Institut pour une tri-articulation
sociale
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Stephan Eisenhut Aspects intérieurs et extérieurs de la question sociale L’idée de la tri-articulation de l’organisme social et la problématique de la « pensée bourgeoise »
En février 1919 à Zurich, Rudolf Steiner se tourne pour la première fois vers un vaste public avec ses idées sur la question sociale. En alternance avec ces conférences publiques, il parle aussi à des membres de la branche zurichoise de la Société anthroposophique. Les conférences publiques se trouvent dans le cycle « La question sociale »1 ; les conférences aux membres dans le cycle « L’aspect intérieur de l’énigme sociale”.2 Rudolf Steiner a retravaillé le sténogramme de ses conférences publiques zurichoises comme base de son ouvrage paru en avril 1919, Les points cruciaux de la questions sociale.3 Le présent article tente de considérer ensemble les aspects intérieurs et extérieurs de la tri-articulation qui ont été présentés à l’époque. Peu après la fin de la première Guerre mondiale, en janvier 1919, les circonstances politiques en Allemagne sont particulièrement précaires. La révolution règne. C’est pourquoi Rudolf Steiner décide d’attendre l’évolution de la situation avant de devenir actif publiquement pour l’idée de tri-articulation en Allemagne. Il prie Friedrich Rittelmeyer de le représenter à des conférences prévues au début février à Berlin et, à la place de cela, commence à présenter la tri-articulation auprès de la paisible vie bourgeoise zurichoise, restée indemne des désordres de la guerre. Aussi bien avec le public des conférences publiques qu’aussi le public des conférences aux membres (NDT : de la Société anthroposophique) il s’agit d’êtres humains en général favorisés par les rapports de possession et de pouvoir. Rudolf Steiner n’est pas un personnage subversif. Il sait que les circonstances dans lesquelles une personne est placée dans la vie ont leur origine dans la destinée humaine. Toutefois une responsabilité y est en même temps associée : il devrait être pénétré du regard comment les circonstances/rapports qui sous circonstance de la vie sociales favorisent beaucoup, conduisent a désavantager fortement d’autres humains—à l’époque on parle encore du «prolétariat» —. Et ainsi, dans les conférences publiques, Rudolf Steiner oriente les pensées de la situation du prolétariat vers la particularité de la pensée bourgeoise. Il voit cette pensée est à maints égards comme origine de la montée de la crise sociale. D’elle-même cette pensée ne peut en aucun cas contribuer à résoudre la question sociale. Rudolf Steiner confronte publiquement son public bourgeois avec la déclaration que la pensée qu’il a assimilé par sa formation récente en science de la nature est étrangère à la vie et indique en même temps les méthodes de la science de l’esprit, par lesquelles cette manière d’être étranger à la vie pourrait être surmontée. Si l’organisme social peut sainement se différencier en trois composantes/membres autonomes est donc dépendant de manière déterminante de la transformation de la pensée bourgeoise. Pour tous les malheurs dans lesquels est tombée la classe ouvrière par des conditions modernes, Rudolf Steiner met en avant toutefois aussi que la question d’être un humain particulier s’est éveillée par cela dans la compagnie des travailleurs. Et il voit que cette question cherche une réponse. Comme la pensée bourgeoise est d’un côté étroitement pendante aux rapports/conditions existantes de droit et de pouvoir 4 et, d’un autre côté, ne peut donner de réponse à la question de l’être un humain, la vie de l’esprit doit apparaître à la classe ouvrière comme idéologie. Elle a l’impression que cette superstructure sert simplement à la classe dirigeante pour cacher les avantages qu’elle retire des rapports existants. Pendant que dans les conférences publiques
Rudolf Steiner procède ainsi qu’il caractérise les conditions extérieures
et amène pas à
pas
de là aux questions sur l’essence
de l’être humain
et à la nécessitée qui y est attachée de la transformation
de la pensée, à laquelle
seule la science de l’esprit
peut répondre, il part immédiatement, dans
les
conférences aux membres, de la question de l’essence de l’être
humain et progresse de là vers la caractérisation des conditions extérieures. Dans son public anthroposophe il peut en effet présupposer
des connaissances sur l’évolution
cosmique de l’être
humain comme il les a développées dans « La science de
l’occulte en esquisse”
Toutefois le danger subsiste
que son public
anthroposophe assimile aussi
ce savoir par
la pensée de tête a bourgeoise et n’applique pas
