Université libre de science de l'esprit

Institut pour une triarticulation sociale
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Johannes Kiersch - L’ÉSOTÉRISME INDIVIDUALISÉ DE RUDOLF STEINER AUTREFOIS ET MAINTENANT
À propos du développement de l'Université libre pour la science de l’esprit   retour au sommaire

 Ce chapitre est traduit par Vincent Choisnel

 6. Les premiers « intermédiaires »

  Ce que Rudolf Steiner a présenté dans les leçons ésotériques de l’Université Libre de Science de l'Esprit était, comme il n’a cessé de le souligner, la révélation directe du monde de l’esprit. Sans doute n’était-il actif lors de ces leçons, tel qu’ilse percevait lui-même, qu’à titre d’auxiliaire s’effaçant complètement lui-même. Il apportait sous la forme de paroles et d’images terrestres ce qui lui était offert d’en haut et il le transmettait sans altération à ses auditeurs. Mais dans le même temps, comme nous l’avons montré au cours de notre relation des événements jusqu'en mars 1925, il développait les formes de travail de l'université et par là-même aussi celles de la Première Classe, pas à pas avec une grande précaution, à partir des observations qui résultaient pour lui de la coopération apportée par les êtres humains qui y prenaient part. Même les « Statuts » de la Société anthroposophique universelle à refonder, qu'il présenta pour prise de décision au congrès de Noël 1923/24, un document de principes formulé avec une extrême minutie, ne devaient être conçus à ses yeux que comme une sorte de « récit » 263, comme une description modifiable à tout moment de ce qui naissait d’une façon toujours nouvelle de la symphonie active du« centre » et de la « périphérie ».

263 06/02/1924, GA 240, p. 236 ; 16/04/1924, GA 260a, p. 212 ; 18/04/1924, GA 270/1, p. 146s.
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 C’est ainsi sans doute que pendant la constitution de la Première Classe en 1924, il veilla à ce que soient également pris en compte les membres de l’université qui ne pouvaient pas participer aux leçons données à Dornach. Tout comme lors de la constitution de l’École ésotérique au début du siècle, c’est tout d’abord sur le travail personnel de méditation que se consacra toute son attention. Rudolf Steiner, en sa qualité de directeur souverain de l’université, a chargé, sans aucune concertation ni prise de décision formelle du collège de l’université, une série de personnes qu’il considérait comme appropriées et à qui il pouvait faire confiance de transmettre les mantras introduits lors des leçons de classe données à Dornach à des groupes locaux de membres de l’université, de veiller au respect des règles strictes fixées pour la fréquentation des mantras, et en outre aussi de lui communiquer, à lui ou le cas échant à Ita Wegman, de nouvelles demandes  d’admission à l’université avec l’avis approprié. Des prescriptions supplémentaires devaient encore être trouvées à ce sujet au fil du temps – ce qui n’eut plus l’occasion de se faire par la suite264.

La façon dont cela aurait pu se passer est illustrée par les explications de Rudolf Steiner qu’il publia dans la feuille d’informations de la Société Anthroposophique en avril 1924 à un moment où la progression de la Première classe était déjà bien avancée – on était arrivé à la sixième leçon. Il y écrit à propos de l’université libre : « Cette institution ne peut pas se constituer à partir de réflexions abstraites venant ‘d’en haut’. Elle doit naître ‘d'en bas‘, à partir des besoins de nos membres. » En ce sens, le comité directeur au Goetheanum avait à mettre « en accord » les diverses initiatives de la Société anthroposophique. Il n'avait pas à agir« ‘d’en haut’ d'une façon unilatérale, comme une autorité », à agir comme « disposant de » mais comme « conseillant », et cela valait particulièrement pour tout « ce qui doit être fait pour l'Université Libre de Science de l'Esprit » 265. C’est ainsi que de façon exemplaire à Stuttgart, au moment même où Lili Kolisko a commencé quelques semaines auparavant, avec sa permission, à lire au collège des professeurs de l'École Waldorf ses transcriptions des leçons données à Dornach, Rudolf Steiner s’efforce d’encourager une initiative voisine avec une attention bienveillante.

264 Voir en particulier à ce sujet l’article de Rudolf Steiner dans la feuille d’informations (Nachrichtenblatt) du 17/02/1924 (également in GA 260a, p. 143s). Selon Guenther Wachsmuth, Rudolf Steiner aurait eu l'intention « après un certain temps, d'envoyer des lettres circulaires aux membres de l'université dans lesquelles les contenus des leçons de classe devaient être transmis sous une forme appropriée »(Wachsmuth à Andreas Körner, 04/06/1924. Archiv Goeth.). Voir aussi la remarque de Rudolf Steiner à ce sujet dans la leçon de classe du 18 avril 1924 (GA270/1, p. 149).
265 : Nbl., 06/04/1924. Également in GA 260a, p. 159s, et ici même à l’Annexe 1.
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  « Un autre groupe de personnalités qui aspire à une transmission de ce genre est en cours de formation ici à Stuttgart. N'est-ce pas, M. Arenson ? (M. Arenson se lève et dit ‘Oui’.) Et si de tels groupes se forment dans les prochains temps, alors on fera le nécessaire du côté de Dornach pour trouver les communications et les transmissions correspondantes » 266. La mention qui en est faite incidemment, dans le protocole d'où cette remarque est tirée, montre clairement avec quelle circonspection Rudolf Steiner, pendant ces premières semaines de développement de l'université, était à l’écoute des initiatives « d'en bas », avec quelle attention bienveillante il saluait de telles initiatives, et combien il n’a en aucune façon mandaté de son propre chef de nouveaux « transmetteurs », mais en même temps attendu que des groupes d'anthroposophes engagés puissent prendre eux-mêmes l'initiative et s’adresser à lui en conséquence. Tout en manifestant clairement qu'il n'est pas enclin à prendre en compte dans le cadre de ces missions les vanités et les ambitions personnelles.

            À tout le moins Marie Steiner et Ita Wegman avaient tout à fait remarqué que des personnes individuelles avaient été chargées de la communication des mantras. Probablement en 1926, Marie Steiner a noté pour elle-même « ce qu'il a lui-même indiqué comme ligne directrice pour le travail des groupes qui voulaient faire ensemble intensément l’expérience des sentences mantriques. La personnalité qui prononçait les mantras devait élaborer pour elle-même ce qu'elle avait à dire permettant de se relier à ces paroles. Il voulait donc une sorte de travail autonome sur ces sentences, naturellement sur la base du trésor de sagesse qu’elle avait reçu. Mais avant tout l’expérience vécue des sentences elles-mêmes. » 267 Et Ita Wegman écrit à Albert Steffen en mars 1926 que Rudolf Steiner avait certes refusé de donner la permission à quelqu'un d'autre que Mme Kolisko de lire les transcriptions des leçons de classe, mais que : « Assurément, le Docteur adonné la permission à quelques personnalités en qui il pouvait avoir confiance de prononcer les mantrams devant les membres de la classe et de donner quelques explications à ce sujet ».268

Cependant, l’activité discrète des premiers « transmetteurs »269 était, semble-t-il, conçue par tous ceux qui y participaient comme une mesure provisoire.

266 Extrait du protocole d'une discussion avec des personnes de confiance à Stuttgart le 10/01/1924, GA 260a,p.480.
267 Extrait du cahier de notes n° 20, GA 270/1, p. XIII Voir annexe 8.
268 IW à Steffen, 16/03/1926, EZ III, p. 66.
269 Cette dénomination a sans doute été utilisée pour la première fois parHelga Geelmuyden dans ses lettres à Marie Steiner. Voir ci-dessous, chapitre 6.4.
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 Aucune investiture solennelle ni aucune dignité particulière n’y était associée. Celui qui n’était chargé de la manière décrite n'était connu dans cette fonction que dans son entourage immédiat. Il n'y avait aucune communication supra régionale entre les participants. On s’entendait sur d’éventuelles questions ou problèmes presque exclusivement directement avec Rudolf Steiner. C'est la seule façon de comprendre qu'après la mort soudaine et inattendue de Rudolf Steiner, l’activité des premiers transmetteurs inaugurée par lui ait été complètement marginalisée, aussi bien parmi les personnalités dirigeantes de l'université qu’au sein de ses membres. Une appréhension et une poursuite conséquentes de cette activité sans éclat et silencieuse dans tout de même bon nombre d’endroits du monde en dehors de Dornach auraient-elles éventuellement conduit à des développements complètement différents de ce qu'ils sont devenus ensuite ? Quelle existence complètement différente aurait pu éventuellement se déployer dans les structures de l'université, si les ésotéristes institués par Rudolf Steiner à la « périphérie », à tant d'égards compétents et fortement engagés, avaient pu entrer en contact plus étroit les uns avec les autres et s'ils avaient été considérés plus attentivement au « centre » avec leurs initiatives et pris au sérieux en tant que collaborateurs ? Au vu de telles questions, il semble d'une importance non négligeable d'examiner en détail l’action très discrète des premiers « transmetteurs », dans la mesure où des traces en ont été conservées jusqu'à ce jour270. Il ne s'agit là aucunement d'un épisode historique marginal, comme nous le verrons, mais d'un vaste spectre d'activités novatrices, qui est peut être beaucoup plus proche des intentions originelles de Rudolf Steiner que ce que l’on pouvait supposer jusqu'à présent.

270 : Les passages des textes cités à cette occasion sont rendus ici dans leur version originale, sans réécriture stylistique ou orthographique. Les soulignements apparaissent en italique, les ajouts de l’auteur entre crochets. Pour des raisons de lisibilité, l’action ultérieure des premiers« transmetteurs », au-delà des années 1924/25,  est également prise en compte.
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 6.1 Lili Kolisko

Lili Kolisko (1889-1976) fait partie des pionniers d’une recherche scientifique naturaliste renouvelée par l’anthroposophie. Avec ses investigations sur les effets d’entités infinitésimales, elle a travaillé, guidée pendant des années par Rudolf Steiner et fortement appréciée par ce dernier, au développement de nouvelles méthodes inédites pour comprendre le vivant en rapport avec le cosmos.271 De concert avec son compagnon Eugène Kolisko, le premier médecin scolaire du jeune mouvement Waldorf, elle prit en même temps une part active aux événements marquant le destin de la Société Anthroposophique Allemande, tels qu’ils se concentrèrent à Stuttgart à partir de l’année des campagnes pour la tri-articulation en 1919. Lorsqu’elle put assister à Dornach aux premières leçons de classe données en février 1924, elle demanda à Rudolf Steiner la permission de pouvoir prendre des notes pour transmettre les contenus à des membres de l’Université à Stuttgart. Revenant plus tard sur cet événement mais sans doute sur la base de ses carnets (journaux personnels) qui ne sont malheureusement pas accessibles jusqu'à présent pour la recherche, Lili Kolisko écrit à ce sujet : « Après avoir assisté [teilgenommen, littéralement : participé ; ndt] à la leçon, je fus extrêmement impressionnée et je me posai la question : Qu’en est-il de tous les autres membres qui ne vivent pas à Dornach et par conséquent ne peuvent pas entendre quelles grandioses communications sont données ici par Rudolf Steiner ? Ne pourrait-il pas y avoir une possibilité de rendre le contenu de ces leçons accessible à d’autres membres. Je m’adressai à la secrétaire de la Société, madame le Dr. Ita Wegman, avec ma question. ‘Ah oui, comment voyez-vous cela ?’ me fit-elle et je répondis que l’on pourrait peut-être en donner un compte-rendu à au moins un petit cercle à Stuttgart, peut-être un cercle comme le ‘Cercle des trente’. Madame Wegman promit d’interroger Rudolf Steiner à ce sujet et Rudolf Steiner ensuite me fit appeler. Je veux restituer cette entrevue autant que possible mot pour mot. Rudolf Steiner me dit : ‘Madame le docteur Wegman m’a fait part de votre intention de transmettre les leçons de classe à un cercle de membres. Cela m’est très sympathique. Mais pourquoi faut-il que ce soit le ‘Cercle des trente’ ? Le ‘Cercle des trente’ n’est pas une institution avec laquelle je peux travailler ésotériquement.’ Je répondis à cela que je n’attachais pas une importance particulière au ‘Cercle des trente’, je n’avais mentionné cette institution que pour exprimer mon souhait de pouvoir au moins transmettre le contenu à un groupe de personnes plutôt restreint. Sur ce, Rudolf Steiner poursuivit : ‘Ne voudriez-vous pas le transmettre au collège des professeurs de l’école Waldorf ?’ J’y étais bien sûr volontiers prête et Rudolf Steiner promit d’établir aussitôt les cartes de membres nécessaires pour l’ensemble du collège.

271 Christiane Haid, in: Plato 2003.
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C’est ainsi que commença ce dispositif destiné aux enseignants de Stuttgart. Rudolf Steiner me demanda si je voulais le faire ; et j’ai accepté sa proposition avec joie. Cette mission impliquait que je me rende chaque semaine à Dornach pour participer aux conférences destinées aux membres et aux leçons de classe. Il y avait évidemment pour moi pléthore de questions concernant cette transmission. Je ne me considérais pas comme capable de restituer avec mes propres mots le contenu des leçons et je demandai à Rudolf Steiner s’il me permettrait de prendre des notes. Il me donna son autorisation bien qu’il ne fût permis autrement à personne de prendre des notes. Je dis expressément : ‘personne’ »272 Le collège des professeurs de l’école Waldorf, lors de la première visite de Rudolf Steiner après le Congrès de Noël, quelques jours avant le début des leçons, à l’occasion de la réunion d’une conférence prolongée avec lui, s’était efforcé de clarifier la situation de l’école Waldorf en tant qu’institution par rapport à l’Université de science de l'esprit nouvellement fondée et avait demandé dans sa quasi-totalité son admission à la première classe.273 Le cercle comptait dans les premiers mois environ soixante participants, y compris quelques personnes invitées.

Dans une lettre à Ita Wegman, Lili Kolisko fait état de profonds effets sur la cohésion psychique et spirituelle de ce jeune collège d’enseignants. Les leçons de classe avaient « ceint un lien étroit autour de tout le collège ». Rudolf Steiner pour sa part lui avait dit : « Le collège doit former un noyau d’où quelque chose peut ensuite rayonner. » Elle croyait que maintenant, ce noyau se formait et apparaissait « avec de plus en plus de force ». « Vous saurez en effet sans doute aussi », poursuit-elle, « que presque chaque dimanche après l’Acte [de célébration de l’enseignement religieux chrétien universel] a lieu une rencontre des professeurs anthroposophes. Là aussi souffle à travers la salle quelque chose de nature à vous combler de satisfaction. Beaucoup de questions peuvent être discutées maintenant que l’on n’aurait pas encore pu discuter avant Noël.

272 Kolisko 1961, p. 90s. Kolisko ne tient pas compte ici du fait que Hélène Finckh avait été chargée par Rudolf Steiner d’enregistrer en sténographie la teneur des leçons de classe (cf. les explications in GA 270/1).
273 Conférence du 05/02/1924, GA300/3, p. 116. C’est de cette conférence que proviennent les phrases célèbres de Rudolf Steiner : « Le congrès de Dornach était le second terme d’un jugement hypothétique. Le premier terme s’énonce : Si les anthroposophes le veulent, on fera telle ou telle chose à partir de Dornach… » (p. 111).
274 G.u.V. [réunion des secrétaires généraux et des comités directeurs des sociétés nationales], 25/04/1930, p. 88. Goeth. Archiv.

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Quelque chose se dégage ainsi petit à petit du chaos qui est puissant de vie ».275 Des effets en profondeur, Lili Kolisko en ressent aussi en elle-même. « J’aimerais volontiers vous raconter », écrit-elle encore à Ita Wegman, « combien mes rapports avec les enseignants ont pris une forme étrange depuis qu’il m’est permis de donner ces exposés. Il ne se passe pas une nuit sans que je rêve d’un membre ou d’un autre du collège. Même des personnes par ailleurs lointaines pour moi apparaissent. En Hollande m’apparut en songe toute la conférence [de Stuttgart] par exemple dans la nuit de mardi à mercredi. C’est le mardi soir qu’elle a lieu et je me fis confirmer que j’avais vécu un véritable reflet de la conférence. Un songe tout à fait étrange m’apparut la nuit précédente, en compagnie de Mme Steiner, Mlle Haebler et Mlle Mellinger. Cela semblait se référer à des vies terrestres antérieures. »276

Au mois d’octobre 1924, Lili Kolisko a terminé un premier cycle complet jusqu'à la dix-neuvième leçon.277 Elle se pose alors à nouveau la question dont elle a déjà antérieurement discuté avec Ita Wegman si, dans le cas d’une répétition, on ne devrait pas inviter si possible toutes les personnes membres de la classe à Stuttgart. On pourrait maintenant, écrit-elle à sa vénérée amie, « bien aboutir à une union ».278 Entend-t-elle par là que les membres de Stuttgart admis par la direction de l’Université n’appartenant pas au collège Waldorf sont supposés y être conviés, ou bien s’agit-il d’une union avec le cercle de l’université dirigé par Adolf Arenson (cf. infra chapitre 6.3) ? En tout cas, Ita Wegman approuve volontiers, probablement avec le consentement de Rudolf Steiner.279 « C’est un immense présent qui est fait par là à tous les membres de Stuttgart », lui écrit Kolisko en retour. « Je crois que tout Stuttgart va respirer, comme délivré d’un lourd cauchemar, lorsqu’on apprendra que cette permission a pu être donnée.

275 L. Kolisko à IW, 2.11.1924, Archives Ita Wegman.
276 Ibidem.
277 Elle semble s’être tout d’abord appuyée ici sur ses propres transcriptions partiellement incomplètes (v. à ce sujet les indications in GA 270/1, p. 202). Un an plus tard, elle écrit à Ita Wegman : « Je vous envoie ici la 1ère et la 3ème leçon de classe, j’ai besoin de la quatrième ce jeudi. Veuillez avoir la bonté de me dire quand vous avez besoin de la quatrième et de me faire parvenir éventuellement la 5ème » (Lili Kolisko à IW, 07/07/1926, Archives Ita Wegman). Elle a donc sans doute utilisé, à partir de son troisième cycle de lecture, les transcriptions d’Hélène Finckh prêtées par Ita Wegman.
278 L. Kolisko à IW, 17/10/1924, Archives Ita Wegman.
279 IW à L. Kolisko, 29/10/1924, Archives Ita Wegman.

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Le jeudi 13 novembre, elle veut commencer à la Landhaustraße, dans les locaux de la branche de Stuttgart.280

Compte tenu des tensions interpersonnelles parmi les membres de Stuttgart, il est remarquable que l’extension de l’activité de lecture de Lili Kolisko que cela entraîna ait été soutenue par tous les groupements existants. Carl Unger annonce le soir de la branche, Landhausstraße 70, que les lectures commenceront le jeudi 20 novembre.281 Il en est même fait mention à la branche Michaël (branche Kerning auparavant).282 Dès la première leçon, ce sont donc 174 participants qui affluent, parmi eux Carl Unger avec sa femme, Emil Molt, Friedrich Rittelmeyer, Emil Bock. Des invités extérieurs ne cessent de venir, parmi lesquels Ludwig Polzer et Moritz Bartschs à la quatorzième leçon, Marie Steiner aussi avec des amis de Dornach. La liste des participants conservée aux Archives du Goetheanum recense en tout nommément 397 personnes.

Lili Kolisko lisait chaque semaine, de sorte qu’au début de l’été 1925, un premier cycle de dix-neuf leçons était achevé pour le cercle d’auditeurs élargi. Il est possible qu’une « pause assez longue » soit intervenue ensuite à cause de la crise de Dornach de l’hiver 1925/26 [et], après un autre cycle, une interruption supplémentaire d’une durée de deux ans pour raisons de santé.283 Au printemps 1930, au cours des discussions de Dornach sur le privilège de lecture du Vorstand préconisé par Ita Wegman, on en vint à des confrontations fâcheuses, lourds de malentendus sur une reprise renouvelée [des lectures] qui fut ensuite accordée depuis Dornach.284 En 1934, Lili Kolisko se rendit en Angleterre avec son mari. Est-ce qu’elle donna encore ensuite occasionnellement des leçons de classe à Stuttgart jusqu'au moment de l’interdiction [de l’anthroposophie en Allemagne ; ndt] (1935), on l’ignore jusqu'à présent. Mais sans doute vint-elle de là-bas régulièrement pour d’autres lectures dans les années 1950 à 1969.

280 L. Kolisko à IW, 02/11/1924, Archives Ita Wegman.
281 Kurt Dannenberg dans sa demande d’admission à Rudolf Steiner, 18/11/1924, Archives Goeth. Nombreux courriers du même genre au cours des mois de novembre et décembre 1924.
282 Julie Hauser à Rudolf Steiner, 19/11/1924, Archives Goeth.
283 Eugen Kolisko lors de la réunion des secrétaires généraux et des comités directeurs des sociétés nationales (G.u.V.), 25/04/1930, p. 89. Archiv Goeth.
284 Voir la discussion détaillée des procédures, ibidem G.u.V., 25/04/1930, p. 79ss, ainsi que la lettre d’explications de L. Kolisko à G. Wachsmuth, 23/03/1930, Archiv Goeth. Annexe 25.

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Gisbert Husemann, qui assista à l’époque à ses leçons, écrit à ce sujet : « Pendant la leçon, elle frisait la grandeur ; elle avait alors une voix puissante tout en étant capable de parler d’une façon très intime. Emil Leinhas était profondément bouleversé, il ne dissimulait pas son émotion et en témoignait, disant : C’est ainsi, exactement ainsi que Rudolf Steiner nous parlait à l’époque dans ces conférences. »285 Friedwart Husemann écrit à ce propos : « L’impression d’Emil Leinhas a doublement du poids parce qu’il ne faisait pas partie des partisans de Kolisko mais était tout à fait lié à Marie Steiner et à l’administration des archives de Rudolf Steiner (Nachlassverein). – Mon père est souvent revenu sur la façon très différente dont Albert Steffen, Marie Steiner, Ita Wegman et Lili Kolisko ont lu les leçons de classe : Albert Steffen et Ita Wegman ‘humble, comme en-deçà du Seuil’ - Marie Steiner et Lili Kolisko en revanche ‘puissante, bouleversante, comme au-delà du Seuil’ ».286

La façon impressionnante dont Lili Kolisko a rempli la mission confiée par Rudolf Steiner a certainement contribué de manière décisive à ce que cette forme de transmission fût déjà ressentie universellement pendant l’année 1924 comme exemplaire. On peut se demander pourquoi Rudolf Steiner – si l’on fait abstraction du Provisorium [dispositif provisoire ] de Prague – n’a pas habilité d’autres personnes à lire les leçons de classe. La raison en est peut-être que Lili Kolisko le lui a demandé la première de tous dès février 1924 avec le but concret de transmettre les mantrams aux personnes qu’elle connaissait à Stuttgart.287 Il suivait son principe de développer l’Université « par en bas » à partir des besoins des membres. C’est ainsi qu’il répondit affectueusement au vœu enthousiaste de Lili Kolisko. Établir ce faisant un modèle général contraignant – comme on l’a montré ci-dessus – n’était sans doute guère dans ses intentions.

285 Husemann 1978, p. 53.
286 E. Husemann à J. Kiersch, 16/03/2003.
287 A pu aussi jouer un rôle le fait que Lili Kolisko, alors visiblement engagée depuis quelques semaines à Stuttgart avec quelques participants du cours aux jeunes médecins de janvier 1924, avait mis en route un groupe de travail, dans le cadre duquel elle donnait lecture d’extraits de ses transcriptions des cours-conférences encore non-disponibles autrement. (Selg 2005 b, p. 35).
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 6.2 Hans Eiselt et son groupe à Prague

Les 3 et 5 avril 1924, à l’occasion d’un congrès de la Société Anthroposophique en Tchécoslovaquie, Rudolf Steiner donna deux leçons de classe à Prague qui furent transcrites par Hans Eiselt et deux autres membres.288 Des lectures de ces transcriptions, ayant le consentement de Rudolf Steiner, furent tout d’abord données à plusieurs reprises par Ludwig Polzer à intervalles de quatre semaines, dans l’attente d’instructions supplémentaires de la part de Rudolf Steiner.289 Eiselt rapporte à ce sujet en 1930 : « À la question directe de savoir s’il était permis de prendre des notes des conférences, Rudolf Steiner nous avait répondu directement à l’époque : Oui ! Le Docteur a aussi su que les sténogrammes des conférences étaient retranscrits à la machine à écrire, il a su qu’on les traduisait en tchèque, il l’a après coup approuvé – c’était déjà à l’été 1924 –, et il a fait répondre par Günther Wachsmuth : Il est d’accord avec cela, et il a même, c’était à la fin de l’été 1924 si je ne me trompe pas, donné l’autorisation que ces conférences soient lues aussi à Brünn, à partir des transcriptions faites par nous. »290 Ce dispositif provisoire fut ensuite relayé à partir de novembre 1924, à nouveau avec le consentement de Rudolf Steiner, par les leçons de classe librement tenues du comte Polzer (v. infra chapitre 6.11).

 6.3 Adolf Arenson  

 Adolf Arenson (1855-1936), auteur du fameux guide [Leitfaden ; fil conducteur] des cycles de conférences de Rudolf Steiner, fut tout d’abord actif au Chili comme commerçant, puis à Hambourg et Stuttgart-Bad Cannstatt comme compositeur indépendant. Dès 1904, en même temps que son futur gendre Carl Unger, il devint un élève ésotérique de Rudolf Steiner.291


288 GA 270/1, p.198.
289 Eiselt in G.u.V., 25/04/1930, p. 77 et 90.
D’après Polzer, les transcriptions de Prague ont été d’abord lues à intervalle de deux semaines par Hans Eiselt et d’autres personnes (Polzer au Vorstand, 27/02/1930. V. Annexe 24).
290 G.u.V., 25/04/1930, p. 77, Archiv Goeth.
291 R. Templeton in Plato 2003.

