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HERMANN POPPELBAUM

Pourquoi Rudolf Steiner qualifiait-il les nerfs sensibles et moteurs de même nature ?

[Première publication dans : Der Beitrag der Geisteswissenschaft zur Erweiterung der Heilkunst - Ein anthroposophisch-medizinisches Jahrbuch, vol. 1, pp. 333-346. Dornach/Bâle 1950.
Trad. FG, v.01 - 12/06/2022


L'indication de Rudolf Steiner dans son livre "Des énigmes de l'âme" (1917), selon laquelle les nerfs sensitifs et moteurs sont "de même nature/essence", peut paraître étonnante au premier abord et même faire sourire les spécialistes. Il pouvait sembler, surtout à l'époque, il y a trente-trois ans, que des conceptions bien fondées étaient ici traitées de manière arbitraire. Celui qui connaît l'attitude scientifique de Rudolf Steiner ne le croira pas capable de faire des hypothèses par négligence, et c'est ainsi que, malgré le caractère apparemment sommaire de l'exposé, il le prendra plus au sérieux et le confrontera aux études cliniques et biologiques qui se sont accumulées entre-temps, comme l'a fait pour la première fois E Husemann il y a vingt-neuf ans.(1)

Mais il faut d'abord tenir compte du contexte dans lequel apparaît l'indication de Rudolf Steiner. Il ne s'agit pas d'une simple critique de la représentation traditionnelle de la différence entre les deux types de nerfs. Certes, il est expressément dit que le nerf moteur ne sert pas au mouvement dans le sens habituellement admis, ce qui signifie que la différence entre les deux types de nerfs ne peut pas être désignée par les termes afférents et efférents. Rudolf Steiner ajoute aussitôt que les expériences expérimentales ne prouvent pas ce que l'on veut habituellement démontrer par elles, "mais quelque chose de tout à fait différent". Il qualifie alors expressément les deux types de nerfs d'essence identique. Il est évident qu'il ne veut pas dire par là qu'il n'y a absolument pas de différence entre des nerfs sensibles [109]   et les nerfs moteurs, car il poursuit aussitôt en disant que la perception est la tâche des deux types de nerfs : seul le nerf dit moteur sert à la perception du processus métabolique qui est à la base du vouloir. L'essentiel est donc que l'on se représente la direction fonctionnelle des deux types de nerfs, de l'organe terminal vers le centre, c'est-à-dire de manière centripète. Pour comprendre la portée de cette présentation, il faut aller plus loin.

Partout où toujours Rudolf Steiner décrit l'être humain, il part de l'insertion dans le monde contemplable suprasensiblement. La description complète n'est toujours possible qu'en décrivant simultanément les domaines de la réalité environnante. L'insertion doit cependant être décrite avec des expressions très différentes. La simple division en esprit, âme et corps (2)  rend déjà nécessaire l'utilisation de trois expressions significatives : selon sa corporéité, l'homme est "inséré/membré/articulé" dans un monde inférieur (celui de la corporéité), il "forme" d'après son entité d'âme un monde pour soi et il "tend/aspire" avec ses forces spirituelles/d'esprit vers un monde supérieur, auquel il apprend à participer par ses propres efforts.

On doit tenir compte de ce que toutes les descriptions anthropologiques de Rudolf Steiner sont données dans le sens d'une insertion de l'humain dans les mondes correspondants. Cela vaut aussi tout particulièrement pour les rapports exposés dans le livre Von Seelenrätseln (Des énigmes de l'äme). Les fonctions du corps humain ne peuvent pas être décrites de manière "simplement physiologique" si l'on veut que la description soit conforme à la réalité. Si l'on décrit l'œil comme un simple appareil physique, on décrit une illusion et on ouvre la porte à des erreurs fatales. Il ne s'agit pas de l'appareil physique de l'œil, mais de l'humain voyant qui se sert de l'œil. Pour chaque type de perception, il faut décrire un mode particulier d'insertion de l'humain dans une couche déterminée de la réalité. Il en va de même pour le mouvement corporel : l'appareillage corporel de l'acte de volonté peut certes être décrit comme un système d'organes exécutant le mouvement ; l'acte de mouvement volontaire présuppose cependant l'insertion de l'humain qui veut dans le monde entier. Le mouvement ne peut pas être compris à partir des parties de l'humain enfermées dans la peau, pas plus que la perception ne peut être comprise à partir des processus dans l'organe sensoriel. [110] Le système nerveux exerce une activité particulière de médiation, mais la vérité paradoxale est que l'on s'égare si l'on se représente cette médiation comme une simple direction d'impulsions. En effet, on ne peut alors comprendre ni la perception ni le mouvement. Chaque tentative de travailler avec une simple théorie de la conduction mène inévitablement à des constructions mécanistes. On construit une chaîne causale arbitraire ; à savoir, du côté anatomique, la chaîne organe sensoriel, nerf, centre nerveux, nerf moteur, organe final (muscle ou glande) et, du côté physiologique, la chaîne stimulus, réception de stimulus, conduction de stimulus, commutation, impulsion de mouvement, contraction ou sécrétion. Il y a là une simplification pernicieuse. Elle conduit à l'élimination de l'être humain, ce qui ne peut être réparé après coup.