l’activité propre nécessaire à la vivification de ces concepts. C’est pourquoi il introduit les conférences aux membres par des avertissements : Il ne s’agit pas de former des concepts théoriques — ce qui ferait de la science de l’esprit une simple science — mais que, par ces concepts, une sensibilité sera développée, qui conduit à une estimation correcte de l’humain dans le monde et d’autre part à une vénération et un respect envers les règnes inférieurs qui l’environnent. La fréquentation des pensée issues de la science de l’esprit devrait en particulier être ainsi que peut être expérimenté que la pensée n’indique pas simplement vers l’esprit, mais en ce qu’elle sera activement formée, c’est l’esprit lui-même qui crée et tisse.5 Sur cette voie de la vivification de la pensée, Rudolf Steiner passe, dans la conférence aux membres, directement à la description de l’importance de l’entité du Christ pour la question sociale. En effet il devient clair que la question sociale se laisse seulement résoudre quand il réussi à des êtres humains d’établir une relation avec le Christ. Cela n’est cependant pas possible à partir de la pensée bourgeoise morte, devenue étrangère à la vie. Pourtant le travail intérieur actif à la revivification de la pensée ne suffit pas encore pour pouvoir trouver le Christ. Celui-ci pourra seulement être trouvé où une rencontre humaine a lieu. Rudolf Steiner attire l’attention des membres de la Société anthroposophique sur le développement d’une vie de l’esprit telle que l’être humain peut trouver l’être humain. Des auditeurs de ses conférences publiques, Rudolf Steiner attend avant tout une compréhension pour la nécessité des concepts façonnés selon la science de l’esprit (NDT : ici toujours le problème que l’allemand permet un adjectif), des membres de la Société anthroposophique, il attend plus : ceux-ci devraient élaborer activement les concepts gagnés par l’observation spirituelle pour absolument créer un fondement/une base sur laquelle les entités spirituelles associées au Christ puissent devenir efficaces dans la vie sociale. A partir de leurs impulsions les plus intérieures, ils devraient « s’élever aux dieux », ainsi qu’ils puissent réaliser leurs buts conscients « avec l’aide des forces divines ».6
L’embourgeoisement de la tri-articulation Avec cette sollicitation, Rudolf Steiner rencontra peu de compréhension de la part de son public anthroposophique. Les concepts de la tri-articulation furent assimilés par beaucoup avec la pensée-tête et, à partir de celle-ci, des amorces de solution ont été imaginées. La pensée bourgeoise fut donc poursuivie avec force à l’intérieur même de la Société anthroposophique et culmina en partie dans la demande de structurer/articuler la Société elle-même suivant le point de vue de la vie de l’esprit, de la vie juridique et de la vie économique. Une demande que Rudolf Steiner repoussa avec la phrase que promouvoir cela « n’aurait pas du tout saisi le nerf de base de notre mouvement » .7 Cette exigence est toutefois symptomatique pour une compréhension de la tri-articulation, qui s’est consolidée aujourd’hui jusque sur un large front. Les humains croient qu’ils pourraient articuler en trois membres leurs institutions de cette manière et atteindre par là quelque chose de significatif. Mais ils ne remarquent pas combien ils ne font qu’utiliser les mots de Rudolf Steiner, sans principalement saisir leur réelle signification conceptuelle. La représentation de l’idée de tri-articulation suivante s’est consolidée d’une manière particulièrement douloureuse. Elle peut s’esquisser ainsi : dans la vie de l’esprit il s’agirait de l’humain isolé, qui apporte ses facultés et ses talents du monde spirituel, dans la vie de l’économie il s’agirait de la subsistance de l’être humain, à savoir du fondement de son existence physique, qui doit être satisfaite par la fabrication de produits et de prestations de services, dans la vie de droit par contre il en irait du rapport d’être humain à être humain, cela sera compris comme le domaine inter-humain, où il s’agirait d’estime, d’être ensemble majeur, de processus de vote et d’accords. L’écrit de Dieter Brüll paru en 1984 Der anthroposophische Sozialimpuls (L’impulsion sociale anthroposophique) est particulièrement caractéristique de cette manière de voir.8 Celui-ci a partagé le « corps social terrestre » en trois « membres terrestres » chez lesquels le membre médian, la vie juridique, a été déterminé comme l’élément véritablement social. Brüll caractérise, en revanche, la « vie terrestre de l’esprit » comme « asociale », puisque l’être humain se retire de l’être ensemble pour développer ses propres idées. La « vie de l’économie terrestre » il la détermine comme « antisociale » : là l’être humain place au premier rang ses propres besoins et considère autrui comme un objet d’exploitation. Au-dessus des corps sociaux terrestres, Brüll a découvert un