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Deux ans plus tard, il prit en charge une fonction dirigeante dans l’École Ésotérique en qualité de „Sub-Warden“ pour Stuttgart.292 Il collabora essentiellement à la construction de la maison de la branche de Stuttgart dans la Landhausstrasse où une salle particulière fut aménagée au sous-sol pour les cours de cette école. On pouvait donc s’attendre à ce que Rudolf Steiner l’encourageât en 1924 à collaborer aussi à la constitution de l’Université Libre de science de l'esprit. Mais comme Lili Kolisko avait déjà commencé à Stuttgart, au printemps 1924, avec la permission de Rudolf Steiner, à lire ses transcriptions des leçons de classe de Dornach au collège des professeurs de l’école Waldorf et envisageait déjà le cas échéant une extension du cercle des participants à l’ensemble des membres de la classe de Stuttgart, Arenson se trouva dans une situation difficile. Les tensions entre jeunes et anciens anthroposophes qui s’étaient fait jour à Stuttgart après l’incendie du Goetheanum et qui n’avaient été que temporairement surmontées par Rudolf Steiner – celui-ci faisant la proposition surprenante de laisser la jeunesse, aspirant à de nouveaux idéaux qui lui étaient propres, chercher son chemin particulier indépendamment des Anciens dans une « Société Anthroposophique Libre » – pesaient toujours autant sur le climat de ce lieu. Arenson rapporte plus tard dans une lettre à Albert Steffen que lui et Carl Unger avaient été interrogés par Rudolf Steiner pour savoir qui « on pourrait envisager pour la lecture des leçons de classe » à Stuttgart. « Je compris », ajoute-t-il, « à côté de Mme Kolisko ».293 Sur ce, ils avaient proposé « une personnalité véritablement neutre », par exemple Rudolf Maier. Mais Rudolf Steiner n’y donna pas suite. Le lendemain, tel qu’Arenson pense s’en souvenir, il avait déclaré lors d’un entretien avec des membres de Stuttgart : « Pour Stuttgart, j’ai prévu M. Arenson. N’est-ce pas, M. Arenson, vous êtes d’accord ? » Lui s’était alors levé, écrit Arenson, et avait dit : « Oui ». Dans une note manifestement lacunaire tirée du protocole de la séance en question autorisant une datation de l’événement au 10 avril 1924, on peut lire : « Par exemple, Mme le Dr. Kolisko transmet toujours les conférences des leçons de classe pour le collège des professeurs de la Libre École Waldorf, y inclus quelques autres amis de Stuttgart.

292 Cf. ci-dessus p. 28, note 28. Wiesberger in GA 264, p. 115, note 2. En outre, Arenson à Marie Steiner 22/02/1930, Archiv Nachl.
293 Arenson à Steffen, 28/02/1930, selon le protocole in G.u.V., 25/04/1930, p. 69s., Archiv Nachl.

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Un autre groupe de personnalités qui aspire à une transmission de ce genre est en cours de formation ici à Stuttgart. N'est-ce pas, M. Arenson ? (M. Arenson se lève et dit « Oui »).294 Même si dans cette note, la question à laquelle Arenson répond par « Oui » diffère du récit qu’en fit l’intéressé plus tard à Albert Steffen, l’intention de Rudolf Steiner de s’adresser à Arenson comme la figure centrale de la nouvelle initiative n’en est pas moins également évidente à cet endroit.295

On ignore encore jusqu'à présent comment le groupe « en cours de formation » en avril 1924, selon les propos de Rudolf Steiner, a évolué par la suite sous la direction d’Adolf Arenson ; ni même s’il a purement et simplement commencé son travail du vivant de Rudolf Steiner. Arenson en tout cas a intensément réfléchi à la façon dont il convenait de procéder. Il semble presque qu’il ait conçu la mission reçue par lui avec un « Oui » aussi lapidaire que solennel comme une incitation à un projet d’évolution très individuel dans le sens de la « tentative » de 1911 à laquelle il fut en effet associé de la même façon par une décision de Rudolf Steiner (cf. supra chapitre 3). En tout cas, il se sent poussé, deux ans plus tard, à communiquer dans une lettre circulaire adressée aux membres de l’Université les considérations correspondantes qui l’ont envahi après la mort de l’instructeur spirituel, en face de la situation modifiée du tout au tout. En mai 1925, Ita Wegman avait commencé à tenir des leçons de classe sous la forme de lectures des transcriptions de Dornach. Au printemps 1926, Marie Steiner et Albert Steffen l’avaient suivie dans ce sens. Dans cette perspective, Arenson écrit maintenant au sujet des leçons de classe : « On les communique aux personnes appartenant à la première classe de l’Université en donnant lecture de leur énoncé mot pour mot ; […] Mais pour l’avenir, notre travail à leur égard ne doit pas s’épuiser ainsi. Elles aussi doivent être une semence de l’esprit à laquelle nous donnons une âme par notre propre travail créatif. »296

 294 Notes de l’entretien avec les personnes de confiance de Stuttgart, 10 avril 1924. In : GA 260a, p. 480. Il s’agit ici de ce qu’on appelle le « Cercle des trente » qui s’intitula à partir de l’été 1923 le « Cercle de confiance des institutions de Stuttgart » (GA 259, p. 832ss.)
295 La relation de la suggestion de Rudolf Steiner par Arenson est également mentionnée dans la mise au point d’Albert Steffen du 28/02/1930 et le rectificatif qui l’accompagne (Steffen au Vorstand, 28/02/1930 et 01/03/1930, Archiv Goeth.). Marie Steiner la cite de surcroît dans sa lettre à Arenson du 10/10/1930, Archiv Goeth.
296 Lettre circulaire adressée aux membres, octobre 1926, Annexe 18. Les réserves perceptibles dans la lettre circulaire d’Arenson à l’égard de la nouvelle pratique de lecture des textes et sa recherche de formes de travail porteuses d’avenir furent interprétées, dans le cadre des confrontations décrites au chapitre 5, comme une attaque massive à l’encontre du legs spirituel de Rudolf Steiner. Sur les controverses prolongées en résultant, voir Kolisko 1961, p. 158ss ; J. v. Grone : Aux directeurs (Leiter) de branche et aux membres de la Société allemande (17/02/1927), Archiv Goeth.; L. Werbeck-Svärdström : À propos de la crise dans la Société anthroposophique. Facsimilé du manuscrit 1927, Archiv Goeth. ; Marie Steiner : Un spectacle de fantômes. Une orientation pour les membres 1927. Archiv Nachl.

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Dans ce sens, il est possible qu’Arenson, sans disposer des transcriptions des leçons de classe de Dornach, ait cherché en toute discrétion pendant des années, de concert avec un petit nombre d’amis, un développement supplémentaire de la pratique méditative des mantras de l’Université. Il a recommandé à Dornach, indépendamment de Lili Kolisko, des personnes postulant leur admission à la classe, il y était donc considéré comme une personne de confiance pour les questions concernant l’Université.297 En 1930, dans une lettre adressée à Marie Steiner, il proteste énergiquement contre la rumeur alléguant qu’il aurait demandé à Rudolf Steiner l’autorisation de donner lecture des leçons de classe et que celui-ci la lui aurait refusée. Il n’avait, quant à lui, même pas envisagé de poser une telle question. Et il ajoute : « Je vous rapporterai encore verbalement bien des choses qui sont en parfait accord avec le fait que le Dr. Steiner m’a dit un jour sans y avoir été sollicité : les interdictions qu’il avait émises concernant la transmission des paroles (Sprüche) des leçons de classe ne s’appliquaient bien sûr pas à moi. Et également qu’il me fit communiquer plus tard : il était tout à fait d’accord pour que Margarete Kreuzhage me transmette à chaque fois le contenu des leçons de classe après leur lecture par Lili Kolisko. »298

Sommes-nous en droit de conclure de ces allusions que Arenson non seulement transmit des demandes d’admission et mena des entretiens à cet effet mais qu’il dirigea aussi, tout comme les autres « transmetteurs » institués (investis) par Rudolf Steiner, un cercle de méditation ou d’étude qui s’occupait librement des mantras de la classe en s’aidant des indications tirées des lectures de Lili Kolisko ?

297 Cf. par exemple Arenson au Vorstand, 23/08/1925, Archiv Goeth.
298 Arenson à Marie Steiner, 22/02/1930. Archiv Nachl. Une lettre de Mme Kreuzhage à Ita Wegman du 23/12/1924, dans laquelle elle demande la permission de « raconter dans tout [leur] contexte » les contenus des leçons lues par Lili Kolisko à Arenson (il recevait déjà les mantras par Carl Unger) porte de la main de Rudolf Steiner la mention : « C’est bien qu’elle le fasse R. St. » (Kreuzhage à IW, 23/12/1924, Archiv Goeth.).

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 Il fit en tout cas partie des quatre personnes en faveur de qui Marie Steiner prend position de manière récurrente pendant les confrontations pour le privilège de lecture du Vorstand de Dornach en 1930. Dans une lettre à Albert Steffen, elle nomme comme étant les personnes « que Rudolf Steiner avait désignées pour le travail ésotérique avec les membres », outre H. Collison pour l’Angleterre, Mme Geelmuyden pour la Norvège, Mme Gunnarsson pour la Suède, en premier lieu « M. Adolf Arenson pour Stuttgart ». « Ce sont les personnes qui se sont vues affectées ce travail par Rudolf Steiner lui-même. »299

Steffen reçoit simultanément une lettre signée par quatre-vingt-cinq membres de l’Université originaires de Stuttgart dans laquelle il lui est demandé de mettre à la disposition d’Arenson les conférences de la classe.300 Il soutient cette lettre par un vote/voeu correspondant à la réunion des secrétaires généraux et des comités nationaux en avril.301 La décision concernant la demande de Stuttgart semble alors avoir encore traîné en longueur pendant quelques mois. En octobre, Marie Steiner écrit qu’Arenson veuille bien se décider lui-même puisqu’elle-même est d’accord, en même temps que Steffen et Wachsmuth, pour qu’il lise les leçons de classe, mais pas Wegman et Vreede.302 Arenson s’est alors manifestement décidé à donner suite à cette proposition et à la suite de quoi a reçu les textes. Fin janvier 1931, il écrit soulagé à Marie Steiner : « Il y a beaucoup de gratitude parmi les gens du fait que l’occasion est enfin donnée de prendre connaissance de l’ensemble du texte des leçons de classe.303 Ne dit-il pas de ce fait aussi qu’il a déjà transmis auparavant une partie du texte, à savoir les mantras ?

 Une dernière trace de l’activité de lecture de Adolf Arenson se trouve dans un communiqué datant de 1932 : « Reprise des lectures des conférences de la classe le samedi 17 septembre à 5 heures de l’après-midi. Adolf Arenson, Stuttgart, Landhausstraße 70. »304 L’éminent ésotériste était alors dans sa soixante-dix-huitième année. Il échappa à la persécution de la dictature national-socialiste du fait de sa mort le 26 décembre 1926, pendant les Nuits saintes.

299 Marie Steiner à Steffen, 17/03/1930.
300 G. Herberg e.a. à Steffen, 17/03/1930, Archiv Goeth.
301 Protocole G.u.V., 25/04/1930, p. 68.
302 Marie Steiner à Arenson, 10/10/1930, Archiv Goeth. V. aussi à ce sujet Marie Steiner à Steffen, 10/10/1930, Archiv Goeth.
303 Arenson à Marie Steiner, 25/01/1931, Archiv Goeth.
304 Archiv Goeth.

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 6.4 Helga Geelmuyden

Rudolf Steiner s’est rendu de très bonne heure en Norvège, en 1908, et ensuite presque chaque année jusqu'en 1913. C’est ce qui fit que, à côté de son activité publique de conférencier dans ce pays, le travail au sein de l’École Ésotérique commença lui aussi relativement vite et avec un large effet. Helga Geelmuyden (1871-1951) en fut partie prenante, y jouant un rôle porteur. Une profonde amitié la lia à Marie Steiner jusqu'à la mort de cette dernière [Marie Steiner mourut en 1948 ; ndt]. C’est elle qui traduisit en norvégien « Comment parvient-on à des connaissances des mondes supérieurs ? » et d’autres œuvres de Rudolf Steiner, et qui travailla à la rédaction de la revue « Vidar » fondée dès 1915, mais aussi en qualité de responsable à la branche d’Oslo et à la société anthroposophique du pays.305 Lors de la conférence de Arnheim en juillet 1924, elle reçut de Rudolf Steiner la mission de transmettre les mantras de l’Université Libre aux membres norvégiens de la classe, plus d’une centaine, sans qu’il ait mis à sa disposition pour cela les transcriptions des leçons de Dornach. « Mais cela va être très difficile » dit-elle alors à Rudolf Steiner, comme l’a rapporté à plusieurs reprises Jörgen Smit. « Certes » fut sa réponse, « mais petit à petit cela ira mieux. »306 Geelmuyden effectue donc au cours des mois qui suivent tous les préparatifs nécessaires. Les membres admis jusque là à l’université sont alors invités à la première leçon de classe de Norvège pour le 14 mars 1925.307 S’adressant à Marie Steiner, Geelmuyden formule plus tard le souhait de pouvoir venir entendre les leçons à Dornach, « là où l’on peut aussi redonner ce que le Docteur a dit au sujet des mantras ». « Car », poursuit-elle, « le Docteur m’a prescrit d’utiliser les mantras en tant que textes et d’en parler, ce qui me confère une responsabilité extraordinaire. Mais je n’ai pu assister qu’à une partie des leçons. »

305 Terje Christensen in Plato 2003.
306 Oddvar Granly à J. Kiersch, 30/12/2002.
307 « Til de norske medlemmer av ferste klasse av den frie heiskole for aandsviden-skap. Ferste klasse av heiskolen holder sin lste time i Norge lerdag den 14de mars kl. kvarter over seks precis i Oscàrsgate 10. Notisbok medbringes. Det blaa medlemskort forevises ved indgangen. Deren stenges precis!
Helga Geelmuyden» (mitgeteilt von Oddvar Granly). [En norvégien dans le texte : « Aux membres norvégiens de la première classe de l’Université libre pour la science de l'esprit. La première classe de l’université tiendra sa première leçon en Norvège samedi le 14 mars à six heures et quart précise, Oscàrsgate 10. Apporter un cahier. Présenter la carte de membre bleue à l’entrée. Fermeture des portes à l’heure dite ! Helga Geelmuyden » (communiqué par Oddvar Granly).
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Et aussitôt elle demande, demande qu’elle ne cesse d’adresser au cours des années suivantes à la direction de l’université à Dornach et à Marie Steiner personnellement, si elle ne pourrait pas être aidée en quelque façon dans cette situation difficile. En même temps, elle ressent une sorte de coresponsabilité pour poursuivre l’évolution du travail de l’université à partir du centre. « Si l’on devait se réunir à nouveau pour trouver les moyens d’une continuation féconde de l’œuvre de Rudolf Steiner, les transmetteurs des enseignements de la classe seront peut-être admis eux aussi à des conférences intimes ? » Dans toutes ces considérations pointent des inquiétudes concernant l’évolution des événements à Dornach pendant l’hiver 1925/1926.308

            Au printemps 1927, Helga Geelmuyden est en droit de considérer tout d’abord comme remplie la mission difficile reçue de Rudolf Steiner. « Nous avons avancé lentement mais mi-février, les derniers mantras seront transmis par mes soins. J’ai ainsi rempli la promesse donnée au Docteur – transmettre les mantras aux élèves reconnus par lui. » Elle ne voit pas de poursuite possible à ce travail du fait de certaines tensions dans la collaboration avec Karl Ingerö, le secrétaire général de la société anthroposophique norvégienne. « Pour le travail ésotérique, je trouve quand même absolument nécessaire une atmosphère [état d'esprit] objective s’élevant au-dessus de tout facteur personnel. […] Si je continuais à diriger des leçons de classe, il faudrait précisément que ma transmission puisse prendre une plus grande place [c'est-à-dire sans doute : ses explications sur les mantras nécessiteraient un élargissement ; note de l’auteur] que cela ne serait possible dans ces conditions. C’est en effet aussi le mandat du Docteur qui était mon unique légitimité pour travailler ésotériquement dans le groupe. Je l’ai reçu parce qu’autrement, les élèves d’ici n’auraient pas pu recevoir les mantras. Par ailleurs, je ne voudrais pas m’en aller dans ces circonstances difficiles. »309 Geelmuyden confirme sa décision en mars 1927 et espère tout d’abord une visite de Marie Steiner pour la poursuite du travail de classe.310 Il n’est pas explicité clairement si elle-même va tout de même reprendre encore une fois le flambeau au cours des deux années suivantes.

308 Geelmuyden à MSt, 22/02 [1926], Archiv Nachl. Dans la même lettre, Geelmuyden rapporte que sa correspondance avec la direction de l’université était transmise du vivant de Rudolf Steiner par Guenther Wachsmuth, mais que plus tard, à la demande de celui-ci, elle est allée à Ita Wegman, puisqu’en effet – aurait écrit Wachsmuth – « Herr Doktor Steiner a expressément chargé Madame le Dr. Wegman de la direction du travail ésotérique ». Nous n’avons pas connaissance jusqu'à présent de la lettre en question de Wachsmuth.
309 Geelmuyden à MSt, 08/12/1926, Archiv Nachl.
310 Geelmuyden à MSt, 10/03/1927, Archiv Nachl.

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            Elle reçoit un nouveau choc du fait que dans la Suède voisine, Anna Gunnarson-Wager est habilitée par Marie Steiner et Albert Steffen à la Pentecôte 1929 à lire au nom de Marie Steiner deux leçons de classe dans la version intégrale de Rudolf Steiner (cf. ci-dessous p. 140). Elle ne mentionne pas l’événement mais en a bien sûr entendu parler. Dès lors, Geelmuyden insiste avec une intensité croissante pour une régulation fondamentalement nouvelle de ces questions par le Comité directeur de Dornach. Elle se sent tout d’abord désagréablement affectée par le fait que Marie Steiner se demande si Anna Gunnarson-Wager ne devrait pas prendre en charge le travail de l’université pour toute la Scandinavie. Elle précise ouvertement, quoiqu’avec retenue dans la forme, qu’en tant que femme investie par Rudolf Steiner lui-même et appréciée par les membres norvégiens, elle n’entend pas consentir à une régulation de ce genre. « Comme l’on souhaite ici que je continue à transmettre les leçons de classe et que je considère comme nécessaire de donner, en tant que prémisse fondamentale (Grundlage), aux nouveaux admis les premières paroles, j’ai soumis au Comité directeur de notre groupe la question que vous avez abordée avec moi lors de votre visite. Donc la question de savoir si l’on serait d’accord ici pour que Mme Gunnarson de Suède soit chargée de transmettre les leçons de classe pour tout le Nord. On a toutefois exprimé le souhait bien déterminé qu’il y ait ici une personnalité qui avait jusqu'à présent transmis les paroles à la demande de M. le Docteur Steiner et que celle-ci aimerait aussi être en mesure de poursuivre cette activité si on se décidait à fournir une aide précieuse grâce aux versions authentiques. On a fait observer qu’il y a ici plus de cent élèves qui souhaitent recevoir ces versions dans leur propre langue. On a eu aussi des doutes puisqu’il s’agirait tout compte fait d’un voyage long et coûteux si l’on était dépendant de Mme Gunnarson peu connue des membres ici. Cela compromettrait sans doute la régularité des leçons. J’aimerais bien savoir ce que le comité directeur décide puisque je suis censée dans ce cas prendre le relais de Mme G., mais préfère dès maintenant me retirer. Si l’on reçoit les transcriptions en Suède sans que nous soyons dans la même situation, je le ferai de toute façon. »311

            L’indignation contenue qui ressort de cette lettre s’est peut-être encore amplifiée du fait de ne recevoir aucune réponse pendant des mois.

311 Geelmuyden à MSt, 08/09/1929, Archiv Nachl.
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C’est ainsi qu’elle écrit en décembre 1929 à Hélène Finckh, la sténographe des leçons de classe et très proche collaboratrice de Marie Steiner, et exprime ses préoccupations quant à la coopération du « Comité directeur ésotérique » avec les « transmetteurs des contenus ésotériques ».312 Trois semaines plus tard, elle demande très directement au Comité directeur de Dornach de lui confier pour en donner lecture les transcriptions des leçons de classe. Ita Wegman qui rappelle la chose en comité, saisit cette occasion pour se prononcer en faveur de la restriction des lectures des textes au cercle des membres du comité directeur.314 La décision à ce sujet tarde à venir. Marie Steiner est d’avis que le privilège de lecture du comité directeur ne peut plus être maintenu.315 Mais on ne prend tout d’abord aucune décision, même pas en ce qui concerne l’activité de lecture d’Adolf Arenson,  Lili Kolisko et Ludwig Polzer.316

            Ainsi Geelmuyden se décide-t-elle à aborder ouvertement le problème lors de la réunion des secrétaires généraux et des comités directeurs des sociétés de pays fin avril 1930. Elle en fait une question de principe et se prononce pour intégrer dans la prise de décision les collaborateurs de l’université encore investis par Rudolf Steiner lui-même situés à la périphérie du mouvement anthroposophique. Son discours engagé, improvisé dans une langue allemande qui ne lui est pas complètement familière donne une image multicolore de la situation du moment, compte tenu en particulier de la relation difficile et mal clarifiée, entre « centre » et « périphérie ».

            Elle commence par s’exprimer sur la situation du « comité directeur ésotérique ». « On en a parlé à ce sujet comme s’il devait être question d’y voir régner une unicité d’opinion. Ce n’est naturellement pas le cas, et ne peut pas non plus être le cas. Mais ce que je voudrais souligner, ce serait qu’un comité directeur ésotérique ne pourrait à aucun moment être une formation rigide. Il a été appelé à la vie par Rudolf Steiner à un moment déterminé depuis le monde spirituel, c’est ce qui nous est dit. Eh bien, il se tenait au milieu. Mais ce dont il s’agit c’est qu'une telle formation doit croître, se développer et prospérer. Et comment cela peut-il être nourri ? Cela peut être nourri par la confiance. Et cela doit être traversé par la substance de vie de la vérité et de la confiance.

312 Geelmuyden à MSt, 22/12/1929, Archiv Nachl.
313 IW à MSt, 19/04/1930, Archiv Goeth.
314 Albert Steffen sur la séance du comité directeur du 19/02/1930, Archiv Goeth.
315 MSt à Steffen, 17/03/1930, Archiv Goeth.
316 Protocole du comité directeur, 15/04/1930, Archiv Goeth.

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 Il y a là certains symptômes maladifs qui sont vraiment à prendre très au sérieux, de sorte que l’on a pu déjà soulever la question : s’agit-il de la possibilité d’une guérison de l’intérieur, ou est-ce que la situation est telle qu’il devrait être question d’une intervention chirurgicale ? Cette question, à mon avis, devrait en fait être soulevée dans toute sa gravité, en pleine conscience de ses responsabilités, par chacun dans cette assemblée, avant tout naturellement par chaque membre du comité directeur. Je suis en mesure de ressentir que la situation qui existe maintenant n’est pas profitable pour le travail, le travail ésotérique dans les pays. Je pense que pour qu’il soit possible de poursuivre le travail ésotérique après la mort de Rudolf Steiner, il faut qu’il existe une entente entre ceux qui sont [ont été ? ; ndt] chargés par Rudolf Steiner d’être actifs dans ce travail. Tel que les choses se passent maintenant, il n’y a en fait pas d’unicité dans le travail. Et on peut dire qu’on s’est réclamé du fait que Rudolf Steiner a souhaité que ce qu’il a donné ésotériquement ne soit pas retransmis mis à part les mantras par d’autres personnalités, mais que le contenu ésotérique soit élaboré de telle sorte qu’une activité personnelle soit peut-être tout de même cultivée dans le travail. C’est ainsi que je l’ai conçu et tenté de le faire dans ma situation – Mais tel que cela a ensuite été poursuivi de la part du comité directeur, on s’est tout de même écarté de ces principes. Et maintenant la situation existe que les personnalités qui ont été les plus proches du Docteur et devraient être le plus en mesure de déployer ce travail si activement, que celles-ci en fait, elles qui devraient être le plus en mesure d’en porter la pleine responsabilité, ont tout de même été obligées de se résoudre à reconnaître le fait qu’il y avait trop de difficultés sur le chemin. Elles ont rompu avec les principes de Rudolf Steiner. Or, il existe bel et bien ce fait que d’autres qui étaient moins en mesure de porter cette responsabilité pleine et entière l’ont tout de même tenté en toute humilité ; eux ressentiraient beaucoup cette contradiction. Et je pense qu’il faudrait que de la part du président du comité directeur de Dornach qui est tout de même celui qui doit prendre l’initiative ici, il faut qu’il se passe quelque chose de son côté qui assure une unicité de ce travail – pas une unicité dans le genre que tous disent la même chose et donnent [transmettent ; ndt] la même chose, mais dans le sens du Dr. Steiner, le travail spirituel trouve son fondement dans le fait que quelque chose découle des individualités. Si l’on est supposé être confiant que le nécessaire viendra des différentes individualités pour continuer à soutenir ce travail, il faudrait alors que cela soit recherché a fortiori auprès du comité directeur de Dornach.

