Comprendre la monnaie et apprendre à composer avec elle

Dans la première partie du livre, nous nous sommes penchés sur les rapports économiques réels et les modèles de pensée et d’action qui les sous-tendent. Cette approche initiale nous indique différentes méthodes pour améliorer nos rapports économiques et donc nos conditions de vie.
Dans la deuxième partie, il s’agira de comprendre le monde de la finance et le rapport que nous entretenons avec lui. Là encore, il dépend de nos « motivations » profondes et de notre volonté à agir que la monnaie nous permette d’améliorer nos conditions de vie.
Quand on réussit vraiment à identifier les domaines dans lesquels une mauvaise gestion des finances peut menacer notre vie économique réelle dans son ensemble, on pourra plus facilement accepter les conseils donnés ici. J’essaierai de familiariser le lecteur avec le monde de la monnaie ; je le ferai d’une manière certes peu orthodoxe, mais compréhensible. Aucun doute, tout expert financier digne de ce nom souffrira à la lecture des chapitres qui suivent : c'est que d’une part j’utilise un vocabulaire simple et imagé, et que d’autre part, contrairement à l’usage consacré dans ce milieu, je ne décris pas ce monde-là dans une perspective de maximisation des profits.
La monnaie ressemble à l’eau. Pour être en lien avec sa nature, il lui faut être perpétuellement en mouvement, pour rester vivante elle-même et pouvoir faire vivre le monde autour d’elle. Tout comme l’eau, la monnaie peut se volatiliser (condensation) pour pleuvoir ailleurs. Mais si on essaie de la restreindre dans ses capacités de mouvement, de la diriger ou de la contenir dans des canaux qui ne lui conviennent pas, l’eau finira par perdre son oxygène et dégager de mauvaises odeurs, comme la monnaie. Puis elle se transformera en méthane, un gaz potentiellement mortel ; dans le cas de la monnaie, ce sont les bulles financières. Dans cet état, elle perd toute capacité d'assurer sa vitalité propre et celle du monde. Elle n’est plus disponible pour la vie, qui risque alors de s'assécher.
Ce n’est pas pour rien que les managers assoiffés de profits ne s'attirent que des reproches. Ils s’approprient une part juteuse de profits gigantesques qu’ils ont détournés de l’économie réelle au profit d'actionnaires spéculateurs. Les emplois se raréfient, les standards sociaux baissent, des firmes sont anéanties, des productions délocalisées dans des endroits qui n’ont que faire des standards sociaux et environnementaux, les hommes politiques sont manipulés.
Mais le simple citoyen tente constamment à « profiter » par des « achats bon marché » d'un côté, et de l'autre à gagner le plus d’argent possible en travaillant le moins possible. On regarde plus souvent son propre porte-monnaie que sur les êtres humains qui satisfont nos besoins ou pour qui nous travaillons. Même dans les cercles alternatifs, il est souvent question de « bon marché » et du « moins de travail possible ». Il nous arrive souvent d’oublier qu’un homme sain en âge de travailler devrait travailler pour deux personnes de plus que lui. Sinon, qui subviendrait aux besoins des enfants, des jeunes, des vieux et des malades ?
Et qui paierait les jardins d’enfants, les écoles, les universités, les institutions culturelles, les mesures environnementales etc. ? Tous ces lieux de développement ont besoin de notre soutien financier et social. Mais nous ne pourrons les soutenir que si nous arrivons à gagner plus que nos propres besoins, autrement dit si nous arrivons à gagner de quoi faire un profit, que nous pourrons reverser pour le développement culturel en général.
Hélas, tant d'âpreté au gain va finir par assécher toute l’économie réelle et, avec elle, l’environnement, la vie sociale et culturelle. Et c’est notre système économique et monétaire actuel qui encourage massivement ces « liquidations ». Il est particulièrement regrettable que cette « économie spéculative » cherchant le profit meuve maintenant 60 fois plus d’argent que l’économie réelle — une tendance en forte hausse. Il est temps de redéfinir de nouvelles bases pour la production et la circulation de la monnaie. Dans ce cadre, le but devrait toujours être le développement de l’homme et de la nature.