quatrième domaine qui est spirituel, qu’il considère comme la source véritable du social.9 Ce spirituel pourrait développer son action sociale au moyen de la correcte rencontre d’être humain à être humain à l’intérieur de la vie de droit et rayonner aussi sur les deux autres membres. Bien qu’aujourd’hui Brüll ne soit presque plus lu et que ses conceptions sur l’asocial et l’anti-social ont le plus souvent été ressenties comme déconcertantes, un consensus s’est imposé dans de nombreuses institutions anthroposophiques pour considérer la vie de droit comme le membre véritablement social. Brüll a seulement trouvé une expression conceptuelle pour une façon de voir qui était disponible comme un ressenti dans les humains. Si celui-ci concorde absolument avec ce que Rudolf Steiner développe conceptuellement, seulement peu (NDT : de gens) l’examinent. Car cette façon de voir s’adapte ainsi admirablement pour pouvoir réaliser la tri-articulation dans l’institution particulière. Une nécessité de transformer la pensée bourgeoise n’a pas été reconnue. La vie de droit comme « centre » L’estime particulière dont la vie de droit fait l’objet chez de nombreux interprètes de la tri-articulation aurait la permission d’être pendante à ce qu’il est le membre central de l’organisme social. Le pas est vite franchi que l’on compare la vie de droit avec les fonctions du système rythmique, dont la vertu d’harmonisation a une signification particulière pour l’organisme humain. De surcroît, Rudolf Steiner parle de ce que « le deuxième membre de l’organisme social peut seulement avoir à faire avec tout ce qui se rapporte au rapport d’être humain à être humain sur des bases purement humaines ». Dieter Brüll avait donc de bonnes raisons de déterminer la vie de droit comme décrit ci-dessus. Mais qui lit exactement, peut remarquer que Rudolf Steiner dans « La question sociale » compare certes la vie de droit avec le système respiratoire et circulatoire humain, mais seulement en rapport avec sa situation médiane : Toutefois, ce qu’est la vie de droit public, la vie politique véritable, la vie que souvent on saisit trop englobant, qu’on peut décrire comme la véritable vie de l’Etat, cela se laisse maintenant comparer avec le système rythmique régulateur – le système de respiration et système du cœur -, reposant entre les deux systèmes naturels, le système métabolique et le système neurosensoriel. Mais cela se laisse seulement comparer parce que justement, comme dans l’organisme humain, entre le système métabolique et le système nerveux, le système de circulation ou rythmique repose au milieu, ainsi le système de droit public repose entre le système de l’économie et la vie véritable de la culture de l’esprit.11
Immédiatement avant, Steiner avait montré comment la pensée bourgeoise incline aux conclusions analogiques et à cause de cela, compare la vie de l’économie avec le système métabolique et la vie de l’esprit avec le système neurosensoriel de l’organisme humain. Une considération à la mesure de l’esprit des lois œuvrant dans ces deux membres mènerait par contre au jugement inverse. Si on suit les caractérisations supplémentaires de Rudolf Steiner sur la vie de droit, alors ne se trouve rien qui est comparable avec les fonctions de la respiration et du cœur de l’organisme humain, mais étonnamment, vraiment beaucoup qui suggère une comparaison avec l’organisme humain tête. Mais cette organisme de tête sera explicitement comparée par Rudolf Steiner avec la vie de l’économie. Il vaut de résoudre cette énigme. Si on suit la question de quelle manière la vie de droit forme un milieu, ainsi par les conférences destinées aux membres on reçoit encore une fois un tout autre aperçu sur la vie de droit : De l’organisme social seul un membre, seulement ce membre qui se rapporte à l’organisation extérieure de l’Etat, est purement terrestre. Les deux autres membres sont combinés, d’après deux côtés différents, avec le supra-terrestre, selon deux aspects différents. D’un côté, une vie de l’esprit nous sera échue qui - parce qu’elle est en quelque sorte pressée vers dehors de la vie de l’esprit prénatale, supra-terrestre - peut être vécue par nous, j’aimerais dire, comme une surabondance — et de l’autre côté, nous devons comme êtres humains corporels — ce par quoi nous sommes associés avec l’animalité de la Terre - plonger dans la pure vie de l’économie. Seulement, comme nous ne sommes pas purement des humains corporels, mais parce que dans ce corps se prépare l’âme pour les vies terrestres suivantes et pour les vies suprasensibles suivantes, se prépare aussi par la vie de l’économie ce qui élève cette partie de nous vers l’humanité qui ici n’est pas encore entièrement humaine : l’être humain, qui doit se tenir dans la vie de l’économie. !2