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Si nous sommes supposés en rester là et nous méfier de croire encore en cette possibilité venant du monde spirituel, alors il faudrait faire appel aux représentants des différents pays. »317

            Dans la suite du débat, qui traite de la question de la direction de l'université et des compétences d’Ita Wegman en matière de direction (Führung), Geelmuyden décrit sa détresse en termes pleins d’émotion. « En fait, il me semble que la plus grande responsabilité ne consisterait pas dans le fait de disposer d’un droit à lire ces papiers, mais en fait qu’une lourde responsabilité nous a été assignée, nous qui avons été désignés par le Docteur, celle de parler des mantrams à partir de son propre travail ! Je ne dis pas que j’aurais été capable de dire oui à cette responsabilité si j'avais pu concevoir en ce qui concerne le Docteur qu'il n'ait plus du tout la possibilité de venir nous voir et de continuer à la mettre en place. Je l’ai considéré à l’époque comme une tâche dont on me chargeait parce que, précisément, j’étais là et j’ai eu l’initiative de dire : ce serait si important pour moi – lorsqu’il a dit [sans doute lors de l’affectation de sa mission à Geelmyuden à Arnheim en juillet 1924, cf. ci-dessus] qu’il ne pourrait pas venir tout de suite – mais qu’un des membres du comité directeur avait quand même le droit de recopier les mantras. Alors le Docteur a dit, en mettant sa liste de côté : Vous avez le droit ; vous les donnerez à tous ceux qui sont admis chez vous comme membre de la classe. Et je lui ai demandé : De quelle façon cela devrait-il se faire ? Et il a dit, vous devez étudier les mantras, et il faut que vous en parliez. Eh bien, cette responsabilité était bien plus grande que les facultés dont je dispose pour la porter. Mais j'ai essayé de travailler à fond toujours avec la plus grande véracité ce que je devais reconnaître à partir des processus d'initiation qui sont tout de même bien donnés dans les mantras. Or, en fait, la difficulté n’a cessé de s’accroître. Elle s’est accrue aussi pour la raison qu’on a procédé différemment, parce que les choses, précisément, étaient relues et relues par le Docteur et que tout de même dans la société, il arrive souvent qu’on ait du mal à reconnaître ce qui provient de visées individuelles et qu’on ne s’en tienne pas toujours exactement aux paroles du Docteur. C’est ainsi que j’ai tenté de le faire, à plusieurs reprises : une fois qu’on a rompu avec le principe que les transcriptions n’existaient pas [ndt : allusion à une formule de Rudolf Steiner disant que : « ces textes n’existent pas » ? ; source à vérifier ; ndt], alors il faudrait, nous qui avions en fait plus besoin d’aide, il faudrait qu’on nous aide.

 317 G.u.V., 25/04/1930, p. 41s. Archiv Goeth.
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Je pense précisément qu’en fait c’est une trop grande charge de responsabilité pour nous, qui n’avons jamais travaillé à ce point avec le Docteur, et que sait le comité directeur à Dornach de ce qu’on dit sur les mantras ! Il pourrait même se faire que ce qu’on dit sur les mantras ne soit pas juste. Je pense donc que, si on nous considère tout simplement comme indignes pour ce travail, alors nous devrions, soit être obligés de mettre complètement un terme à une prestation, soit il faut que vous nous aidiez, il faut que vous nous aidiez d’une façon ou d’une autre ! Donc, ces transcriptions sont là, [elles] ne sont assurément pas la propriété privée de Mme Dr. Wegman, et elles peuvent être lues par les membres du comité directeur, alors elles peuvent aussi être lues par les collaborateurs désignés par le Docteur. » 318

            Le fait que Geelmuyden ne parle pas seulement pour elle-même en cette affaire ressort nettement d’un voeux/vote qui suivit, celui d’E. A. K. Stockmeyer, le célèbre professeur Waldorf de Stuttgart : « J’aimerais bien demander si le comité directeur va se concerter à ce sujet, si on pourrait avoir des éléments d’orientation à ce sujet, si des démarches pourront être entreprises prochainement concernant les besoins de ces membre habitant à une grande distance en matière de transmission des leçons de classe, que ce soit par leur lecture ou sinon une restitution libre. Nous voudrions vraiment demander cela, car il en est tout de même certainement ainsi que les personnalités qui ont jusqu’à maintenant l’autorisation de le faire, sous une forme ou une autre, ne suffisent pas encore pour la satisfaction de ce besoin, et il me semble en effet qu’il y a là quand même une tâche importante qui nous attend, eu égard à l’importance de la première classe pour la continuation de la Société. »319 D’autres voeux s’ensuivent, plaidant pour une extension du privilège de lecture.

            Le comité directeur de Dornach – déchiré en son sein par les brouilles, comme il l’est – n’est pas capable à l’époque de décider de se saisir de manière constructive des questions pressantes issues de la périphérie. Geelmuyden obtient néanmoins de Marie Steiner la permission de lire pour elle-même lors d’un séjour à Dornach les transcriptions des leçons de classe de Rudolf Steiner. Elle présuppose ce faisant qu’Ita Wegman est d’accord. « Elle a tout de même bien dit de son propre chef : même si à son avis les transcriptions des textes ne pourraient pas être polycopiées pour les transmetteurs des groupes – il s’agissait d’une question de  M. Smitt à Bergen – là où j’étais ici [à Dornach], je devais les étudier moi-même. »

318 Ibidem, p. 75ss.
319 G.u.V., 25/04/1930, p. 93.

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– « Donc », poursuit-elle, puisque manifestement même Albert Steffen a approuvé, « il semble que toutes les personnalités faisant autorité veuillent me procurer de l’aide. »320 À vrai dire, avec tout cela, Geelmuyden ne dispose toujours pas des textes complets des leçons de classe. En juillet 1930, elle s’en enquiert prudemment et demande si besoin est à pouvoir prendre des notes lors des lectures prochaines de Marie Steiner en Norvège.321 En octobre, s’offre enfin la possibilité tant attendue de pouvoir lire au moins exceptionnellement des conférences de la classe. Marie Steiner doit annuler le voyage prévu en Norvège. « Pourrais-je », écrit alors Geelmuyden, « pour ce cas exceptionnel où quatre leçons sont promises, obtenir l’autorisation de lire des conférences de la classe ? Quand je présente librement, je dois passer beaucoup de temps à préparer chaque leçon. » Dans la même lettre, elle mentionne qu’elle a reçu entre temps plusieurs conférences afin de préparer son travail de traductrice pour les leçons de Marie Steiner.322 Quelques jours plus tard, elle remercie Marie Steiner et Albert Steffen pour la « permission » tant attendue « de pouvoir lire les leçons de classe » – il s’agit en la circonstance de les traduire.323 Il y a matière à réflexion dans ce qu’elle écrit quelques mois plus tard à l’amie vénérée : « Nous devons être reconnaissants qu’il nous soit permis de recevoir les textes des leçons de classe, là on n’a pas à craindre que s’y mêlent des spécificités personnelles gênantes, et pourtant le fait d’être obligée à un travail personnel a été très stimulant pour moi. »324

            Le sentiment, tangible dans ces paroles, de se voir confier quelque chose de précieux devient pour elle des années plus tard une sensation de culpabilité oppressante. « Une difficulté », écrit-elle à Marie Steiner, « est que je n’ai pas rempli la tâche tel que l’instructeur me l’a assignée : celle de transmettre les méditations à partir de mon propre travail et de développer ainsi le travail de classe de façon vivante… Cela aurait peut-être été pourtant plus juste et plus stimulant – en tout cas pour le transmetteur et peut-être d’une façon générale – si en confiance avec les puissances aidantes on avait tenu cela [les leçons ; ndt] d’une façon plus autonome, comme le Docteur le souhaitait. »325

320 Geelmuyden à MSt, 28 [29 ?]/05 [1930], Archiv Nachl.
321 Geelmuyden à MSt, 19/07/ [1930], Archiv Nachl.
322 Geelmuyden à MSt, 07/10 [1930], Archiv Nachl.
323 Geelmuyden à MSt, 12/10/1930, Archiv Nachl.
324 Geelmuyden à MSt, 23/04 [1931], Archiv Nachl.
325 Geelmuyden à MSt, 30/09/1947. Archiv Nachl.

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            À mentionner encore, le fait que le travail de l’ancienne École Ésotérique, dans laquelle Helga Geelmuyden – à côté de Richard Eriksen, Marta Steinsvik et Ole Reitan – exerçait des responsabilités en tant que « superviseur » (Aufseher), a continué à être pratiqué avec le consentement de Rudolf Steiner durant de nombreuses années même après la fondation de l’Université libre de science de l'esprit. La première leçon dans le cadre du Service Memphis-Misraïm (Cf. supra chapitre 2) avait eu lieu à Oslo (Kristiania à l’époque) le 16 mai 1909. Jusqu’en 1914, trente-deux personnes y avaient été admises dans les trois départements, dont trois dans le troisième degré. La première leçon de l’École Ésotérique (ES) eut lieu le 16 juin 1910.326 La même année, la Norvège comptait environ cinquante élèves de l’ES, plus de la moitié des effectifs de la Société Théosophique à ce moment là. Bien que Rudolf Steiner eût solennellement dissous le cercle du culte de connaissance à Oslo en décembre 1921327, il autorisa Mme Nanna Thorne à poursuivre les leçons de l’École Ésotérique, [activité] pour laquelle des exposés des anciennes leçons furent mis à sa disposition depuis Dornach.328 Geelmuyden écrit à ce propos à Marie Steiner : « Dans le dernier entretien que j’ai eu avec lui à Arnheim, après qu’il m’eut délégué la transmission des leçons de classe, le Docteur m’a dit, répondant à ma question concernant Mlle Thorne : Mademoiselle Thorne peut tout d’abord continuer son activité, et Ceux qui vont chez elle peuvent aller chez elle ; Ceux qui vont chez vous peuvent aller chez vous. – J’ai trouvé cela difficile, ayant le sentiment d’une scission nuisible. Espérant que le Docteur se rendrait encore lui-même à Oslo pour mettre en place l’activité ésotérique, je n’en fis pas état et dis simplement que Mademoiselle Thorne pouvait continuer en toute quiétude. Je ressentis aussi cela comme une bonne chose, que ce travail se fasse à côté du mien, puisque je ne possédais pas les textes et me trouvais vraiment devant une tâche difficile.

            Mais la scission viendra peut-être quand même, peut-être plongée par manque de conscience dans des émotions personnelles, que sais-je. Il devrait y avoir, matériellement, plus de discernement. Comme je vous l’ai déjà dit par le passé, je ne trouve pas bien que Mademoiselle Thorne donne le plus possible d’anciens mantrams, il faut les écrire, et les élèves ont des livres pour ces leçons. On est complètement dérouté, on ne prend de loin pas assez au sérieux les paroles de la classe parce qu’on ne peut pas tout gérer.

326 GA 266/2, p. 56ss.
327 GA 265, p. 451.
328 Oddvar Granly à J. Kiersch, 30/12/2002 et 02/01/2003.

135

            Sinon, j’apprécie la façon dont Mlle Thorne rend d’anciennes conférences ésotériques avec une grande chaleur personnelle. »329

Dans une lettre ultérieure, Geelmuyden ajoute : « J’ai eu, à dire vrai, l’impression que le Docteur tolérait plus ces leçons provisoirement par égard, pour Mlle Thorne et des âmes apparentées, que ce n’était légitime, une fois qu’existait l’École de Michaël. »330

329 Geelmuyden à MSt, 02/06 [1929?], Archiv Nachl.
330 Geelmuyden à MSt, 23/04 [1931], Archiv Nachl.

 6.5 Anna Gunnarsson Wager 

Anna Gunnarsson Wager (1873-1957) fut une figure centrale du mouvement anthroposophique en Suède.331 Elle y prenait déjà une part active lors de la fondation de la société de ce pays en 1913, après avoir assisté au Congrès Théosophique de Budapest en 1909 et y avoir été profondément impressionnée par une conférence sur la christologie de Rudolf Steiner. Membre du comité directeur de la société suédoise, également secrétaire-générale à partir de 1930, elle a porté de vastes responsabilités en ce qui concerne le travail anthroposophique dans son pays, organisé des manifestations, parmi lesquelles en juillet 1914 les conférences pour les membres « Le Christ et l’âme humaine » à Norrköping, dirigé une maison d’éditions et une revue et traduit de nombreux textes de Rudolf Steiner. Une intime relation d’amitié s’est développée avec Marie Steiner. Gunnarsson a été de très bonne heure une élève ésotérique de Rudolf Steiner. C’est à partir de là qu’on s’explique la sûreté et l’autonomie avec lesquelles, après avoir participé à tout de même six leçons de classe de Rudolf Steiner lui-même à Breslau et Dornach et avoir été probablement mandatée par lui à cette occasion, elle prend en charge en octobre 1924 avec l’autorisation d’Ita Wegman la tâche de transmettre à Stockholm à tout d’abord dix membres les mantras de l’université. Sa lettre du 21 janvier 1926 adressée au comité directeur de Dornach à ce sujet donne un aperçu des problèmes qui apparaissent à cette occasion. Le cercle des dix avec lequel elle travaille régulièrement durant tout l’hiver s’agrandit, passant à vingt-quatre membres dont plusieurs ne comprennent pas suffisamment l’allemand. Elle sait se débrouiller .

331 Les données qui suivent d’après E. Carlgren in Plato 2003.
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« Je suis bien sûr restée fermement attachée au principe qu’il fallait que l’on fasse CET effort de les [les mantras] copier et d’essayer de les lire AUSSI en allemand, mais je leur ai fourni pour les aider une traduction / en accord avec Madame Dr. Wegman332 / et à chaque fois, la séance suivante – après qu’ils aient travaillé seuls dans l’intervalle avec [les mantras] – je leur ai parlé et donné des explications sur la précédente leçon. Avec toujours les mantrams en allemand lentement et solennellement / lecture : commencé par : Ô Homme connais-toi / jamais laissé prendre des notes / en clôture Âme de l’homme, version ésotérique [allusion manifestement à l’invocation des trois hiérarchies angéliques dans la version non publiée initialement des paroles de la Pierre de fondation du Congrès de Noël]. Les signes, là où ils sont donnés, je les ai dessinés au tableau, mais jamais montrés, puisque personnellement, je ne les ai jamais vus faire par le Docteur, et que je ne savais pas avec certitude à l’époque s’il fallait les comprendre comme une image en miroir ou DEVANT la personne [sic]. »333 À l’été 1925, elle interrompt son activité de transmetteur – « mon intention n’était pas non plus de poursuivre davantage – puisque tout maintenant était transmis » – mais se décide pourtant, à la demande des membres, pour une reprise à laquelle viennent se joindre vingt participants supplémentaires. Elle tient des leçons complémentaires à Malmö et à Norrköping. « Nous commençons à Stockholm avec environ 10 nouveaux le 31/01 [1926] – où les plus anciens pourront y assister à nouveau, s’ils le veulent. »

            Avec une franchise des plus réjouissantes, elle en vient finalement au « but réel » de sa lettre : « Pour que l’école ésotérique puisse prendre TOUT son sens pour nous, il faut assurément qu’une possibilité soit donnée pour que nous puissions nous aussi assister tôt ou tard aux conférences d’explication du Dr S[teiner], que cela se fasse par la remise de transcriptions directes, par lettres circulaires, par l’instruction de certaines personnalités désignées à cet effet dans chaque pays, par exemple pour qu’elles aient le droit de lire les conférences à Dornach et de prendre des notes, ou d’une autre façon.

332 Wegman écrit à Gunnarsson le 16/10/1924 : « Vous pourriez déjà remettre des traductions des mantrams en suédois à ceux qui les demandent et ne comprennent pas suffisamment l’allemand. Mais il faudrait tout de même essayer de faire la méditation des mantras en langue allemande, parce que le rythme a tout de même là un grand effet. Des membres qui ne possèdent pas la langue allemande peuvent méditer dans la traduction. » (Archives IW).
333 Gunnarsson au comité directeur, 21/01/1926, Archiv Nachl.

137

Il ne suffit pas à la longue de dépendre exclusivement des leçons de classe de Dornach –même nous qui comprenons l’allemand et pouvons faire le voyage en recevons ainsi tout au plus 2 ou 3 par an – ni non plus que l’on vienne chez nous de Dornach, peut-être une fois tous les dix ans, les donner en allemand – voilà effectivement ce que nous aimerions demander en plus pour nous comme leçons particulièrement solennelles !

            Si nous obtenions par exemple les transcriptions littérales, il va de soi que tous ceux qui comprennent l’allemand / et les autres aussi / voudront les entendre lues littéralement. Mais il va tout autant de soi, me semble-t-il, que les autres en obtiennent le contenu transmis dans leur langue. J’ajouterai seulement que, au cas où cette mission devait m’être donnée, je ne veux pas m’obliger à une traduction écrite et à sa lecture, mais seulement à un rendu exact de leur contenu exposé librement. La traduction est morte et peut faire naître dans ces matières difficiles beaucoup plus de malentendus que le contenu librement résumé. Il en va en effet autrement du texte allemand qui recèle le contenu occulte dans ses sonorités. »334

            Anna Gunnarsson formule déjà ainsi très tôt des problèmes de continuation du travail de classe, tels que d’autres aussi ont pu les ressentir parmi les premiers « transmetteurs ». Même au cours des années suivantes, elle insiste pour que la direction de l’université adopte des arrangements praticables. On ignore jusqu’à présent si le comité directeur de Dornach a répondu à ses suggestions. En avril 1926, Gunnarsson écrit encore une fois, mais maintenant à Marie Steiner, et demande des instructions en raison de difficultés avec des participants à la classe habitant à une grande distance.335

            En octobre 1926 elle est informée par Marie Steiner que le comité directeur a décidé, malgré une « requête » de Harry Collison, de ne pas se dessaisir des transcriptions des leçons de classe, en tout cas pas pour leur lecture. Certes Ita Wegman avait fait des exceptions dans deux cas, pour permettre des traductions. Dans la perspective de son voyage très prochain en Suède, elle veut maintenant, dans le seul but de leur traduction et pour aucun autre usage, lui confier à elle aussi quatre des conférences pour préparer l’activité nécessaire de traduction lors des réunions à venir.336 Gunnarsson la remercie et y consent volontiers.337

334 Ibidem.
335 Gunnarsson à MSt, 30/04/1926, Archiv Nachl.
336 MSt à Gunnarsson, 27/10/1926, Archiv Nachl.
337 Gunnarsson à MSt, 01/11/1926, Archiv Nachl.

138

 D’autres lettres montrent que Marie Steiner, sans doute début juin 1927, a tenu des leçons de classe à Stockholm et à Norrköping, où elle a fait la lecture et où Gunnarsson a traduit à l’aide de ses notes préparatoires.338

Se référant à une conversation à Norrköping, Gunnarsson envoie à Marie Steiner à l’automne 1927 une lettre importante, dans laquelle – à titre de « proposition » – elle esquisse les représentations qu’elle se fait de la façon de travailler d’un « Rudolf-Steiner-Bund » qui manifestement vient juste d’être fondé. On ignore encore jusqu'à présent si ce nouveau Bund a été inspiré par la tentative entreprise par Marie Steiner une bonne année auparavant d’introduire des éléments de l’ésotérisme des débuts dans ses leçons de classe (voir ci-dessus p. 107, note de bas de page 237). En tout cas, Gunnarsson prétend maintenant recourir pareillement à des éléments de cet ordre – « tirés des trois premiers degrés » – même si « puisque nous n’avons plus le guide (Leiter) », il convient maintenant de faire appel de manière renforcée au sens de la liberté et à la responsabilité personnelle des participants.339 « Mlle [Lisa ?] Svanberg est citée à cette occasion en tant que « présidente du groupe R-S ». Mais ensuite il se passe quand même encore plus d’un an avant que le travail ésotérique du nouveau cercle commence concrètement. Au vu des allusions, où Gunnarsson en rend compte, on peut déduire que lors de la première réunion du 26 novembre 1928, un anthroposophe plus jeune, Nils Nordin, a fait une assez longue allocution, et qu’ensuite la première leçon de classe de Rudolf Steiner a été lue insérée dans des formules de l'ancienne école ésotérique.340

            Un semestre plus tard, Gunnarsson rapporte que le nouveau cercle vient de tenir sa douzième réunion.341 De nouveau seulement par allusions, elle décrit à l’amie intime et vénérée, qui manifestement a communiqué ses propres intentions en ce qui concerne toute l’entreprise dans une lettre (jusqu'à présent inconnue), comment elle pense la suite de cette affaire. Il est question ici du « guide » de qui le cercle aurait reçu des instructions détaillées. S’agit-il là d’un inconnu dont l’identité et la fonction sont bien connues de Marie Steiner sur la base d’entretiens précédents ? Dans sa lettre de l’automne 1927, Gunnarsson a employé le mot « guide » à propos de Rudolf Steiner. Est-ce éventuellement fondé maintenant sur la conviction que celui-ci est aussi actif en tant que « guide » par-delà le seuil de la mort ?

338 Gunnarsson à MSt, 28/04 et 25/05/1927, Archiv Nachl.
339 Gunnarsson à MSt, 17/09/1927, Archiv Nachl.
340 Gunnarsson à MSt, 26/11/1928, Archiv Nachl.
341 Gunnarsson à MSt, 16/05/1929, Archiv Nachl.

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En tout cas, les instructions du mystérieux « guide » sont très concrètes et détaillées. Une nouvelle réunion est censée avoir lieu si Marie Steiner pouvait y venir ; pour l’été, chaque participant a reçu des tâches particulières pour l’étude de certaines conférences de Rudolf Steiner ; le « garçon », qu’on suppose être le cand. med. [candidatus medicinae] Nils Nordin déjà nommé, doit aller visiter deux endroits spécifiques du Värmland pour y mener des études de « géologie médicale occulte » (peut-être dans le sens des Cours aux jeunes médecins de 1924 ?). Finalement le « guide » réclame une « décentralisation de la chose ». « Il faut épargner Mme [Steiner] », c'est-à-dire : Il ne faut pas demander à Marie Steiner d’aller partout où ce serait nécessaire. Gunnarsson sent sa propre opinion qu’elle a déjà défendue dans le passé concernant l’avenir de l’anthroposophie confortée par cette injonction, et en tire des conclusions stratégiques : il ne s’agit pas seulement d’un nouvel ordre des choses pour la Suède, mais aussi pour d’autres pays et d’autres aires linguistiques. Que le comité directeur veuille bien y songer, peut-être pourrait-on aussi parvenir plus tard à une « réflexion dans un cercle un peu plus grand de personnalités appelées ». « L’existence de notre société dépend du maintien du travail intérieur. Il faut qu’existe un cercle qui tient toujours ensemble et ne se relâche ni ne s’épuise jamais. » – Combien de temps le travail ésotérique du « Rudolf-Steiner-Bund » s’est-il poursuivi ? Cette entreprise a-t-elle attiré de nouveaux cercles ? Nous l’ignorons jusqu'à présent. Toujours est-il qu’à l’automne 1929, les réunions ont été reprises et poursuivies au moins jusqu'en octobre 1930.342 Anna Gunnarsson donne encore suite à sa forte impulsion pour veiller au maintien et à l’intensification du travail anthroposophique depuis Dornach avec sa proposition qu’elle fait à la réunion des secrétaires généraux et des comités directeurs des sociétés de pays de confier à Albert Steffen des compétences plus étendues.343

            Il convient encore de mentionner que Gunnarsson, au vu de la surcharge de travail de Marie Steiner, fut habilitée à la pentecôte 1929 à donner lecture à Stockholm de la septième et la huitième leçon de classe dans la version de Rudolf Steiner.344

342 Gunnarsson à MSt, 04/10/1930, Archiv Nachl.
343 G.u.V., 29/11/1930, p. 109ss.; Gunnarsson e.a. au comité directeur, 15/11/1930, Archiv Goeth.
344 MSt à Gunnarsson, 24/04/1929, Archiv Nachl., avec confirmation par MSt et Steffen.

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Sans doute obtint-elle également, peu après, l’habilitation pour lire toutes les autres transcriptions. En tout cas, par cette disposition exceptionnelle, Marie Steiner et Albert Steffen ont créé, plus d’un an avant le débat interne sur le privilège de lecture du comité directeur, un fait qui a pu intervenir de façon essentielle dans le déroulement de ce débat.

 6.6 Johannes Leino

 Johannes Leino (1868-1945) lui aussi, le premier secrétaire général du département de langue finnoise de la Société Anthroposophique en Finlande, était déjà lié au mouvement anthroposophique à l’époque théosophique. Avec son épouse Ellen Leino-Relander, il avait rencontré personnellement Rudolf Steiner en 1908 et était resté en correspondance avec lui et Marie Steiner. Musicien de profession et chef d’orchestre populaire, temporairement à Viborg (Viipuri) puis à Helsinki, il fonda un groupe de travail anthroposophique en 1912 avec Edvard Selander, donna des conférences d’introduction et publia avec Kersti Bergroth pendant de nombreuses années la revue « Antroposofia ».345 Il fut admis à la Première classe le 21 juin 1924, en même temps que sa femme, et probablement chargé de ses fonctions à cette occasion. « À l’été 1924 », écrira-t-il plus tard, « je reçus de Monsieur le Docteur Steiner la tâche de transmettre les demandes pour la 1ère classe et aussi l’autorisation de donner les paroles de la classe à ceux qui avaient reçu la carte bleue. »346 À partir de ce moment, il envoie régulièrement des demandes d’admission validées à Dornach, lui demandant l'autorisation de donner des mantras à certaines personnes.347

On ignore jusqu'à présent si Johannes Leino, à l’instar de Helga Geelmuyden en Norvège et d’Anna Gunnarsson en Suède, a tenu des réunions pour la transmission des mantras. Mais comme les tout premiers transmetteurs scandinaves se connaissaient, c’est très vraisemblable. Leino reçut les textes en même temps qu’Olga von Freymann à l’occasion de l’assemblée générale de Dornach de 1933.348

345 E. Ristilä in Plato 2003.
346 J. Leino à MSt, 14/08/1928, Archiv Nachl.
347 Selon Olga von Freymann qui tiendra plus tard des leçons de classe à la société anthroposophique de langue suédoise en Finlande (J. Leino à Rudolf Steiner, 27/11/1924. Archiv Nachl.
348 MSt à Freymann et Leino, 02/02/1933, Archiv Nachl.
141

 Comme il ressort d’une lettre ultérieure, il a donné ensuite lecture des transcriptions des leçons de classe en langue finnoise. La proposition qu’il fait à Marie Steiner, proposition motivée par une longue maladie, de faire lire à sa place un autre membre ayant fait ses preuves, Mademoiselle Katri Lorma,349 a vraisemblablement été refusée. Quelques mois plus tard, Marie Steiner lui écrit : « L’habilitation d’un membre que nous ne connaissons pas nous-mêmes ne peut être prise en considération dans cette affaire. »350

Mentionnons encore ici à titre d’anecdote amusante le fait qu’on se raconte entre anthroposophes finlandais que Rudolf Steiner aurait ébahi Johannes Leino qui lui objectait qu’il était difficile de traduire les mantras de l’université en finnois en lui répondant : « Je vous aiderai ».351 Comme Rudolf Steiner, au moins dans son enfance, parlait couramment la langue hongroise apparentée au finnois, cette promesse était peut-être plus concrète qu’il n’y paraît au premier abord.