Dieu soit loué, il y a de plus en plus de gens qui travaillent, comme individu ou en groupe, à élaborer des projets de réforme, dont certains, même, peuvent parfois rencontrer un certain écho. C’est le cas, par exemple, du mouvement pour l’économie du bien commun, des banques anthroposophiques et alternatives, de l’initiative Silvio Gesell pour la monnaie «vieillissante » (ndt *en France on a retenu : fondante), du mouvement d’économie  de post-croissance, des initiatives de revenu de base, du mouvement des décroissants, du mouvement pour la démocratie directe, de l’initiative monnaie pleine (MoMo), d’Europa 2019, des fondations pour « la Terre bien commun », des fondations culturelles et écologiques, des fonds et associations, des caisses de retraite alternatives, des monnaies complémentaires et alternatives, des nombreux cercles d’échange etc.
Tous ces mouvements apportent beaucoup  d'idéalisme pour la construction d’une nouvelle société. Il serait plus important qu'ils collaborent davantage et qu’ils apprennent plus les uns des autres. On ne se préoccupe pas assez des « maladies systémiques » qui sont à la base de ces difficultés, que ce soit la création de monnaie, la contrainte à la croissance et au profit, le système d’intérêts ou la spéculation sur le travail, le sol et le capital. Se dire qu’on a trouvé la mesure-phare pour améliorer les conditions relèverait de la simplification abusive. Une mesure isolée, par exemple le revenu de base, peut même se révéler dommageable si elle n’inclut pas en même temps d’autres aspects plus profonds. Trop souvent aussi, on cherche à attribuer aux hommes politiques et aux stratèges économiques la responsabilité de cette dégradation. Et la responsabilité personnelle dans la misère est le plus souvent purement et simplement masquée.
Je voudrais maintenant replonger avec vous dans notre océan de l’économie : cette fois-ci en regardant la monnaie. Nous allons naviguer en eaux troubles, voire carrément opaques et toxiques. Pour mettre au point une méthode d'assainissement, il nous faudra identifier les causes de ces sources toxiques, hostiles à la vie, de façon à les arrêter. Pour cela, il nous faudra du courage, de la concentration et une certaine dose d’autocritique. Mais nous naviguerons aussi dans des régions éclairées, couvertes de végétation, vers lesquelles nous pourrons canaliser les eaux troubles (la monnaie) pour les assainir.
Au cas où un passage vous échapperait, n’hésitez pas à poursuivre la lecture. La pièce manquante du puzzle deviendra plus claire en continuant et s’insérera dans l’image globale. De plus, avec le mode de progression que j’ai adopté, il n’est pas nécessaire de comprendre chaque détail pour saisir le contexte général.

Qui régit la monnaie ?

« La monnaie régit le monde. » C’est ce que se disent la plupart des gens. Mais en se résignant naïvement à cette vision, ils se laissent régir par la monnaie. Au fait, qui régit la monnaie ?
La monnaie, c’est quelque chose d’abstrait, ça ne se mange pas. Il faut de la conscience pour savoir s’en débrouiller. Les animaux et les petits enfants peuvent tout au plus jouer avec. La plus grande partie de la monnaie n’existe même pas sous forme physique, mais sous forme de paiements électroniques. La monnaie ne détient son statut juridique, sa valeur, que du fait que nous la lui reconnaissons tous, cette valeur. Mais « en soi », elle n’a pas de valeur. Avec de la monnaie, on ne peut rien faire d'autre que mobiliser des choses ou des services qui ont de la valeur. C’est quand la monnaie devient une « valeur en soi », voire une marchandise, que rien ne va plus. Nos problèmes actuels ont à voir avec cette conception fausse de la monnaie. C’est bel et bien à nous, les hommes, que revient la responsabilité de la monnaie. — La monnaie est un grand « facilitateur », en négatif comme en positif. Tout mouvement monétaire a un effet social et écologique sur notre monde, et avec cela sur tous les hommes et l’ensemble de la nature. C’est pourquoi il ne suffit pas d’avoir un rapport d'un bon naturel avec la monnaie ou d’en avoir une bonne compréhension intellectuelle. Il faut aussi du sens des réalités, un sens global de la responsabilité et une fréquentation consciente avec les « forces » qui reposent derrière.
La monnaie est un mystère. Un mystère, est quelque chose qui n’est pas facile à comprendre ou à appréhender, mais qui a à voir avec notre intériorité. Nous avons une peur cachée devant la monnaie, semblable  à notre peur à vouloir comprendre la mort. Si nous sommes sincères, nous avons tout autant peur à vouloir comprendre un profond amour. Ces mystères, la mort, l’amour et l’argent semblent avoir des rapports étroits les uns aux autres. La monnaie peut activer aussi bien des forces de mort que des forces d’amour.
Quel est mon rapport personnel aux « forces » de l’argent ? Comment dit-on si joliment : "Quel enfant de l'esprit tu es, on le reconnait le mieux à la façon dont tu comporte avec l'argent". Et on dit aussi, quand quelqu'un achète trop de manière incontrôlée : "Celui-là à attrapé la "rage d'acheter"".
Il s'agit de la grandeur et de la qualité de notre conscience, de notre esprit que  nous comprenions correctement la monnaie, et puissions la fréquenter. Et ici, dans la qualité de notre conscience que s'ouvre la porte pour toutes les influences, positives comme négatives, sur la monnaie.*