Aussi loin, la vie de droit forme un milieu, en ce qu’elle se tient comme membre purement entre deux membres qui sont liées avec le supra-terrestre de deux manières différentes. C’est le membre qui s’étend sur l’organisation étatique extérieure. Ceux qui croient qu’ils se trouvent dans la vie de droit lorsqu’ils atteignent démocratiquement un accord dans une quelconque conférence, oublient que leur accord n’a absolument aucune importance pour l’organisation extérieure étatique. Mais dans la vie de droit, il s’agit tout de suite d’accords qui sont engageant pour tous les êtres humains dans un domaine politique de droit, donc les lois. C’est pourquoi Rudolf Steiner décrit aussi la vie de droit comme un « système du droit public », ce en quoi il comprend « droit public » comme le droit qui s’étend sur la sécurité et l’égalité de tous les êtres humains.13 Le droit qui s’étend sur les rapports privées des humains, il le compte explicitement non à la vie de droit, mais au membre spirituel de l’organisme social‹. 14 C’est déjà presque un paradoxe : l’interprétation bourgeoise de la tri-articulation conduit à ce que tout de suite ce que Steiner ne compte pas explicitement à la vie de droit sera regardé comme un noyau de celle-ci; et ce qu’il regarde comme le centre de la vie de droit sera alors seulement thématisé quand les intérêts propres sont atteints. La vie de droit englobe, d’après Rudolf Steiner, seulement un domaine très restreint des relations sociales. Elle serait souvent pensée bien trop englobante.15 C’est un domaine qui, « d’une certaine façon, fait de nous des être égaux/pareils devant la loi ».16 Ce domaine est ordonné vers «les impulsions qui s’écoulent de l’être humain entre naissance et mort ».17 Pour comprendre pourquoi ce domaine sera compris par Rudolf Steiner comme « purement terrestre », il faut d’abord expliquer la relation de la vie de l’esprit avec ce qui précède la naissance/au prénatal. La force qui forme communauté de la vie de l’esprit est attachée à cette question de la manière la plus étroite. 7 Rudolf Steiner: Impulsions passées et futures dans l’événement social
(GA 100), Dornach 1980, p.210. Dans la conférence du 14
avril 1919, Rudolf Steiner signale qu’on lui a demandé «si à l’intérieur de notre société, la Tri-articulation peut être réalisée : vie économique, vie juridique et vie
spirituelle». La force spirituelle formatrice de communauté Le point de croisement des descriptions de la vie de l’esprit dans « La question sociale » et « L’aspect intérieur de l’énigme sociale » est la signification de la transformation de la pensée. Rudolf Steiner décrit à son public bourgeois comment la pensée est devenue nominaliste dans les temps modernes, ce par quoi une branche déterminée de la science de la nature a pu se développer avec un extraordinaire de succès. Mais ces formes de pensées ne seraient pas adaptées pour pénétrer les phénomènes compliqués de la vie sociale.18 Une vie de l’esprit serait apparue qui soit vit le quotidien sans pensées, soit évolue dans des espaces de concepts confortables et douillets sur « la rédemption, la grâce et autres choses similaires ». Les porteurs de cette vie de l’esprit voudraient la « maintenir le plus possible seulement dans des hauteurs spirituelles-psychiques ».19 Il devient cependant impossible de construire alors un pont avec ce qui nous entoure dans la vie quotidienne. Ces personnes n’entretiennent aucune relation avec les questions du capital, de la rémunération du travail, de la consommation, de la production et de la circulation des marchandises, du système moderne du crédit, du système des banques et de la bourse. Mais lorsque la vie éthique et religieuse ne peut pas s’associer avec la réalité de la vie quotidienne, elle devient mensonge de vie. Il ne suffit pas d’exhorter les êtres humains de revenir à l’esprit, mais il importe que « l’esprit soit présent dans comment on pense sur la question sociale. C’est de la manière de penser – sur le comment de la pensée – qu’il s’agit. »20 La pensée bourgeoise nominaliste produit avec cela deux courants mondiaux/universels : l’un vit le quotidien sans pensées et poursuit ses intérêts personnels d’une manière plus ou moins raffinée, l’autre plane sur les sommets de l’esprit et ne veut jeter aucun pont entre ce qu’est une impulsion spirituelle et ce qui est un fait de l’action habituelle dans la vie .21 Rudolf Steiner peut seulement amener son auditoire public jusqu’au point où il devient évident que la question sociale ne peut pas être résolue sans changement de la pensée, sans l’injonction christique « Changez votre état d’esprit».22 A partir de ce point de départ, il décrit alors la vie de l’esprit sous des aspects plus extérieurs. Il énumère tout ce que la vie de l’esprit englobe : «la vie de l’ainsi nommée culture