Initiative ou représentativité ?


Communication

Avant une petite pause estivale, le comité de la SAF, a envoyé récemment un troisième communiqué (***) aux membres où on peut voir poindre un certain déplacement du propos initial devant les vagues suscitées par un communiqué d'abord public sur le site de la société et seulement ensuite adressé aux membres (bulletin). Ce communiqué essaye de justifier, a posteriori ,l'initiative prise par des impossibilités à espérer obtenir justice contre une diffamation a l’égard de l'anthroposophie, ainsi que par avoir été sollicité par des personnes ayant a faire, semblerait-il, à des situations qui permettraient un signalement a la Mivilude. Si je comprends bien, dans le premier cas les avocats consultés conseilleraient d'avancer plutôt sur le terrain de la "com", et dans les seconds, l'idée serait d'instituer une possibilité de faciliter de telles réclamations. Il semble aussi que le comité affirme que tout cela vise principalement une nécessité de communication qui, croit-on, modifierait l'image que se feraient certains de l'anthroposophie. Réalité ou dogme ?


Maladresse ?

Mais ça me donne quand même aussi un peu l'impression de vouloir ainsi minimiser ce qui, par certains, aurait pu être vécu comme un appel à se signaler entre membres (à une époque où le législateur lui-même semblerait vouloir pénétrer jusqu'aux conversations privées pour lutter contre le racisme - si j'ai bien compris - mais quand même pas encore contre le dogmatisme !). Mais peut-être que ce qui gêne donc certains n'est pas encore bien clair au comité, comme peut être d'ailleurs à ceux qui le sont et désapprouvent. En effet, il semble ne pas y avoir eu beaucoup d'interventions vraiment élaborées (en tout cas à ce que permet d'en juger un système de communication interne encore passablement "fermé" voire "filtré").

Dans un certain sens ce n'est pas étonnant, car au fond on peut comprendre ce qui se passe comme la conjonction de plusieurs problématiques que tout le monde ne maîtrise pas vraiment dans notre mouvement, et particulièrement dans notre pays. Nous sommes en quelque sorte un peu tous dans une situation comparable à des conducteurs de véhicules de tourisme, qui auraient accepté la cooptation d'une nouvelle équipe de chauffeurs ayant déjà conduit des camionnettes, mais cette fois-ci pour conduire un camion, dont, en plus, on aurait égaré la notice d'origine.


Confusion de deux réalités sociales ?

La société anthroposophique internationale telle que prévue tout le long de l'année 1923 (voir à ce sujet : L'ÊTRE VIVANT DE L'ANTHROPOSOPHIE ET SON SOIN , GA259) qui semble devenue "générale" ou "universelle"au Congrès de Noël ou un peu plus tard, est une construction sociale innovante, dont la traduction dans le droit d'un état unitaire n'allait pas de soi. De plus, il fallait aussi harmoniser l'héritage du passé avec la nouvelle impulsion. Cela n'a malheureusement pas pu être achevé en présence de R. Steiner (et ce n’est d’ailleurs pas encore vraiment réglé depuis :  http://www.triarticulation.fr/pdf/HistoConstSAU%20au%2020220403F.pdf ).

Pour le dire simplement, l'étude soigneuse de tout ce qu'il développa en science sociale durant les 4 années de son engagement public pour une triarticulation sociale, permet quand même assez facilement de comprendre qu'il lui fallait faire cohabiter dans une même forme deux réalités sociales qu'il présentait peu de temps auparavant comme quasi "polaires"(au sens de contraires tous deux positifs) :

- une pure vie de l'esprit, si possible libre où prévaudrait la libre reconnaissance d'autorité sujet par sujet et la libre consultation mutuelle (pour le dire le plus simplement possible, mais il caractérise cela de manière bien plus différenciée que je ne le fais)

- et une vie de droit (ou peut être même économico-juridique compte tenu de l'absence de triarticulation sociale) forcément adossée à la législation élaborée au sein de l’État et cela avec toute la problématique de ce qu'il a dit de l'inapproprié de la démocratie en ce qui concerne les besoins d'une vie de l'esprit même moderne (Un sujet particulièrement difficile pour nous français, créateurs de l'idée même d'État-nation adossé de plus, par la suite et jusqu’à aujourd’hui encore, à un système scolaire centralisé).

Il est intéressant qu’on trouve encore trace de cette tension (nécessaire et qui, sous conditions, peut être féconde) dans, par exemple, les souhaits de la direction actuelle de l'Université au Goetheanum de voir rejeter les motions visant à subordonner, l'entrée d'un nouveau collaborateur au vote de l'AG.