Dans le but d'une description réaliste des processus de perception et de mouvement, Rudolf Steiner s'est servi d'un mode d'expression très précis (3). Il parle de la base de la perception sensorielle comme d'un prolongement de l'événement extérieur dans l'organisme. Un processus du monde extérieur se déroule/joue aussi dans l'organe des sens et forme ainsi un pont par lequel l'être propre de l'homme qui perçoit s'étend dans le monde extérieur. La psychologie traditionnelle supposait que la sensation naissait dans l'œil ou dans l'organe central et qu'elle était projetée d'une manière ou d'une autre par l'âme dans le monde extérieur. Rudolf Steiner s'y oppose de la manière la plus tranchante : ce n'est pas la couleur qui appartient à l'œil, mais l'œil qui appartient au monde avec la couleur. Rudolf Steiner a mis en évidence de la manière la plus claire possible le fondement critique de cette conception, et ce dès ses explications sur les écrits scientifiques de Goethe. (4) La non-reconnaissance de ces rapports est la raison pour laquelle la physiologie et la psychologie opèrent encore avec un concept insuffisant de la perception.

Selon Rudolf Steiner, le fondement de la volonté n'est pas une connexion nerveuse entre l'organe central et l'organe exécutant, mais un processus métabolique et "l'événement ainsi déclenché, qui est en même temps une essence au sein des rapports d'équilibre et de force du monde extérieur". Ce qui est étonnant dans cette description issue de l'observation suprasensorielle, c'est qu'il n'est pas du tout parlé de la direction d'une impulsion, mais que l'acte de volonté avec son pendant corporel, le processus métabolique, naît simultanément et n'a pas besoin d'être d'abord dirigé du système nerveux central vers l'organe exécutant. Ce qui se passe dans le système nerveux central et dans ce que l'on appelle le nerf moteur lors du mouvement n'a rien à voir avec l'apparition du mouvement, mais s'y rattache. De tels processus sont liés à la perception du mouvement. - Encore une fois, on peut dire que la non-reconnaissance de ce lien est la raison pour laquelle la psychologie de la volonté ne peut pas trouver le pont vers les véritables "contreparties corporelles" du vouloir. Dans les deux actes, perception et volonté, l'âme vit avec un événement du monde extérieur, elle n'est donc pas seulement active dans le corps, mais elle l'embrasse et le dépasse (5).

Il se laisse envisager que le processus du monde extérieur qui se poursuit dans l'organisme par l'organe des sens et le processus métabolique qui a lieu dans l'organisme, mais qui est en même temps présent/disponible dans le monde extérieur, ne constituent que la forme creuse du corps qui crée l'espace et l'occasion pour l'insertion de l'être humain psycho-spirituel (Je) dans le monde. Déjà en 1911, Rudolf Steiner disait (6) que le Je ne pouvait pas être cherché dans l'organisme, mais qu'il devait être transféré "dans la légalité/légité des choses elles-mêmes". Ce moi n'a donc pas de "siège" définissable dans le corps, mais il est à l'œuvre en partie dans le corps, en partie hors du corps, dans une activité qui seulement ne vient pas immédiatement à la conscience. Les processus corporels lors de la perception sont tels qu'ils renvoient au Je sa propre activité extracorporelle comme dans un miroir. Dans le vouloir, c'est un peu différent. Ici, le côté corporel et organique de l'ensemble du processus ne parvient pas à transmettre à la conscience une image de l'activité du Je. La description de ces rapports pour la conscience ordinaire est extrêmement difficile, et Rudolf Steiner soulignait en 1917 qu'il présentait un résultat de recherche sur lequel il travaillait depuis trente ans. Le résultat fut la description dans le livre Von Seelenrätseln (Des énigmes de l'âme), où chaque mot particulier est en effet important :