spirituelle, englobe tout ce qui est système d’éducation et de formation, ce qu’on peut appeler vie religieuse, englobant tout ce qui est vie littéraire, artistique, mais aussi tout ce qui s’étend au droits privé et pénal».23 Et rend alors clair que « l’élément de vie à l’intérieur de ce membre de l’organisme social doit être le libre déploiement des dispositions corporelles et spirituelles, agissant à partir du centre de l’être humain. Dans ce domaine, tout devra être placé sur l’individualité ».24 De la perspective extérieure, Rudolf Steiner place au premier rang l’importance de l’individualité pour la vie de l’esprit, ce qui peut donner l’impression que seuls les individus devraient être considérés. Si on considère les descriptions développées dans « L’aspect intérieur de l’énigme sociale » , il devient entièrement clair que dans la vie de l’esprit, il ne s’agit tout de suite pas d’une multiplicité de monades solipsistes, diffusant leur spiritualité pour le salut (ou le malheur) de l’ensemble de l’humanité — ou bien l’enfilant à d’autres, comme le pense Dieter Brüll – mais que là, la question centrale est comment les individualités entrent en relation les unes avec les autres : « Une vie de l’esprit dans le sens terrestre est tout ce qui nous élève au-dessus de l’égoïsme individuellement humain et conduit avec des groupes d’autres humains».25 Rudolf Steiner rapporte alors ces pensées avec la question spirituelle la plus élevée, à savoir avec l’impulsion-Christ : C’est l’essentiel que l’impulsion-Christ n’appartient pas à l’individu isolé, mais à la vie commune humaine. C’est, compris au sens du Christ-Jésus lui-même, une grande erreur quand on croit que l’être humain individuel pourrait avoir une relation immédiate au Christ. L’essentiel c’est que le Christ a vécu, est mort, est ressuscité pour l’Humanité, pour ce qu’est l’Humanité dans sa totalité. C’est pourquoi depuis le Mystère du Golgotha l’évènement-Christ entre aussitôt en considération [ ... ], lorsque sera déployée une quelque sorte de vie commune humaine. Pour celui qui comprend réellement le monde, la vie terrestre de l’esprit qui source de ce qui est le plus individuel – des dispositions et les dons personnels, se rapproche de l’événement-Christ .26 La force formatrice de communauté issue de la vie de l’esprit doit être conquise par une activité intérieure. Elle n’est pas donnée de nature. Ce qui est donné par la nature est l’autre aspect de la vie spirituelle, que Rudolf Steiner présente plus tard également : Dans la vie spirituelle - qu’est-ce qui régit en fait dans la vie spirituelle terrestre ? Au fond, c’est l’intérêt personnel, certes issu de l’âme, mais un intérêt psychique-égoïste. L’être humain attend d’avoir la béatitude de la religion. Il veut avoir de l’éducation qu’elle développe ses prédispositions. Il attend d’une quelque manifestation artistique ou semblable, qu’il savoure, qu’elle lui apporte de la joie dans la vie ou aussi un déploiement de ses forces de vie. C’est donc partout ainsi qu’un égoïsme plus ou moins grossier, ou raffiné, conduit l’être humain selon ses raisons à lui vers la vie de l’esprit terrestre – c’est compréhensible.27 25 GA 193, p.47.
Vie de l’esprit et ce qui précède la naissance Avec ces descriptions diamétralement opposées, Steiner met en évidence que la vie de l’esprit se déploie entre deux pôles: le pôle terrestre — attaché au corps — et le pôle spirituel — supra-terrestre. L’être humain qui s’incarne dans un corps est d’abord nécessairement égoïste. L’enfant doit être égoïste et suivre ses propres intérêts. Par cela il développe la conscience de sa personnalité et développe ses facultés individuelles. Arrivé à l’âge adulte, il doit alors apprendre à mettre ses facultés au service de la communauté. Cela réussit cependant seulement quand un élément spirituel supérieur pourra aussi être vécu. Cette faculté s’est perdue dans la vie de l’esprit actuelle. Elle devra être reconquise nouvelle. A côté de la pensée bourgeoise attachée au corps doit être développée une pensée supérieure, libérée du corps. Seul par celle-ci pourront être trouvée les forces édificatrices pour la vie sociale. Pour Rudolf Steiner, l’idée de réincarnation et de karma est immédiatement liée à la question sociale. Car l’être humain travaille en commun avec les hiérarchies supérieures avant la naissance sur la base des actes de ses vies passées ce qui lui sera, dans la vie future, un entourage à la mesure du destin. A cela appartient ce qu’il va vivre comme religion dans sa vie spirituelle, ce qui dans l’art lui viendra en vis-à-vis, dans quel contexte de peuple et communauté de langue il est placé, de quelle éducation il fera l’expérience et ainsi de suite. Dans la phase avant sa naissance, l’homme entrerait en étroite relation avec des êtres qui n’adopteront jamais un corps terrestre, mais aussi avec des âmes humaines qui s’incarneront beaucoup plus longtemps après lui. Tout cela serait vécu « dans une sorte d’image-reflet proche du rêve dans le monde de culture terrestre-spirituel » :