 6.7 Amalie Künstler

 À quel point Rudolf Steiner s’est fié à des relations de confiance ayant fait leurs preuves dans son choix des premiers « transmetteurs » au service de l’université ressort particulièrement nettement dans le cas d’une personnalité dont nous ne pouvons encore saisir, à grands traits fort généraux, l’impact ésotérique que grâce à une tradition orale – il est vrai bien attestée – : Amalie Künstler (1873-1957) à Cologne.

349 Leino à MSt, 19/12/1937, Archiv Nachl.
350 MSt à J. Leino, 04/04/1938, Archiv Nachl. Il ressort de la même lettre que maintenant à Dornach, le souci de gérer les textes avec beaucoup de précaution a conduit à une définition plus précise : « Les textes de la classe doivent rester la propriété du comité directeur au Goetheanum, et cela doit être consigné par écrit. Dans ce cas particulier, le comité directeur décidera que Mademoiselle von Freymann les reçoit en garde. »
351 Communication verbale de Reijo Wilenius, Helsinki.
142

 Ekkehard Meffert, dans son étude circonstanciée sur Mathilde Scholl et son cercle de destin, a décrit avec beaucoup d’amour et de compétence comment dès le début du vingtième siècle, dans cette ville riche en traditions, la vie théosophique s’est déployée, rayonnant largement jusqu’en Rhénanie et dans la région de la Ruhr voisine, comment grâce à l’initiative de Mathilde Scholl en 1912/1913 s’est réalisée la fondation d’une société anthroposophique autonome, combien Rudolf Steiner aimait être hébergé chez cette figure pionnière importante du mouvement anthroposophique et ses amis, le couple Eugen et Maude Künstler, dans cette maison représentative au numéro 9 de la Belfortstrasse, qui servit de foyer à la première branche de Cologne et même à l’École ésotérique.352

            Dans la vie civile, Amalie Künstler travaillait comme directrice dans un atelier de mode de premier plan à Cologne. Déjà membre de la branche de Cologne de la Société Théosophique depuis 1904 et bientôt aussi de l’École ésotérique, elle participa, de concert avec Imme von Eckardstein, à la confection des costumes pour les représentations des Drames-Mystères à Munich et se lia étroitement d’amitié avec Marie Steiner. Elle fait donc partie, elle aussi, comme Adolf Arenson, de l’environnement karmique de la « Société pour le style et l’art théosophique » de 1911. Ce n’est donc assurément pas un hasard si la mission confiée par Rudolf Steiner de transmettre les mantras de la classe aux membres de l’université de Cologne (Mathilde Scholl vivait alors déjà depuis longtemps à Dornach) lui a été remise par Felix Peipers, qui était chargé dans cette société de s’occuper du domaine de l’architecture. Selon des notes de Gerta Petzl, qui lut plus tard des leçons de classe à Cologne, cela eut lieu au temps où Rudolf Steiner « avait commencé à tenir des leçons de classe », donc déjà en 1924. « Elle m’a raconté », écrit encore Petzl « qu’à côté des mantras, elle avait aussi utilisé des parties de l’ancienne ésotérisme ».353

352 Meffert 1991.
353 G. Petzl : Souvenirs des mémoires de Madame Amalie Künstler. Archiv Goeth. Dans un compte-rendu de Gerta Petzl qui se trouve être en la possession de Ekkehard Meffert, s’écartant de façon minime de ce qui est indiqué ici, il est dit : « Avant que Rudolf Steiner n’institue la Première classe de l’université, il fit dire à Madame Künstler qu’elle allait lire la classe à Cologne pour les membres de celle-ci. À cette époque, il n’y avait que les mantras, les textes des différentes leçons n’étaient pas encore disponibles. Le Dr Felix Peipers avait transmis cette nouvelle à Madame K. Après la mort de Rudolf Steiner, ce fut Madame Ita Wegman qui remit les choses à Madame Künstler. Elle-même, de par son appartenance à l’ancien ésotérisme, avait des transcriptions de l’ES, qu’elle utilisait en même temps lors des lectures des  mantras de la classe. Elle m’a raconté ce qu’elle avait ressenti lorsqu’elle avait lu la classe pour la première fois. Elle s’était adressée à Rudolf Steiner et lorsqu’elle s’était trouvée, debout, devant les gens, elle avait ressentie comme un flot de force lumineux qui l’avait enserrée en venant par derrière. C’est jusqu'à son alitement forcé, qui  dura 15 mois avant sa mort, qu’elle a lu la classe àCologne. Lectures qui furent interrompues par la période d’interdiction pendant l’ère nazie. »
143

 Résumant l’énoncé des faits, Meffert écrit: « Amalie Künstler a été chargée par Rudolf Steiner, encore en 1924, de la tenue des leçons de classe à Cologne. Elle a ensuite reçu d’Ita Wegman en 1925, après la mort de Rudolf Steiner, l’intégralité des mantras, puisque elle n’avait pas pu entendre toutes les leçons de classe à Dornach. Elle a utilisé librement pour leur compréhension les contenus de l’ancienne École ésotérique puisque les textes de la classe n’étaient pas encore accessibles. Ce n’est qu’après 1935 qu’elle a reçu les textes et <lu> ensuite la classe avec. »354

 6.8 Henry Monges

 Unique transmetteur en dehors d’Europe, pour autant que nous le sachions, Henry Monges (1870-1954) fut encore investi comme tel par Rudolf Steiner lui-même. Architecte de métier, il s'intéressa très tôt aux questions spirituelles et fut membre de la Société théosophique de 1893 à 1914. S’étant familiarisé avec l'anthroposophie, il se rendit à Dornach avec sa femme, Maud Breckenridge en septembre 1919, et y resta deux ans pour apprendre la langue allemande et écouter des conférences de Rudolf Steiner. Sur ses conseils, il partit pour Chicago, où il assura avec sa propre maison d'édition (plus tard "Anthroposophical Press") la représentation de l’œuvre de Rudolf Steiner aux États-Unis. Au Congrès de Noël de 1923, il devint sur la proposition de Rudolf Steiner secrétaire général de la société nord-américaine, qu’il développa avec vigueur.355 Il resta encore manifestement un certain temps à Dornach après la refondation de la Société Anthroposophique. Entré à la Première classe le 12 février 1924, il entendit sans doute au moins les premières leçons de classe de Rudolf Steiner. La proximité de sa relation avec Rudolf Steiner est attestée non seulement par les nombreuses conversations qu'il eut avec l’instructeur spirituel sur ses projets aux États-Unis, mais également par les deux mantras spéciaux qu'il reçut de lui, dont l'un deux jours après la première leçon de classe.356

354 Meffert 1991, p. 194, ajout manuscrit.
355 H. Barnes in Plato 2003. In extenso Barnes 2005.

356 Voir GA 268 (1999), p. 33 et p. 100.

144

 C’est vraisemblablement dans ce contexte qu’on peut situer la mission de transmettre les mantras de la classe aux États-Unis.

            Au cours des années suivantes, Monges ne cesse d’envoyer des demandes d’admission à Dornach et de demander l’autorisation de communiquer des mantras à des membres individuels.357 En avril 1926, il repart déjà pour Dornach. Encore en mer, il écrit à Marie Steiner et développe des réflexions sur la façon dont les réunions qu’il a introduites entre-temps et lors desquelles il transmet les mantras pourraient prendre forme à l’avenir. « Since Miss Irene Brown & Madame Ricardo already have the Sprüche [sic!] am I to assume that they may, if they wish, attend the meetings at which the Sprüche are given. Also do you believe we should (or could) meet regularly even after the Sprüche would be read & then a few moments of meditation thereafter. Likewise — would it be advisable[?] to give the signs at these meetings — which I understand quite well are not regularly instituted dass meetings. » [« Étant donné que Mlle Irene Brown et Mme Ricardo ont déjà les Sprüche [sic!], je dois supposer qu’elles peuvent, si elles le souhaitent, assister aux réunions lors desquelles les Sprüche sont donnés. Aussi, croyez-vous que nous devrions (ou pourrions) nous rencontrer régulièrement, même après les Sprüche qui ont été lus & quelques instants de méditation par la suite. De même – serait-il indiqué [?] de donner les signes lors de ces réunions – qui, je le comprends très bien, ne sont pas des réunions instituées régulièrement. »]358 On ignore malheureusement jusqu'à présent comment Marie Steiner a répondu à cela. D’une autre lettre qui, visiblement, a été écrite en toute hâte à la villa St. Georg, à Arlesheim et ne porte aucune date359, il ressort que Monges – probablement dans le contexte de réflexions de ce genre – a sollicité auprès de Marie Steiner l’autorisation de pouvoir lire le texte intégral des leçons de classes pendant son séjour à Dornach. « I do not of course wish you to make exceptions for me — but it may be a long time before I have the chance again to be here and I should like to have some knowledge of what Herr Doctor Steiner said on the work of the school. » [Je ne souhaite pas bien sûr que vous fassiez des exceptions pour moi – mais il peut se passer beaucoup de temps avant que j’aie à nouveau l’occasion d’être ici et j’aimerais avoir quelque connaissance de ce que M. Docteur Steiner a dit sur le travail de l’école. »] Il semble donc s’agir tout d’abord pour lui des explications contenues dans les transcriptions à propos du travail de l’université en général. Mais, naturellement, il préférerait une exception allant plus loin : « Of course if you think it possible», schreibt er weiter, «that I might have the actual Lectures to take with me — this [das unbequeme Lesen im Hause Marie Steiners] would not be necessary » [« Bien sûr, si vous pensez qu’il est possible », écrit-il encore, « que je puisse avoir les conférences effectives pour les prendre avec moi – cela [la lecture inconfortable dans la maison de Marie Steiner] ne serait pas nécessaire. » D’une lettre ultérieure à Marie Steiner, il ressort qu’il a effectivement obtenu ensuite l’autorisation de lire les textes dans la maison de celle-ci. Il s’excuse d’avoir pris à cette occasion quelques notes indispensables pour son activité de traducteur.

357 Correspondances pour l’admission. Archiv Goeth.
358 Monges à MSt, 17/04/1926, Archiv Nachl.
359 La lettre se trouvait aux archives du Goetheanum parmi des documents de 1927, mais pourrait avoir été écrite lors de sa visite en avril 1926.
145

 Il n’a en tout cas pas recopié les textes intégralement.360

            Au cours des années suivantes, Henry Monges, avec un zèle croissant, s’attelle à la tâche de donner aux mantras de l’université une forme satisfaisante dans le média de la langue anglaise. «I am working hard» […] «at the translations of the Sprüche — this is of course a big task which I may not be able to complete before I leave here, but before I leave I will place quite a number of translations of Sprüche in your hands for your approval.» [« Je suis en train de travailler dur », écrit-il à Marie Steiner durant l’automne 1929, « à la traduction des Sprüche – c’est naturellement une grosse tâche que je ne serai peut-être pas en mesure d’achever avant de partir d’ici, mais avant de partir, je placerai un bon nombre de traductions des Sprüche entre vos mains pour votre approbation. »] Il ne s’agit absolument pas pour lui que seules entrent en ligne de compte comme appropriées ses propres traductions. «But in America the time has come where we must give the members of first Class an English translation.» [« Mais en Amérique, le temps est venu où nous devons donner une traduction en anglais aux membres de la Première classe. »)361 Monges ne semble pas avoir eu d’échanges avec Harry Collison qui était confronté à l’époque au même problème en Angleterre.

            Monges continue de travailler constamment à ses traductions. Lors d’une visite ultérieure à Dornach, il rappelle à Marie Steiner qu’il lui a remis une copie de ses essais en 1930, tout en étant pleinement conscient de leur insuffisance. Maintenant – trois ans plus tard – il dit avoir révisé encore une fois avec M. « Dr. Frankl » [sans doute Otto Fränkl-Lundborg] les versions améliorées entre-temps. Veut-elle éventuellement utiliser ces nouvelles versions dans le cadre de la « Semaine anglaise » lors des deux leçons de classe à venir ?362 Peu de temps après, Marie Steiner semble avoir pris la décision de confier à Henry Monges l’intégralité des textes des leçons de classe, qu’elle avait aussi entre-temps déjà cédés à d’autres au moins en partie.363 Plus de dix ans plus tard, nous apprenons par une lettre de sa nouvelle femme, Lisa Dreher, qu’il lit maintenant « les conférences de la classe de temps en temps dans sa traduction ».364 Selon le témoignage de Ehrenfried Pfeiffer, Monges est encore, en 1948, « le seul » qui lit les leçons de classe en Amérique du Nord.365

360 Monges à MSt, 18/04/1933. Archiv Nachl.
361 Monges à MSt, 25/09/1929.
Archiv Nachl.
362 Monges à MSt, 01/08/1933. Archiv Nachl.
363 Monges à MSt, 27/09/1934. Archiv Nachl.
364 L. Dreher Monges à MSt, 12/07/1945. Archiv Nachl.
365 E. Pfeiffer à MSt, 30/11/1948.
Archiv Nachl.
146

 En 1951, il se voit obligé à cause de sa vision déclinante d’abandonner totalement cette activité après une assez longue interruption. Il propose comme son successeur Ehrenfried Pfeiffer.366

366 Monges à Steffen, 12/01/1951. Archiv Goeth.
147

 6.9 Harry Collison et George Adams-Kaufmann

 Pour comprendre la situation en Angleterre après le Congrès de Noël de 1923, il sera fort utile de se rendre compte qu’il a existé très tôt dans ce pays – plus encore qu’en Hollande, où l’on rencontre également ce problème, et sous une tout autre forme qu’à Stuttgart – une contradiction latente entre des personnes qui recherchaient une forme d’anthroposophie plutôt orientée vers la tradition et tournée vers l’intérieur, et d’autres en quête d’une action à l’échelle du monde vers l’extérieur. Cette contradiction que Rudolf Steiner avait pu surmonter grâce à sa relation bienveillante vis-à-vis des deux orientations du projet anthroposophique, se manifestait aussi dans le mouvement anthroposophique dans son ensemble et dans l’université nouvellement fondée. Après la mort de Rudolf Steiner, elle apparut à nouveau au grand jour et devint tangible en tant que tension entre « centre » et « périphérie » : sous une forme douce en tant qu’exigence de coparticipation responsable telle qu’elle fut soulevée de façon récurrente par les premiers transmetteurs de Norvège et de Suède, Helga Geelmuyden et Anna Gunnarsson, sous une forme plus tranchante en Angleterre, celle d’un conflit durable commençant déjà très tôt et qu’on ne fut bientôt plus en mesure de résoudre.

            Bien symptomatique à cet égard apparaît le contraste encore très discret entre Albert Steffen et Eleanor C. Merry, qui se révèle en arrière-plan aux lecteurs sous forme d’essai artistique dans les « Nouvelles pour les membres » publiées par Dornach, un an après la mort de Rudolf Steiner. Merry était la collaboratrice et l’amie de Daniel Nicol Dunlop (1868-1935), à l’époque la figure dominante parmi les anthroposophes britanniques, qui, en tant qu’occultiste dès sa prime jeunesse, et en tant qu’homme d’affaire prospère et citoyen du monde d’envergure depuis qu’il avait fait personnellement la connaissance de Rudolf Steiner en 1922, s’engagea avec beaucoup de dynamisme et de clairvoyance pour l’expansion publique de l’anthroposophie et fut apprécié au plus haut degré par Rudolf Steiner367.

366 Monges à Steffen, 12/01/1951. Archiv Goeth.
367 Th. Meyer in Plato 2003, in extenso Meyer 1996, Villeneuve 2004.
147

 C’est à l’initiative de Dunlop et de Merry que l’on doit les congrès d’été de Penmaenmawr (GA 227) et Torquay (GA 243) extrêmement importants pour le destin du mouvement anthroposophique ; plus tard, la conférence mondiale de Londres en 1928.

            Or en avril 1926, Steffen publie dans les communications émanant de Dornach un article intitulé « Paroles de commémoration pour l’anniversaire de la mort de Rudolf Steiner » et décrit d’une façon poignante comment se présente à lui la situation un an après le départ de la Terre de l’instructeur spirituel. « Avant, nous n’avions qu’à emprunter le chemin de la Menuiserie pour recevoir – sans effort – de nouvelles sagesses. Maintenant, il faut prendre soi même le chemin des étoiles. » Et avec une grande force poétique, il décrit un chemin d’exercice, une plongée intérieure dans les secrets du cosmos et de l’histoire humaine, partant du vaste héritage du Maître368. Merry répond à cette évocation, dont elle salue et reconnaît la justesse, en envisageant la situation totalement différente des membres à la « périphérie ». Nous, loin de Dornach, c’est son argument central, avons toujours été réduits à nous-mêmes dans les confusions d’un monde hostile à l’esprit. «There is no Schreinerei to go to. And it has been like that, not for one year, but for all the years.» [« Il n’y a pas de Menuiserie où aller. Et c’était comme ça, pas depuis un an mais pendant toutes ces années. »] Mais ce n’était pas une raison pour se plaindre. Il se dégageait de cette sombre situation un esprit pionnier en son genre. «The same love and loyalty for the Anthroposophical Cause animates the outposts as that which glows from the diamondhearted Centre at Dornach; but their courage must be recognized alongside of their weaknesses and their failures; for the difficulties and the failures are, when they are honestly faced, the steps of the ladder of initiation. And I believe also the not having had the privilege of constant nearness to the Teacher, not feeling so keenly the purely personal and physical loss, the sense of his spiritual nearness cornes to us now, very often, with a wonderful radiance of benediction, encouragement and hope.» [« Le même amour et la même loyauté envers la cause anthroposophique animent les avant-postes que ce qui brille depuis ce centre au cœur de diamant situé à Dornach ; mais leur courage doit être reconnu à côté de leurs faiblesses et de leurs défauts ; car les difficultés et les défauts, lorsqu’ils sont affrontés honnêtement, sont les degrés de l’échelle de l’initiation. Et je crois aussi que le fait de ne pas avoir eu le privilège d’être constamment à proximité de l’Instructeur, de ne pas ressentir aussi profondément la perte purement personnelle et physique, le sens de sa proximité spirituelle nous vient maintenant très souvent, avec un merveilleux rayonnement de bénédiction, d’encouragement et d’espoir369. »

Ces deux états d’esprit, en persistant dans une estime réciproque, auraient sans doute pu subsister convenablement l’un à côté de l’autre pendant encore pas mal de temps. Ce fut un échec à cause des prétentions à l’exclusivité qui – à la suite notamment de l’escalade de dissensions au niveau de Dornach, au niveau du centre – prirent désormais rapidement le dessus370.

368 Nbl. [ndt ; Nachrichtenblatt ; abréviation pour les nouvelles publiées sous le titre « Ce qui se passe dans la Société Anthroposophique. Nouvelles pour les membres »], 11/04/1926.
369 One year after. Some thoughts from the «Periphery». [Un an après. Quelques pensées venant de la « Périphérie ».] Nbl., 09/05/1926.
370 Ita Wegman, à peine plus d’un an avant sa mort, écrit à Guenther Wachsmuth une lettre énigmatique, qui, de la contradiction mentionnée ici,
tire une féconde perspective d’avenir : « Il existe deux types d’êtres dans l’humanité, dans lesquels se reflètent les deux mouvements cosmiques – l’un centrifuge, l’autre centripète. Tous deux ont leur justification, tous deux leur tâche. / C’est du fait de cette différence qu’est venue la séparation dans la Société [Anthroposophique]. L’union n’est possible que sur la base d’une compréhension – unir en laissant libre – ce qui était réalisé dans la personne de Rudolf Steiner. […] Je voudrais juste transmettre – ce qui vit dans le cercle de travail anthroposophique et ce qui émergera éventuellement s’il se produit après la guerre une nouvelle conception des sociétés de pays. Le comité directeur pourra mieux unir s’il est capable de laisser libre et de respecter cette différenciation et ce très profond besoin de re-composition. » (20/10/1944, cité d’après Selg 2004, p. 124.)
148

 Dans cette situation, les deux « personnes de confiance » investies par Rudolf Steiner en Angleterre s’efforcèrent encore pendant une période extrêmement longue (litt. : considérable) d’assurer une collaboration consensuelle. Les différentes fonctions qu’elles avaient à remplir – très vraisemblablement en vertu d’une demande expresse de Rudolf Steiner – leur facilitèrent tout d’abord cette tâche délicate.

            Harry Collison (1868-1945) avait entendu des conférences de Rudolf Steiner au printemps 1910 à l’occasion d’une visite à Rome et avait assisté peu de temps après en août à la création du premier drame-mystère à Munich. Il devint un élève ésotérique de Rudolf Steiner et entra dans la section allemande de la Société théosophique. Même pendant la guerre mondiale, il se considérait encore comme membre de la branche de Berlin. Il fonda ensuite à Londres le groupe de travail Myrdhin [Merlin en gallois ; ndt], traduisit de nombreuses conférences de Rudolf Steiner et les publia dans sa propre maison d’éditions. Des tournées de conférences le conduisirent loin au-delà de l’Angleterre, aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Cofondateur et secrétaire-général de l’ «Anthroposophical Society in Great Britain», c’est lui qui représenta son pays lors du Congrès de Noël371. Mais il exerça surtout, probablement dès avant la Première Guerre Mondiale, une fonction dirigeante (leitend) dans l’École ésotérique conduite (geführt) par Rudolf Steiner. Il tombait donc sous le sens qu’il fût désigné en 1924 comme le premier « homme de confiance » de la nouvelle université pour l’Angleterre. Il n’y avait pas de doute sur cet état de fait même chez ses contradicteurs ultérieurs. Ita Wegman note pour son allocution d’introduction à la première leçon de classe qu’elle donna à Londres : « Ici en Angleterre, M. Collison est premier homme de confiance, M. Kaufmann est deuxième homme de confiance372. »

371 MSt in Nbl., 06/03/1938. Ph. Martyn in Plato 2003. In extenso Villeneuve 2004, vol. 1, p. 236ss.
372 EZ III, p. 64. [EZ = E. Zeylmans van Emmichoven]
149

 

D. N. Dunlop cite – quoique sans l’approuver, mais sans le contredire – le constat d’Albert Steffen : « «Mr. Collison ... as a man of confidence in esoteric matters occupies the first position. He is to be regarded as steward of the Meditations. Mr. Kaufmann in his capacity as translator is to be regarded as a person of confidence in the School.» [« Mr. Collison […] en tant qu’homme de confiance en matière ésotérique occupe la première position. Il est à considérer comme le responsable des méditations. Mr Kaufmann, en sa qualité de traducteur est à considérer comme une personne de confiance dans l’École373. »

            George Kaufmann (1894-1963) fait partie des pionniers d’une science de la nature renouvelée par l’anthroposophie. Fils d’une mère anglaise et d’un père allemand, né en Galicie orientale qui faisait partie à cette époque de l’Autriche, il avait grandi dans un milieu trilingue374. Pacifiste actif et objecteur de conscience, c’était politiquement et socialement un homme intensément engagé. Pendant la Première Guerre Mondiale, il découvrit l’anthroposophie et fit bientôt personnellement la connaissance de Rudolf Steiner, devenant grâce à ses talents linguistiques lors de ses tournées de conférences en Angleterre l’assistant indispensable pour les traductions qu’elles nécessitaient375. Lui aussi se sent investi par Rudolf Steiner de responsabilités en ce qui concerne la Première classe376. Selon Eleanor Merry, la tâche qui lui avait été dévolue consistait surtout à servir d’intermédiaire (truchement) linguistique377.