"Le corps dans son ensemble/comme tout, et pas purement l'activité nerveuse qu'il renferme, est le fondement physique de la vie de l'âme. Et de même que cette dernière peut être décrite pour la conscience ordinaire par la représentation, le sentiment et la volonté, de même la vie corporelle peut être décrite par l'activité nerveuse, les événements rythmiques et les processus métaboliques. -

Aussitôt surgit la question : comment s'inscrivent dans l'organisme, d'un côté, la perception sensorielle proprement dite, dans laquelle l'activité nerveuse ne fait que s'écouler, et, de l'autre, la faculté de mouvement, dans laquelle débouche le vouloir ? Une observation impartiale montre que les deux n'appartiennent pas au même sens à l'organisme que l'activité nerveuse, les événements rythmiques et les processus métaboliques. Ce qui se passe dans les sens est quelque chose qui n'appartient pas directement à l'organisme. Dans les sens, le monde extérieur s'étend, comme dans des golfs, dans l'essence de l'organisme. En embrassant les événements qui se déroulent dans les sens, l'âme ne participe pas à un événement organique interne, mais à la continuation de l'événement externe dans l'organisme. (J'ai discuté ces rapports de manière critique pour la connaissance dans une conférence pour le congrès des philosophes de Bologne de l'année 1911). - Et dans un processus de mouvement, on n'a pas non plus physiquement affaire à quelque chose dont l'essence se trouve à l'intérieur de l'organisme, mais à une efficacité de l'organisme dans les rapports d'équilibre et de force dans lesquels l'organisme est placé par rapport au monde extérieur. À l'intérieur de l'organisme, on ne peut attribuer au vouloir qu'un processus métabolique ; mais l'événement déclenché par ce processus est en même temps une essence à l'intérieur des rapports d'équilibre et de force du monde extérieur ; et l'âme, en s'activant par le vouloir, dépasse le domaine de l'organisme et vit avec son action les événements du monde extérieur".

Le chapitre est intitulé "Les dépendances physiques et spirituelles de l'être humain", il prend donc son mot-clé, de manière significative, du motif de l'insertion dans le monde. Dans les années qui suivirent, Rudolf Steiner ajouta encore de nombreux détails à cette première description, en particulier sur le rôle du sang. En résumé, on peut dire que ce qui suit est présent :

1) un rétablissement de l'événement total entre l'humain et le monde, l'humain lui-même apparaissant comme une double source d'activité.

2) Une correction radicale de l'idée du rôle du système nerveux. Il n'est pas un intermédiaire entre la perception et le mouvement, mais un intermédiaire entre l'activité propre du Je dans le monde et la conscience qu'il en a. Cette conception modifiée du système nerveux permet de dépasser la théorie de la conduction. [113]

3) L'introduction des processus métaboliques comme élément principal dans le devenir de la volonté confère également un nouveau rôle au sang en tant que foyer et centre du métabolisme. Il est l'organe dans lequel l'impulsion de la volonté se fait sentir en premier lieu. Cela conduit à la compréhension de la polarité des nerfs et du sang, qui doit remplacer l'opposition des deux types de nerfs.

4) Rudolf Steiner a encore ajouté la présentation des fondements spirituels de la représenter, du sentir et du vouloir, qui résident dans les activités suprasensibles de l'imagination, de l'inspiration et de l'intuition et celle de l'âme humaine, uniquement lorsqu'elle est reliée au corps, viennent à la conscience sous une forme "paralysée" en tant qu'activité de l'âme. Il se produit donc ici à nouveau un processus de réflexion qui, dans ce cas, fait les activités spirituelles réelles en expériences de l'âme plus ou moins apparentes de la conscience ordinaire.