Ce qui vit là-dedans n’est pas seulement ce que les êtres humains ont fait ici sur la Terre, mais ce qui influe des forces, des pensées, des impulsions, de toute la vie des âmes des hiérarchies supérieures. Nous ne voyons jamais le monde dans son intégralité si nous négligeons ces pensées des êtres spirituels qui ne sont pas incorporés sur cette Terre et se reflètent dans une certaine mesure dans notre culture terrestre-spirituelle, soit parce qu’ils ne sont absolument pas incorporés, soit parce qu’ils ne sont pas incorporés/incarnés tout de suite maintenant. Si nous pouvons nous approprier selon notre sensibilité cette sainte façon de voir le monde spirituel tout autour de nous, que nous pouvons tenir ce monde spirituel pour ce que nous offrent les entités spirituelles elles-mêmes, ce avec quoi les entités spirituelles nous entourent, alors nous pourrons être reconnaissants pour ce don du monde suprasensible que nous vivons comme un monde culturel terrestre-spirituel .28
Dans la vie de l’esprit il s'agit donc non seulement de la collaboration de tous les êtres humains incarnés sur la Terre, mais aussi de la participation des êtres humains qui ne sont pas incarnés comme aussi des entités spirituelles plus hautes qui leurs étaient liées avant la naissance. L’être humain incarné a élaboré, dans le pré-natal, un motif pour sa vie terrestre. Le danger est qu’il ne puisse se rattacher à ce motif pendant sa vie terrestre et se perde dans un quotidien dénué de pensées. Avec l’anthroposophie, Rudolf Steiner indique un chemin qui permet à l’être humain de se rattacher de nouveau à son impulsion prénatale. Si cela réussi, il apporte des forces salutaires dans la vie sociale. Pourtant tout ce qui provient de la région du prénatal n’agit pas de manière salutaire. Dans la traversée de la phase entre mort et nouvelle naissance, des antipathies prennent naissance chez l’être humain. Celles-ci font qu’il s’incarne de nouveau. Le cosmos, Rudolf Steiner s’exprima une fois ainsi d’une manière très imagée, ressentirait une sorte de « dégoût » à l’égard de ces antipathies. La tête, par laquelle l’être humain se sépare du monde spirituel, serait dans une certaine mesure rejetée par dégoût par le cosmos. Elle serait par cela en même temps une image-reflet de ce cosmos.29 C’est un processus nécessaire car les conditions propres à la liberté humaine sont générées seulement ainsi. Cela étant, ces antipathies nécessaires au processus d’incarnation ne seraient pas totalement surmontées. Certaines traces resteraient lorsque nous pénétrons dans l’être-là physique par la naissance. Dans la vie terrestre ces restes d’antipathie devraient être contrecarrés par la culture. Seulement cela ne réussit pas toujours. Les antipathies, qui font leur chemin dans les soubassements de l’âme, s‘opposeraient alors contre ce à quoi devrait en fait être aspirer par la culture spirituelle : « une véritable harmonie spirituelle, une réelle collaboration spirituelle ».30 Ici aussi se trouve de nouveau un avertissement clair aux membres de la Société anthroposophique. Car ne pas pouvoir surmonter ces restes d’antipathies provoquerait une vie de l’esprit sectaire à la place d’une vie de l’esprit universellement-humaine. Qu’est-ce qui est alors caractéristique pour une secte ? Au début certains se tiennent à des idées étendues au spirituel qui se sont rigidifiées d’une manière unilatérale. Autour de ces idées, des institutions sont créées qui devraient les servir. Mais comme cependant ces idées n’ont pas de relations vivantes avec l’esprit, des processus de gestion extérieure deviennent progressivement prépondérants. Cela signifie qu’un courant spirituel se détache et crée des institutions qui servent au maintien de son existence (NDT Dasein) particulière. Cela peut être saisi comme une sorte de processus de formation de « tête » dans la vie sociale. Une vie de l’esprit qui veut servir des buts universellement humains doit pour cela porter le soucis que les processus de formation de « têtes » pressant terrestrement expérimentent toujours de nouveau une compensation en ce que pourra être établie une relation à l’esprit vivant. Pour cela la collaboration d’individualité à individualité est nécessaire. S’il réussi, en alternance rythmique avec la gestion des tâches particulières par les individus, d’arriver ensemble à un authentique travail spirituel commun— et pas simplement à une coordination de tâches administratives particulières par des réunions —, alors cela correspond à un processus de formation de « cœur » dans la vie sociale.31 Toutefois seulement quand un authentique intérêt pourra alors être porté à ce que l’individu isolé s’est élaboré lui-même spirituellement. C’est tout de suite à travers cet intérêt porté à l’autre que des souvenirs du motif saisit avant la naissance seront rendus possibles. Cela peut apporter de nouvelles impulsions au travail spirituel propre. C’est une activité de volonté qui a une relation avec le système métabolisme-membres de l’être humain. Les membres ne doit pas absolument être remués extérieurement pour être actifs dans cet homme-membre car celui-ci est un être largement suprasensible. 32 28 À l’endroit cité précédemment,
