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Institut pour une triarticulation sociale

 

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Quelle approche pour une transformation radicale de l'Etat-Nation

Nicanor Perlas

7/2002

            

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Quelques Réflexions sur les Dangers d'une Approche Purement Politique. Les Prémices d'une Nouvelle Stratégie. Le Rôle Essentiel de la Triarticulation Sociale dans cette Nouvelle Stratégie.

A la suite du succès mitigé des manifestations mondiales massives en réaction aux problèmes de la mondialisation, des groupes de militants discutent à présent et se posent des questions. Nous avons établi la résistance mondiale, mais les résultats de l'exécutif de l'OMC réuni à Doha montrent que nos efforts n'ont pas été suffisants. Nous avons suscité le Forum Social Mondial pour rendre nos alternatives visibles, mais les ravages de la mondialisation élitaire ou des multinationales continuent de s'étendre à travers le monde. Que pouvons-nous faire maintenant pour détourner le discours et la direction de la mondialisation vers un "autre monde", celui que nous voulons créer ?

Avec cette question, ce sont les contours d'une troisième stratégie pour la société civile mondiale qui commencent à émerger. Il nous faut exercer une influence profonde sur les conséquences sociales dans nos pays respectifs de façon à ce que les décisions prises par nos gouvernements, entre autres, reflètent véritablement la volonté du peuple. Mais comment nous y prendre ?

Aux Philippines, un groupe dynamique et connu dans la société vient de lancer un mouvement social englobant toutes les dimensions pour transformer radicalement la société Philippine. Au début il était difficile de savoir si ce nouveau mouvement allait devenir un parti politique ou simplement un " congrès " de citoyens. Finalement, ce groupe de personnes a décidé de lancer un mouvement social qui donnerait naissance à trois mouvements autonomes mais interactifs. Il a pris la décision de ne pas déformer le mouvement social vers une expression purement politique.

Quel raisonnement sous-tendait cette décision ? Les expériences qui débutent actuellement aux Philippines pourraient éclairer les débats et discussions en cours au sein de la société civile mondiale sur comment transformer l'état national de façon à ce qu'il reflète vraiment la volonté de son peuple. Et, s'ils étaient capables d'une réflexion authentique, les états-nation commenceraient à démanteler les clauses si coûteuses des accords mondiaux qui en ce moment facilitent plus et plus le contrôle de la destinée de milliards de gens dans le monde par les élites politiques et les multinationales.

Inutile de dire que l'expérience philippine est seulement cela : une expérience philippine. Les conditions culturelles, politiques et économiques des autres nations, toutes différentes, requièrent des stratégies et des approches différentes. Cependant, certains éléments de l'expérience Philippine peuvent s'avérer précieux pour le discours global sur la création d'un "autre monde".

La Décision Proposée

"La décision consiste à établir une organisation qui gérera les ressources de façon à permettre à des individus disposés à le faire de se saisir finalement du pouvoir politique et de promouvoir le changement indispensable à la création d'une société plus équitable aux Philippines. Ce qui n'a pas été décidé est de savoir si cette organisation deviendra un parti politique ou un simple "Congrès National Philippin". Ainsi s'est amorcée une série de réunions plénières du groupe mentionné ci-dessus.

Une Réponse

Un membre du groupe a écrit : "Ne tombez pas dans le piège en devenant juste un nouveau “parti politique” ou un "Congrès National Philippin" quasi-politique. Il existe une autre approche, bien plus puissante et durable même, et qui peut aussi bien parvenir à la création d'une société philippine plus équitable."

"L'idéal d'une société philippine plus équitable est important. Mais le mode proposé pour saisir le pouvoir politique et seulement le pouvoir politique ne fera pas avancer l'intention d'établir plus d'équité. Il y a des raisons sociales, comportementales, historiques et épistémologiques pour suggérer une approche différente dans le but de créer une nouvelle politique et de nouvelles Philippines."