Le vaste cadre de cette présentation montre que Rudolf Steiner ne cherchait pas en premier lieu à réfuter la théorie établie de la conduction opposée dans les deux types de nerfs, mais à obtenir une vision approfondie de l'être humain dans son ensemble, fondée sur des observations de la science de l'esprit (suprasensible). Rudolf Steiner voulait introduire cette nouvelle vision, que l'on peut qualifier d'empirique, dans la science de la nature. La nouvelle interprétation de l'activité des nerfs sensitifs et moteurs ne constitue qu'un membre partiel de cette vision d'ensemble.

La description incomplète de la perception en tant qu'un processus dans l'organe des sens et le cerveau, ensemble avec l'hypothèse injustifiée selon laquelle la sensation naîtrait dans le cerveau, et la description tout aussi incomplète du vouloir en tant qu'événement/devenir corporel, associée à l'hypothèse selon laquelle une conduction de stimuli a lieu du cerveau vers le muscle, coupent la possibilité de comprendre la perception et le vouloir et, de surcroît, enferment le moi qui perçoit et qui veut dans l'organisme, dans lequel il ne peut pas être "localisé" et échappe donc à la connaissance.

Grâce à la description précise de Rudolf Steiner, toutes les conclusions erronées de ce genre sont mises à jour et la recherche se voit confier la tâche de prendre le lien originel de l'humain avec le monde entier comme point de départ pour les études les plus approfondies.

L'objection selon laquelle une interprétation tirée de la vision du monde serait purement accrochée aux faits observés et devrait [114] donc être séparée comme un accessoire inutile afin de présenter les rapports de manière objective ne peut plus être retenue face à cette description. Car c'est précisément la restriction non scientifique qui consistait à faire passer une vaste chaîne de processus organiques pour une description complète des activités de perception et de volonté qui est ici supprimée. Le Je qui perçoit et agit est remis dans son rôle, fidèle à la réalité vécue. Il ne s'agit donc nullement d'une "subjectivisation" ou d'une "anthropomorphisation" a posteriori d'actes prétendument objectifs, mais de la réinsertion du fait "humain" dans le contexte objectif des choses. - En ce qui concerne l'expérience clinique et expérimentale, Rudolf Steiner a souligné dès 1917 qu'elle parlait en faveur de sa présentation et non pas contre elle. Ce seul fait devrait rendre prudentes les critiques hâtives. La tentative de base de désactivation d'un nerf dit moteur, avec son résultat de paralysie du membre correspondant, devrait donc être reconsidérée très soigneusement. La non-réussite du mouvement prétendument assuré par le nerf peut en effet avoir de tout autres raisons qu'une simple interruption de la conduction vers le membre. L'interprétation de ces expériences serait alors "simpliste" et conduirait à des courts-circuits fatals. Or, depuis plus de trente ans, les cas se sont multipliés où les chercheurs se sont trompés sur la nature purement motrice des nerfs moteurs, et ce non seulement par des conclusions tirées de leurs expériences, mais sur la base d'un examen histologique direct. Il semble aujourd'hui douteux qu'il existe des nerfs purement sensitifs ou purement moteurs. Mais cela ne suffit pas encore à satisfaire ce que Rudolf Steiner veut suggérer. Il insiste sur le fait que le nerf moteur sert lui aussi uniquement à la perception du processus métabolique qui est à la base du vouloir. Le fait que cette perception reste inconsciente et ne soit pas localisée n'est pas une objection valable, car il existe aussi des perceptions gustatives et olfactives qui restent tout à fait sourdes et ne se laissent pas localiser, et on peut tout à fait se représenter la perception du processus de la volonté de manière similaire. Mais le fait qu'aucun mouvement ou sécrétion ne puisse plus se produire en cas de défaillance n'est pas plus étrange que le fait que l'animal concerné ne réponde plus aux influences lumineuses après la destruction de l'optique. Dans un cas comme dans l'autre, [115] la perception disparaît, mais on peut montrer de manière détournée que la capacité de contraction musculaire et de sécrétion est toujours présente. On pourrait dire que, de même qu'un être dont le nerf optique a été sectionné ne sait plus si une lumière brille devant lui, de même un être dont le nerf "moteur" a été sectionné ne peut plus percevoir où se trouve son membre à mouvoir et ne peut donc plus induire en lui le processus métabolique conduisant au mouvement.