p.28. Vie juridique et pensée-tête Ce qui est hautement nuisible à la vie de l’esprit, le détachement vis-à-vis de l’esprit vivant, est tout de suite salutaire pour la vie de droit. Aucunes impulsions suprasensibles n’ont la permisson de jouer un rôle dans le « système de droit public ». Rudolf Steiner le rend clair en des paroles bien drastiques : Le prince illicite de ce monde règne lorsque ce qui devrait purement s’étendre sur l’ordonnance des rapports terrestres, s’arroge de vouloir s’attirer la vie spirituelle et également, comme nous le verrons plus tard aussi la vie économique. Le prince licite de ce monde est seulement celui qui s’attire purement, dans les rapports politiques extérieurs, ce qui a ses impulsions dans la vie de l’humain entre la naissance et la mort.33 Dans les conférences publiques, Rudolf Steiner souligne que l’organisation proprement politique de l’organisme social devra être édifiée « sur des fondements purement démocratiques, sur le principe de l’égalité de tous les êtres humains dans leurs rapports les uns avec les autres ».33 Une décision dont la validité est seulement due à ce que la volonté de la majorité le veut ainsi, a son fondement juste dans un sentiment de l’âme. Et ce sentiment pousse/presse à une réglementation de ce qui sera vécu comme pressant dans la vie commune extérieure. Les causes déterminantes des impulsions révolutionnaires qui font leur apparition en 1919 — toutefois bientôt réprimées par la bourgeoisie — Rudolf Steiner les voyait dans ce que les forces du travail soient traitées comme une marchandise. Cela ne signifie rien d’autre que le temps que quelqu’un a à travailler afin qu’il puisse s’approvisionner, ainsi que les siens, sera déterminé par les forces du marché. Mais cela a été ressentit par le prolétariat comme opprimant ainsi qu’il se révolta. Si des voies démocratiques fixaient le temps que quelqu’un a la permission de travailler dans un domaine particulier, la raison de cette oppression tomberait d’elle-même. L’évolution de procédures pour réguler le temps de travail dans les branches respectives est donc une tâche centrale de la vie de droit. Ceci s’accompagne cependant d’un autre objectif central concernant la vie de l’économie : pour les prestations qui seront réalisés dans un temps de travail ainsi régulé, des prix devront être payés qui garantissent une subsistance adaptée des prestataires de travail. Mais ceci est seulement possible quand pour les prix des produits mis sur les marchés pourront être visés des prix qui satisfont aussi bien les revendications de ceux qui dirigent et ceux qui effectuent le travail, lorsqu’ils seront justement partagés. Une question de la vie de droit est de créer les conditions pour que les dirigeants du travail et les fournisseurs/prestataires du travail puissent se rencontrer sur un pied d’égalité, lorsqu’ils négocient les clefs de répartition. C’est une question de la vie de l’économie de déterminer si les prestations qui seront produites en commun seront aussi achetées, c’est-à-dire correspondent aux besoins des humains. Au contraire de la vie de l’esprit, où il importe que soient activés des processus de l’âme dans lesquels un spirituel puisse vivre, les processus de l’âme qui déterminent la vie de droit doivent s’orienter à des états de faits purement terrestres. Par ce fait existe le danger du durcissement semblable au durcissement comme ils surviennent à l’intérieur de l’organisme-tête. Celui-ci paralyse, à l’aide des perceptions sensibles, le processus de connaissance de l’âme dans l’image de représentation.34 Quand le processus de connaissance ne sera pas toujours de nouveau mis en mouvement par l’âme de sa propre activité, elle commence à vivre dans un monde limité de représentation. Des dangers similaires menacent dans la vie de droit. Si le droit du travail est très unilatéralement configuré au profit du travailleur, l’activité entrepreneuriale est alourdie et le niveau de prestation oppressé dans un domaine de droit. Si par contre l’entrepreneur est doté de droits puissants, le danger d’une exploitation du fournisseur de travail menace.35 33 GA 193, p.51.