373 Dunlop à Comité directeur, 19/12/1927. Archiv Goeth. Annexe 22. Il convient de noter ici que le premier groupe de travail à étudier les enseignements de Rudolf Steiner en Angleterre fut fondé par Herbert James Heywood-Smith et sa femme en 1909, et se poursuivit à Londres pendant de nombreuses années en tant que « Groupe Zarathoustra ». Heywood-Smith faisait partie comme Harry Collison des premiers membres de la section allemande de la Société théosophique et était considéré, à l’instar de Collison, depuis la fondation de la Société Anthroposophique en 1913 comme le représentant de celle-ci en Angleterre. (Documentation biographique du pôle de recherche Kulturimpuls, Heidelberg/Dornach. In extenso Villeneuve 2004). Rudolf Steiner donna une leçon ésotérique, pour tous les membres qui avaient reçu de lui des méditations personnelles, le 16 avril 1922 dans la salle de branche de ce groupe, 47 Radcliffe Square, Londres SW (GA 266/3, p. 369).
374 Les documents mentionnés dans ce chapitre utilisent tous le nom du père, Kaufmann. Notre exposé s’en tient pour cette raison à ce nom, bien que son titulaire ait opté pendant la Seconde Guerre Mondiale pour le nom de sa mère, Adams.
375 R. Ziegler in Plato 2003.
376 «But I do not think it right to relinquish the responsibilities which Dr. Steiner gave me in the matter of the First Class.» [« Mais je ne pense pas qu’il soit juste de renoncer aux responsabilités que Dr. Steiner m’a données en matière de Première classe. »] (À Collison, 06/10/1927. Archiv London)
377 « … parce qu’il a reçu du Dr. la tâche de traduire les mantrams et ce faisant de se plonger énormément dedans… » Merry à IW, 06/10/1927. Archiv IW.
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 Il fait bien sûr suivre des demandes d’admission avec avis motivé à Dornach et transmet des questions concernant la fréquentation des mantras, mais renonce pour de nombreuses années à tenir lui-même des leçons de classe. Son activité pour la classe, exercée avec dévouement et une fidélité à son devoir des plus strictes se limite à l’organisation technique des réunions, l’arrangement des rendez-vous et le règlement extérieur (voie annexe 28), ainsi que la traduction. La responsabilité principale, à l’évidence, incombe en premier lieu à Harry Collison, qui, outre ses compétences concernant les affaires de l’université depuis le Congrès de Noël, exerce également la fonction de secrétaire-général de la société du pays. La fonction caractérise bien son positionnement intérieur à l’égard des tâches assumées, tel qu’il vient en parler dans le cadre d’un compte-rendu sur la Première classe publié dans le bulletin d’information anglais et fait ressortir à cette occasion le poids de sa compétence décisionnelle avec une certaine complaisance digne d’un maître d’école : «Frau Dr. Wegman gave on Sunday morning a lecture to the First Class. It is beginning to be realised that this is quite a special matter that must be dealt with in a special way. In admitting members there is a very great and eternal responsibility both on the person who admits the member and upon the person admitted. Very great earnestness is required, and it is far better to wait patiently the time appointed by one's karma than to rush in upon it. There is no question of members of the First Class being better Anthroposophists than those who are not members. It is a question of karmic responsibility.» [« Madame Dr. Wegman a donné dimanche matin une conférence à la Première classe. On commence à réaliser qu’il s’agit là d’une affaire tout à fait spéciale qui doit être traité d’une manière spéciale. Il y a dans le fait d’admettre des membres une très grande et éternelle responsabilité à la fois de la personne qui admet le membre et de la personne admise. Un très grand sérieux est requis et il vaut bien mieux attendre patiemment le moment fixé par son karma que se précipiter dessus. Il n’est pas question que les membres de la Première classe soient de meilleurs anthroposophes que ceux qui ne sont pas membres. C’est une question de responsabilité karmique378. »

            En août 1925, la mission confiée par Rudolf Steiner à Collison est concrétisée par Ita Wegman dans le sens qu’elle l’habilite à transmettre aussi les mantras de l’université dans le cadre de réunions de groupe379. Collison la remercie pour la confiance qu’elle lui manifeste : « It is a great honour but a great responsibility. And I know you feel this too. But so long as my health lasts I hope to help.» [« C’est un grand honneur mais une grande responsabilité. Et je sais que vous ressentez cela aussi. Mais tant que ma santé durera, j’espère aider. »] Il propose cependant d’attendre jusqu'à sa prochaine visite en octobre pour commencer.

378 Anthroposophical Movement. Weekly News, vol. II, n° 30, 26/07/1925, p. 245.
379 La lettre en question n’a pas été retrouvée jusqu'à présent. Mais c’est probablement là-dessus que porte la remarque d’Ita Wegman in Nbl. du 16/08/1925 : « Ce qui permettrait le mieux la conduite de l’École serait que chacun reçoive à intervalles réguliers ce qui fait partie de ses instructions continues, de sorte que le nombre de participants ne serait pas trop grand pour chaque leçon, grâce à quoi le caractère intime des leçons pourrait rester préservé. […] Cette façon de procéder est déjà une réussite pour l’Angleterre… ». Également in EZ III, p.62.
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 «I then can learn a little more about it, and can avoid mistakes. For instance, I should like to have a good talk over the esoteric side und alles klar machen und klar haben. Aber mit Ihren Vorschlägen bin ich ganz und gar einverstanden, und danke Ihnen vielmals für Ihr freundliches Vertrauen. » [« Je pourrai alors en apprendre un peu plus à ce sujet et pourrai éviter des erreurs. Par exemple, j’aimerais avoir une bonne conversation sur le côté ésotérique, et tout rendre clair et tout posséder clairement. Mais je suis tout à fait d’accord avec vos propositions, et vous remercie beaucoup pour votre confiance380. » Kaufmann pour sa part a déjà informé Wegman quelques jours plus tôt de la décision positive imminente de Collison et simplement fait remarquer à cette occasion que le rythme hebdomadaire proposé pour les leçons ne pourra sans doute pas être tenu. Il demande en outre instamment une liste complète des membres de la classe admis entre-temps381. Dans une autre lettre à Wegman, Collison confirme ensuite en décembre 1925 (la visite de Wegman avait été repoussée à la mi novembre), qu’il a commencé ses réunions de la classe. «We had our Meeting of the First Class this morning, and all seemed to go well, and as you wished. » [« Nous avons eu notre réunion de la Première classe ce matin et tout a paru aller bien et comme vous le souhaitiez382. »]

            On ignore encore jusqu'à présent si George Kaufmann avait déjà reçu du vivant de Rudolf Steiner les mantras de la Première classe qu’il voulait traduire, ou s’il ne les a reçus d’Ita Wegman qu’à ce moment-là. En tout cas, Collison s’adresse à lui à cet effet. « Frau Wegman has told me that you ought to give me all the 1st Class Meditations — twenty one. I shall be content with copies. » [« Madame Wegman m’a dit que vous deviez me donner toutes les méditations de la 1ère classe – vingt-et-une. Je me contenterai de copies. »]383 À Dornach, Collison s’occupe peu de temps après du cachet de restitution apposé sur les cartes de membre et en usage depuis cette époque. Dans le protocole de la séance du comité directeur du 18 février 1926, il est dit : « Sur la suggestion de M. Collison, il est apposé à l’avenir par tampon au verso sur toutes les cartes de membre bleues et rouges le cachet suivant : ‘Au décès du porteur de cette carte, la Société Anthroposophique Universelle en redevient propriétaire et prie de la lui restituer’. »384

            Au début, la coopération consensuelle de Collison et Kaufmann dans les affaires de l'université et même de la Société anthroposophique semble se poursuivre sans problème.

380 Collison à IW, 30/08/1925. Archiv IW. Phrases en allemand dans l’original.
381 Kaufmann à IW, 24/08/1925. Archiv London. D’après une lettre du 16/09/1925, il y avait déjà alors en Angleterre 134 membres de la Première classe (NN à Collison. Archiv London).
382 Collison à IW, 13/12 [1925]. Archiv IW.
383 Collison à Kaufmann, 24/01/1926. Archiv London.
384 Archiv Goeth.
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 En mars 1926, Kaufmann fait le compte-rendu des préparatifs conjoints pour la semaine de festival au cours de laquelle le nouveau Rudolf Steiner Hall doit être inauguré avec la participation du monde anthroposophique tout entier385. Mais les confrontations de Dornach de l’hiver 1925/1926 s’étendent maintenant à l’Angleterre. M. Wheeler, D.N. Dunlop et Kaufmann se plaignent auprès de Günther Wachsmuth de n’avoir toujours pas reçu d’information sur la visite de Ita Wegman prévue pour début novembre, et profitent de l’occasion pour récuser énergiquement les prétentions dirigistes démesurées de Collison. Celui-ci [disent-ils] aurait informé le comité directeur (anglais : Executive) de la société anglaise qu’il avait demandé à Dornach de lui conférer une compétence de direction sous la seule surveillance du comité directeur central, « an absolute control of the First Class in England subject to the Vorstand » [« un contrôle absolu de la Première classe en Angleterre, dépendant du Vorstand »]. Cette exigence était à rejeter : «... we desire to place an record that we have no knowledge of such control being granted to Mr Collison by Dr Steiner, and, further, that such a contention does not accord with what we heard Dr Steiner say when he held the Class in England.» [« Nous désirons faire enregistrer que nous n’avons pas connaissance qu’un tel contrôle ait été accordé à Mr Collison par le Dr Steiner, et, de plus, qu’une telle allégation ne correspond pas à ce que nous avons entendu le Dr Steiner dire lorsqu’il a tenu la classe en Angleterre386. »]

            Au même moment, Adolf Arenson à Stuttgart, profondément préoccupé par la situation du mouvement anthroposophique a envoyé sa « lettre circulaire » (voir Annexe 18), provoquant ainsi une tempête d’indignation chez les amis d’Ita Wegman. Collison se sent de ce fait conforté. Il a été critiqué, écrit-il à Arenson, parce qu’il n’aurait pas traité Mme le Dr Wegman et Zeylmans avec le respect qui convient à l’occasion de l’inauguration du Rudolf Steiner Hall. Il est précisément d’avis qu’une telle Maison aurait dû en fait être inaugurée par le président de la Société universelle, donc par Albert Steffen et par Marie Steiner. À titre de compromis, il a proposé qu’Ita Wegman poursuive ses leçons de classe en Angleterre expressément au nom du comité directeur de Dornach, donc pas sous sa propre responsabilité. Il décrit en détails à son ami de Stuttgart les controverses compliquées suscitées par ce problème, non sans dénoncer au passage le culte de la personnalité qu’il croit remarquer dans le cercle autour de Wegman, « the attitude of false personal sentimentality that is making a Sect of the Anthroposophical Movement. » [« l’attitude de fausse sentimentalité personnelle qui est en train de faire une secte du mouvement anthroposophique. »] De nombreuses personnes intéressées en Angleterre étudiaient déjà l’œuvre de Rudolf Steiner tout à fait indépendamment de la Société.

385 Kaufmann à IW, 15/03/1926. Archiv IW.
386 Wheeler, Dunlop et Kaufmann à Wachsmuth, 12/10/1926.
Archiv IW.
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 Il était lui-même tenté de se retirer complètement, mais considère encore comme sa tâche de donner au mouvement une forme pour qu’elle ne devienne pas une secte hollandaise ou anglaise qui ne serait plus « internationale » que de nom387. Dans ces circonstances, Collison se sent engagé (obligé) vis-à-vis de la mission confiée par Rudolf Steiner388. Mais il aggrave alors considérablement les tensions existantes en mettant en avant avec insistance sa revendication de leadership. En août 1927, Dunlop avait encore tout à fait respecté la position de Collison. À l’encontre d’Eleanor Merry, il maintenait son opinion selon laquelle le comité directeur britannique (« Executive ») n’avait rien à voir avec les décisions concernant la Première classe. « Tout cela est entre les mains de Mr Collison seul – et de Mr Kaufmann en tant que gardien des Écritures mantramiques. Mr Collison s’est toujours considéré comme <chef> ésotérique en Angleterre parce qu’il dit que le Dr Steiner l’a appelé ainsi389. »

Mais cette fois, Collison fait insérer dans la feuille d’informations de la société anglaise une note explosive : « First Class of the School of Spiritual Science. Mr. Collison finds it necessary to remind members that he is the leader of the first class and Esoteric School in England, and communications in regard to anything concerning this should be directed to him personally at 25 Hereford Square, London, S.W. 7. » [« Première classe de l’École de science spirituelle. Mr Collison juge nécessaire de rappeler aux membres qu’il est le chef de la Première classe et de l’École ésotérique en Angleterre, et que les communications concernant toute question à ce sujet doivent lui être adressées personnellement au 25 Hereford Square, Londres, S.W. 7. »]390 Ce n’est, pour l’autre côté, pas acceptable. Les droits de George Kaufmann doivent être respectés, et le groupe autour de Dunlop, eu égard à ses activités nécessaires et urgentes pour la diffusion de l’anthroposophie ne peut tolérer aucune instance de contrôle de mauvaise augure au dessus de lui. Un débat houleux s’engage au comité directeur (Executive) de la société anglaise. Collison déclare que cette instance, étant « exotérique », n’est pas compétente, demande le report du débat parce que la visite annoncée de Marie Steiner pourrait en être affectée, invoque le danger d’une scission de la société, sans succès. Dunlop & Kaufmann», schreibt er an Wachsmuth, «did not care, they welcomed it.” [« Dunlop et Kaufmann, écrit-il à Wachsmuth, n’en avaient cure, ils étaient ravis. »]

387 Collison à Arenson, 07/11/1926. Archiv Nachl. Voir annexe 19.
388 Kaufmann remarque plus tard à ce sujet que Collison avait prétendu « qu’il était purement et simplement, en vertu du Dr Steiner, le chef de la Première classe en Angleterre ; qu’il l’avait déjà été, somme toute, avant que la Première classe fût fondée. […] Le motif implicite était naturellement celui-ci ; que sa position dans l’ancien ésotérisme garde évidemment sa validité aussi pour la nouvelle école. » (Kaufmann à IW, non daté (1934 ?). Archiv IW)
389 Merry à IW, 21/08/1927. Archiv IW.
390 04/09/1927.
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  Encore une fois, il demande qu’on le soutienne à Dornach, invoquant la mission de Rudolf Steiner liée à lui personnellement, et non à sa fonction391. En même temps, il se plaint confidentiellement à Marie Steiner sur un ton des plus tranchants des revendications de pouvoir de ses adversaires392. Eleanor Merry, qui, pour sa part, tient pendant ce temps Ita Wegman au courant, réagit tout d’abord avec une émotion semblable et se laisse entraîner à supposer que Collison dans son obstination « prépare tout pour donner à Mme Steiner l’occasion de faire un coup d’état* (* en français dans le texte ; ndt) »393, mais se voit ensuite amenée, grâce à des expériences suprasensibles impressionnantes, à juger la situation avec plus de sérénité. La scission qui s’annonce est probablement inévitable et mènera plus tard à une unité plus vaste (« a larger unity ») 394.

            Dunlop s’efforce encore de parvenir à une entente en s’entretenant en privé avec Collison, notamment pour éviter lors de la prochaine visite de Marie Steiner une esclandre qui nuirait à la conférence mondiale de Londres annoncée pour 1928 395. Même Ita Wegman conseille à ses amis de chercher une solution pacifique. Le mieux, écrit-elle à Merry, serait que soient nommées, en plus de Collison et Kaufmann, deux personnes de confiance supplémentaires pour la Première classe, ou aussi que l’Executive tout entier en assume la responsabilité396. Un facteur aggravant de plus est qu’à Dornach, on craint que la « World Conference on Spiritual Science » prévue en Angleterre puisse affecter financièrement l’ouverture prochaine du Second Goetheanum397.

391 Collison à Wachsmuth, 28/09/1927. Archiv Nachl.
392 Collison à MSt, 28/09/1927. Archiv Nachl.
393 Merry à IW, 30/09 [1927]. Archiv IW.
394 Merry à IW, 06/10
[1927]. Archiv IW. Voir annexe 21.
395 E. Kolisko à IW, 09/11/1927. Archiv IW. Dans cette lettre une description détaillée de la crise sévissant à ce moment-là.
396 IW à Merry, 28/11/1927. Archiv IW.
397 Wegman écrit sur ce point à Merry, qu’on veut maintenant « annoncer partout […] que le Goetheanum pourra être ouvert à la Saint Michel, de manière à amener tout le monde à donner jusqu'à son dernier sou et à ne rien dépenser pour la Conférence mondiale, afin que tout puisse couler vers Dornach. » On ne peut par conséquent rien faire d’autre [écrit-elle] que « tenir bon et mettre à exécution sa propre initiative, sans trop demander si la Société Anthroposophique en est peu ou prou satisfaite […] Vous voyez comme on conçoit tout de façon bornée ; même les gens n’ont pas le droit d’y aller afin qu’ils n’aient pas le droit en effet d’élargir leur champ de vision, mais que tout, aussi étroitement que possible, puisse rester purement unilatéral. » (IW à Merry, 19/12/1927. Archiv IW.)
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 Finalement D. N. Dunlop, présentant une description soigneusement formulée de la situation, résume encore une fois les problèmes en suspens, et demande au comité directeur de Dornach de désigner deux autres personnes de confiance, à savoir Wheeler, en tant que trésorier en exercice, et lui-même en tant que secrétaire-général398. Mais il ne semble avoir trouvé aucune audience avec cette proposition399. Le conflit continue donc à empirer.

            Collison, qui voit sa position plus que jamais menacée, tente un recours auprès de Marie Steiner. « The only rocks upon which I can stand now are the First Class and the Publishing Company.... The First Class I must be able to give independently of the graces of Kaufmann. The Publishing rights must be reaffirmed in your name. » [« Les seules pierres sur lesquels je peux me tenir maintenant sont la Première classe et la maison d’édition […] La Première classe, je dois être capable de la donner indépendamment des bonnes grâces de Kaufmann. Les droits de publication doivent être réaffirmés en votre nom400. Dans une lettre non datée, qui date probablement de la même époque, il se fait encore plus clair : « Though I may be unable to continue for long as an Official in the Society —, I hope I may be able to control the First Class and the Publishing affairs. Miss Pethick and many others are anxious for me to have the original Text. Kaufmann keeps his notes, and this is illegal. The whole matter is inconsistent. » [« Bien que je puisse être dans l’incapacité de continuer encore longtemps en tant que responsable officiel de la Société –, j’espère que je pourrai être en mesure de contrôler la Première classe et les questions d’édition. Mlle Pethick et beaucoup d’autres sont impatients de me voir disposer du texte original. Kaufmann garde ses notes, et c’est illégal. Toute cette affaire ne rime à rien. »]401 Deux mois plus tard, il apprend par Dorothy Pethick, qui a pu éventuellement entreprendre des démarches à Dornach auprès de Marie Steiner, qu’il est invité à lire les textes de la classe à Dornach et à se faire des notes à partir de ces textes402. Ainsi Collison, conformément à l’espoir qu’il nourrissait depuis longtemps, se trouve privilégié par Marie Steiner en toute discrétion, sans que les autres membres du comité directeur de Dornach en soient informés, avant même Helga Geelmuyden et Anna Gunnarsson, d’une façon semblable à celle de Ludwig Polzer, qui déjà précédemment, grâce à une décision semblablement solitaire d’Ita Wegman, avait eu la permission de prendre des notes à partir des transcriptions de Lili Kolisko (voir ci-dessous chapitre 6.11). On peut supposer que Collison a pris à Dornach des notes bien détaillées. Lorsqu’il est interrogé peu de temps après par Ita Wegman, qui a pu devenir méfiante, sur sa façon de procéder lors des leçons de classe, il se réfère à ce qui était convenu par le passé lui permettant de parler de façon libre d’après les notes de Kaufmann, mais sans nommer celui-ci par son nom.

398 Dunlop à comité directeur, 19/12/1927. Archiv Goeth. Voir annexe 22.
399 « Mais cela n’a pas marché », écrit plus tard Merry à ce propos à Wegman (06/09 [1928]. Archiv IW).
400 Collison à MSt, 03/07/1928. Archiv Nachl.
401 Collison à MSt, non daté. Archiv Nachl.
402 Collison à MSt, 04/09/1928. Archiv Nachl. Voir annexe 23.
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 Il a aussi [dit-il] si souvent entendu les premières leçons qu’il connaît des passages presque par cœur. Et discrètement, mais de façon très parlante, il ajoute concernant Marie Steiner : « There was no reference to any verbatim translation. She seemed satisfied. Your name was not mentioned. » [« Il n’a pas été question d’une traduction in extenso. Elle a paru satisfaite. Votre nom n’a pas été mentionné403. »

            En même temps, la polarisation des forces au sein de la Société anglaise atteint un nouveau stade. Dunlop démissionne de ses fonctions de secrétaire-général, c’est maintenant l’Executive à douze membres dans son ensemble qui assure la direction. Le groupe Zarathoustra autour de Heywood-Smith se détache de la Société anglaise et se rattache directement à Dornach. Collison forme une « Union Rudolf Steiner » (« Rudolf Steiner Fellowship »), avec un groupe A dont les membres sont également rattachés directement à Dornach, et un groupe B qui continue à faire partie de la Société anglaise. Ita Wegman, qui informe Albert Steffen de cette évolution, ajoute : « La leçon de classe [qu’elle a tenue] s’est bien passée. Mr Collison donnera de temps en temps une répétition en disant les mantrams et en donnant quelques paroles d’explications de son propre chef. Il m’a dit lui-même qu’il le faisait de cette façon404. »

            L’Angleterre n’est ensuite touchée que marginalement par les confrontations touchant le privilège de lecture du comité directeur au cours des années 1930 405.

403 Collison à MSt, 11/12/1928. Archiv Nachl.
404 IW à Steffen, 18/12/1928. Archiv Goeth.
405 À la demande insistante d’Ita Wegman, le comité directeur décida le 19 février 1930 de restreindre la lecture des textes de la classe aux membres du comité directeur de Dornach. Le premier projet de communiqué correspondant destiné à Ludwig Polzer et Harry Collison, probablement rédigé par Ita Wegman, stipulait : « Pour parvenir à une régulation uniforme de la tenue des leçons de classe et pour éviter des complications et des difficultés, nous aimerions beaucoup vous demander que la tenue des leçons de classe, c'est-à-dire la lecture des textes des leçons de classe, puisse rester réservé exclusivement aux membres du comité directeur, et que vous vous absteniez lors de l’étude des mantrams avec votre groupe de travail de lire les textes du Dr Steiner (à l’exception des textes des mantrams eux-mêmes). » Marie Steiner critique cette formulation et ajoute de sa main : « Si Monsieur Collison ne les lit pas et l’a dit expressément à Madame Wegman, alors c’est une insulte. Mais Polzer les lit. » (Comité directeur à Collison et Polzer. Projet du 20/02/1930. Archiv Goeth.) Dans la version définitive, il est donc dit : « …de sorte que, bien que nous regrettions de ne pas pouvoir satisfaire à vos souhaits, votre étude des mantrams avec votre groupe de travail devrait aussi avoir lieu sans lecture des textes du Dr Steiner (à l’exception des textes des mantrams eux-mêmes) » (Comité directeur à Collison, 20/02/1930. Archiv Goeth. Voir aussi à ce sujet l’exposé de MSt in G.u.V., 25/04/1930, p. 96. Archiv Goeth.). Wegmann envoie une copie de cette lettre à Kaufmann et ajoute : « …il semble [Collison] avoir fait une fois une demande au sujet des textes, du moins c’est ce que dit Madame Steiner. D’où a-t-il donc les textes ? Il en fait quand même la lecture ? (IW à Kaufmann, 21/02/1930. Archiv London.) Il n’est pas à exclure que cette supposition soit justifiée et que Collison ait déjà obtenu l’intégralité des textes entre temps.
406 D’après un projet de lettre de Dunlop aux membres du groupe Myrdhin, Collison fit part de cette séparation à l’Executive Council le 18 mars 1930 (non daté. Archiv London.) Voir aussi Protocole Comité directeur Dornach, 15/04 [1930]. Archiv Goeth.
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 Plus décisif est sur place le fait que Collison dissout complètement son groupe Myrdhin faisant partie de la Société anglaise et le reconstitue406.

            Sur ce, D. N. Dunlop, réélu entre temps secrétaire-général, et ses amis refusent d’insérer les annonces de ses leçons de classe dans la feuille d’informations de la Société anglaise407 et convient les membres du groupe Myrdhin à faire savoir s’ils veulent à nouveau se rattacher ou non à la Société du pays408. On présume que des leçons de classe séparées ont alors eu lieu en Angleterre à compter de juin 1930 : celles de Collison dans le cercle du groupe Myrdhin, éventuellement en coopération avec le cercle autour de Heywood-Smith409, et celles d’Ita Wegman assistée de George Kaufmann. Collison se plaint que Kaufmann refuse tout contact avec lui et demande à Marie Steiner d’admettre une candidate à la classe, laquelle a [dit-il] été refusée par Ita Wegman à cause de leurs différents avec « Kaufmann & Company » : un signe que la décision prise en son temps par le comité directeur de Dornach d’admettre en commun de nouveaux membres n’a maintenant plus aucune réalité410.

            Caractéristiques de cette situation tendue et des manœuvres discrètes par lesquelles les deux côtés essayent de conforter leur position, se trouvent être aussi les conseils d’Ita Wegman à Kaufmann, lequel reste indécis, ne sachant pas s’il doit remettre à Collison à la demande de ce dernier411 les adresses des membres de la classe nouvellement admis.

407 Elsie Hamilton à Executive, 26/05/1930 ; Executive à Hamilton, 18/05/1930 ; Dunlop à Hamilton, 01/06/1930. Archiv London.
408 Projet Dunlop, non daté, sans doute juin 1930. Archiv London.
409 Déjà en avril 1930, Dorothy Osmond écrit à George Kaufmann : « I hear that Heywood Smith is giving lectures or classes at the new book-shop opened by Collison people in Westminster. » [« J’entends dire que Heywood-Smith donne des conférences ou des classes dans la nouvelle librairie ouverte par les gens de Collison à Westminster. »] Archiv London.
410 Collison à MSt, 05/06/1930. Archiv Nachl.
411 Collison à Kaufmann, 28/05/1930. Archiv London.

