001 - Les tâches qu'impose la vie sociale actuelle ne
peuvent être que méconnues par celui qui les aborde
avec la pensée qu'il s'agit d'une quelconque utopie.
Partant de certaines conceptions et de certains
sentiments, on peut être amené à croire que telle ou
telle institution, élaborée dans sa propre pensée,
pourrait faire le bonheur des hommes; et cette
croyance peut même s'armer d'une puissante force de
persuasion. Cependant, en faisant valoir une telle
croyance, on peut passer complètement à côté de ce que
signifie exactement la "question sociale" actuelle.
002 -On peut, aujourd'hui, pousser comme il suit
cette allégation, au point qu'elle en paraisse
absurde, et l'on constatera qu'elle est pourtant
justifiée On peut supposer que quoiqu'un, en
possession d'une "solution" théorique parfaite de la
question sociale, fasse néanmoins preuve d'un manque
total de sens pratique en voulant proposer à
l'humanité cette "solution" élaborée dans sa pensée.
Car nous ne vivons plus à l'époque où la disposition
mentale des hommes était telle qu'ils puissent se
dire, en ce qui concerne la vie publique:"Voilà
quelqu'un qui comprend quelles sont les mesures
sociales nécessaires, réalisons ses intentions."
003 - Ce n'est pas du tout de cette manière que les
hommes veulent recevoir les idées sur la vie sociale.
Le présent ouvrage, qui a maintenant déjà connu une
certaine diffusion, tient compte de cette réalité.
Ceux qui lui ont attribué un caractère utopique ont
complètement méconnu les intentions sur lesquelles il
se fonde. S'y sont les plus acharnés, ceux-là mêmes
qui ne veulent penser que d'une manière utopique; ils
voient chez autrui ce qui est précisément le trait
essentiel de leurs propres habitudes de pensée.
004 - Pour celui qui pense d'une manière pratique, le
fait qu'on ne puisse rien entreprendre avec une idée
de caractère utopique, si convaincante qu'elle
paraisse, fait déjà partie des expériences de la vie
publique. Cependant, beaucoup ont le sentiment qu'il
leur faut, dans le domaine économique par exemple,
aborder leurs semblables avec une idée de cette
nature. Ils devraient se convaincre qu'ils ne parlent
qu'inutilement. Ceux auxquels ils s'adressent ne
peuvent rien entreprendre avec ce qu'il proposent .
(...)
019 - La "question sociale" n'est pas un problème
qui, ayant fait son apparition dans la vie humaine à
l'époque actuelle, puisse être résolu maintenant, par
quelques hommes ou par des parlements, et l'être une
fois pour toutes. Elle est une partie constituante de
toute la nouvelle civilisation, et elle le restera
puisqu'elle a fait son apparition. Elle devra être
résolue de nouveau à tout instant de l'évolution
mondiale. Car, avec les temps nouveaux, l'existence
humaine en est arrivée à une situation telle que
l’antisocial provient sans cesse des institutions
sociales. Il s'agit donc de surmonter continuellement
cet élément antisocial. De même qu'un organisme
rassasié revient, après quelque temps, dans un état de
faim, ainsi l'organisme social retourne-t-il, de
l'ordre dans les relations, au désordre. Il n'existe
pas plus de remède universel pour établir l'ordre dans
les relations sociales qu'il n'existe un aliment qui
rassasie pour toujours. Pourtant, il est possible à
des hommes d'entrer dans des communautés, de telle
sorte que leurs communes initiatives donnent sans
cesse à l'existence une orientation sociale. Une telle
communauté est l'élément spirituel de l'organisme
social, qui s'administre lui-même.
020 - De même que la nécessité sociale de la libre
autogestion résulte, pour la vie spirituelle, des
expériences du présent, de même, pour la vie
économique, résulte la nécessité du travail en
association.
(...)
024 - Il ne s'agit pas là d'une utopie. Car il n'est
nullement dit qu'une chose doit être réglé comme ceci
ou comme cela. Mais il est seulement indiqué comment
les hommes réglerons eux-même les choses, s'ils
veulent agir au sein de communautés correspondant a
leur entendement et leurs intérêts.
025 - Que de telles associations se fondent, la
nature humaine s'y emploie d'un côté, car la nature
crée les besoins, pour autant que l'intervention de
l'Etat ne l'empêche pas. D'autre part, la vie
spirituelle libre peut s'en charger aussi car elle
apporte la compréhension qui doit agir dans la
communauté.. Une pensée qui se fonde sur l'expérience
doit reconnaître que de telles associations peuvent se
former à chaque instant, et qu'elles n'ont rien
d'utopique. Rien ne fait obstacle à leur formation, si
ce n'est la volonté de l'homme actuel d'organiser, de
l'extérieur, la vie économique; en ce sens que pour
lui la pensée d'organisation est devenue une
obsession. A cette forme d'organisation dirigée qui,
de l'extérieur, veut grouper les hommes en vue de la
production, s'oppose celle qui est basée sur la libre
association.
Dans le cadre de l'association, un être humain se lie
à un autre et l'ordonnance de l'ensemble prend forme
grâce à la raison de chaque individu.
(...)
027 - Ainsi l'organisme social peut se partager en
deux éléments autonomes qui se soutiennent l'un
l'autre, précisément par le fait que chacun à son
autogestion spécifie issue de ces forces
particulières. Un troisième élément devra cependant
vivre selon ses propres forces, entre les deux
précédents : l'organe spécifique de l'Etat, dans
l'organisme social. (...)
029 - L'unité de tout l'organisme social résultera de
l'épanouissement autonome de chacun de ces trois
domaines. Ce livre montrera comment l'activité des
liquidités financières, des moyens de production, et
l'utilisation des propriétés foncières peut se
développer par l'interaction de ces trois domaines.
Celui qui cherche à "résoudre" la question sociale par
un système économique élaboré à partit des idées, ou
par tout autre moyen, ne trouvera pas cet ouvrage
réaliste. Mais celui qui grâce à une expérience de la
vie, veut inciter les hommes à des groupements, tel,
qu'en leur sein ils puissent percevoir au mieux les
tâches sociales et s'y consacrer, celui-là ne
contestera tout de même pas à l'auteur la tentative
pour une pratique réaliste de la vie.
030 - Le livre a d'abord été publié en avril 19l9.
J'ai apporté des compléments à son contenu par les
fragments écrits dans la revue: « Tripartition de
l'organisme social » ( "Dreigliederung des
sozialen Organismus" ) qui ont été rassemblés et
publiés sous le titre: « In Ausführung der
Dreigliederung des sozialen Organismus ».
031 - On pourra trouver que ces deux ouvrages
traitent moins des "buts" du mouvement social que des
voies qui devraient être empruntées dans la vie en
société. Qui pense en réaliste sait qu'en fait
certains buts peuvent apparaître sous des formes
différentes. Seul celui dont la pensée est abstraite
voit tout sous un profil nettement caractérisé. Il
critique souvent ce qui est réaliste parce qu'il ne le
trouve pas exposé avec assez de précision et de
clarté. Beaucoup de ceux qui se croient des esprits
pratiques sont justement prisonniers de l'abstraction.
Ils ne soupçonnent pas que la vie peut connaître les
formations les plus variées. C'est un élément fluide
.Et qui veut avancer de concert avec elle doit aussi
adapter ses pensées et ses sentiments à cette
fluidité, qui est son caractère fondamental. Les
tâches sociales ne pourront être saisies que par une
telle façon de penser.
032 - Les idées de cet ouvrage ont été conquises
grâce à l'observation de la vie C'est aussi à partir
de l'observation de la vie qu'elles voudraient être
comprises.
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