Aujourd’hui, on a dans l'inconscient un rapport à la monnaie qui généralement ouvre toute grande la porte aux tentations les plus louches, aussi appelées « Mammon ». Seul l'être humain conscient peut monter la garde à cette porte (de la conscience).
Aux stratèges des marchés financiers et politiciens avec leurs aspirations au pouvoir et au profit semble toutefois manquer cette conscience responsable sur la monnaie. Si on persiste à leur confier, à eux seuls, le soin d’organiser la monnaie, ils nous conduiront à des injustices, à la destruction de la nature, à des crises, des guerres, des faillites, qui déboucheront sur une impasse.
Comme les gens manquent aussi dans la vie quotidienne de gardiens de la conscience susceptibles de les alerter sur l’argent, les forces tentatrices (Mammon) peuvent lancer de grandes manœuvres contre le développement de l’homme et de la nature.
Les théoriciens de la conspiration cherchent toujours à réduire les attaques contre le développement de l’humanité à un petit groupe qui tire les ficelles en coulisses. Quant à moi, je pense que c’est ce rapport égoïste et incontrôlé que nous avons tous à la monnaie qui est responsable de ces attaques contre l’homme et la nature.
Evidemment, ce sont toujours les gens les plus dénués de scrupules qui essaient de se mettre en avant. Ils ne reculent ni devant la manipulation ou la corruption, ni même devant le meurtre parfois quand c'est leur pouvoir qui est en question. Ils s’engraissent de toutes nos petites inattentions et de tous nos actes égoïstes : nous râlons contre les marchés financiers spéculatifs parce qu'ils sont axés sur le profit, mais nous n'hésitons pas à leur confier notre argent, parce qu'il rapporte des intérêts. Nous protestons contre l’exploitation des pauvres et de la nature mais c’est le vil prix auquel nous achetons qui justifie cette exploitation. Nous prêtons aux riches les pires calculs, mais nous cherchons nous-mêmes à devenir millionnaires en jouant au loto, et donc sans travailler. Nous continuons à soutenir les grands groupes pétroliers et les grands fournisseurs d'électricité au lieu de réduire notre consommation d’énergie avec des maisons plus petites et d'autres moyens de transport, au lieu de financer des énergies alternatives avec nos économies. Nous préférons acheter des produits de marque chers ou d’autres qui sont fabriqués en Asie, plutôt que de soutenir une économie locale et écologique etc.
Il ne s’agit pas de renvoyer la balle sur les pauvres, qui n’ont ni l'argent, ni la conscience nécessaires pour modifier quoi que ce soit. Je dois apprendre par moi-même à me poser les vraies questions. Il ne s’agit pas non plus, pour moi, de maudire les « riches » globalement. Je connais des gens qui, non contents d’avoir construit leur richesse par un travail honnête et des idées favorisant la vie sociale, ont mis leur richesse au service de la société.
Avant, on disait : « Le plus grave, pour le diable (ici, Mammon), c’est quand il est reconnu. » Nous n'avons là pas loin à chercher…
Evidemment, nous avons affaire à un système très mal en point ; mais, nous ne devrions jamais oublier que nous sommes, nous même aussi, profondément infestés par ce système lors de recherches supplémentaires sur les causes et les solutions.