Puisque c'est moi qui ai écrit la réponse, ce qui suit est le résumé des raisons pour lesquelles le mouvement social ne doit pas être déformé vers une expression purement politique. Ce résumé inclue aussi d'autres discussions qui ont suivies au sujet de la " décision " proposée.

La Raison Sociale

Socialement, le domaine de la culture et le domaine de la politique sont différents l'un de l'autre de la même façon que le domaine économique est différent des deux. Bien sûr, la culture, l'économie et la politique s'interpénètrent. Ce qui est important toutefois, c'est comment elles s'interpénètrent.

La décision telle qu'elle a été énoncée repose sur la logique implicite qui confond et déforme une aspiration et un mouvement culturel (de nouvelles valeurs impliquant une sorte de politique différente et un processus de transformation intérieure) pour en faire une expression purement politique. Si cela se produit, c'est parce qu'il n'existe aucun contrôle et aucun équilibre dans la société. Il n'y a pas de force indépendante dans la société pour assurer que, de fait, la nouvelle politique est bien "nouvelle" et pour contrôler les tendances destructrices de la politique traditionnelle se déguisant en nouvelle politique. (Voir ci-dessous la dimension comportementale du phénomène).

Les nouveaux politiciens seront soumis de façon incessante à la pression de l'ancienne politique et auront besoin d'une source indépendante d'eux pour les soutenir dans leur lutte contre l'ancienne politique ou pour les empêcher d'être engloutis par elle. Il leur faut une ligne de vie, spécifiquement à l'extérieur du système politique, pour les sauver du "triangle des Bermudes de la politique philippine", une expression favorite renvoyant à la capacité des politiques de corrompre les militants idéalistes.

Nous pouvons seulement être témoins avec horreur, par exemple, de la transformation en politiciens traditionnels ou "trapos" (1) des leaders "puissants" et prometteurs de la société civile, en moins de deux ans, par le système politique féodal du pays.

Le mouvement proposé reconnaît lui-même l'importance de l'existence d'un pouvoir autonome, indépendant et situé en dehors de la politique. Ce pouvoir autonome est indispensable pour contrer les tendances problématiques du monde des affaires et des gouvernements, et même pour contrer celles qui peuvent s'installer consécutivement à son influence. Au sommet du mouvement victorieux pour destituer Estrada, l'ancien Président des Philippines, les rudiments de ce mouvement comprenaient des ententes sur le fait d'exiger les mêmes critères de responsabilité envers ceux qui prendraient les rênes du pouvoir politique des mains d'Estrada.

Par conséquent, nous ne devrions pas confondre et déformer les domaines de la société. Nous devrions distinguer les sphères différenciées de la société, les différentes fonctions et logiques de la culture, de l'économie, et du système politique. Sinon nous ferons aussi des vieux " trapos " de nos nouveaux politiciens prometteurs.

Ceci n'est pas affaire de spéculation. Ceci a été la leçon historique des mouvements culturels connus qui se sont aventurés dans la politique en déformant leur mouvement culturel en un mouvement politique et en un parti pour une nouvelle politique.

La Raison Historique

C'est, par exemple, la leçon édifiante du mouvement écologiste allemand qui s'est transformé en Parti Vert. Les observations qui suivent sont issues d'une fréquentation assidue du Parti Vert à ses débuts et de longues discussions avec l'un de ses fondateurs qui est actuellement membre du Bundestag ou Parlement allemand.

A partir du moment où ce mouvement puissant, portant une nouvelle vision du monde et un nouveau style de vie est devenu complètement politique, en tant que Parti Vert, il a peu à peu détruit le fondement de sa propre vitalité. Les énergies du mouvement culturel et social ont été détournées vers la politique. Le mouvement écologiste a ainsi commencé à négliger son travail de base, croyant que le pouvoir politique remplacerait ce travail. Des considérations liées au pouvoir ont dominé ses processus de prise de décision et l'orientation du Parti. En conséquences, le Parti Vert a ainsi commencé à négliger les autres possibilités latentes et inhérentes à la sphère du militantisme et du pouvoir culturels. Le soutien de sa base a donc commencé à décliner.