Si je ne me trompe pas, nous avons aussi ces deux aspects à la SAF, mais dans une réalité de tâches toute autre (en réalité pas d'hébergement  d'activités permanentes de l'université) et un cadre juridique d'association loi de 1901. Là aussi pour le dire rapidement, un comité se renouvelle par cooptation et se soumet à l'assemblée des présents. Et ce n'est donc même pas vraiment une délégation républicaine. Pour moi, une sorte de comité d'initiative auquel il est fait confiance pour la gestion des affaires courantes et faire aussi des propositions aux membres. Mais qu'en est-il de la représentativité vers l’extérieur ? Où s'arrête nécessairement l'initiative et quelles seraient les conditions d'une représentation (alors nécessairement démocratique, ou bien ?) qui, elle, est généralement prêtée par les interlocuteurs extérieurs et le public qui ne connaissent pas notre spécificité en ce domaine, et donc nous comprennent sur base de l'application ordinaire du statut de 1901, c'est-à-dire croient généralement avoir à faire à des administrateurs élus par l'assemblée générale et donc représentatifs, tels des parlementaires ?

Dans des plus petits groupes comme le collège d'une école, cette problématique "aristocratique" possiblement favorable à une vie de l'esprit, est régulée par un rythme soutenu de sessions de travail, souvent hebdomadaire, où chacun peut être régulièrement consulté ou rapidement faire valoir qu'il ne l'a pas été. Même dans le cadre de délégations républicaines qui doivent laisser un peu tranquille le délégataire pour qu'il puisse agir librement, on peut quand même parfois interroger si on trouve qu'il ne consulte pas beaucoup. Mais les membres de la SAF peuvent être a plus de 1000 km les uns des autres… et la communication interne ne s'est toujours pas dotée des moyens modernes correspondants.Non seulement ce qui serait démocratie, ne fonctionne pas vraiment, mais pas non plus l'échange des questions, recherches et éventuelles productions de l'esprit !

La question des principes :

Ce troisième communiqué semble aussi s'interroger sur pourquoi la réaffirmation de principes qui ne sont pas nouveaux et connus de tous soulèverait autant de réticences. Pour ma part, je m'étonne et m’interroge sur cette (fausse?) naïveté. Ce ne sont pas les principes eux-mêmes qui peuvent éveiller jusqu'à une indignation (justifiée ou non n'est pas encore ici la question), mais bien quelque chose qui pourrait être interprété comme un passage de principes de vie de l'esprit proposés à la liberté de chacun, comme autant de lignes directrices pour s'orienter intérieurement dans la vie extérieure, en un contrat quasi juridico-économique (pour ne pas oublier la cotisation) que chacun signerait en devenant membre et pouvant faire ensuite non l'objet de remarques fraternelles, mais potentiellement de jugement et de sanction. On semble ne pas le voir… et pourtant, il me semble bien pouvoir dire : ne passerions-nous pas d'une dynamique de vie de l'esprit à celle d'une vie de droit ? En toute inconscience ? Et mesure-t-on correctement leur antagonisme ? Les rapports totalement différents qui leur correspondent ? Et parce que la vie de droit dans la société d'ensemble (chaperonnée actuellement par l'état) repose avant toute élaboration (à laquelle nous ne sommes pas tous formés) sur le sentiment de justice (d'abord conscience de rêve), je peux bien comprendre les malaises que peut susciter ce passage entre domaines (qu'il faudrait pourtant bien distinguer).
De plus, une institution se vouant à accueillir indépendamment de toute opinion chaque recherche individuelle, ne se contredit-elle pas elle même en tentant  en quelque sorte "
de se faire justice elle-même" plutôt que d'éclairer par les talents la libre vie de l'esprit ? (****)
Et c'est peut être ce talent qui fait aujourd'hui défaut. Ou au moins, n'y croit-on plus ?

Là, à ce stade, pourrait être intéressant de se transposer un peu plus intensivement dans le temps de leur élaboration en commun.

Le Congrès de Noël.

Dans sa structuration même, il nous donne une piste sur ce qu'ils sont vraiment. L'emploi du temps alterne ces débats pour leur mise en place avec ce que nous appelons : la pose de la Pierre de fondation. Là, par l'esprit/la pensée, on pose dans le cœur. Et que pose-t-on au juste ? Trois strophes permettant de se saisir intérieurement de notre triarticulation a chacun avant d'évoquer un vouloir commun. Pourrait-on aller jusqu’à dire "social" ?

