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Institut pour une triarticulation sociale
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Paru dans le n° de novembre 2012 de BioCONTACT dans le cadre d'un dossier consacré à l'anthroposophie, l'oeuvre de R. Steiner ( 1 ) .

La triple articulation sociale

par Bruno Denis


La triple articulation, ou tri-articulation, sociale a été proposée par Rudolf Steiner en 1919. Il s'agit plus d'un fruit de l'anthroposophie que d'un enseignement. Dans ce fruit, il n'y a rien à croire, seulement des idées forces à comprendre.
Si l'on observe les activités humaines, on constate que l’on peut les répartir en trois domaines distincts.
Il y a des activités qui ne concernent qu'un individu, sans que les autres soient concernés directement ; le meilleur exemple est la méditation, que l'on peut pratiquer seul, sans rapport avec autrui. Toutes les activités de la vie de la pensée, y compris l'enseignement, font partie de ce domaine, que l'on peut nommer la vie culturelle ou la vie de l'esprit. Nous ressentons que ces activités doivent pouvoir être exercées librement et, dans ce domaine, toute contrainte est ressentie comme tyrannique : la liberté devrait être entière.
D'autres activités nous mettent en rapport avec autrui : il s'agit là de la vie de la cité, c'est- à-dire de la vie politique au sens propre. Dans ce domaine, qui est celui du droit, tous les êtres humains sont à égalité et là, c'est l'égalité qui est ressentie comme juste. Dans nos rapports avec autrui, il nous parait tout à fait injuste que certains puissent être considérés comme un peu plus égaux que les autres et le passe-droit est particulièrement choquant : notre idéal est l'égalité.
Le troisième domaine est celui de toutes les activités qui ont pour but de satisfaire nos besoins matériels, ce que nous appelons la vie économique. Là, les différences de capacités entre les êtres introduisent des différences dans la vie pratique et, si l'on ne veut pas que les plus intelligents écrasent les plus faibles, si l'on refuse que la vie économique soit soumise à la loi de la jungle, il faut y introduire de la fraternité.
Ces trois domaines sont étroitement imbriqués dans la vie sociale mais, si l'on veut agir d'une façon qui soit reconnue comme juste, il faut distinguer ce qui se rattache à l'un ou a l'autre. On peut faire une comparaison avec l'organisation humaine, dans laquelle on distingue un système neurosensoriel, un système rythmique et circulatoire, et un système métabolique. Ces trois systèmes fonctionnent en symbiose mais pour y voir clair il faut les distinguer.

Fraternité : la grande oubliée
La Révolution française a introduit l'idéal de « liberté, égalité, fraternité » mais c'est à Rudolf Steiner que nous devons de distinguer que chacun de ces trois idéaux se rapporte à un domaine particulier des activités humaines.
On peut observer que, au cours de la Révolution française, cet idéal n'a pas été formulé au complet dès le début : on n'a parlé que de liberté et d'égalité. Puis, au cours du XIX' siècle, des philosophes ont souligné que, si nous sommes libres à tous points de vue, nous ne pouvons pas être égaux. De même, si nous sommes tous égaux à tous points de vue, nous ne pouvons pas être libres et la fraternité est vidée de son sens. Il a fallu attendre 1919 et l'œuvre de Rudolf Steiner pour qu'il devienne clair que cet idéal triple ne trouve son sens que si l'on reconnaît que chacun de ses membres se rapporte à un domaine des activités humaines.

Tout est relié
Une autre pierre d'achoppement est fréquemment rencontrée dans le souci de construire une utopie où nos institutions seraient séparées distinctement selon leur domaine d'activité. Il s'agit bien là d'une utopie car ces trois domaines d'activité sont étroitement imbriqués et il n'y a guère d'activités humaines qui ne dépendent que d'un seul domaine. La méditation, citée plus haut, n'est une activité sociale que du point de vue spirituel. Toute activité humaine peut être rattachée « principalement » à un des trois domaines, mais pas « exclusivement s.
On voit, à travers l'exemple de l'enseignement (voir encart après l'article), que dans toutes les circonstances de la vie, l'être humain est impliqué dans les trois domaines de la vie sociale et que, à chaque instant, il nous faut avoir conscience de ce qui est prépondérant dans notre activité : la liberté, l'égalité ou la fraternité.
Dans notre société actuelle, il conviendrait que la vie culturelle soit vraiment libre, sans qu'il existe de pouvoir qui décide de ce qui doit être pensé ou de ce qui ne doit pas l'être. Il conviendrait que tous soient vraiment égaux devant la loi, ce qui implique que les lois soient le reflet des souhaits de la majorité des citoyens et non pas les moyens d'action de petits groupes. Il conviendrait enfin que l'argent soit considéré comme un moyen au service des hommes, plutôt que comme un but ou un instrument de pouvoir.
Il s'agit là d'un problème culturel, bien plus que d'un problème juridique ou économique car une société ne peut évoluer que si ceux qui la composent évoluent eux-mêmes.