Finalement, comme me l'a confié un membre connu du Parti Vert, leur succès actuel dans la coalition du gouvernement Schroeder reflète en fait le degré de corruption que le Parti Vert a atteint et pour lequel il devrait être mis en accusation de l'intérieur. Vous vous souvenez peut-être de l'incident durant lequel le militant charismatique pour la paix Joschka Fisher, le Ministre "vert" des Affaires Etrangères, fut couvert de peinture rouge pendant une convention nationale des Verts prônant la participation militaire de l'Allemagne en Bosnie.

Une chose similaire s'est produite en Afrique du Sud. L'icône de la démocratie, Nelson Mandela, lorsqu'il est devenu Président de l'Afrique du Sud, a déclaré : "Nous n'avons plus besoin de la société civile parce que la société civile est maintenant au gouvernement." Mandela a alors commencé à miner systématiquement la base du soutien de la société civile, la force culturelle indépendante qui l'avait en fait porté au pouvoir. Nous sommes là en présence d'une icône de la démocratie qui sape les fondations même de la démocratie dans son pays, qui mine une citoyenneté active et vigilante alors que ce corps citoyen défend l'espace démocratique du pays et l'espace culturel et qu'il est créateur des aspirations mêmes de la démocratie.

Et de plus en plus, c'est ce qui est en train d'advenir aux Philippines. Des fractions significatives de la société civile sont dépositaires des "oripeaux" du mouvement Power People II. Un nombre croissant d'entre elles oublient leur fonction de "chien de garde" de la politique du pays. Cela commence même à se voir dans ces forces de la société civile qui ont chassé Estrada du pouvoir. Elles sont juste en train de perpétuer une longue "tradition", tradition problématique, de leaders de la société civile ou même d'associations qui entrent en politique, négligeant du même coup leur travail culturel au sein de leurs mouvements sociaux, travail culturel qui leur permettrait d'influencer réellement des aspects de la vie politique des Philippines.

En rapport avec cela, il existe une étude très intéressante sur les valeurs mondiales, menée auprès de 75% de la population mondiale (2). Cette étude révèle qu'il existe un rapport causal direct entre les valeurs que les citoyens d'un pays chérissent et le genre de démocratie ou de manque de démocratie qui règne dans ce pays. En d'autres termes, la vitalité culturelle est la condition pré-requise d'un bon gouvernement. Otez la vitalité culturelle en la liquéfiant dans une expression purement politique et non seulement vous détruisez les fondations culturelles de la démocratie mais vous détruisez en fait la pratique authentique de la démocratie dans le pays.

Cette étude mondiale sur les valeurs, entreprise depuis 1981, indique clairement où il faut chercher le rapport causal. Les valeurs qui sont créatives de démocratie sont les fondements de l'existence d'une démocratie donnée authentique. Mais la démocratie, particulièrement la démocratie formelle et le genre de démocratie dont il n'existe que le nom, ne crée pas en elle-même des valeurs démocratiques. Notre phénomène ‘trapos' est une validation empirique éloquente de ce rapport causal mis à jour dans cette étude comparative menée dans 100 pays du monde et auprès de 75% de la population.

La Raison liée au Comportement

Les aspects sociaux et historiques sont aussi renforcés par des considérations comportementales. Rare est celle ou celui qui est capable, sans effort intérieur, d'être sa propre conscience et son propre critique objectif. Il faut souvent une autre personne pour pointer les lacunes, les inconsistances et les faiblesses de sa propre pensée, de sa propre structure et de son comportement.

L'explication repose en partie dans la difficulté à surmonter les façons habituelles d'envisager le monde et de se comporter dedans. Chacun a tenté de rompre avec une mauvaise habitude. Nous savons tous combien c'est difficile et désagréable. Mais c'est le fondement de la nouvelle politique - la création de nouveaux modes de comportement et d'habitudes qui peuvent soit devenir une part essentielle et être institutionnalisés à l'aide de lois appropriées et de décrets d'application, soit être entièrement neutralisés par le système. Il est aussi important pour ces nouvelles habitudes qu'elles soient acquises non seulement dans la sphère politique de la société mais également dans les sphères culturelles et économiques.