Étrange non ? Pendant quelques jours on alterne méditation (intérieur, privé) et principes (extérieur, pas encore de fait public, mais déjà bientôt mentionnés comme tels). Mais a-t-on pour autant légiféré, posé une loi même "au cas où" ? (*) Quelqu'un se sentant lésé par un autre pourrait-il demander justice ?

A-t-on institué la moindre commission d'enquête, le moindre tribunal, la moindre modalité de jugement et nommé des juges ?

Il ne me semble pas. On est bien resté dans la refondation d'une vie de l'esprit partagée ou à partager alors que quelque mois auparavant, RS conseillait aux "jeunes" de Stuttgart (en fait ils étaient de tous les âges !) qui après bien des médiations insistantes de Steiner n'arrivaient toujours pas a s'entendre avec les anciens du "système de Stuttgart", de fonder une "société anthroposophique libre". Il y avait donc là-bas, juste avant Noël 1924, 2 sociétés anthroposophiques et une fédération pour une vie libre de l'esprit (ancienne Fédération pour une triarticulation sociale). Trois formes juridiques et groupes distincts donc, qui retrouvaient alors un chemin commun, "universel", général ? (Notons au passage, si j'ai bien compris, que durant 1923, la société a fonder le serait par agglomération des sociétés nationales à un même centre. Ce qui n'est "spirituellement" pas tout a fait la même chose que ce que permettent juridiquement les droits des États-nation respectifs. Avec le temps, une conception n'a-t-elle pas remporté sur l'autre dans les consciences ?)


Conclusion provisoire

Voilà pour l'instant. Dans l'ensemble, nous sommes pour la plupart des "gentils", de bonne volonté. Peut-être un peu devenus trop proches de notre confort. Y compris dans l’intérêt que nous portons a l'impulsion où nous nous sommes en quelque sorte installés. Mais nous dérangeons quand même certains intérêts dont il est difficile de dire s'ils commencent à être aux abois ou deviendraient encore plus gourmands. Et cela dans un monde où la "Comm", même celle de "bashing" est devenue affaire de quantité, et d'argent. Passablement "idéalistes", nous abandonnons peut-être un peu trop facilement les clefs du camion a une confiance facile, et en retour, il est compréhensible que les quelques rares bonnes volontés se rendent la vie plus facile avec les flous ou lacunes dans la compréhension de notre institution (les deux principaux systèmes de "management" issus depuis un siècle du mouvement anthroposophique n'ont encore que des références très superficielles à celui de Steiner, et l'idée même des nécessités anthroposophiques de telles approches est encore très peu présente chez la plupart).

J'ai donc tenté d'apporter une petite contribution supplémentaire à partir du travail de documentation que j'ai qualifié plus haut de "notice originelle". Comment ne pas penser en la circonstance à tout ce qui fut développer là, juste avant, quatre ans avant comme de vivants nouveaux concepts pour le vivre ensemble ?

À ce sujet, je prie le lecteur pour une certaine indulgence, il y a là trop de science pour prétendre l’étaler, je ne peux encore qu’en témoigner : parmi les francophones encore très peu nombreux sont ceux avec qui je peux en parler et passer du travail solitaire aux nécessaires échanges qui affirmeraient ou corrigeraient les compréhensions proposées ici. Avec les germanophones, c'est différent. En effet, j'en trouve quand même plus facilement qui peuvent valablement discuter de la "notice" (**)… malheureusement, ce qui leur manque le plus souvent, c'est une connaissance suffisante de notre pays, de sa vie et de ses institutions. Difficile alors de confronter la compréhension de la notice… au camion. Et leur camion, n'est pas forcément le notre.

François Germani, 18/08/2024

(*) C'est Steiner qui semble insister sur ce caractère de toute loi. C'est une des raisons parmi plusieurs autres qui me permet de penser qu'en quelque sorte lorsqu'on institutionnalise autour de principes on ne fait pas la même chose qu’institutionnaliser des principes en loi. Et ce serait peut être une façon supplémentaire de distinguer entre vie de l'esprit éternelle dans la société terrestre et vie de droit, elle purement présente et terrestre.

(**) Environ quand même 43 volumes pour Steiner, sans compter les travaux d’autres auteurs ultérieurement (voir Œuvre complète en science sociale sur notre site : www.triarticulation.fr)

(***) Nous ne le reproduisons pas ici, le statut de son envoi aux membres ne nous étant pas clair.

(****) Steiner par exemple ne souhaitait pas réprimer "le cinéma par la police" - un peu comme les tentatives de limiter le temps d'expositions aux écrans ?-, ni certains besoins de luxe par l'économie (ce dernier cas à pondérer cependant par le "jugement collectif économique").