Deux questions surgissent ici. La première est de savoir comment l'acte de volonté qui prend naissance dans le Je parvient au point de correspondance corporel s'il n'est pas conduit par une voie de conduction vers le membre mobile (centrifuge). Il faut répondre à cette question par une étude minutieuse de la répartition des processus métaboliques dans l'ensemble de l'organisme, pour laquelle on dispose déjà d'une matière infinie dans la physiologie du métabolisme. Pour l'étude de la configuration globale de ces processus, Rudolf Steiner a indiqué que l'organisme humain se compose de quatre organismes (l'organisme solide, l'organisme liquide, l'organisme aérien et l'organisme thermique) et que partout où se produit un processus thermique, une porte s'ouvre pour l'intervention d'un acte de volonté. L'intervention des processus respiratoires, sous une forme plus ou moins fine, dans tous les processus métaboliques doit compléter ce tableau. Seul le système sensoriel et nerveux (organisme supérieur) présente une indépendance relative par rapport au métabolisme. La deuxième question est de savoir ce qui se passe dans la moelle épinière à tous les endroits où les racines dites sensitives et motrices se font face. Si les deux types de nerfs sont de nature centripète, leur confrontation (dans les synapses) ne peut pas signifier une commutation d'une impulsion qui arrive en une impulsion qui sort, mais une véritable confrontation de deux actes qui se rencontrent. La réponse que Rudolf Steiner donne ici souligne que c'est justement la discontinuité qui est importante et qu'à tous les endroits correspondants, les impulsions humaines propres s'enclenchent.

Schématiquement, on obtient les trois niveaux suivants: (7)

Humain supérieur : Le sang se heurte aux surfaces étendues, plates ou incurvées du cerveau et des organes sensoriels !

Humain moyen : Les nerfs spinaux qui vont des organes de la perception et de la volonté vers la moelle épinière se font face avec leurs interruptions.

Humain inférieur : Les ganglions nerveux répartis dans le plexus, qui ne sont pas étalés en surface mais rassemblés en nœuds, sont intégrés de tous côtés dans le métabolisme et baignés/rincés par lui.

C'est ainsi qu'à chacun de ces trois niveaux différents est créée l'occasion d'une intervention de l'être d'âme et d'esprit de l'humain dans la corporéité. Dans chaque intervention telle, une composante de perception et une composante de mouvement sont mises en valeur. Dans l'humain supérieur, la part de perception prédomine, dans l'humain inférieur, la part de mouvement ; mais quand même le Je intervient toujours, qu'il ait une perception extérieure claire ou une perception sourde des membres. Chaque pas sur ce chemin, difficile il est vrai, nous rapproche de la compréhension du fait qu'un nerf moteur sectionné peut d'abord occasionner une perte de mouvement.

Les faits rapportés dans les cliniques et les laboratoires prouvent cependant bien plus qu'une simple perte de fonction. Au contraire, on a observé les troubles moteurs les plus divers, qui témoignent contre une interprétation simpliste comme simple conséquence d'une interruption de la conduction. En effet, ces troubles moteurs représentent tout de même des performances/prestations motrices, même si elles sont atypiques. L'image motrice est déformée, mais elle a une certaine forme qui se comprend beaucoup mieux comme le résultat d'une perception imparfaite que comme le résultat d'un mouvement empêché. Les pures fonctions motrices ne peuvent en aucun cas expliquer la forme de ces performances/prestations anormales ; il doit toujours être parti d'une perception imparfaite des parties à mouvoir. Lors de la tentative de sectionnement et d'échange, l'être lésé fait des efforts évidents pour reconstituer l'image du mouvement (image de la prestation) sous contournement de la partie sectionnée et surmontement des difficultés posées par l'échange nerveux. Le rétablissement de la prestation initiale malgré des conduites perturbées tient du miracle. (La très riche littérature qui s'y rapporte est traitée en détail dans les travaux de Weizsäkkers et de son école. (8)) [117]