S'ajoute à cela un autre élément. Nous savons tous que nous avons des lois relativement acceptables. Mais combien de ces lois sont vraiment respectées ? Nous avons un Acte de l'Air Pur, un geste émanant de quelqu'un qui s'efforce d'incarner la nouvelle politique. Mais cette même personne admettra rapidement qu'il existe non seulement un manque de ressources mais qu'il n'y a pas même de "volonté politique" (ce qui est une sorte d'habitude découlant des ramifications structurelles) et que garantir la pureté de l'air n'est pas une habitude. Les gens continuent à brûler et donc à émettre des fumées toxiques et les compagnies d'autobus continuent à assurer leurs services à l'aide de véhicules vomissant une pollution en toute impunité, rassurés à la pensée que la police est corruptible. (Encore une mauvaise habitude)

Les habitudes ainsi que les autres aspects comportementaux de la vie sociale sont si prégnants que les sociologies contemporains parlent de “structuration”(3) (en l'opposant à “structure”) pour exprimer de façon plus exhaustive comment des structures justes ou injustes émergent dans la société, entre autre à travers les habitudes et le comportement.

Vous voulez réformer le gouvernement ? Pensez combien les habitudes de millions d'employés du gouvernement à tous les niveaux devront être transformées et vous obtiendrez un aperçu réaliste des raisons pour lesquelles des milliers de Philippins émigrent vers d'autres pays, complètement dégoûtés par leurs perspectives d'avenir dans la société philippine.

Nous avons tous entendu parler du phénomène " ningas cogon "(4) , du feu de paille. Nous nous plaignons tous du phénomène du feu de paille. Mais les feux de paille ne peuvent être dépassés que si nous sommes déterminés à les surmonter et à travailler sans relâche dessus. C'est un travail de transformation qui commence à l'intérieur au niveau individuel et qui doit être poursuivi au niveau du groupe et au niveau de la société. Il nous faut créer des mesures sociétales qui puissent renforcer la conviction et l'intention de faire quelque chose de différent, y compris de subvertir le monde totalitaire du trapo.

Mais la transformation sociétale, considérée sous l'angle comportemental, ne peut pas être réalisée dans la seule sphère politique. Elle doit être entreprise en tandem avec la mobilisation des forces actives de la société que l'on trouve surtout dans les mouvements sociaux et culturels de la société civile. La société politique est le plus souvent aveugle à elle même. Ce qui, bien entendu, est un euphémisme étant donné les conditions qui prévalent actuellement dans notre système politique corrompu et féodal. Il lui faut la présence d'une autre force indépendante dans la société pour résister aux aspects totalitaires de la vie politique et soutenir les tendances plus inspirées dans la politique.

La Raison Epistémologique

A un niveau plus profond, une partie du besoin de ne pas déformer le culturel en politique est enracinée dans les limites de la cognition humaine et sa capacité à réfléchir sur elle-même. Ce ne sont pas des limites ultimes mais ce sont les limites d'un état de conscience ordinaire donné, tel qu'on le trouve généralement au niveau individuel dans les sociétés humaines.

Il existe une preuve très discutée dans le domaine de l'épistémologie mathématique, une branche de l'épistémologie générale, la science qui étudie comment nous connaissons ce que nous connaissons et ce que nous connaissons et les conditions de certitude concernant cette connaissance. Cette preuve mathématique est nommée la preuve de Godel et a été élevée au rang de théorème scientifique (5) . Godel est considéré comme un des plus grands mathématiciens du 20e siècle et fut avec Einstein membre de l'Institute for Advanced Studies de Princeton.

