurs représentants
avec la vie politique, et des nécessités de cette vie?
C'est justement par ce caractère, qui leur a été
imprimé, que les représentations ayant actuellement
une orientation scientifique, et qui dominent la vie
spirituelle, ont agi comme idéologie sur le
prolétariat. Le prolétariat a remarqué comment les
nécessités de la vie de l'État, dans laquelle il est
tenu compte des intérêts de la classe dirigeante, ont
imprimé un certain caractère aux pensées de l'homme.
Le penseur prolétarien y vit un reflet des intérêts
matériels et des conflits d'intérêts. Cela produisit
en lui le sentiment que toute vie de l'esprit ne
serait qu'idéologie, reflet de l'organisation
économique.
[02/37] Une telle conception dessèche la vie
spirituelle; cette conception disparaît, quand peut
naître le sentiment que dans le domaine spirituel
règne une réalité qui va au-delà de la vie matérielle
extérieure, et qui porte en elle-même son contenu. Il
est impossible qu'un tel sentiment survienne si la vie
de l'esprit ne s'épanouit et ne s'administre pas
librement, de par ses propres impulsions au sein de
l'organisme social. Procurer à cette vie spirituelle
le rôle qui lui est dû dans l'organisme social, seuls
en ont la force des promoteurs qui se tiennent à
l'intérieur d'un tel développement et d'une telle
administration. L'art, la science, la conception
philosophique du monde, et tout ce qui s'y rapporte,
ont besoin d'une telle position d'indépendance, dans
la société humaine. Car dans la vie spirituelle tout
est lié. La liberté de l'un ne peut se bien porter
sans la liberté de l'autre. Bien que les mathématiques
et la physique ne puissent être influencées
directement dans leur contenu par les nécessités de
l'État, leurs applications, l'opinion qu'on se fait de
leur valeur, les répercussions que leur pratique peut
avoir sur la vie spirituelle, tout cela est déterminé
par les nécessités de l'État, quand celui-ci
administre des branches de la vie de l'esprit. Qu'un
instituteur de l'échelon le plus élémentaire suive les
impulsions venant de la vie de l'État ou bien qu'il
reçoive ses impulsions d'une vie spirituelle se tenant
sur ses propres fondements, c'est tout autre chose. Le
socialisme, dans ce domaine aussi, n'a fait que
reprendre l'héritage en ce qui concerne les façons de
penser et d'agir des cercles dirigeants. Il considère
comme son idéal d'inclure la vie de l'esprit dans le
corps social, qui est basé sur la vie économique. S'il
pouvait atteindre le but qu'il s'est fixé, il ne
pourrait ainsi que suivre la voie sur laquelle la vie
de l'esprit a perdu sa valeur. En exigeant que la
religion soit une affaire privée, il a développé un
sentiment juste, d'une façon unilatérale. Dans
l'organisme social sain, toute vie de l'esprit, dans
le sens esquissé ici, doit être «affaire privée»
vis-à-vis de l'État et de l'économie. Mais le
socialisme, en transférant la religion au domaine
privé, n'a pas l'intention de créer pour un bien
spirituel, à l'intérieur de l'organisme social, une
position qui lui permettrait d'accéder à un
développement plus élevé, plus souhaitable que celui
qui est possible sous l'influence de l'État. A son
avis, l'organisme social ne doit s'occuper, par ses
propres moyens, que de ce qui lui semble vital. Or,
placée unilatéralement en dehors de la vie publique,
une branche de la vie de l'esprit ne saurait
s'épanouir, si le reste du domaine spirituel demeure
enchaîné.
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