La théorie mécaniste de la fonction selon le schéma de stimulus et de réponse, en particulier sous sa forme de théorie de l'arc réflexe, ne peut plus être prise en considération pour le matériel d'étude actuel. Car ce qui manque à l'arc réflexe ne peut plus être rattrapé, même dans une structure d'arcs réflexes aussi compliquée soit-elle. La déconnexion de l'être humain se traîne comme un mal héréditaire de ce cours de pensée mécaniste. Comme l'a montré von Weizsäcker de manière très claire, on ne peut absolument pas s'en sortir si l'on part d'une "conduite" ; il faut dans tous les cas prendre comme point de départ la prestation en tant qu'ensemble. Cette prestation peut être déformée, voire réduite à des restes, mais elle doit toujours rester primaire pour l'explication. (9) Le concept de mobilité sensorielle utilisé depuis Exner ne peut pas encore rendre justice à cet événement, car même après son introduction, on travaille encore avec un schéma de pensée dominé par la notion de conduite, bien que l'on parle déjà d'une interaction des actes de perception avec les actes de mouvement. La justice historique exige d'ailleurs de mentionner ici que le philosophe et psychologue américain John Dewey écrivait déjà avant le tournant du siècle dans son essai aujourd'hui presque oublié "The Unit of Behavior " (10) : "Dans l'analyse, nous trouvons que nous ne devons pas commencer par un stimulus sensoriel, mais par une coordination sensori-motrice, et que le mouvement, dans un certain sens, précède en tant que primaire et que la sensation est secondaire...., en d'autres termes, le véritable début est donné par l'acte de voir ; c'est le regard qui fait le début, pas une sensation lumineuse..., dans tous les cas, c'est un acte entier qui précède ce qu'on appelle le stimulus... Le stimulus est issu de la coordination sensori-motrice ; il naît de cette matrice... De même, la composante finale, la marche vers l'avant, n'est pas simplement motrice, mais sensori-motrice, car elle a une signification perceptive à côté du mécanisme musculaire... De même que la <réponse au stimulus> est nécessaire pour constituer le stimulus, pour le déterminer par exemple comme un son et précisément comme ce son, de même la perception du son se poursuit-elle nécessairement comme élément dans la fuite... Ce que nous avons ici, c'est un processus circulaire (circuit), et non un arc ou un fragment de cercle". Il y a donc plus d'un demi-siècle, le senior des psychologues américains a anticipé l'idée du "cercle de gestalt", qui constitue aujourd'hui un élément principal de l'enseignement de von Weizsäcker ! Les expériences animales rendues célèbres par Bocke, avec la section et la cicatrisation croisée de nerfs sensitifs et moteurs, par exemple sur la langue," avec l'ajustement ultérieur des nerfs à leur nouvelle fonction paradoxale, ont été considérées à l'époque (1916 - 1917), à juste titre, comme une réfutation de la théorie classique du caractère afférent des nerfs sensitifs et du caractère efférent des nerfs moteurs. Bien que le cas soit aujourd'hui plus ambigu dans le détail, depuis que les nerfs utilisés pour le croisement ont été démontrés comme "mixtes", il rompt en tout cas le schéma de pensée classique. Les expériences de Boekes semblent d'ailleurs avoir été connues de Rudolf Steiner, comme il ressort de sa conférence pour les médecins du 23 mars 1920 (12)

Paul Weiß a été amené dès 1931 (13) à abandonner complètement la théorie de la conduction des nerfs et à chercher à la remplacer par une théorie de la résonance. Même si sa forme particulière, comme une sorte de "réponse" des organes terminaux et d'exécution à des stimuli non transmis par conduction, pour ainsi dire sans fil, n'a pas pu se maintenir par rapport à d'autres expériences et n'est plus mentionnée par Weiß dans ses "publications (14) ultérieures, ses efforts pour s'éloigner de la théorie de la conduction restent remarquables. (15) Weiß a tout de suite aussi montré dans ses propres études, en greffant des pattes surnuméraires à côté des pattes normales chez le triton (16), qu'une coordination sensée des mouvements des pattes se développe, bien que des nerfs moteurs totalement différents des nerfs "compétents" se développent dans la patte greffée.

La théorie de von Weizsäcker sur le cercle de gestalt en tant que "croisement" de la perception et du mouvement est la tentative la plus complète à ce jour de réinterpréter les problèmes en question, à l'exception bien sûr des contributions de Rudolf Steiner, qui remontent maintenant à un siècle et vont bien au-delà. La théorie de von Weizsäcker est étayée par une expérience pathologique et expérimentale quasiment illimitée. Mais même cette tentative, malgré son approche audacieuse, doit s'arrêter à la constatation abstraite de l'intégration du Je dans l'environnement. La position réelle du Je dans l'ensemble du monde (et pas seulement dans ce qu'on appelle l'environnement) ne peut être comprise que par la science de l'esprit, et c'est pourquoi la physiologie et la psychologie, pour parvenir à une image réaliste de l'intégration, devront un jour ou l'autre recourir aux présentations de Rudolf Steiner de 1911 et 1917. Sans les notions fondamentales de la structure de l'être humain, l'insertion du moi dans l'environnement reste un simple postulat et le rôle réel du corps reste opaque.