La preuve de Godel consiste en essence à démontrer que les hypothèses d'un système de pensée (ses paradigmes conçus vaguement) ne peuvent pas être vérifiées ou réfutées sur la base des hypothèses et de la logique du même système de pensée ou paradigme. Un paradigme (ou système de croyance) tendra toujours à se renforcer et ne peut pas être vérifié indépendamment à l'intérieur de ce système. Il est nécessaire d'avoir accès à un autre système de pensée, un autre paradigme de la réalité, qui puisse alors évaluer les hypothèses du paradigme en question. (Bien sûr, Godel n'a pas exprimé ceci de cette manière mais je le transpose dans une forme de langage accessible à l'entendement hors de la pensée mathématique).

Si on l'applique au social, pour faire le procès de la vie politique, en incluant les éléments de la nouvelle politique qui peuvent émerger en son sein, nous avons besoin d'accéder à un système de pensée et à un centre de pouvoir indépendants. Ceci est une façon de comprendre l'importance de la re-émergence historique de la société civile telle qu'elle est couramment comprise. Le paradigme de la société civile, différent de celui des institutions dans la politique et l'économie, permet à la société civile de résister effectivement ou d'interpeller l'état et/ou le marché sur des problèmes de bonne gouvernance et de démocratie véritable.

Si donc la société civile se déforme en société politique, la société philippine dans son ensemble n'aura alors pas de point de vue puissant et autonome à partir duquel jauger les actes de la société politique. Bien pis, cela signifie le déclin et la mort de la société civile. En effet, dans des conditions où le pouvoir (le paradigme des institutions dans la politique) constitue la logique même de la politique, la vérité et l'intégrité (le paradigme de la société civile) souffrent, comme cela a été le cas.

Bien entendu, la corruption peut se trouver aussi dans la société civile mais c'est à elle qu'il revient de contrer ses propres excès et échecs. Si la société civile ne parvient pas à le faire elle s'expose à sa propre détérioration en tant qu' espace effectif et indépendant pour faire avancer le bien social. Cette dégradation comprend des aspects comportementaux mais il n'est pas opportun de nous y arrêter maintenant.

D'autres éléments restent à détailler.

Triarticulation Sociale et Transformation de l'Etat-Nation

De toutes ces considérations il ressort clairement que le nouveau mouvement politique ne transformera PAS en soi, ni de lui même, le système politique du pays. Cela exigera la formation parallèle et indépendante d'une société civile nationale ou d'un mouvement socioculturel aspirant avec une passion égale à une bonne gouvernance et à une société meilleure. C'est l'association des deux qui offrira une fondation solide pour de nouvelles Philippines.

Ces deux aspects pris en compte, nous devons aussi envisager d'établir un nouveau mouvement dans le troisième membre de la société philippine, membre d'importance égale, à savoir sa vie économique.

Nous devons critiquer la mondialisation élitaire, la mondialisation gérée par les multinationales, mais nous devons aussi comprendre qu'il y a dans la vie économique des activités essentielles et légitimes dont les sociétés ont besoin. Quelqu'un doit bien produire la nourriture, le logement, les vêtements et autres produits répondant vraiment aux besoins humains. Il nous faut rendre hommage aux entreprises et à tous ceux qui, dans la vie économique, satisfont les besoins économiques selon des approches équitables, viables, durables et intégrées. Nous les connaissons déjà de part notre soutien à l'agriculture viable et intégrée, le commerce vert, et autres. Pourtant nous échouons à faire progresser l'approbation tacite de ce commerce vraiment " vert " au point que nous avons vraiment besoin de créer des réseaux dans la vie économique, des réseaux dans le monde de l'entreprise, qui puissent promouvoir réellement un développement global authentique, viable, durable et intégré.

Nous devons donc former trois mouvements autonomes, un dans la culture, un dans la politique, un dans l'économique, et trouver des façons pour ces trois mouvements autonomes de travailler ensemble en vue d'une transformation radicale de la société philippine. De plus, les relations entre l'économie, la politique et la culture, comme exprimée dans leurs institutions-clé - l'entreprise, le gouvernement et la société civile, devront être abordées dans toutes les discussions ayant trait à une bonne gouvernance.