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 Elle est d’avis que l’on doit simplement laisser cette demande sans réponse et considérer comme allant de soi que c’est l’Executive, et par conséquent Dunlop et Kaufmann, qui porte la responsabilité du bon développement de la Première classe. Il en irait naturellement autrement si Collison était plus nettement soutenu depuis Dornach, à savoir par Marie Steiner et Albert Steffen. « Alors c’est pour moi le moment de ne pas participer à cela et de dire alors très énergiquement que pour ma part, je ne peux pas lui donner ma confiance, et que je la donne à quelqu'un d’autre qui même, en même temps que C. donne par exemple des lectures tirées du texte, devrait aussi lire les textes. » Elle voudrait cependant éviter cela aussi longtemps que possible. « Je ne sais pas », ajoute-t-elle, si je suis assez claire là-dessus, car on doit être très exact avec cette classe, mais en même temps pas trop fixiste non plus 412. »

            En octobre 1930, Collison, encore une fois à la recherche de soutiens, s’adresse à Marie Steiner en lui demandant de bien vouloir établir les cartes de membre nécessaires pour des candidats qui participent à ses leçons de classe mais n’ont pas voulu être admis par Ita Wegman. « I can vouch personally for all these members, but they do not care to ask Frau Wegman, and therefore are precluded from this First Class if you do not give them a card. It becomes very awkward for me, as I still continue to read and explain the Mantrams, and they do not understand why they should be excluded from the privilege of hearing them. » [« Je peux me porter garant pour tous ces membres, mais ils ne veulent pas demander à Madame Wegman et sont par conséquent exclus de cette Première classe si vous ne leur donnez pas une carte. Cela devient très pénible pour moi puisque je continue encore à lire et expliquer les mantrams et qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils devraient être exclus du privilège de les entendre. »]413 Un dernier témoignage de la situation désolante dans laquelle se trouve Collison vers la fin de l’année est un télégramme à Marie Steiner du 8 novembre 1930 : « Dunlop Claims control first class please remind Steffen leadership given me personally by doktor Steiner not necessarily connected with secretary general many members object to new society different from the one founded by doktor Steiner and are leaving it. » [« Dunlop revendique contrôle Première classe s’il vous plaît rappelez Steffen direction donnée à moi personnellement par docteur Steiner pas nécessairement liée à secrétaire général nombreux membres s’opposent à nouvelle société différente de celle fondée par docteur Steiner et la quittent. »] 414

            Au cours des années suivantes, les fronts se durcissent aussi de plus en plus à Dornach, ce qui rend toujours plus difficile le dépassement des antagonismes en Angleterre : « Ici règne le véritable catholicisme, plus personne n’est libre. Aux dernières nouvelles, ils veulent faire breveter le nom Anthroposophie et Rudolf Steiner. »415

412 IW à Kaufmann, 21/06/1930. Archiv IW.
413 Collison à MSt, 21/10/1930. Archiv Nachl.
414 Archiv Nachl.
415 IW à Kaufmann, 24/11/1932. Archiv London.

159

 En avril 1933, Ita Wegman se plaint dans une lettre à Kaufmann que le rapport de Collison sur l’Angleterre paru dans « Das Goetheanum » donne l’impression complètement erronée qu’il continue à jouer là-bas, comme par le passé, un rôle de dirigeant416. Quelques mois plus tard, elle s’exprime sur un ton des plus acerbes sur la feuille d’informations éditée par Collison : « Je vois dans les New[s] Sheets qui sont dirigées d’ici, un acte extrêmement hostile à l’encontre de la société anthroposophique légitime de Grande Bretagne. On annonce tous les événements, même ceux de Londres, mais uniquement ceux indiqués par Collison, de sorte qu’il en résulte une image extrêmement fausse de la situation. C[ollison] a bien du culot d’annoncer des leçons de classe pour le dimanche. Je ne peux dire qu’une chose, c’est que nous devons surveiller de très près cette question et nous défendre là énergiquement. »417 Début 1934, elle insiste, à Dornach, où elle y avait renoncé un temps au nom d’une paix si désirée, pour donner à nouveau des leçons de classe418. Wachsmuth prépare alors une lettre de réponse diplomatique, dans laquelle la fiction encore maintenue jusque là d’une direction conjointe de la classe par le comité directeur remontant à la fondation [de la Société Anthroposophique] est définitivement abandonnée : « Du fait que dans vos lettres à Madame Steiner et à Monsieur Steffen, vous avez déclaré pour votre part que leur opinion concernant la tenue des leçons de classe ne constituait pas une référence normative, les soussignés ne sont pas en mesure de se prononcer sur votre lettre du 14 janvier, et ne peuvent plus assumer de responsabilité en ce qui concerne votre façon de gérer la classe. »419 Quelques jours plus tard, D. N. Dunlop refuse de communiquer à Dornach les adresses des membres de la classe en Grande Bretagne, comme c’était l’usage auparavant : il faut d’abord [dit-il] que soit rétablie la confiance perdue420. Wachsmuth commente la démarche avec indignation421.

416 IW à Kaufmann, 29/04/1933. Archiv London.
417 IW à Kaufmann, 14/10/1933. Archiv IW.
418 IW à Steffen, 14/01/1934.
Archiv Goeth.
419 Projet de Wachsmuth, visé par MSt avec la mention « d’accord ». Annotation sur la copie : « est partie le 19 janvier 1934 ». Archiv Goeth.
420 Dunlop à Steffen, MSt et Wachsmuth, 24/01/1934. Archiv Goeth.
421 Wachsmuth à MSt et Steffen, 05/02/1934.
Archiv Goeth.
160

 Pendant ce temps, une « déclaration de volonté » est préparée par les amis d’Ita Wegman pour l’assemblée générale de la Société Anthroposophique Universelle qui a lieu à la fin du mois de mars, qui aggrave encore le conflit422. Au cours de l’été, après des réunions préparatoires des membres en Angleterre et en Hollande, se constituent les « Groupes anthroposophiques libres unis » [Vereinigte Freie Anthroposophische Gruppen], ayant leurs propres cartes de membres423. Le conflit arrive à son point culminant : celui de la funeste assemblée générale d’avril 1935, au cours de laquelle les membres affiliés à Wegman et Vreede sont exclus de la Société Anthroposophique.

            En juillet 1935, Collison (« confidentiellement ») fait protéger juridiquement le nom « Rudolf Steiner » 424. Bien au-delà de la fin de la Seconde guerre mondiale, les deux courants anthroposophiques qui se sont formés autour de Marie Steiner (et, jusqu'au conflit de succession des années 1940, aussi autour de Steffen et Wachsmuth) d’une part et autour d’Ita Wegman d’autre part travaillent désormais séparément l’un de l’autre. Harry Collison sombre de plus en plus dans un tragique isolement. Une bonne année avant sa mort, il envoie à Marie Steiner, à qui il est resté indéfectiblement fidèle même dans le conflit de succession qui commence, un résumé amer des efforts de ses dernières années. Il rapporte que quelques mois avant la Seconde Guerre mondiale, donc déjà en 1939, Cecil Harwood lui avait rendu visite pour parler avec lui de ses adversaires à « Park Road », le « quartier général » des amis de Wegman. Si ceux-ci souhaitent une réunification, avait-il répondu à sa question, il faut qu’ils aillent à Dornach et en discutent là-bas425. Lui-même ne trouvait plus le moyen de sortir de l’impasse de sa vie.

            Il reste encore à décrire comment l’activité du deuxième « homme de confiance » de l’université en Angleterre, George Kaufmann, a continué à évoluer après la discorde survenue avec son partenaire Collison. Comme nous l’avons déjà rapporté, Kaufmann s’est tout d’abord limité pendant de nombreuses années à des activités d’organisation, à la recommandation des candidats et surtout à son activité de traducteur.

422 E. Kolisko, D. N. Dunlop et W. Zeylmans van Emmichoven à Steffen, 23/03/1934. Archiv Goeth.
423 Lettre ouverte J. v. Grone et E. Kolisko, 18/06/1934. Dunlop, Kaufmann, Zeylmans, de Haan, v. Grone, Kolisko, Vreede à Steffen, 04/07/1934. Archiv Goeth.
424 Wachsmuth à Steffen et MSt, 17/07/1935. Archiv Goeth. D’après une note de Wachsmuth, cela s’est fait par le biais de l’enregistrement officiel d’une «Rudolf Steiner Association Ltd.» Archiv Goeth.
425 Collison à MSt, 25/04/1944. Archiv Nachl. Voir annexe 37.

161

 Il en est venu ainsi, à partir de 1925 et jusqu'à la mort de celle-ci en 1943, à une collaboration étroite avec Ita Wegman, qui a lu régulièrement des leçons de classe à Londres et dans d’autres endroits en Angleterre et en Écosse jusque tard dans les années 1930. Kaufmann a traduit à cette occasion librement en anglais les textes lus par Ita Wegman, probablement d’une façon similaire – sommairement en trois grandes sections – à la façon dont il avait traduit habituellement des conférences de Rudolf Steiner. Il n’a pas eu tout de suite accès pour s’y préparer aux transcriptions intégrales, mais seulement l’autorisation (en juillet 1927) de traduire petit à petit les mantras requis à chaque lecture426. Encore plus d’un an après, il demande à Wegman de lui lire une leçon la veille427. Il est donc peu vraisemblable que lui et Mme Wedgewood, comme Collison le prétend, aient disposé des transcriptions intégrales (« the full version ») dès la fin de l’année 1927 428. Même dix ans plus tard, il ne possédait une traduction écrite que de la première leçon, qu’il avait réalisée en vue de sa lecture à la demande de Wegman « il y a de nombreuses années », et dont elle ne fit ensuite aucun usage429. La prise de position déterminée de Wegman en faveur du privilège de lecture du comité directeur au printemps1930 rend aussi improbable qu’elle ait déjà remis l’intégralité des textes à Kaufmann à cette époque.

            Kaufmann n’a cessé d’échanger alors des lettres avec Ita Wegman sur la situation en Angleterre et son travail de séminaire avec des étudiants en mathématiques et en médecine concernant entre autres des idées et des exercices sur la géométrie projective et le modelage organique430. Il organise inlassablement les leçons de classe de Wegman en Angleterre, auxquels il invite seul, sans Collison, au plus tard à partir de février 1933 431.

426 « Mr Collison semble prévoir que d’autres leçons de classe seront aussi tenues à Dornach pendant la session anglaise du mois d’août, car il m’a montré récemment une lettre dans laquelle Dr Wachsmuth (suite à une question de sa part) a répondu positivement que Monsieur Steffen avait répondu que j’avais la permission de traduire quelques méditations supplémentaires. » Mais comme, écrit-il à Wegman, il n’a pas entendu lui-même les leçons et ne peut pas traduire les mantras seuls comme ça sans plus d’éléments, il lui demande « d’apporter les prochaines leçons de classe en Angleterre (peut-être la douzième et la treizième, en plus de la onzième), afin que je puisse faire les traductions avec votre aide comme dans les cas précédents. » (Kaufmann à IW, 11/07/1927. Archiv IW.
427 Kaufmann à IW, 04/12/1928. Archiv London.
428 Collison à MSt, 14/11/1927. Archiv Nachl.
429 Kaufmann à IW, 04/02/1937. Archiv IW.
430 Kaufmann à IW, 19/10/1932 et 01/02/1933. Archiv London.
431 Archiv London.

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 Résumant la situation de son travail anthroposophique étendu en Angleterre, il écrit à Wegman en 1932 : « Quand je suis ici, je suis toujours invité à me rendre dans les différentes branches, mais je suis toujours à nouveau obligé de me demander comment on rend ce travail fructueux. Ces derniers temps justement, je ressens le besoin de renforcer davantage la vie intérieure parmi les amis. Il faudrait que la vie dans les branches puisse être durant les premières années pour ceux qui prennent la chose au sérieux une préparation constante à devenir membre de l’école de Michaël. Si on ne donne pas cela, on éprouve toujours à nouveau le même phénomène triste : à l’enthousiasme chaleureux des débuts succède la déception, le découragement, le désarroi. L’anthroposophie est trop grande pour les gens s’ils ne peuvent pas ressentir la présence réelle de l’école. Or, dans son état actuel, la Société est déboussolée. Comment pallier le fait que les impulsions du Congrès de Noël n’ont pas pu faire sentir leur effet centralement au Goetheanum ? C’est la question centrale. C’est une question de vie ou de mort pour l’existence actuelle de notre Société anglaise. »432

Après l’exclusion du groupe anglais et du groupe néerlandais, les amis se rencontrent à Clent en août 1935 pour une réflexion commune sur les exigences qui résultent de la nouvelle situation : Ita Wegman, Elisabeth Vreede, Maria Röschl, Willem Zeylmans van Emmichoven, Eugen Kolisko, Jürgen von Grone, Herbert Hahn, Fried Geuter, Michael Wilson et George Kaufmann. Ils décident qu’Ita Wegman doit poursuivre son activité de lecture habituelle dans les centres anthroposophiques de Hollande et d’Angleterre (en Allemagne, ce n’est déjà plus possible), et qu’en outre, Vreede en Angleterre ainsi que Vreede, Zeylmans et Hahn en Hollande doivent diriger des réunions des membres de la classe lors desquelles les mantras seront transmis et où des explications sur ces mantras seront données dans leurs propres mots433. Au lieu des cartes de membre de couleur bleue, on délivrera à l’avenir des certificats provisoires434.

432 Kaufmann à IW, 19/10/1932. Archiv London.
433 À partir de juillet 1937, des leçons de classe sont tenues toutes les trois semaines, alternativement à La Haye et à Zeist (données communiquées par Joop van Dam).
434 Kaufmann à Wheeler, 26/08/1935. Archiv London. Voir annexe 32. Une allocution d’Ita Wegman à des membres anglais de la classe sur la reprise du travail ésotérique après l’exclusion a été également conservée. Archiv London. Voir annexe 33
.
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Fin octobre, après un différent avec Lili Kolisko, qui avait soulevé des objections435, Ita Wegman a opté pour continuer à accepter les cartes bleues et n’établir des cartes provisoires que pour de nouveaux membres. C’est également ainsi que l’on va procéder en Hollande436. Elle laisse de cette façon ouverte la possibilité d’une réunification avec le centre d’origine à Dornach, sans abandonner la mission de co-direction de l’école reçue de Rudolf Steiner. Vreede commence en Angleterre avec une série de cinq leçons à partir du 13 octobre 1935 437. Ce n’est que maintenant que Kaufmann, à l’instigation d’Ita Wegman, se met à tenir lui-même des leçons de classe, d’abord avec de petits groupes à Leeds et à partir de mai 1936 aussi à Manchester438. Lorsque Wegman doit ensuite décommander deux lectures prévues pour le 6 et le 7 février 1937, elle demande à Kaufman d’assumer cette tâche à sa place. Celui-ci y consent volontiers. « Nous devons juste décider comment je présente la classe en anglais. Lire directement en anglais à partir du texte allemand ne va pas bien. Il faudrait donc soit que je lise complètement le texte au préalable et en prenne des notes que je présente ensuite librement (tout comme je le fais aussi pendant que vous lisez la classe), soit que je fasse auparavant une traduction écrite que je lis ensuite. »439 Wegman répond qu’il faut qu’il traduise et lise la traduction440. Dans le même temps, elle laisse entendre qu’elle envisage de se faire remplacer par lui « … le moment venait tout de même où elle ne serait plus aussi forte et où les choses devraient être réorganisées. »441 Kaufmann en rend compte aussi à Vreede : « Dr Wegman m’a ensuite donné les textes et j’ai dû travailler 2 à 3 nuits pour les traduire encore à temps. Les deux leçons se sont bien passées, il régnait – comme aussi le week-end précédent – une ambiance sérieuse et solennelle, et alors Dr Wegman m’a fait venir chez elle quelques jours plus tard et m’a dit que je devais continuer à faire les choses de cette façon ; c’était venu ainsi grâce au destin et elle y ressentait comme une certaine direction. » Il avait accepté cela et avait ensuite parlé d’une façon générale de la poursuite des leçons de classe en Angleterre.

435 Vreede à Zeylmans, de Haan et Kaufmann, 07/09/1935. Archiv London. Kaufmann à Vreede, 18/09/1935. Archiv Goeth.
436 IW à Kaufmann, 30/10/1935. Archiv London.
437 Invitation par Wheeler et Kaufmann, 09/10/1935. Archiv Goeth.
438 Kaufmann à IW, 09/05/1936. Archiv IW.
439 Kaufmann à IW, 04/02/1937. Archiv IW.
440 Février 1937.
Archiv London.
441 Kaufmann à Vreede, 13/02/1937. Archiv Goeth.

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 « Je lui ai dit », écrit-il encore à Vreede, « que vous considériez la tenue des leçons de classe avec des explications individuelles et comparatives – mis à part la lecture des textes proprement dits – comme juste, à bien des égards complémentaire, et surtout, éveillant la conscience ; mais que la connaissance des textes eux-mêmes vous manquait beaucoup, et que je vous ai aidée le mieux possible avec mes notes de traduction. […] À la suite de quoi elle a dit qu’il allait de soi que vous devriez avoir accès aux textes pour vous préparer. » – « J’ai vu », remarque Kaufmann à ce sujet, « qu’elle a toujours des résistances contre la lecture des textes en allemand par d’autres qu’elle-même. » Wegman [dit-il] lui a alors prêté les deuxième, troisième et quatrième leçons pour les traduire ; il lui avait déjà rendu la dix-neuvième et la première leçon. « Ce qui a surtout été une bonne chose, c’est que Dr Wegman en soit venue d’elle-même à ces dispositions ; elle semble depuis lors en être heureuse et je le ressens comme si c’était pour elle une certaine libération. »

            Pour conclure, Kaufmann consigne pour Vreede les nouvelles règles : Elle tiendra des leçons de classe avec ses commentaires à elle lors de ses visites régulières à Londres ; lui-même dans l’intervalle, à peu près toutes les quatre semaines, lira à chaque fois deux leçons – un samedi et un dimanche – en anglais442. D’ici à l’été, Kaufmann a ensuite traduit et lu en séance, comme il l’écrit à Wegman, les neuf premières leçons. De ce fait, sa coopération lors des leçons de classe d’Ita Wegman prend aussi une autre tournure. « … je crois que si vous lisez maintenant [en allemand] des leçons de classe que j’ai déjà traduites et mises par écrit, ce sera bien si nous le faisons comme toujours en environ trois paragraphes mais pour ma part en lisant le texte [anglais] lors de la traduction, au lieu de traduire librement comme jusqu'à présent. »443 À partir d’octobre 1937, Kaufmann lit alors aussi régulièrement à Bristol444, à partir de février 1938 à Clent. À partir de mars 1938, il commence un nouveau cycle à Londres445.

            George Adams-Kaufmann continua encore à exercer son activité de lecture pour Ita Wegman. Ce n’est qu’après la mort de celle-ci qu’il se sent lui-même pleinement responsable de la Première classe en Angleterre446.

442 Kaufmann à Vreede, 13/02/1937. Archiv Goeth.
443 Kaufmann à IW, 01/08/1937. Archiv IW.
444 Kaufmann à IW, 20/10/1937. Archiv London.
445 Kaufmann à IW, 23/02/1938. Archiv IW.
446 Adams à Karl König, 14/07/1955. Archiv Goeth. Original chez Friedwart Bock, Camphill.

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 6.10 Willem Zeylmans van Emmichoven

 C’est en novembre 1923 que Willem Zeylmans van Emmichoven (1893-1961), qui n’avait pas encore trente ans, est devenu, selon le vœu de Rudolf Steiner, le secrétaire général de la Société Anthroposophique en Hollande nouvellement fondée. Il assista au Congrès de Noël 1923-1924 et fut chargé par Rudolf Steiner au début de l’année 1925 de la tenue des leçons de classe dans son pays447. C’était l’un des médecins les plus éminents du mouvement anthroposophique et il fut admis en tant que tel dans le cercle ésotérique de la section médicale au Goetheanum448. Profondément ému par les contenus des conférences de Rudolf Steiner sur le karma449, il ressent comme une mission karmique particulière non seulement son activité médicale, mais aussi la représentation de l’anthroposophie vis-à-vis du monde culturel dans son ensemble. C'est ainsi que la relance énergique de l'idée de la « Weltschulverein » [Association scolaire mondiale], dont Rudolf Steiner avait réclamé en vain la fondation de son vivant, devient pour lui une « campagne » qu'il planifie stratégiquement450. Plus tard, il organise avec un succès retentissant, de concert avec Hans Grelinger, le « Camp de Stakenberg », une première grande rencontre internationale de la jeunesse sur le thème de l'anthroposophie451. Son engagement simultané dans la mission confiée par Rudolf Steiner d'assumer la responsabilité du travail de la Première Classe aux Pays-Bas correspond de façon exemplaire au principe de l'Université Libre de Science de l'Esprit de lier une action publique énergique avec l'ésotérisme.

            Zeylmans semble avoir tout d’abord hésité à tenir les leçons de classe. Il commence certes à le faire beaucoup plus tôt qu’on ne le supposait jusqu'à présent, mais sans doute pas encore du vivant de Rudolf Steiner.

447 «Reeds in 1925 had Rudolf Steiner mij vanaf zijn ziekbed toestimming gegeven klassebijeenkomsten te houden.» [« Dès 1925, Rudolf Steiner m'avait donné depuis son lit de malade la permission de tenir des réunions de classe. »] In: Mededeelingen van de Anthroposophische Vereeniging in Nederland [Communications de la Société Anthroposophique aux Pays-Bas] N° 15, Novembre 1946, p. 53.
448 Van Dam in Plato 2003 ; E. Zeylmans van Emmichoven 1979.
449 Symptomatiquement, ses lettres à Grete Bockholt, 07/10/1924, et à IW, 01/09/1925 et 19/01/1926. Archiv IW.
450 «De W.S.V. zal zijn geestelijk centrum in Dornach hebben, zijn propaganda centrum in den Haag en zijn paedagogisch centrum in Stuttgart» [« Le W.S.V. aura son centre spirituel à Dornach, son centre de propagande à La Haye et son centre pédagogique à Stuttgart. »] (à IW, 24/01/1926, Archiv IW). «Duitsland zal wel spoedig toetreden en dan kann de groote veldtocht beginnen» [« L'Allemagne va bientôt se joindre à nous et la grande campagne pourra alors commencer. »] (à IW, 10/01/1926, Archiv IW).
451 Haid 2001.
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 En octobre 1924, il commence par demander à Elisabeth Vreede si le Dr Steiner considérerait comme souhaitable que quelqu'un, par exemple elle-même, puisse se rendre régulièrement en Hollande pour quelques jours, par exemple tous les trois mois, et y tenir des leçons de classe, comme Mme Kolisko à Stuttgart (donc en train d’organiser ces lectures [cf. chap. 6.1, p. 119 ; ndt])452. On peut supposer que Rudolf Steiner, comme lors de toutes les autres demandes de ce genre, a réagi négativement. Ce n'est qu'à l'automne 1925 que Zeylmans, à l’instigation d'Ita Wegman, devient lui-même actif dans le champ du travail ésotérique. Il écrit à Wegman qu'il veut commencer le 13 septembre et demande encore quelques instructions plus détaillées sur la forme des leçons prévues. Il les désigne ici d’une appellation remarquable : « heures de méditation » (« Meditatie uren »).453

            Le 9 septembre, Ita Wegman répond aux questions posées par Zeylmans et lui écrit : « En ce qui concerne les mantrams de la classe, je suis d’avis que vous récitiez les mantrams comme une méditation prononcée à haute voix. Après cette récitation des mantrams, vous faites en conclusion le signe de Michaël avec les paroles qui en font partie : E D N, I C M, P S S R. Vous terminez ensuite par les paroles : ‘Nous terminons par le signe de Michaël’ et vous donnez le signe de Michaël. Et après que ceci est dit et que le signe est fait, vous traduisez les paroles comme indiqué : J’aime le Père […] puis vous faites encore une fois le signe avec les paroles en latin. – Je ne voudrais pas qu’on fasse beaucoup de commentaires ou qu’on en parle à ce sujet parce que mon intention est d’en faire le début d’un culte. Donc : dire les mantrams, réciter, faire le signe de Michaël. Et c’est tout.

            Si cela pose problème, parce que tous les membres sont réunis et que l’acte dure si peu de temps, on peut après une pause, soit lire quelque chose du Dr., soit exposer soi-même quelque chose. Ce serait mieux que l’on continue à lire ou à parler au sujet de Michaël. Il est important pour moi que les explications qui doivent être données pour toutes ces choses ésotériques passent par moi à partir de ce que le Dr Steiner a donné. Je crois qu’il résultera beaucoup de profit de ces dispositions et espère beaucoup de votre bon état d’esprit, de votre coopération et de votre soutien. »454

452 Zeylmans à Vreede, 09/10/1924. Archiv Goeth.
453 Zeylmans à IW, 01/09/1925. Archiv IW. La même expression apparaît dans l’invitation aux membres, qu’il expédie le lendemain (voir annexe 36).
454 IW à Zeylmans, 09/09/1925. Archiv IW.

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            Il nous faut laisser ouverte la question de savoir si et dans quelle mesure Wegman, avec ces instructions détaillées, se réfère éventuellement à des entretiens avec Rudolf Steiner sur ce sujet, entretiens que celui-ci a pu avoir avec elle à l’occasion des différentes missions confiées par lui pour la transmission des mantras. Il est en tout cas remarquable qu’elle fasse observer qu’il est important pour elle « que les explications qui doivent être données pour toutes ces choses ésotériques passent par moi » – même si c’est « à partir de ce que le Dr Steiner a donné ». Dans ce message à un ami familier, il n’est pas question du « comité directeur ésotérique », l’organe de direction responsable dont elle se réclame volontiers à d’autres moments. Il paraît également remarquable qu’elle songe à faire de l’ « acte » caractérisé dans cette lettre le « début d’un culte ».

            Zeylmans donc très vraisemblablement, à côté des lectures ayant lieu occasionnellement et données par Ita Wegman, a tenu en Hollande des réunions régulières de membres de la classe à compter de l’automne 1925, au cours desquelles – après des paroles d’introduction à son initiative – on a exclusivement fait entendre les mantras, renforcés par des « signes » et des « sceaux » : « des heures de méditation au cours desquelles les méditations de la classe ont été écoutées et vécues ensemble ». En décembre 1927, il rapporte à Wegman qu’une « véritable école » (« een werkelyke school ») a pu progressivement se former ».455

Après la scission de la Société Anthroposophique en 1935, Zeylmans invite les membres de la classe qui se sont rattachés à Ita Wegman et Elisabeth Vreede à des leçons de classe en tant que « réunions d’étude »456. En 1936, il reçoit – avant même George Kaufmann en Angleterre – l’intégrale des transcriptions textuelles457. Il en produit de brefs résumés [condensés ; ndt] en néerlandais qu’il utilise comme base pour ses leçons de classe tenues encore librement et qu’il transmet aussi par la suite à d’autres responsables de la classe458. Ce n’est que plus tard qu’à la demande des participants, il passe à la lecture des textes.