L’exemple de l’enseignement
Ce domaine se rattache principalement à la vie culturelle et la liberté doit y être la règle ; mais, pour enseigner, il faut des hommes et des moyens (locaux, salaires, etc.) : il y a donc, dans l'enseignement, un aspect économique. Il faut aussi que l'accès à l'enseignement soit égal pour tous, ce qui est un problème politique.

 

Ouvrage de référence :
Les points fondamentaux pour la solution du problème social
Rudolf Steiner, Editions anthroposophiques romandes

C'est parce qu'ils ne comprennent pas la tripartition de l'organisme social que nos contemporains ne savent pas encore concevoir ce qu'est l'unité, disait Rudolf Steiner. La vie en société n'est satisfaisante que si les trois domaines, culturel, économique et juridique, se juxtaposent, ainsi l'unité s'établit, au lieu d'être imposée de façon abstraite. Grâce à cette sagesse, les trois influences fusionnent au sein de l'organisme social qui devient un tout harmonieux.
Ces idées, qui furent diffusées en 1919, trouvent actuellement écho dans les initiatives altermondialistes et sont également à la base du concept des banques éthiques.

*

( 1 ) - BILLET éditorial de Jean-Pierre Camo
Directeur de la publication et romancier (http://www.la-saga-du-vinland.com )
LUMIÈRES ET ROMANTISME
Pour Rudolf Steiner, son fondateur, l'anthroposophie n'est pas une philosophie mais plutôt un « chemin de connaissance », visant à « restaurer le lien entre l'Homme et les mondes spirituels».
Revendiquant une capacité à percevoir des mondes « sensibles », au-delà de
la vision matérialiste du monde, il étudia et commenta les grands auteurs romantiques allemands, Goethe, Schiller ou Novalis. L'important est de promouvoir la liberté d'esprit, dégagée de tout tabou intellectuel, entre autres par le biais privilégié de l'expression artistique.
Rarement un mouvement de pensée n'aura trouvé autant d'applications concrètes que l'anthroposophie. Dans sa vision spirituelle de l'Homme, de sa place dans l'Univers, celle-ci se décline sur tous les plans de l'activité humaine.
Le plus connu est certainement l'agriculture biodynamique, qui se distingue de l'agriculture bio par le concept d'« organisme agricole », réunissant l'homme, les animaux, les végétaux et la terre en un tout harmonieux. Reconnaissables à leur label Demeter, les produits biodynamiques occupent une place grandissante dans les rayons bio, notamment les vins.
Les parents en recherche d'écoles alternatives connaissent bien la pédagogie Steiner-Waldorf. Là encore, enseignants et élèves forment un tout. L'enfant apprend le respect sous toutes ses formes : celui de son propre travail, de ses camarades, des enseignants et finalement de lui- même. Par ailleurs, les activités artistiques occupent une place centrale dans la formation de la personnalité des futurs adultes.
Enfin, la médecine anthroposophique préfigure les médecines dites « holistiques », qui prennent en compte la globalité des patients, en traitant toutes ses dimensions : physiques, fonctionnelles, psychiques mais aussi humaines. Là encore, tout est lié.
L'anthroposophie s'est également étendue à d'autres domaines, présentés dans ce dossier, tels que l'architecture (s'inspirant des formes sensibles de la nature), l'eurythmie, un art qui conjugue mouvement et sons, ou encore la pédagogie curative, destinée aux personnes atteintes de handicaps.
Si l'anthroposophie connaît un succès remarquable en Allemagne et dans les pays de langue germanique (on y a construit des hôpitaux, de très nombreuses écoles), la France reste en retrait : il existe chez nous une certaine méfiance vis-à-vis de ce courant spirituel, parfois jugé mystique, voire sectaire.
La France fut le pays des Lumières, berceau cartésien du rationalisme : pour être acceptée, une idée doit être validée scientifiquement. Alors que l'Allemagne a vu grandir le romantisme, laissant s'épanouir les sentiments et le merveilleux. D'un côté le recul, de l'autre l'expérience personnelle. La différence de perception de l'anthroposophie des deux côtés du Rhin n'est-elle pas le reflet, encore de nos jours, de l'opposition de ces deux grands courants de pensée européens ?