Cette approche nouvelle peut être nommée : triarticulation sociale appliquée à la transformation radicale d'un état-nation.

Aspects de la nouvelle approche

Nous allons décrire à présent de manière plus détaillée cette nouvelle approche, la transformation des sociétés nationales à l'aide de la triarticulation sociale, comme suit.

Vue d'ensemble

Etablir trois mouvements nationaux, un socioculturel, un autre politique, et le troisième économique. Les trois travailleront à créer un nouvel avenir pour les Philippines. La première phase consistera à établir le nouveau mouvement socioculturel. La seconde phase sera de tisser un mouvement politique issu du mouvement socioculturel et en le détachant de ce dernier. Enfin, la troisième phase sera de tisser un mouvement pour une nouvelle économie, au sein de la sphère économique elle-même, mais en le détachant du mouvement socioculturel.

Les trois mouvements sont indépendants et autonomes les uns des autres. Mais les trois mouvements, grâce à une convergence des points de vue, valeurs et principes, peuvent se connecter les uns aux autres et travailler, là où il est approprié de le faire, les uns avec les autres pour construire les nouvelles Philippines. Ces principes communs peuvent prendre corps dans un document commun aux trois mouvements, ou chaque mouvement autonome peut incarner les mêmes principes dans sa propre charte. La synergie potentielle peut être actualisée par le biais de l'interaction personnelle directe entre les preneurs d'initiatives dans les trois différents mouvements.

Première Phase

Etablir un mouvement socioculturel qui se concentrera sur un développement humain, social et écologique, viable, durable et intégré, y compris une bonne gouvernance. Ce mouvement devra disposer de ressources et de capacités humaines pour mettre en oeuvre le processus de construction de l'adhésion et de la conscience à l'échelle de la nation pour faire naître et entrer en action ce mouvement socioculturel national.

La structure de ce mouvement culturel sera un réseau horizontal d'organisations de membres inter-agissants mais autonomes, situées au niveau du village (barangay), de la ville, petite ou grande. Ces organisations de membres autonomes seront initiées d'abord par un forum permettant d'explorer un éventail d'idées comprenant la situation locale, nationale et mondiale. Ce forum sera ainsi la base du rassemblement de ceux qui veulent former un groupe local enclin à se joindre à d'autres groupes locaux pour former un mouvement socioculturel local, régional et national. Dans tout ceci, le plus important sera l'élément humain, la rencontre réelle d'un être humain avec un autre.

Etant dépendants de leur force et leur nombre, ils peuvent entreprendre de former des alliances provinciales et régionales pour promouvoir leurs aspirations et leurs programmes communs. La force, dans ce contexte, signifie qu'ils aient la capacité de mobiliser les citoyens locaux et d'autres organisations pour aborder les problèmes de gouvernance locale et pour promouvoir un développement, viable, durable et intégré, danstoutes ses dimensions. Qu'ils aient la force de faire le procès des politiciens locaux, des trapos, et la détermination d'être une force créative au sein de leur localité.

Un développement viable, durable et intégré, dans toutes ses dimensions signifie promouvoir les sept dimensions du développement : écologique, économique, politique, culturel, social, humain et spirituel. Cela signifie également d'utiliser la substance et le processus de la triarticulation pour asseoir la viabilité, la durabilité et l'intégration de toutes les données dans ces sept dimensions et leurs interactions complexes (6).

Au moment opportun, ces alliances régionales et provinciales s'entendent pour organiser un mouvement national en faveur des valeurs du développement viable, durable et intégré, dans toutes ses dimensions, y compris la bonne gouvernance. C'est seulement sur la base de ce rassemblement d'initiatives locales autonomes, lesquelles auront été initiées et maintenues par une population locale, qu'il peut exister assez de force pour faire passer ce pays de la démocratie formelle (illusoire) à la démocratie réelle. Ceci est l'achèvement de la première phase.

Dés le départ, le nouveau mouvement socioculturel se formera sur la base des principes déclarés ou principes d'unité et d'une vision différente de la société Philippine. Ceci constituera l'identité du mouvement et sera la base de son programme et de ses activités.