455 Zeylmans à IW, 15/12/1927. Archiv IW.
456 Lettre circulaire aux membres de la «Anthroposophische Vereeniging in Nederland», 15/05/1936. Archiv Goeth.
457 J. van Dam à J. Kiersch, 19/12/2002. Kaufmann en 1937 fait référence au fait que les textes se trouvent également chez Zeylmans en Hollande ( Kaufmann à IW, 17/08/1937.
Archiv IW.)
458 J. van Dam à J. Kiersch, 19/12/2002. H. P. Manen 2002 (voir annexe 35).
Un exemplaire de ces résumés [condensés ; ndt] se trouve sous la garde de Paul Mackay, Dornach.
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 Immédiatement avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Zeylmans organisa avec des « Amis de l’étranger » une session d’une semaine à Rotterdam, où il tint à la fin de la manifestation la neuvième leçon de classe459. Ce n'est qu'après la guerre qu'il chargea d'autres personnalités de lire des leçons de classe aux Pays-Bas : Bernard Lievegoed, Pieter de Haan, Rein van Mansvelt, Max Stibbe, Henri van Goudoever, plus tard aussi Daan van Bemmelen460.

459 Invitation de la « Anthroposophische Vereeniging in Nederland », Groep Rotterdam, Juillet 1939. Archiv Goeth.
460 J. van Dam à J. Kiersch, 19/12/2002.

 6.11 Ludwig Graf Polzer-Hoditz

 Ludwig Polzer (1869-1945) fut durant de nombreuses années un des rares amis personnels de Rudolf Steiner. Ce n’est qu’après le milieu de sa vie qu’il eut connaissance de l’anthroposophie ; il entra à l’école ésotérique en 1912, vécut la pose de la pierre de fondation du premier Goetheanum, assista souvent à des conférences de Rudolf Steiner et fréquenta assidument le Goetheanum. Il s’y trouvait même la nuit de l’incendie461. C’est lors d’un entretien le 24 septembre 1924 que Rudolf Steiner l’habilita à transmettre les mantras de la classe aux membres de l’université à Vienne et à tenir des réunions à cette fin462. Il tint sa première leçon de classe à Vienne le jour de la St Michel qui suivit463, et continua à le faire à cet endroit durant de nombreuses années. Lors d’un autre entretien avec Rudolf Steiner, le 11 novembre, il reçut également l’autorisation d’étendre cette activité de transmetteur à Prague.

            Il note à ce sujet dans son journal : « Arrivé aujourd'hui à Dornach. Comme il [Rudolf Steiner] avait appris que j’étais à D[ornach], il me fit appeler. Son atelier avait été converti en chambre de malade. Il était assis pour la première fois dans un fauteuil. Nous avons parlé de mon père. Puis de l’affaire de l’école Michael et du cercle ésotérique.

461 M. Toepell in Plato 2003. In extenso Th. Meyer 1994.
462 Polzer à Comité directeur, 09/05/1930 ; « Déclaration » de Polzer du 02/06/1935. Archiv Goeth.
463 Meyer 1994, p. 243 ; Polzer à Comité directeur, 09/05/1930. Dans une lettre à Albert Steffen, Polzer écrit à ce sujet : « Nous étions vingt-et-un ; il régnait une très bonne atmosphère de St Michel. » (Meyer 1994, p. 243)
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 À ma question de savoir comment je devais tenir la classe à Vienne et à Prague, il a répondu affectueusement et avec insistance : ‘Faites-le comme vous voulez’. »464

            Une version plus détaillée de cet entretien se trouve dans un compte-rendu d’Ita Wegman lors de la réunion des secrétaires-généraux et des comités directeurs du 25 avril 1930, plus de cinq ans plus tard. Polzer avait, tel qu’elle le raconte, demandé à Rudolf Steiner s’il ne pourrait pas lire les transcriptions des leçons de classe à Vienne, comme Mme Kolisko à Stuttgart. Rudolf Steiner avait refusé et recommandé autre chose : « À partir de ce que vous avez entendu, des mantras que vous avez, à partir de cela vous pouvez faire naître une sorte de travail avec les gens qui veulent le faire avec vous. Le Comte Polzer dit alors : ‘Comment est-ce que je peux le faire, en fait ? J’en sais quand même trop peu’. Alors, le Docteur a dit au Comte Polzer : Faites ce que vous pouvez faire et comme vous le voulez aussi, mais à partir de ce que vous savez vous-même. Tel que vous pouvez et voulez le faire à partir des mantras avec les différents membres qui veulent le faire. Alors le Comte Polzer est sorti de l’atelier et j’ai eu encore pitié de lui et je lui ai dit : ‘Et bien, si c’est permis, et je crois que c’est permis, et il n’y a aucun mal à cela, alors vous pouvez à un moment aller lire chez Mme Kolisko le texte qu’elle a, vous pouvez ensuite avoir à nouveau le souvenir et à partir de là vous pouvez bâtir à nouveau votre travail’. – et c’est aussi de cette façon qu’il l’a fait. »465

            Après la funeste assemblée générale de 1935, on en tira argument pour faire grief à Polzer qu’il n’avait pas été autorisé à tenir des leçons de classe mais uniquement à « expliquer les mantras de la classe à un petit cercle ». Polzer y répond en précisant qu’il s’agit là d’un malentendu reposant sur la restitution faite par Wegman de l’entretien du 11 novembre 1924. il s’est [dit-il] depuis longtemps mis d’accord avec elle à ce sujet.

 464 D’après Meyer 1994, p. 562. Les notes qui suivent sur les intentions de Rudolf Steiner concernant les développements ultérieurs de l’université (voir Annexe 4) pourraient ne pas être authentiques (voir ci-dessus p. 63, Note 121). La formulation « Faites-le comme vous voulez » apparaît en revanche aussi dans d’autres comptes-rendus de Polzer (Polzer à Comité directeur, 09/05/1930 ; Polzer : « Déclaration » du 02/06/1935. Archiv Goeth.
465 G.u.V., 25/04/1930, p. 70s. Archiv Goeth.

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 Pour plus de précision, il poursuit : « Lors de cet entretien, il s’agissait principalement de la transmission des mantras que Rudolf Steiner a donnés dans le cercle ésotérique qu’il a tenu en 1923 avant le Congrès de Noël à Stuttgart, à Dornach et aussi à Vienne à la St Michel 1923 et qu’il m’a autorisé à continuer. Il ne s’agissait donc pas, à ce moment là, des mantras de la classe mais de ceux du cercle ésotérique466. »

466 Polzer : « Déclaration » aux membres. Archiv Goeth. Polzer identifie le cercle de personnes qui a participé à la leçon ésotérique à Vienne, probablement à tort, avec le groupe que Rudolf Steiner appelait le « Wachsmuth-Lerchenfeld-Gruppe », qui s’est réuni à Dornach le 27/05/1923, le 23/10/1923 et le 03/01/1924. Celui-ci se composait d’une quinzaine de personnalités parmi lesquelles : Maria Röschl, Marie Steiner, Harriet von Vacano, Elisabeth Vreede, Ita Wegman, Margarita Woloschin, Jürgen von Grone, Kurt Piper, Otto Graf Lerchenfeld, Albert Steffen, Guenther Wachsmuth, Wolfgang Wachsmuth et son épouse (Wiesberger 1997, p. 229s). Quant à la leçon de Vienne qui a été tenue le 30/09/1923 (Wiesberger 1997, p. 300), plusieurs invités de Prague y participèrent et furent ainsi amenés à demander à Rudolf Steiner déjà malade, par l’intermédiaire d’Albert Steffen, si le Comte Polzer ne pourrait pas aussi tenir des leçons de classe à Prague. Mathilde Hauffen de Prague écrit le 29 octobre 1924 à Steffen : « Le Comte Polzer était à Prague il y a peu et il nous a fait deux conférences, ce qui nous a permis à nouveau de nous relier davantage à Dornach. Or, je ne sais pas si vous avez connaissance que le Comte P. a formé un cercle avec des Viennois et quelques membres de Tchécoslovaquie l’automne dernier lorsque le Docteur était à Vienne, cercle dans lequel le docteur nous a aussi offert une leçon ésotérique. Dans ce cercle, qui se compose ici d'Otty Schneider, du couple Klaubek, de Schiller, du Dr Eiselt, du Dr Reichel, de Schmelkes, de Prykril et de moi-même, nous nous sommes à nouveau réunis dernièrement et nous avons parlé ici avec le Comte Polzer des conférences de la classe que nous avons en commun avec nos amis tchèques une fois toutes les 4 semaines selon le souhait du Docteur. Le Comte P. nous a dit qu’il dirige désormais aussi les conférences de la classe à Vienne et qu’il tire toujours de Dornach de temps en temps un nouvel acquis spirituel. Je lui ai alors demandé s’il ne pourrait pas aussi nous rendre compte de temps en temps à Prague de ce genre de conférences, si M. le Docteur était d’accord. Ce ne serait naturellement pas seulement pour le petit cercle mais pour tous les membres que M. le Docteur a admis ici dans la Première classe. » (Archiv Goeth.) C’est à cette requête que Rudolf Steiner a répondu ensuite positivement lors de son entretien du 11 novembre. Pour davantage de détails sur le « Wachsmuth-Lerchenfeld-Gruppe » dont on peut supposer que Rudolf Steiner l’a réuni en vue du Congrès de Noël imminent, cf. Wiesberger 1997, p. 298ss ainsi que in : GA 265, p. 455ss et GA 266/3, p. 351ss.
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 Polzer ajoute cette remarque éclairante : « Après la mort de Rudolf Steiner j’ai pris conscience à Dornach que différents membres du comité directeur étaient absolument dépourvus d’information sur beaucoup de choses que Rudolf Steiner a dit aux autres et même sur ce que Rudolf Steiner m’a dit sur des affaires aussi importantes que le sont les [affaires] ésotériques. Je ne peux qu’en tirer la conclusion que Rudolf Steiner donnait, précisément, beaucoup de tâches à des personnes individuelles et ne voulait pas d’un centralisme spirituel et ésotérique après sa mort. »

            Polzer rapporte aussi que peu après sa première leçon de classe, il a copié les textes de la classe avec la permission d’Ita Wegman chez Lili Kolisko à Stuttgart467. Marie Steiner s’en souvient en 1930 : « J’ai entendu dire plus tard par M. del Monte que le Comte Polzer avait été son hôte à Stuttgart pendant environ cinq jours et avait copié à l’époque du matin au soir. Le Dr Kolisko était venue une fois chez lui. Je suppose qu’il a obtenu les textes pour les lire, qu’il avait le droit de prendre des notes et qu’il a sans doute noté beaucoup de choses468. »

 467 « À cette époque, en novembre [1924], j’ai voulu aller chez Mme Finckh pour qu’elle me donne, sur la base de cette réponse du Docteur, les textes des leçons de classe, mais comme Mme Steiner était partie en voyage, je ne l’ai pas fait mais je me suis adressé à Mme le Dr Kolisko, celle-ci a alors demandé à Mme le Dr Wegman si elle pouvait me donner les textes et en a reçu d’elle l’autorisation. – Je me suis alors rendu plusieurs fois à Stuttgart et y ai recopié les textes pour moi progressivement. » (Polzer à comité directeur, 09/05/1930. Copie Archiv Goeth.) Albert Steffen, Marie Steiner et Guenther Wachsmuth, dans une sorte de note d’information, donnent une présentation des faits différente, qui – compte tenu de la situation tendue du printemps 1935 – doit toutefois être considérée avec une particulière prudence et ne contient également aucun justificatif authentique : « En ce qui concerne l’autorisation du Comte Polzer pour la lecture des textes, on observe cette circonstance particulière que cela a été contesté par le Dr Wegman. Elle a déclaré, il est vrai seulement après une période assez longue où elle a gardé le silence à ce sujet, que la permission demandée par le comte Polzer n’avait été donnée que pour le travail avec les paroles mantriques. À la question de savoir qui avait donc donné les textes au Comte, elle a déclaré ne pas le savoir. Le Dr Kolisko a répondu à cette question en disant qu’elle les lui avait donnés pour peu de temps afin de les lire et non de les copier. Il s’est ensuite avéré que le Comte Polzer a été l’hôte durant quatre jours de la maison de M. del Monte et a copié alors du matin jusque dans la nuit les conférences que lui avait prêtées Mme Kolisko. Ce n’est donc pas du fait de Rudolf Steiner lui-même que le Comte Polzer a purement et simplement obtenu les textes, c’est le Comte Polzer qui se les est procurés par une deuxième source de la manière décrite ci-dessus. » (Duplicata. À propos de la lettre du Comte Polzer, écrit à M. Jilg, le 06/05/1935. Archiv Goeth.)
468 G.u.V., 25/04/1930, p. 70.Archiv Goeth.
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 À l’occasion de la visite d’Ita Wegman à Prague en octobre 1925, par un « document » officiel signé d’elle et de Wachsmuth, Polzer fut « reconnu pour le travail de la classe en Tchécoslovaquie au nom du comité directeur de Dornach »469. D’après le témoignage de Hans Eiselt, Polzer (bien que possédant les transcriptions de Lili Kolisko) « a restitué tout le premier cycle [donc sans doute toutes les dix-neuf leçons de la première série] librement ». « Lui-même », ajoute Eiselt, « voulait les restituer librement et ne s’est mis à les lire qu’à partir d’un certain moment, parce que c’était le souhait qu’on ne cessait de lui manifester. Lui-même l’a en fait fait aussi, mais précisément, [contre] sa pratique initiale et contre sa volonté, et il a lu les paroles de la classe [leçons de classe] selon notre souhait470. » Polzer a ensuite reçu les textes des leçons de répétition, pour recopie, de Marie Steiner471. Polzer lui-même rapporte dans des notes autobiographiques qui datent probablement de 1930 : « J’ai tenu à chaque fois 2 leçons de classe à Prague et à Vienne à peu près toutes les 5 semaines, à l’exception des mois d’été […] Je tiens aussi de telles leçons à Linz régulièrement dans l’ordre [chronologique ; ndt] et occasionnellement encore à d’autres endroits472. » La façon dont il concevait cette activité ressort d’un document d’orientation [Grundsatzpapier] de juin 1930 dans lequel il se prononce pour des « groupes de confiance » qui, dans le cadre d’un accord mutuellement engageant se regroupent autour d’un porteur d’initiative473. Il ne conçoit donc plus l’instance responsable et porteuse d’une évolution de l’ésotérisme anthroposophique conforme à notre époque au niveau d’un organe directeur [Leitungsgremium] central, mais – comme il l’écrira plus tard – « partout où l’on travaille ésotériquement dans l’esprit de Rudolf Steiner »474. [var. : partout où le travail ésotérique se fait dans l'esprit de Rudolf Steiner"] Il s’exprime d’une façon très similaire dans ses « Souvenirs de Rudolf Steiner » de 1936 : « Son action terrestre se maintiendra et peut-être aussi se poursuivra bientôt dans beaucoup de groupes différents, jusqu'à ce qu’interviennent les forces qui pourront à nouveau réunir ces groupes universellement475. »

469 Polzer à Comité directeur, 09/05/1930. Archiv Goeth.
470 Eiselt in G.u.V., 25/04/1930, p. 101.
471 MSt à Comité directeur, 27/04/1930 ; G.u.V., 25/04/1930.
472 Feuilles de notes aux archives du Goetheanum, Akte Polzer.
473 Principes d’un cercle ésotérique. Archiv Goeth. Annexe 27.
474 Voir ci-dessous Annexe 34, p. 329.
475 Polzer-Hoditz 1985, p. 205.
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 Compte tenu de la situation de fait que nous venons de décrire, il allait de soi pour Polzer qu’il ne donne pas suite cinq ans plus tard à la demande de renoncer à ses leçons de classe dans l’intérêt du privilège de lecture du comité directeur de Dornach476. Il en donne une justification remarquable. Concernant le fait que Rudolf Steiner avait permis aux membres pragois de conserver en sténo les deux leçons tenues dans leur ville et de donner lecture des textes – jusqu'à nouvel ordre – toutes les deux semaines, il écrit : « C’est pourquoi il m’a semblé que la lecture des textes n’était pas considérée par le Docteur comme une chose qu’il voulait particulièrement privilégier. Le Docteur ne m’a jamais parlé d’une étude des mantras lors des entretiens qu’il a eus avec moi sur ce thème, mais seulement de leçons de classe et de la méditation des mantrams. Si l’on pouvait parler d’une étude dans ce cas, cela me paraissait plus justifié pour les textes que pour les mantrams. Au début, j’ai tenu les leçons de classe de telle façon que je ne lisais pas les textes, ce n’est qu’à la demande de quelques membres que je l’ai fait et que j’ai aussi trouvé cela plus humble477. »

            En septembre 1930, après que les confrontations sur la restriction de la lecture des textes au cercle des membres du comité directeur eurent conduit à une entente provisoire, le comité directeur fit connaître son accord « pour la tenue des leçons de classe par le Comte Polzer »478, implicitement donc pour leurs lectures, avant même (à part Anna Gunnarsson) que d’autres personnes y soient habilitées. L’année suivante, en 1931, Polzer commença des leçons de classe à Pardubice qu’il poursuivit jusqu'en mars 1938479. Sa relation humaine intime avec ce lieu conduisit à ce que lors de l’inauguration solennelle de la branche locale en décembre 1932, il tint en plus d’une leçon de classe un « Acte ésotérique ». Thomas Meyer suppose qu’il a utilisé à cette occasion des mantras de l’école ésotérique d’avant la [Première] Guerre Mondiale480. Avec quelle autonomie il procédait aussi par ailleurs, c’est ce que montre bien le fait qu’il admit dans la Première classe sous sa propre responsabilité la fille de l’ingénieur Milos Brabinek de Pardubice, âgée de vingt ans, lors du congrès anthroposophique de Prague de décembre 1931. « Je savais », écrit-il plus tard, « comment Brabinek avait éduqué ses enfants dans l’esprit de l’anthroposophie.

476 Protocole comité directeur, 19/02/1930. Archiv Goeth.
477 Polzer à comité directeur, 27/02/1930. Archiv Goeth.
478 Comité directeur, 16/09/1930. Archiv Goeth.
479 Meyer 1994, p. 303.
480 Ibidem, p. 318.
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 Maria avait aussi été à Dornach pendant un an après son baccalauréat. – J’ai donc pu tout de suite l’admettre et je lui ai permis aussitôt de venir le 6 décembre481. »

            On peut considérer comme le point culminant de l’action anthroposophique de Polzer le discours qu’il a tenu le 14 avril 1935 lors de l’assemblée générale de la Société Anthroposophique Universelle à Dornach482. Ce discours nous apparaît aujourd'hui comme la dernière motion d’une raison réfléchie dans une situation de conflit qu’il n’était déjà plus possible de résoudre. Le différent entre les partis à Dornach s’était de plus en plus aggravé au cours de l’année précédente. À la suite du déroulement problématique de l’assemblée générale de mars 1934 483, et de la fondation qui s’ensuivit des « Groupes anthroposophiques libres unis » [Vereinigte Freie Anthroposophische Gruppen] en juillet, lorsque les membres de la Société Anthroposophique liés à Ita Wegman et Elisabeth Vreede, malgré leur disposition à coopérer, eurent proclamé la conscience de leur liberté et leur autonomie vis-à-vis de la direction de Dornach484, les antagonismes avaient aussi éclaté au grand jour à la « périphérie », surtout en Angleterre, en Hollande et en Allemagne. En novembre 1934, Herman  Poppelbaum avait réagi en se prononçant en faveur de la position de Marie Steiner, Albert Steffen et Guenther Wachsmuth dans une lettre circulaire très remarquée485. Ses arguments furent ensuite motivés plus en détails quelques semaines avant l’assemblée générale de 1935 dans un « mémoire » extrêmement unilatéral, semant l’agitation à grand renfort d’affirmations infondées et de calomnies massives dont le ton agressif ne laissait plus aucun doute quant à l’issue fatale du débat à venir486.

            Grâce à ses voyages prolongés dans les pays de la monarchie danubienne, en Angleterre, en France et en Italie, en Suisse et en Allemagne, Polzer était un homme connu et l’ami de nombreux anthroposophes appartenant aux groupes les plus divers.

481 D’après Meyer 1994, p. 309.
482 Voir Annexe 31.
483 Protocole aux Archives du Goetheanum. Résumé EZ III, p. 213ss.
484 EZ III, p. 228s.
485 « Aus der Geschichte der Anthroposophischen Gesellschaft seit 1925 » [De l’histoire de la Société Anthroposophique depuis 1925]. Également in EZ III, p. 232ss.
486 Ce « mémoire » a été retiré [s.e. du catalogue ? ; ndt] par ses douze éditeurs en 1949 (H. Poppelbaum in Nbl., 25/09/1949. Voir à ce sujet Albert Steffen à Poppelbaum, 31/08/1949, Annexe 38). Pour son contenu, voir EZ III, p. 45ss.
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 Cela lui procurait une audience, même auprès de la majorité des auditeurs qui étaient décidés à « révoquer » Ita Wegman et Elisabeth Vreede et à exclure de la Société les groupes liés à elles. Polzer parlait sur un ton tranquille et conciliant, s’efforçant de rendre compréhensibles les antagonismes et leurs causes et encore au dernier moment d’aboutir à un accord. Il abordait aussi dans ce contexte la situation de l’université. Comme déjà dans un « Mémorandum » sur la direction de la Société Anthroposophique en 1930, qu’il n’avait pas publié à l’époque compte tenu de la résistance de Marie Steiner et d’Albert Steffen487, il plaide pour laisser vacantes la « Section d’Anthroposophie générale » et du même coup la direction de l’université, ne pas poursuivre l’idée d’une « succession » ésotérique, s’appuyer sur la coopération amiable [consensuelle] des différents chefs de section et transférer complètement la responsabilité du travail de la classe aux groupements locaux dont les représentants [Repräsentant (en)] coopéreraient ensuite avec les chefs de section agissant de façon autonome. « Après la mort de Rudolf Steiner, j’estime qu’un règlement des affaires de la classe n’est possible que si la personnalité qui veut assumer la responsabilité vis-à-vis du monde spirituel et de Rudolf Steiner, et qui est portée par la volonté d’un certain nombre de personnalités le communique aux chefs des sections et en discute avec eux. Je crois que de cette façon la continuité avec Rudolf Steiner, qui est la condition, serait garantie. C’est ce point de vue que j’ai aussi communiqué un jour, beaucoup plus tard, à Albert Steffen d’une façon semblable, lorsqu’il a été question de l’autorisation concernant M. Arenson. Assumer une telle chose reste cependant toujours un acte qui est une question de destin spirituel. Conférer des compétences en raison de ‘réalisations’ assidues ou beaucoup de connaissances serait à mes yeux inacceptable, cela nous mènerait très vite à une voie autoritaire qui ne serait que tout à fait extérieure. »

            Polzer devait échouer, en même temps que ses souhaits. Après la demande du nouveau comité directeur de cesser son travail de classe et de restituer les textes, ce qu’il refusa une nouvelle fois 488, il ne travailla plus qu’avec Ita Wegman à qui il envoyait les demandes d’admission pour approbation 489.

487 Meyer 1994, p. 298s.
488 Steffen, MSt et Wachsmuth à Polzer, 29/04/1935.
Polzer à comité directeur en Mai 1935. Archiv Goeth.
489 Meyer 1994, p. 616s.

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 Conscient de l’importance des relations anciennes entre l’Angleterre et la Bohême, il resta en contact étroit avec George Kaufmann et le cercle d’amis de Daniel N. Dunlop à Londres décédé en mai 1935 et organisa le travail de l’université tchèque indépendamment de Dornach490. En décembre 1935, il résuma encore une fois les principes de son activité pour la Première classe dans une lettre confidentielle adressée aux membres de celle-ci491. Le 30 mai 1936, il se retira de la Société Anthroposophique492.

490 Ibidem, p. 351.
491 Voir Annexe 34.
492 Meyer 1994, p. 372 et 540.

 

6.12 Habilitations accordées après le décès de Rudolf Steiner

 Signalons pour finir quelques accords spéciaux qui n'ont plus été conclus par Rudolf Steiner lui-même, mais encore dans le sens de ces missions confiées aux premiers « transmetteurs ». Compte tenu de la tendance existant dans le cercle du comité directeur de Dornach à considérer leur activité comme un arrangement provisoire et marginal (voir ci-dessus p. 116), il est à noter que dans quelques cas, avant même la diffusion des transcriptions complètes qui commença à s’instaurer au cours de l’année 1929, des habilitations ont encore eu lieu pour la transmission des mantras sans les textes des conférences les accompagnant ou pour des réunions d’étude comportant la lecture des mantras et leur présentation sous une forme libre. Le cas le mieux documenté jusqu'à présent concerne la situation à Breslau (Silésie). Rudolf Steiner y avait tenu deux leçons de classe les 12 et 13 juin 1924, dont aucune transcription n’a été conservée. À partir de Breslau, le directeur d’école Moritz Bartsch (1869-1944) travaillait déjà à l’époque avec énergie et compétence depuis des années pour la propagation de l'anthroposophie493. Une lettre de mai 1924, dans laquelle Bartsch transmet des demandes d'admission à Rudolf Steiner, montre qu'il était considéré à Dornach comme une personne de confiance pour la Première classe494.