La fonction édificatrice de la vie de l’esprit Rudolf Steiner considérait plutôt comme faible le danger d’une organisation de l’ordre social favorisant les travailleurs corporels vis-à-vis des travailleurs spirituels. Dans les conférences aux membres, il rend beaucoup plus clair que c’est la bourgeoisie qui utilise ses facultés pour préserver ses avantages : Mais de cet ordre économique aucune nuisance ne peut venir. En revanche les nuisances viennent de ce que premièrement, nous n’avons aucun droit réel du travail qui protège de manière adéquate le travail et deuxièmement nous ne remarquons pas que nous vivons en plein mensonge sur la manière dont le travailleur est dépouillé de sa part. Mais sur quoi repose cette privation ? Non pas sur l’ordre économique, mais sur l’ordre social, qui offre la possibilité aux facultés individuelles de l’entrepreneur de ne pas effectuer le partage de manière juste avec le travailleur. Aux marchandises, on doit partager, car elles sont produites en commun par le travailleur spirituel et le travailleur corporel. Mais que signifie donc d’utiliser ses facultés individuelles pour prendre à quelqu’un ce qu’on ne devrait pas lui prendre ? Cela signifie le tromper, l’exploiter/l’escroquer ! On doit seulement considérer ces circonstances de manière saine et sans prévention, alors on arrive à la conclusion: ce n’est pas dû au capitalisme, mais bien dans le mésusage des facultés spirituelles.36 Les professions bourgeoises sont en général celles qui dirigent le travail. Mais la bourgeoisie a oublié d’où proviennent ces facultés qu’elle utilise pour diriger le travail ou pour prendre de l’influence sur l’ordre social. Elle a développé une vie de l’esprit unilatéralement orientée sur le monde des sens, et de ce fait a perdu la relation avec le pôle édificateur, supra-terrestre de la vie de l’esprit. Mais cela corrompt la vie de l’esprit. Et cette vie de l’esprit corrompue configure l’ordre social à son avantage et donne à l’ensemble une façade démocratique. C’est pourquoi Rudolf Steiner continue à exhorter son public anthroposophe dans son appel : . Là vous avez le pendant avec le monde spirituel. Rendez d’abord saine l’organisation spirituelle, ainsi que les facultés spirituelles ne se développent plus à ce qu’elles escroquent ceux qui doivent travailler, alors vous rendez l’organisme social sain.37
Quand la vie de l’esprit est saine, alors cela empêche que la vie de droit ne se durcisse de manière unilatérale. Si en revanche l’esprit s’efface de la vie spirituelle parce qu’aucuns efforts individuels sont disponibles pour rechercher l’esprit, alors celle-ci agit aussi corruptrice sur la vie de droit. L’Etat de droit dépend d’une vie de l’esprit forte, indépendante. Plus les êtres humains commencent, dans les rapports de vie dans lesquels ils se tiennent, à faire attention à ce qui veut provenir des individualités particulières et à travailler sur des formes de travail en commun qui permettent cela, d’autant plus saine deviendra la vie de droit. L’activité de juge appartient pour Rudolf Steiner à la vie de l’esprit parce que de sages sentences sont seulement possibles quand le juge s’entend à juger la situation individuelle qui repose à la base d’une procédure de droit privé ou pénal. Bien entendu le juge doit prendre en compte ce qui a été fixé comme loi dans la vie de droit générale. L’activité du juge devient quand même une faculté salutaire dans la vie sociale quand elle ne s’étend pas seulement aux facteurs terrestres, mais peut aussi développer une compréhension pour ce qui a précédé le terrestre. 36 GA 328, p. 152. Aperçu La considération de ce qui précède la naissance est d’une importance centrale pour une évolution salutaire de la vie de l’esprit. Ici existe la nécessité de développer une pensée de coeur. L’Etat politique englobe un domaine terrestre clairement délimité, en ce que prévaut le droit développé par la population de ce domaine/secteur par des voies démocratiques. La pensée-tête a sa justification ici. La vie moderne de l’économie ne pourra pas être délimitée de cette manière sur un domaine/secteur. Elle est devenue un système qui englobe le monde entier. Elle confronte l’être humain à des forces spirituelles qui menacent de le précipiter dans le domaine inférieur de son être-un-humain. Dans celui-ci se situe en particulier l’humain-membre. Par cela il acquiert quelque chose pour son évolution post-mortem. Ce pendant devrait être examiné dans un article supplémentaire. En particulier, devrait être abordé pourquoi la vie de l’économie, dans laquelle l’individu se place avec son humain-membre, est à comparer, en tant que tout, avec l’organisme tête. (Traduction Daniel Kmiecik, revue par Alain Morau, puis François Germani) |