L'observateur de l'évolution des idées au cours des dernières décennies, qui connaît les suggestions de Rudolf Steiner, ne peut que constater avec satisfaction que l'interprétation du système nerveux comme un complexe d'innombrables conduites et commutations a été de plus en plus ébranlé par l'évolution des conceptions. Les chercheurs comme Weiss avouent leur perplexité. Von Weizsäcker exige une révision fondamentale de toutes les conceptions neurologiques. Les faits histologiques (la fréquence des anastomoses, des bifurcations axonales, des formations réticulaires) parlent déjà contre la théorie de la conduction. Si l'on réfléchit plus précisément aux performances attendues des voies nerveuses dans le sens de cette théorie, on aboutit déjà à une contradiction par simple comptage : si les quatre millions de points sensoriels de la peau étaient reliés aux organes moteurs par des lignes séparées, un nombre huit fois plus élevé de ces voies devrait traverser la moelle cervicale que ce que l'on peut effectivement prouver. Si l'on veut ici faire l'hypothèse supplémentaire que chaque voie peut conduire huit excitations, on a déjà abandonné le schéma de conduction classique (17).

Seule une réinterprétation complète du mode d'action du système nerveux peut nous sortir de cette situation critique. Il est indéniable qu'une telle interprétation est donnée par la doctrine de Rudolf Steiner sur la fonction miroir du système nerveux. Bien que cette conception soit encore éloignée de la recherche actuelle, elle entre très sérieusement en ligne de compte comme clé de certaines énigmes de la recherche récente. Elle permettrait avant tout de répondre à une question fondamentale concernant le rapport de l'être propre à l'organisme. Quand notamment le système nerveux sert à amener dans la conscience un événement sinon inconscient à l'être, dont le corps est l'organisme, comme un miroir dessine une image, alors on désigne l'endroit où le "sujet", comme l'appelle von Weizsäcker, est impliqué dans l'événement corporel. Le système nerveux doit alors être considéré avant tout comme la partie de l'organisation par laquelle la conscience ordinaire de l'âme (conscience diurne) est rendue possible.

Rudolf Steiner dit à ce sujet : "Tout d'abord, l'expérience psychique/le vécu d'âme de l'humain, telle qu'il se manifeste dans le penser, le sentir et le vouloir, est lié aux instruments corporels. Et il se forme de la manière dont il est conditionné par ces outils. Mais celui qui croit voir la vie réelle de l'âme en observant les manifestations de l'âme à travers le corps est pris dans la même erreur que celui qui croit que sa forme est produite par le miroir devant lequel il se tient, parce que le miroir contient les conditions nécessaires par lesquelles son image apparaît. Cette image dépend même dans certaines limites, en tant qu'image, de la forme du miroir, etc. ; mais ce qu'elle représente n'a rien à voir avec le miroir. La vie de l'âme humaine, pour accomplir pleinement son essence dans le monde des sens, doit avoir une image de son être. Elle doit avoir cette image dans la conscience, sinon elle aurait certes une existence, mais aucune représentation, aucune connaissance de cette existence. Cette image, qui vit dans la conscience ordinaire de l'âme, est maintenant entièrement conditionnée par les instruments corporels. Sans eux, elle n'existerait pas, comme l'image spéculaire n'existerait pas sans le miroir. Mais ce qui apparaît à travers cette image, ce qui est d'âme même, n'est pas plus dépendant des instruments du corps que le spectateur qui se tient devant le miroir ne l'est de ce dernier. Ce n'est pas l'âme qui dépend des instruments du corps, mais seulement la conscience ordinaire de l'âme" (18).