 

493 J. Kiersch in Plato 2003.
494 M. Bartsch à Rudolf Steiner, 23/05/1924.
Archiv Goeth.
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Marie Steiner avait découvert ses qualités humaines et son engagement chaleureux pour la cause anthroposophique, en particulier pendant le Cours d'agriculture de Koberwitz à proximité de Breslau, pour l'organisation duquel il avait joué un rôle décisif. Elle était restée en dialogue amical avec lui et s'était rendue à Breslau en 1926 pour y lire trois leçons de classe dans le texte de Rudolf Steiner. Déjà auparavant, pendant la crise de Dornach de février 1926, il avait exprimé l'espoir que les lectures puissent être désormais prises en charge par Marie Steiner et Albert Steffen et que d'autres personnes puissent aussi autant que possible s’en occuper plus tard, ce en quoi il ne respectait manifestement plus Ita Wegman et sa mission : « Il serait sans doute bon de laisser ces leçons reposer, d’une façon très générale, jusqu'à ce que vous ou M. Steffen ayez le temps de les donner ou que des personnalités soient chargées par vous de cette tâche, si cela est possible » 495. C’est probablement à l'occasion de sa visite à Breslau que Marie Steiner a dû convenir avec Moritz Bartsch de la manière dont le travail des membres sur les contenus de la classe pourrait être renforcé par des répétitions sous une forme appropriée jusqu'à ce que des leçons supplémentaires soient données lors de sa prochaine visite. On trouve en tout cas dans le protocole de la réunion du comité directeur de Dornach du 02/02/1927 la note suivante : « Accord pour l’étude des leçons de classe par M. Bartsch à Breslau dans le sens de sa discussion avec Madame Steiner à Breslau et lettre du 22/11/1926 » 496. Quelques jours plus tard, Bartsch remercie Wachsmuth pour la confiance qu’on lui témoigne et écrit : « Je crois avoir bien compris Madame Steiner si je répète de temps en temps les trois premières leçons de classe tenues par elle à Breslau, de sorte qu’après un discours libre sur les paroles, celles-ci elles-mêmes sont lues. » 497 Quelques semaines plus tard, Moritz Bartsch est soulagé d'annoncer que son projet a démarré avec succès : « Dimanche, j’ai répété la 1ère leçon de classe. J'ai abordé la tâche avec une grande timidité, car par rapport à la grandeur de l’objet, on se sent bien trop imparfait et indigne. Mais maintenant mon cœur est plein de gratitude ; car on a pu nettement ressentir que les Célestes [sic] étaient avec nous ». Il voudrait maintenant « répéter » aussi la deuxième et la troisième leçon498.

 

495 Bartsch à MSt, 14/02/1926. Archiv Nachl. Il est frappant de constater que cette lettre est écrite à peu près à la même époque que la lettre d'Anna Gunnarsson du 21/01/1926, qui formule quelque chose de semblable.
496 Archiv Goeth. La lettre en question n'a pas encore été identifiée jusqu'à présent.
497 Bartsch à Wachsmuth, 05/02/1927. Archiv Goeth.
498 M. Bartsch à MSt, 03/03/1927. Archiv Nachl.

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Il envisage d'autres répétitions – peut-être de leçons supplémentaires que Marie Steiner a tenues à Breslau pendant l'été 1927 499 – pour le début du mois d'octobre 1927 500.

On peut supposer que Moritz Bartsch, comme plusieurs autres personnes de confiance de l’université ayant fait leurs preuves, a reçu lui aussi les transcriptions complètes des leçons de classe avec la permission d’en donner lecture501. En février 1933, la fille d’Adolf Arenson, Auguste Unger, est habilitée en tant que « transmettrice des leçons de classe pour Stuttgart » à la place de son père malade502. Ceci caractérise la situation dans laquelle se trouvait le comité directeur de Dornach au début des années 1930, lorsque l'extension du cercle des « lecteurs » ne pouvait plus être évitée (voir annexe 29).

À l’instar de Moritz Bartsch, Martin Münch semble lui aussi avoir été chargé de la tenue de leçons de classe dès 1927, à nouveau par l’entremise de Marie Steiner, à savoir pour Lübeck503. La question de savoir si Münch a également été actif à Berlin sous une forme semblable, là où il habitait, n'a pas pu être précisée jusqu'à présent. Bernard Crompton-Smith avait déjà été autorisé auparavant à transmettre les mantras de classe en Nouvelle-Zélande504.

 

499 M. Bartsch à MSt, 16/07/1927. Archiv Nachl.
500 M. Bartsch à MSt, 15/09/1927. Archiv Nachl.
501 Le protocole de la séance du comité directeur de Dornach du 17 mai 1930 note : « prise de connaissance d’une lettre des membres silésiens concernant le travail de classe par M. Bartsch ». Il pourrait s'agir là d'une lettre semblable à celle déjà mentionnée des membres de Stuttgart dans le cas d'Adolf Arenson, arrivée à Dornach deux mois plus tôt – avec la demande de permettre au transmetteur éprouvé des mantras de lire également les textes complets de la classe.
502 MSt, Steffen, Wachsmuth à Unger 27/02/1933. Archiv Nachl.
503 Dans le protocole de la séance du comité directeur de Dornach du 12/10/1927, il est dit : « Accord pour que M. Münch à Lübeck (branche Molwo) travaille avec les membres de la classe dans le sens discuté avec Mme Steiner ». Archiv Goeth.
504 Protocole de la séance du comité directeur du 22/12/1926. Archiv Goeth. Les transcriptions des conférences de la classe n'y arrivèrent qu'à la fin de 1952 (Edna Burbury et Ruth Nelson à Steffen et comité directeur, 15/09/1952. Archiv Goeth.) et furent alors lues par Edna Burbury et Ruth Nelson (I. van Florenstein Mulder à J. Kiersch, 28/10/2004).

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Rudolf Steiner, comme nous l'avons vu, avait habilité en 1924 plusieurs secrétaires généraux des sociétés anthroposophiques de pays à transmettre les mantras de la classe : Harry Collison, Henry Monges, Johannes Leino, en 1925 aussi Willem Zeylmans. Il est bien concevable que la même mission – éventuellement à côté d'autres – ait été confiée aussi au secrétaire général danois : Johannes Hohlenberg (1881-1960), un homme du monde d’une intelligence supérieure, écrivain et conférencier, éditeur de deux revues anthroposophiques, défenseur engagé de l'idée de tri-articulation sociale en Scandinavie, qui, en raison de sa mentalité libérale et de sa résistance sans compromis contre le fascisme allemand, s'opposa à Marie Steiner et Albert Steffen et démissionna de son poste de secrétaire général en 1931 505. En tant que personne de confiance de l’université pour le Danemark, Hohlenberg recommande l’admission de M. Knut Möller peu après la mort de Rudolf Steiner, et écrit à ce propos : « J’aimerais tout particulièrement pouvoir l'admettre dans le petit groupe que nous formons maintenant. » 506 Il n'a pas encore été possible de déterminer si le groupe de travail de l’université projeté par Johannes Hohlenberg et dont cette phrase fait mention s’est effectivement constitué. En tout cas, il semble tout à fait possible qu'un tel cercle ait pu aussi voir le jour au Danemark à l’instigation directe de Rudolf Steiner.

Au cours de l'été 1935, c’est ensuite Esper Eising (1876-1951), le successeur de Hohlenberg en tant que secrétaire général qui fut chargé de la tenue des leçons de classe au Danemark507. Il reçut aussitôt les transcriptions des premières conférences, plus tard les autres, et lut toutes les dix-neuf leçons jusqu'en 1938 508.

 505 T. Christensen in Plato 2003. En juin 1934, dans une lettre remarquable à Albert Steffen, Hohlenberg réclamait des éclaircissements sur le point de savoir si la circulaire « Zur Orientierung » (mai 1933) diffusée par Hermann Poppelbaum et Martin Münch, qui cherchait à démontrer la compatibilité des idées de Steiner avec le national-socialisme dans l'intérêt de la survie des institutions anthroposophiques en Allemagne, avait été rédigée en accord avec le comité directeur de Dornach (Hohlenberg à Steffen, 19/06 et 07/10/1934, Archiv Goeth. Sur la stratégie de défense de Poppelbaum vis-à-vis du régime national-socialiste, voir Werner 1999.) Steffen ne répondit pas. Marie Steiner, à l'occasion de l'interdiction de la Société anthroposophique en Allemagne, retira à Hohlenberg le droit de reproduire des conférences de Rudolf Steiner dans la revue « Vidar ».
506 Hohlenberg à comité directeur. 24/04/1925. Archiv Goeth.
507 Steffen, MSt, Wachsmuth à Eising, 29/06/1935. Archiv Nachl. Sur Esper Eising, voir M. Eising in Plato 2003.

508 Eising à MSt, 19/04/1938. Archiv Nachl.
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Il interroge Marie Steiner sur la participation à ses leçons de membres qu'il ne connaît pas personnellement ; Marie Steiner lui répond : « Il est en effet d'usage que des membres de la classe aient accès à des leçons de classe tenues dans une ville étrangère sur la base de leurs cartes bleue et rouge. À Dornach, ils ont le droit de le faire s'ils présentent les deux cartes, et il y en a maintenant beaucoup que nous ne connaissons pas personnellement qui ont été admis sur recommandation d'une personne de confiance – Les cas difficiles sont malheureusement inévitables ».509

On n’a pas pu déterminer jusqu'à présent si la première leçon de classe tenue à Paris par Ita Wegman y avait trouvé déjà une suite régulière avant la Seconde Guerre mondiale. Simonne Rihouët-Coroze, présidente et secrétaire-générale depuis 1931 de la Société française nouvellement fondée [ou : refondée ? ; ndt] par le comité directeur de Dornach, écrit dans une lettre à ses membres à l'été 1952 que les réunions de classe à Paris, qui ont été interrompues lors du déclenchement de la guerre, se poursuivent désormais à intervalles réguliers à partir de l'automne510. Il est donc possible qu'elle y ait déjà tenu des leçons de classe dans les années 1930, lorsque d'autres personnes y furent habilitées à partir de Dornach. En tout cas, elle le fit à partir de 1952.

En Finlande et en Estonie aussi, il y eut avant même la Seconde Guerre mondiale plusieurs autres nominations de responsables de classe en Finlande et en Estonie. Pour le groupe de langue suédoise en Finlande, ce fut Olga von Freymann, qui avait organisé à l’été 1931 une première conférence (Tagung) pour les membres de la classe à Helsinki (Helsingfors) avec la participation de Marie Steiner511. Elle est bientôt mentionnée après ce congrès comme responsable de classe aux côtés de Johannes Leino ; elle reçut les transcriptions des conférences de la classe en vue de leur lecture au printemps 1933 512. En Estonie, l'homme de confiance de l’université, en fonction au plus tard en 1928, est Otto Sepp

 

509 MSt à Eising, 27/04-11/05 1938. Archiv Nachl.
510 « Les réunions de la ‘Classe’ avaient cessé à Paris au moment de la Guerre. Elles pourront, à partir de l'automne prochain, recommencer à des intervalles réguliers » (Société Anthroposophique – Section française. [Communiqués] N° 6, Juin 1952). Voir aussi S. Rihouët-Coroze : L'Anthroposophie en France. Chronique de trois quarts de siècle 1902-1976. Tome 1. Éditions du Centre Triades, Paris 1978, p. 431. Sur Rihouët-Coroze, voir Gudrun et Jean Cron in Plato 2003.
511 0. von Freymann à MSt, 27/05 et 22/07/1931. Archiv Nachl.
512 MSt à Freymann et Leino, 02/02/1933. Archiv Nachl.
Wachsmuth à Steffen et MSt, 27/04/1933. Archiv Goeth.
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En Estonie, l'homme de confiance de l’université, en fonction au plus tard en 1928, est Otto Sepp (1884-1932), secrétaire général de la société estonienne fondée en 1924 et éditeur de la revue « Antroposoofia » 513. Avec la permission de Marie Steiner, il tient, à partir de 1930 au plus tard, des réunions de membres de la classe au cours desquelles les mantras des cinq premières leçons sont « étudiés à fond à plusieurs reprises », donc sans doute encore sans lecture des textes514. Quelques mois avant sa mort, il traduit toutes les leçons de classe de Rudolf Steiner en estonien. Sa femme demande alors à Marie Steiner « s’il est permis aux élèves de la classe de travailler sur les mantras en petits groupes. […] ou si nous ne devons travailler que dans le groupe général officiel de la classe et individuellement » 515.

A l'automne 1932, Otto Sepp, avec le consentement de Marie Steiner, transmet pour cause de maladie la direction du travail de classe à Reval (Tallinn) au jeune Valentin Tomberg (1900-1973) 516. Celui-ci avait participé à la conférence de la classe à Helsinki (Helsingfors) à l'été 1931 517. Il s’était déjà engagé auparavant pour un congrès de la classe destiné à des membres russophones de l'université au Goetheanum qui s'y déroula en août 1931. Marie Steiner a manifestement tenu des leçons en russe à cette occasion518.

          Au cours des deux années suivantes, Tomberg poursuit désormais le travail ésotérique commencé par Otto Sepp avec un petit groupe d'une vingtaine de membres à la satisfaction de tous. Il se sent un élève profondément dévoué de Rudolf Steiner et ouvre le contenu des leçons de classe à son cercle d’auditeurs avec engagement et chaleur. Marie Steiner apprécie ses capacités importantes et fonde sans doute de grands espoirs sur lui.

 

513 U. Trapp-Geromont in Plato 2003. Le 25/10/1928, Sepp demande à MSt s'il doit envoyer une liste d'aspirants à la classe à Dornach. Le 08/11/1928, il lui envoie une telle liste et lui recommande des admissions. Archiv Nachl.
514 Sepp à MSt, 01/11/1930. Archiv Nachl.
515 Zinaida Sepp à MSt, 06/09/1932. Archiv Nachl.
516 M. Hörschelmann à E. Vreede, 05/11/1936. Archiv Goeth. Voir Heckmann 2001, p. 512.
Sur Tomberg, voir J. Darvas in Plato 2003, in extenso Heckmann 2001 (où l’on trouvera aussi de nombreux documents relatifs aux événements d’Estonie relatés ci-dessous).
517 Dans une lettre enthousiaste, il remercie Marie Steiner pour les impressions qu’il y a reçues (Tomberg à MSt, 12/07/1931, Archiv Goeth.). Voir aussi Heckmann 2001, p. 96s.
518 Heckmann 2001, p. 97ss.

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Mais, déçue, elle se détourne bientôt de lui. Tomberg, pour sa part, renonce à partir du 21 janvier 1934 à continuer à tenir des leçons de classe519, après l'Assemblée générale de Dornach en mars, il démissionne de son poste de secrétaire général. Un an plus tard, il demande à Elisabeth Vreede son admission à titre de membre individuel aux « Groupes anthroposophiques libres unifiés » 520.

Le conflit sous-jacent ne peut être discuté en détail ici. Au cours de ce conflit apparaissent certaines déclarations qui montrent symptomatiquement comment en quelques années, après la mort de Rudolf Steiner, des représentations sur la façon de travailler de l’Université libre de Science de l'Esprit commencent à se répandre, que son fondateur n'a jamais soutenues. L'émergence de telles représentations dans le milieu historique des années trente du vingtième siècle est un problème historiographique non maîtrisé jusqu'à présent. Notre propos ici est seulement de rendre attentif à la façon dont il s’annonce dans des déclarations symptomatiques et exerce un effet, et non sur la façon dont il pourrait être résolue.

Comme nous l'avons vu, Rudolf Steiner s'était toujours à nouveau efforcé de construire l'université « par en bas », à partir des besoins des membres, et de promouvoir la coopération du Centre de Dornach avec la « périphérie » dans le sens d'une « relation contractuelle spirituelle libre ». Mais en avril 1924, alors que l'université est encore en cours de constitution, il dit que « bien évidemment », le travail ésotérique des divers cercles spéciaux qui existaient jusqu'alors avait à confluer dans le travail de l'université. Ceci était « la souche et la source ésotérique fondamentale de toute activité ésotérique au sein du mouvement anthroposophique », et quiconque voulait fonder [aussi : justifier ; ndt] « quoi que ce soit d’ésotérique » avait à « s'entendre » avec le comité directeur au Goetheanum, ou devait poursuivre son affaire complètement séparément de l'université et sans sa reconnaissance521. C’est dans une direction similaire que s’oriente une remarque ultérieure, qui lie l'obligation de « représentation » des membres de l'université à la nécessité de « rechercher » le « lien » avec la direction de l'université pour tout ce que l'on « fait ou veut faire » pour l'anthroposophie522.

 

519 Elena Tomberg à MSt, 08/08/1934. Heckmann 2001, p.177.
520 Tomberg à Vreede, 05/07/1935. Archiv Goeth.
521 18/04/1924, GA 270/1, p.149s.
522 28/06/1924, GA 270/2, p.116.

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Il n’est nulle part question chez Rudolf Steiner d’un droit d’injonction de la direction de l’université ou d’une quelconque forme de contrôle de la pensée523.

Or, l'initiative portée surtout par Willem Zeylmans de relancer l'idée de « l’association scolaire mondiale » (1926), le Congrès mondial de Londres (1928) et le « Camp de Stakenberg » en Hollande (1930), le succès inattendu de la première grande manifestation de la jeunesse du mouvement anthroposophique, avaient déjà suscité beaucoup de réserves, de suspicion et de méfiance à Dornach, au niveau du centre524. La préservation authentique et la culture sérieuse de l’héritage de Rudolf Steiner étaient-elles encore garanties si des forces de jeunesse immatures et peu éclairées, éventuellement séduites par l'ambition personnelle et des passions mal digérées, cherchaient à se mettre en avant ?

Lorsque Valentin Tomberg, envoya les premières livraisons de ses « Considérations anthroposophiques sur l'Ancien Testament » en novembre 1933 dans ce contexte d'humeur, il se sentait tout à fait être un élève dévoué de Rudolf Steiner, collaborant loyalement à la grande tâche que représentait la poursuite conforme à notre époque de l’évolution de l'anthroposophie. Il entretenait avec Marie Steiner une relation de confiance personnelle, qui l'amenait à lui proposer sa coopération directement à Dornach. C’est avec le plus grand étonnement qu’il apprend maintenant que ses « Considérations » se heurtent au « Centre » à une résistance décidée. Sa critique discrète de l'attitude rétrospective et "archivistique" qu’il y avait là, et sa pensée que même après la mort de Rudolf Steiner, une authentique recherche spirituelle suprasensible était possible et nécessaire éveille la suspicion de revendications massives et démesurées.

 

523 La générosité avec laquelle Rudolf Steiner procéda à l’égard des engagements et des penchants spirituels non anthroposophiques de certains membres de la classe, malgré son exigence de loyauté envers la direction de Dornach, est particulièrement nette dans ses déclarations concernant la compatibilité de la qualité de membre de l’université avec l'appartenance à certains ordres des francs-maçons, comme c'était devenu un problème dans le cas de Harry Collison (Conférence du 02/09/1923 à Londres, GA 259 ; cf. Villeneuve 2004, p. 1162 et p. 1215ss). Il en va de même pour sa fréquentation de l’ecclésiastique catholique Giuseppe Trinchero, qui, après son entrée dans la Société anthroposophique en 1924, était considéré à Dornach comme un "homme de confiance" (note dans le registre des membres au Goetheanum) et à qui il confie encore un mantram personnel en septembre 1924 (GA 268, p.104s).
524 Plus de détails dans EZ III et chez Haid 2001.

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 Roman Boos, éminent spécialiste des sciences sociales et juriste, étroitement lié à Marie Steiner, argumente avec l’acuité habituelle dans la feuille d’informations et affirme que le mouvement anthroposophique n'a pas besoin de nouveaux initiés525. À cela s’ajoute l’accusation « d'occultisme mystico-érotique » déclenchée par le second mariage de Tomberg526. En résumé, Marie Steiner justifie son éloignement de Tomberg plus tard en ces termes : qu'il « s'est annoncé totalement de lui-même dans des publications auxquelles il donne le nom de ’Considérations anthroposophiques’, comme celui qui est maintenant le porteur du courant vivant sans lequel l'anthroposophie devrait se tarir. Il dénie donc au patrimoine de sagesse donné par le Dr Steiner, sur lequel il se base en effet, à qui il doit tout comme l'air que l'on respire, une force effective de vie et le revendique pour ce qu'il croit maintenant donner à partir de sources ésotériques directes. Il a, par cette façon de procéder, mis un terme à son appartenance à la classe » 527.

Tomberg se retire alors complètement sur un cercle de travail privé. Mais l'affaire n'est pas terminée pour autant. Vers Pâques 1936, alors que Tomberg s’est déjà rattaché aux « groupes anthroposophiques libres unifiés » via Elisabeth Vreede, Marie Steiner autorise Mme Linda Kasemets à diriger le travail de l’université en Estonie, à la condition que les membres qui continuent à travailler avec Tomberg soient exclus des leçons communes. Cela concerne dix personnes, soit environ la moitié des participants admis jusque là. L'une d'entre elles, Maja Hörschelmann, écrit à Elisabeth Vreede que Marie Steiner avait répondu aux lettres de Zinaida Sepp et Regina von Dumpff à ce sujet en disant que les membres concernés pourraient continuer à participer aux leçons de classe à Dornach et ailleurs, mais pas à Reval. « M. Tomberg a son propre ésotérisme, et ceux qui continuent à travailler avec lui peuvent facilement laisser influer (sens étymologique ; ndt) cet ésotérisme dans le travail du cercle ». Un « Extrait des règles pour les membres de la classe » stipule en annexe que : « L'élève de la classe est tenu à l’obéissance vis-à-vis de la direction supérieure de la classe, et n’a le droit de rien publier sans s’être concerté auparavant avec la direction de la classe. S'il le fait, donc s’il fait paraître ou diffuse des articles (Aufsätze) ou des œuvres anthroposophiques sans autorisation, il pratique ce faisant son propre ésotérisme et s'exclut de ce fait de la classe ;

 

525 Nbl., 07/01/1934, p.2.
526 MSt 1981, p. 325.
527 MSt à R. v. Dumpff, 25/03/1936. MSt 1981, p. 322.

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il en va de même pour les élèves qui soutiennent ces travaux528. » Les formulations originales de Marie Steiner dans sa lettre à Regina von Dumpff sont beaucoup plus douces529. Mais le fait incontestable reste celui de l’exclusion de dix membres engagés de l’université exclus du travail continu de la classe locale par Marie Steiner, ou plutôt par le comité directeur à trois, responsable depuis 1934 à Dornach, à cause de leur participation à un cercle de travail anthroposophique avec – comme on l’insinue – des opinions déviantes. Qu'est-ce qui amène Marie Steiner à prendre une telle mesure ? Qu'est-ce qui pousse une personne sincère et indulgente qui argumente tout à fait objectivement comme Maja Hörschelmann, à considérer des paroles de Rudolf Steiner, auxquelles nous nous référons dans ce contexte, comme une exigence d'« obéissance » envers la « direction supérieure de la classe », et à croire que des membres de l’université libre » auraient besoin d’une « autorisation » de cette direction pour la publication de leurs écrits, du timbre (cachet) de l'Imprimatur, comme cela pouvait encore être exigé à l'époque dans la sphère de domination de l'Église romaine ? Les conceptions éthiques et les attitudes morales sous-jacentes ont causé de graves dommages au mouvement anthroposophique jusque tard dans les années d'après-guerre. Leur genèse et leurs conséquences nécessitent d'urgence un travail de mémoire plus précis. En tout cas, il est évident que la loyauté à l’égard de la direction de l'université, déjà réclamée par Rudolf Steiner lors du Congrès de Noël 1923 et dans les leçons de classe, au sens d'un « contrat spirituel libre », a été ici interprétée comme un rapport d'instruction et de dépendance tout à fait autoritaire, perçu à juste titre par les personnes concernées comme étant plus menaçant que le libellé ne le laisse apparaître. En 1933, l'université libre a commencé à retomber dans des formes sociales dépassées, dont elle n’a commencé à se libérer à nouveau que dans la seconde moitié du vingtième siècle, après de longs détours supplémentaires530.

Les controverses actuelles autour de la personne et le destin de Tomberg ne sont pas à soulever dans le contexte de cette présentation. Faisons tout de même état d’une assertion tirée de la sphère d’influence de Tomberg

 

528 M. Hörschelmann à Vreede, 05/11/1936. Archiv Goeth. Voir Heckmann 2001, p. 517.
529 Voir MSt 1981, p. 321ss.
Aussi Heckmann 2001, p. 233s.
530 Pour une situation comparable à Prague, voir les remarques de Ludwig Polzer, Annexe 34, p.331.

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Faisons tout de même état d’une assertion tirée de la sphère d’influence de Tomberg qui laisse pressentir une proximité singulière avec des pensées tardives d’Ita Wegman. En 1938 – plus très longtemps avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale – Valerian Schmaeling, professeur de mathématiques dans la petite ville lettone de Jaunlatgale, non loin de la frontière de la Russie soviétique, écrit à Elisabeth Vreede au sujet des objectifs des « Groupes anthroposophiques unis » auxquels il se sent lié : « Au cours des 14 ou peut-être 13 années qui se sont écoulées depuis que l’activité d’enseignement de R. Steiner sur terre a cessé, bien d’autres choses plus subtiles ont sans doute aussi changé en même temps ; et j’ai le sentiment que si l’on avait abordé aujourd'hui l’évolution, le développement ultérieur de la science de l'esprit, on aurait aussi eu à commencer différemment, par un autre bout pour ainsi dire. Beaucoup de choses ésotériques seraient à traduire encore plus dans des formes conceptuelles et des formes de vie exotériques […] et le chemin d’exercice toujours plus à découvrir en évoluant d’une révélation secrète individuelle vers sa manifestation morale dans le social. Bref : ré-ouvrir la porte longtemps fermée de l'anthroposophie vivante apporterait avec soi une métamorphose, un renouvellement des impulsions et aussi des formes ». En tâtonnant, en laissant des formulations ouvertes, cet homme modeste cherche à exprimer ce qui l'incite, lui et le « cercle du renouveau » ou « de la résurrection » réuni autour de son ami Jablokov à Riga, à vouloir renouveler « l'ésotérisme michaëlique fondé par R. Steiner dans l'esprit des années trente [1930], c'est-à-dire dans la douce lumière de l’entité du Jésus nathanéen » 531. Ce qu'il cherche est simultanément ambitionné par Ita Wegman en référence au renouveau de la Première classe. C’est bien vers le destin de connaissance particulier de celle-ci que nous devons finalement nous tourner.

 

531 V. Schmaeling à E. Vreede, 05/01/1938. Archiv Goeth. Le groupe de discussion mentionné était initialement appelé "Sonntagskreis" [Le « cercle du dimanche »]. Mais le mot russe pour "dimanche", "voskressenje" signifie en même temps "Résurrection" (Schmaeling à Vreede, oct./nov. 1937, Archiv Goeth.).
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