Seconde Phase

La seconde phase consiste à dévider et à détacher de ce mouvement socioculturel national un mouvement politique indépendant et autonome qui entrera directement en politique. En s'établissant, le mouvement politique soit adoptera les principes d'unité ou la charte du mouvement socio-culturel, soit il devra rédiger sa propre charte sur la base des principes d'unité du mouvement socioculturel. Cette étape est essentielle en tant qu'elle constituera la base pour les futures relations stratégiques et tactiques entre les deux mouvements.

Ce mouvement politique sera à l'origine une plus petite formation issue du mouvement socioculturel des groupes de la société civile mais il pourra croître en nombre de façon significative par son propre effet. Les deux mouvements seront bien distincts et indépendants l'un de l'autre. Ils pourront interagir et coopérer l'un avec l ‘autre sur la base des principes d'unité qu'ils partagent mais qu'ils développeront de manières différentes, l'une plus appropriée à la vie socioculturelle, l'autre à la vie politique du pays.

Le dévidage et détachement à partir du mouvement socioculturel ne signifie pas le dévidage et le détachement de certaines organisations de la société civile et leur conversion en organisations politiques. Cela signifie plutôt que des individus du mouvement culturel se retrouvent pour former un ou plusieurs nouveaux partis politiques. Ce sont les individus qui se rejoignent qui composent les organisations politiques et créent le nouveau mouvement politique. Ce n'est pas la conversion des organisations de la société civile en organisations politiques : un tel changement sèmerait la confusion et dévitaliserait la société civile.

Malheureusement, cela s'est produit avec certains réseaux de la société civile et certaines coopératives économiques qui se sont transformés en partis sectoriels, connus sous le nom des Organisations du Parti de la Liste. Ce changement a marginalisé ces organisations et ces réseaux à la fois dans la sphère politique et dans la sphère culturelle d'où ils provenaient. Les commentaires cyniques de beaucoup ont pu être entendus. "La politique lang pala ang tunay na layunin" (La politique et le pouvoir politique étaient tout ce qui les intéressait). Ils se sont simplement servi de la couverture des réseaux de la société civile pour devenir des politiciens.

Le nouveau mouvement socioculturel aura pour tâche de soutenir, à la force des bras et sur la base du cas par cas, le nouveau mouvement politique. Ceci parce que le mouvement socioculturel aura l'autre tâche difficile mais nécessaire de jauger le nouveau mouvement politique qu'il a engendré. Chaque mouvement politique doit rendre des comptes à une société plus large pour pouvoir conserver sa légitimité. Si donc le nouveau mouvement politique s'éloigne des idéaux et principes qu'il partage avec le mouvement socioculturel, les individus et les organisations de la société civile, alliés avec le nouveau mouvement social, doivent alors se charger de contrer leurs anciens collègues.

Troisième Phase

Un processus similaire peut émerger dans la sphère de l'économie. Les individus impliqués dans le mouvement socioculturel peuvent provenir de tous les secteurs de la vie sociale. Lorsqu'il y a assez d'individus dans le mouvement socioculturel qui s'intéressent suffisamment à la création concrète de nouvelles entreprises et/ou de nouveaux réseaux entre les entreprises alignées sur les idéaux et les principes du nouveau mouvement socioculturel, ils peuvent alors faire naître et se détacher un mouvement économique. Un processus de relations similaires peut se produire entre les trois mouvements, comme expliqué précédemment dans le cas des mouvements socioculturel et politique.

Ces relations, dans le contexte d'une bonne gouvernance, signifient que les trois mouvements doivent avoir des idées éclairées, la force du nombre, et les relations pour assurer la mobilisation simultanée et coordonnée, bien qu' indépendante, des trois mouvements en direction des objectifs d'une vraie démocratie. Le prix à payer pour la démocratie est une vigilance éternelle de tous ses citoyens et ses institutions clé.