Il doit être réservé à un connaisseur de la littérature spécialisée en neurologie, qui fait partie de ce domaine et qui est presque non dominable, d'exposer comment l'ensemble des expériences cliniques et expérimentales va dans le sens de la fonction miroir du système nerveux. Ici est seulement l'endroit de soulever/mettre en avant que seule cette conception peut constituer la pierre angulaire d'une réorientation complète de l'étude de l'humain. Dans cette nouvelle orientation, l'interprétation donnée par Rudolf Steiner des nerfs moteurs et sensitifs comme étant de "même essence" est une composante évidente. La présentation du système nerveux en tant qu'appareil miroir permet de surmonter un autre mal héréditaire de l'anthropologie, à savoir le parallélisme psycho-physique. Rudolf Steiner l'a souvent souligné. Le lien de fait entre l'être psycho-spirituel et le corps est établi par la représentation concrète de leur interaction à plusieurs niveaux. Les processus corporels, en tant que partie de l'environnement transposé dans l'organisme, ouvrent à l'être psycho-spirituel de l'humain l'accès au monde. La perception et le mouvement ne sont que les manifestations les plus frappantes, mais en aucun cas les seules, de cette imbrication. La présentation ne serait pas complète sans la relation de l'être humain avec le sang et donc avec le métabolisme, brièvement évoquée ci-dessus.

Notes

1 F. Husemann, Zur Frage der "motorischen" Nerven (Sur la question des nerfs "moteurs", in : Mitteilungen der Vereinigung anthroposophisch forschender Ärzte, No. 2, octobre 1921. Réimprimé dans Ärzte-Rundbrief, No. 9/10, Febr.-März 1948, Stuttgart.

2 R. Steiner, Theosophie (1904), GA 9. Die Geheimwissenschaft im Umriß (Science de l'occulte 1909), GA 13.

3 R. Steiner, Von Seelenrätseln (Des énigmes de l'âme 1917), GA 21.

4 R. Steiner, Introduction aux écrits scientifiques de Goethe (1884 -1897), 3e volume, en particulier p. X et suiv. - GA le, Dornach 1975, p. X et suiv.

5 R. Steiner, Von Seelenrätseln, Dornach 41976, p. 159.

6 R. Steiner, Die psychologische Grundlagen und die erkenntnistheoretische Stellung der Theosophie (Les fondements psychologiques et les positions épistémologiques de la théosophie), in : Atti del IV congresso internazionale di Filosofia, 1911. Réimprimé dans : Philosophie und Anthroposophie, GA 35, Dornach 1965, p. 111 - 144.

7 R. Steiner et I. Wegman, Grundlegendes für eine Erweiterung der Heilkunst nach geisteswissenschaftlichen Erkenntnisse (Fondements pour un élargissement de l'art de guérir 1925), chap. VI : Blut und Nerv (Sang et nerf). GA 27, 5e éd. Dornach 1977.

8 V. von Weizsäcker, Zur Analyse pathologischer Bewegungen (Sur l'analyse de nouvements pathologiques), in : Deutsche Zeitschrift für Nervenheilkunde. Verh. d. Ges. der Nervenärzte 1926 et de nombreuses publications ultérieures de cet auteur.

9 V. von Weizsäcker, Der Gestaltkreis. Théorie de l'unité de la perception et du mouvement, 1939. 4e éd., 1950, en particulier p. 65 et suivantes.

10 John Dewey, The Unit of Behavior (vers 1896). Réimprimé dans le recueil d'essais Philosophy and Civilization, New York 1931, p. 233.

11 J. Bocke, in : Verhandlg. Konin. Akad. v. Wetensch. Amsterdam 18/1 (1916) et 19/1 (1917).

12 Voir le travail de F. Husemann cité ci-dessus à la note 1.

13 P. Weiß, Aus den Werkstätten der Lebensforschung (Les ateliers de la recherche sur la vie). Berlin 1931.

14 P. Weiß, Ergebnisse der Biologie, volume 2 et : Principles of Development. A Text in Exper. Embryology, New York 1939.

15 Cf. H. Poppelbaum, Die Notwendigkeit neue Vorstellungen von der Nervenfunktion (La nécessité d'une nouvelle représentation de la fonction nerveuse), p. 107-110 de ce volume.

16 Voir note 14.

17 V. von Weizsäcker, Der Gestaltkreis, p. 53.

18 R. Steiner Vom Menschenrätsel (1916). GA 20, p. 156, Dornach 1957.