Le concept radical de “dêmos”, la racine de la démocratie, est une individualité libre, créative socialement et spirituellement qui est la fondation de toute démocratie véritable. Le concept d'égalité en démocratie signifie la mise en place d'un environnement de mesures appropriées pour favoriser ce sens de l'éveil individuel radical qui inclue une passion pour la création d'une nouvelle politique pour la société.

Les trois mouvements clé peuvent coopérer à la mise en place du vrai "dêmos" aux Philippines. Le mouvement socioculturel favorisera et fera progresser les coeurs, les esprits, et les pieds du "dêmos". Le mouvement politique, à partir de ces nouvelles habitudes, transformera l'idéal du "dêmos" en réalité dans la politique du pays. Le mouvement économique fournira le support nécessaire, non-manipulé par des ficelles, au renforcement culturel de l'éthique du "dêmos". Cette éthique prévaudra ainsi sur le domaine des affaires afin que la tentative de démocratie véritable ne soit pas subvertie de la façon habituelle, c'est à dire la subversion de la gouvernance par les moyens économiques.

Une Autre Approche

Ceci est simplement une approche possible. Selon les ressources, l'engagement et le nombre de départ, les trois mouvements peuvent être créés simultanément. Aux Philippines, le groupe qui a lancé le nouveau mouvement social pour transformer la société philippine a décidé de lancer le mouvement socioculturel et le mouvement politique simultanément. Le moment où le troisième membre, le mouvement pour le renouveau économique, émergera aussi de la force des deux mouvements, peut être anticipé. Le processus entier de transformation de la société philippine atteindra alors un autre niveau d'expression.

Une Vision : L'Etat-Nation Transformé

Quand trois mouvements nouveaux émergeront, il n'y aura alors plus de force dans les centres de pouvoir traditionnels de l'état nation qui puisse résister à leur force pour le bien commun. Les vieilles pratiques s'évanouiront. Les institutions se transformeront radicalement de l'intérieur, soutenues ou pressées par l'extérieur. L'état ne pourra plus être le cheval de Troie de la dictature de fait des institutions mondiales et d' accords tels ceux de l'OMC. Plus et plus le "dêmos" véritable opérera et l'état nation deviendra l'expression des idéaux les plus élevés et de l'excellence de son peuple.

Le Futur

Dans un futur proche, le nouveau mouvement socioculturel va se lancer publiquement et formellement. Dans un prochain article, j'apporterai les détails de ce lancement comprenant une description détaillée de son "Kartilya" ou principes d'unité.

Notes

(1) “Trapo” est l'acronyme philippin pour "politicien" traditionnel. C'est aussi le terme philippin pour " chiffon ", un matériau facilement contaminé par la saleté.

(2) Voir, Nicanor Perlas, “Globalization, Post-materialism, and Social Threefolding” dans www.globenet3.org

(3) Les divers travaux d'Anthony Giddens illustrent ce fait. Cependant Giddens n'est apparemment pas en mesure de mettre en pratique ses concepts de structuration telle qu'elle se manifeste dans la politique problématique du Premier Ministre d'Angleterre, Tony Blair. Giddens est un conseiller politique de Blair.

(4) “Nigas cogon” est une expression Philippine pour designer la tendance à commencer quelque chose sans jamais l'achever. Elle provient de la consummation rapide par le feu du “cogon”, une herbe du pays. C'est un peu l'équivalent de " a flash in a Pan " en anglais.

(5) Voir le livre de Hofstadter intitulé " Godel, Escher, and Bac"

(6) Pour plus de details, voir Perlas, Nicanor. 2001. Shaping Globalization : Civil Society, Cultural Power, and Threefolding. Edité en France par les Editions Yves Michel, traduction Anne Charrière, sous le titre : La société Civile : un 3ème pouvoir-changer la face de la mondialisation, 2003.


Traduction bénévole de Sylvette Escazaux, réseau atos-gn3, 21 Juin 2004 du texte original What Would it Take to Change a Nation State ? de Nicanor Perlas Lire l'article en anglais sur le site Globenet3